Wendigo (1ère partie)

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L’été de ses douze ans, sous une chaleur si intense qu’elle troublait la vision au bout de quelques mètres, l’air semblant vivant et vibrant, Miette fit la rencontre singulière d’un vieillard allongé dans les herbes folles, elle a d’abord cru qu’il était mort, elle n’avait pas peur. Si elle avait bien compris une chose dans sa jeunesse, c’est qu’il y avait plus à craindre un être vivant qu’un être mort. Elle cassa une petite branche et toucha le bras du vieillard avec le bout. Rien ne se produisit, pas le moindre mouvement. Elle décida de le toucher au niveau des narines, c’est par ces orifices que l’âme quitte le corps, elle y croyait, mais pensait que les narines étaient aussi un point stratégique et très sensible. Peut-être allait-il éternuer et sortir de son sommeil ? Et c’est effectivement ce qui se produisit avec un peu de déception, car elle se réjouissait déjà de venir tous les jours pour suivre les étapes de la décomposition du corps. À cette époque de son existence, elle était encore un peu curieuse des choses de la vie et du monde en général. Ainsi ce vieil homme lui semblait de prime abord plus intéressant mort que vif.

Ils se regardèrent en chiens de faïence pendant près d’une minute, minute au bout de laquelle le vieil homme s’exprima avec un ton de reproche :

« Je faisais une sieste, je dormais, pourquoi m’as-tu réveillé ?! »

« Je pensais que vous étiez mort, Monsieur. »

« Et quelle différence ça peut bien faire que je sois mort ou vivant, espèce de petite sotte ? »

« Je ne sais pas Monsieur. Je voulais juste m’en assurer…”

“ Et si tu m’avais tué en voulant me sortir de mon sommeil ? Hein ?! Qu’est-ce que tu aurais fait ensuite ?”

“ Je…Je ne sais pas Monsieur.”

“ Donne-moi cette branche idiote !”

Miette s’exécuta sans se rebeller ni chercher à s’enfuir. Le vieillard se saisit de la mince branche et donna un coup sec sur la joue de Miette qui ne broncha pas. Une fine ligne rouge se dessina à l’endroit du coup.

“Alors, le sais-tu maintenant ?

“Oui…

“Oui ? Alors quoi ?!”

“Je vous aurais regardé mourir et j’aurais attrapé votre âme sortant de vos narines Monsieur.

“Quoi ?! Hahaha, quelle est cette sottise que j’entends là ?!”

“Certaines croyances islamiques croient que l’âme s’échappe du corps par les narines”

“Et qu’aurais-tu fait de mon âme, petite maline ?”

“Je l’aurais avalée, comme Wendigo, Monsieur.”

“...”

À l’annonce du sort qu’elle aurait réservé à son âme, le vieillard resta coi et en perdit la parole. Miette demeurait immobile à moitié enfoncée dans les hautes herbes, tandis que le vieillard tentait de se redresser avec un peu de difficulté.

“Merci pour ton aide précieuse, Wendigo !”

“Vous ne m’avez rien demandé, Monsieur.”

“On ne t’a donc pas appris les bonnes manières petite maligne ?!”

“Ma mère ne sait rien faire d’autre que de m’engueuler.”

“C’est sûrement que tu l’as mérité… Et ton père ?”

“Mon géniteur a violé ma mère, c’est comme ça que j’ai été conçue.”

“Ah !...”

Le vieillard ne savait plus quoi penser de cette gamine étrange et mangeuse d’âme. Il se disait que s’il devait mourir, que cela soit fait le plus loin possible d’elle. Il ne croyait pas à tout ça, mais la présence de la petite fille avait quelque-chose d’ authentiquement malfaisant, de bizarrement malfaisant même. Il prit appuis sur sa canne, et une fois debout, le vieillard se sentit plus grand qu’il ne l’était déjà face à la petite fille, et pourtant nettement inférieur à elle. Elle l’intimidait.

“Dis-moi petite, combien d’âmes as-tu avalé jusqu’à présent ?”

“Une seulement ; celle de mon chien Tobby. Mais je compte en avaler beaucoup d’autres bientôt.”

“Beaucoup… Dis ! Je suis désolé pour le coup que je t’ai donné tout à l’heure, hein ? “

“Je l’ai mérité, c’était le prix à payer pour avoir espéré avaler votre âme.”

“Tu as l’air d’y croire très fort à ces bêtises dis-moi, mais tu sais qu’au fond ce sont de stupides histoires pour faire peur aux… aux gens en règle générale ?

“Moi j’y crois.” Dit-elle, le plus sérieusement du monde, et en gardant toujours la même expression impassible.

“À ton âge on croit encore au Père-Noël et aux petites fées, ça te passera comme tout le reste, hein ?”

Elle ne répondit pas spontanément. Le soleil n’était plus qu’un souvenir qui colorait l’horizon d’une ligne rouge sang et le ciel était intégralement rose annonçant du vent pour le lendemain. Ils se mirent en marche côte à côte creusant deux sillons dans les grandes herbes. Ce grand calme avait quelque-chose d’inquiétant pour le vieil homme, cette réponse de Miette qui tardait à se faire entendre participait sûrement à cette impression légèrement oppressante. Avait-il véritablement peur d’une fillette de douze ans ? Ce n’était pas sérieux se rassura t-il ! Puis d’une voix monocorde Miette répondit

“Je n’ai jamais cru au Père Noël, ni aux fées… Venez-vous souvent dans ce coin ?”

C’était la première fois qu’il l’entendait poser une question directe, jusqu’ici elle s’était contenté de répondre à ses questions. Il mis un certain temps à répondre à son tour pour finalement dire que non, il ne venait pas souvent et que d’ailleurs il n’habitait pas là, mais dans une commune voisine.

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