1 - Bill

13 minutes de lecture

Woody et Buzz l’éclair s’avéraient être les jouets préférés de Bill, ses seuls jouets d’ailleurs. Il se souvenait les avoir volés à un gamin moins âgé au moment où ses parents provoquaient une émeute dans un centre commercial.

Il revoyait comment les choses s’étaient passées : Tout d’abord, son père initie une bagarre ; ensuite, les clients du centre, curieux du dénouement, décident de s’arrêter un moment pour observer la scène. Enfin, la fusillade commence.

Le petit garçon se rappelait qu’il avait le regard piloté vers les deux figurines que tenait un bébé couché sur une roulette un peu plus devant. Les seuls détails vagues qu’il avait du mal à évoquer à nouveau étaient l’espace et les lumières éclairantes de la pièce aux allures de hall d’un château luxueux. D’autant plus que le toit était voûté et que des motifs - sûrement des traces d’anciens propriétaires - ornaient les murs.

Le centre commercial se disposait en quatre étages, le tout relié par deux ascenseurs situés à l’opposé de chacun ; de deux escaliers pour les plus sportifs ; et d’une sorte de barre épaisse en acier chromée, ornée d’ampoules lumineuses se trouvant en plein milieu comme étant l’identité de cette boutique. En tout cas, c'est l’impression que Bill avait eue en entrant : peu importait les entrées utilisées, on ne pouvait rater cette barre atypique qui pouvait peut-être cacher en son creux un toboggan.

D’un autre côté, l’idée du toboggan caché dans le creux de cette barre avait été suffisante pour faire naître en Bill de l’excitation, car à peine avait-il traversé la porte d’entrée qu’un timide sourire - chose rare chez lui - s’était peint sur son visage.

Toute cette foule, tous ces enfants qui s’émerveillaient devant cette pléthore d’arts - motifs, lumières, ampoules... - pendant que les parents les maintenaient près d’eux pour qu'ils ne se perdent pas, étant donné la fourmilière humaine qu’était devenu le centre.

Bill avait ressenti en lui le désire de demander à ses parents à lui s’il était possible qu’il s’amusât aussi, mais un simple un regard vers eux avait suffi à lui faire comprendre que ce n’aurait pas été le cas.

Traversant avec lui l’entrée, ils avaient plutôt le regard porté vers l’objectif qui se tenait au dernier étage : une perle très rare, et sûrement coûteuse.

À sa droite, il tenait la main de sa mère ; à sa gauche, celle de son père. Cependant, il avait conscience que cela n’était qu’une question de formalité. Au milieu de toute cette foule, quel parent serait assez irresponsable pour ne pas tenir la main de son enfant sans paraître suspect ?

Ils avaient commencé à marcher sur la surface carrelée du rez-de-chaussée, faisant mine de s’intéresser à tout cet excès d’art.

Le père avait caché le bas de son visage à l’aide d'un long manteau d’un vert délabré, tandis que la mère avait tenté du mieux qu’elle le pouvait avec sa capuche. Bill, étant le seul à ne pas avoir besoin de se cacher, selon eux en tout cas.

À partir de ce moment-là, tout devint monotone et mécanique pour le petit garçon. À l’évidence, ces souvenirs lui intimaient de ne pas se soucier des détails. Il avait l’impression qu’ils lui chuchotaient : « Tu as monté l’escalier avec tes parents, puis vous avez encore marché, quoi ? Une heure en tout ? Es-tu sûr de vouloir te souvenir de tous ces détails ? Alors que tu réclames te souvenir de comment tu as pu obtenir ces deux jouets ? »

Il réagit.

Il fit un bond dans le temps dans sa tête vers le moment où son père avait cru identifier un ancien compagnon, occasion de semer la zizanie au milieu de tous ces gens. Et ça n’avait pas tardé : il avait réussi à échauffer son esprit et les deux s’étaient abandonnés à un délire de virilité. Certains parents, ayant remarqué que leurs enfants se retrouvaient effrayés par la scène, avaient décidé de lever le camp.

Toutefois, ce ne fut qu’au moment où la mère de Bill leva son doigt vers la sortie et cria avec un jeu d’acteur aussi convaincant que l’élite de l’élite : « Oh mon Dieu ! Il a une arme ! » que l’hystérie s’empara de la foule.

Profitant du fait que ses parents lui avaient lâché la main pour passer à l’autre étape de leur plan, Bill avait couru arracher les jouets des mains du bébé sous le regard impuissant de sa mère : la foule avait déjà commencé à se bousculer vers la sortie. Le petit garçon reconnut les sentiments qu’il avait eus sur le moment en admirant ses premiers jouets.

Le sourire de Woody est apaisant. De Buzz, c’est réconfortant.

Pourtant, à peine avait-il eu le temps de rêver aux nombreux jeux et scénarios qu’il allait développer avec ces figurines qu’il fut crocheté avec violence au niveau de l’épaule par son père, lequel lui avait crié à cause de la foule en délire :

— On s’casse !

Le temps de voir sa mère arriver, cette dernière avait déjà empoché ce pour quoi ils étaient venus.

Sur la banquette arrière du vieux cabriolet de ses parents, Bill simulait un scénario de sauvetage, Woody faisant office de victime et Buzz du héros. Malgré cela, il manquait encore quelque chose. Un méchant. Alors, dans sa tête, il imagina ses parents en tant que principaux antagonistes. Mais cela fut de courtes durées : sa mère venait de toquer sur la vitre de la portière.

Par réflexe, il déposa les jouets à côté et rabattit la vitrine.

— Tu sais ce que tu as à faire, n’est-ce pas ?

Bill hocha avec timidité la tête.

— C’est bien, mon poussin, réagit-elle en lui affichant un de ses plus beaux sourires. Maintenant, passe-moi le flingue juste à côté, tu veux bien ?

— Tu te dépêches ? cria le mari à l’entrée du supermarché.

— Merde... réagit-elle en tournant son regard, je mets le gosse en confiance !

Le cabriolet campait au beau milieu d’un western désert dont les terres sauvages arboraient une couleur orangée lorsque la lune pointait le bout de son nez. La seule trace de civilisation, étant cette station d’essence dont un modeste supermarché faisait office de partenaire de solitude. De temps en temps, il y avait un petit groupe d’oiseaux migrateurs qui passait par là. Mais en cette soirée, il n’y avait pas plus de dix personnes en tout : la famille, les pompistes, les vendeurs et l'agent d’entretien.

Bill, après que sa mère lui eut offert une petite bise sur le front, s’avança vers le siège-avant côté conducteur, prêt à klaxonner au moindre signe de présence de la police. Il n’était pas particulièrement stressé. Ces genres de coups, il en avait l’habitude. Déjà que celui du centre commercial était vachement osé.

Il avait confiance en ses parents. Ils réussissent toujours leurs coups.

Il se cambra pour récupérer ses deux figurines quand un bruit soudain le fit sursauter.

Ils ont déjà réussi ?

Il leva alors son regard à travers la vitre et y vit un homme, probablement un sexagénaire qui le regardait d’un sourire hypocrite. Il ne pouvait le décrire avec certitude, à cause de la chaleur qui déformait son reflet.

Il hésita d’abord avant de baisser la vitre. L’homme avait une calvitie prononcée et une barbe mal soignée dont des traces jaunâtres témoignaient d’un passage de morve. Son visage était joufflu. À sa manière de s’habiller, il crut d’abord qu’il s’agissait d’un pompier, avant de remarquer les outils d’entretiens, notamment un balai à éponge et un seau en métal en détérioration.

Il pria pour que ce hideux sourire s’efface parce que cela lui provoquait des rides atroces sur le visage.

— Avec cette température, c’est très imprudent de monter toutes les vitres, mon bonhomme, tu sais ?

Bill sortit un mouchoir de sa poche et s’épongea l’avalanche de sueur qui avait envahi son visage, puis tenta de sourire, mais n’y arriva pas.

— Dis-moi... Ton visage, je l’ai déjà vu quelque part, non ?

À ces mots, l’homme s’appuya sur la portière de sorte que si Bill tentait de remonter les vitres, il n’y arriverait pas. Son sourire laissa place à une grimace, mettant à nu ses dents d’un jaune horrible dont il se souviendrait un moment.

— C’est très imprudent de circuler librement sans précautions, d’autant plus que vos visages sont déjà passés à la télévision locale.

Le petit garçon ne réagit pas. Or on pouvait lire la peur et l’intimidation sur son visage. Ses lèvres parurent plus sèches que d’habitude, ses yeux avaient rougi d’embarras et le flot de sueur se développait le long de son corps. Pour couronner le tout, l’homme le fusillait du regard, tel un prédateur jouant avec sa proie avant de lui sauter dessus.

Ses mains se mirent à trembler lorsque cet énergumène se lécha les lèvres comme un animal le ferait avec ses babines.

— Je me demande quel goût tu as. Tu as l’air plutôt...

Bill sentit quelque chose de chaud couler de son entrejambe. L’homme le mettait mal à l’aise.

Qu’est-ce que vous me voulez ?

Il avait peur de détourner son regard. Il s’imagina le faire pendant une fraction de seconde, l’espace d’un instant où l’homme lui sauterait dessus.

Il plaça sa main sur le volant, prêt à klaxonner. Mais sa peur le tétanisa de sorte qu’il n’ait aucune force pour appuyer.

— On a la langue timide, hein... Mais je ne préviendrai pas la police. Sauf si tu trouves le moyen de me payer quelque chose.

Bill frissonna.

— Je-je je n’ai...

— Évidemment que tu n’as pas d’argent. Tu dois à peine avoir dans les sept ans, pas vrais ? Voire huit ans. Mais tu vois, ce monde est méchant. Vous volez pour vivre. Je bosse pour vivre. Chacun son gagne-pain. Pourquoi devrais-je t’accorder le privilège d’avoir pitié de toi ?

L’homme leva son regard par-dessus le capot, un instant que Bill utilisa pour expirer un grand coup, comme s’il pouvait se reposer.

— J’imagine qu’ils t’ont laissé là pour gérer avec la police... Imagine que tu échoues... que la police arrive et qu’une fusillade éclate... je ne donnerais pas chère de ta peau. Alors... Que comptes-tu faire ?

— Je-je

— Bien sûr que tu ne sais pas. Mais je te donne dix secondes pour me trouver quelque chose. Sinon...

Bill, dont les larmes coulaient, ferma avec forces ses paupières et dans un sursaut de courage ou de stupidité, se déchaîna sur le klaxon.

Il klaxonna une fois. Deux fois. Trois fois.

L’homme, se rendant compte que sa tentative d’intimidation ne marchait plus, lâcha un « Merde ! » avec dédain avant de se mettre en tête de tenter d’ouvrir la portière de l’intérieur. Il agita sa main à la recherche du levier, mais l’agilité lui manqua. Bill en profita alors pour fouiller sous son siège en quête d’un couteau suisse que ses parents gardaient toujours en cas de souci.

— Merde ! Merde ! Sale petit morv...

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase que le couteau lui planta la main contre la portière. S'ensuivit un hurlement rauque et pénétrant. L’homme se courba pour arracher la lame et cria de vive voix. La douleur fut si intense qu’en retirant le tranchant, il retomba sur les fesses, serrant avec force la main. Sur le parquet, des gouttes de sang se mirent à suinter.

Bill, de ses deux mains, frappa avec plus de violence le klaxon.

— Crois-moi, ragea l’homme sous la douleur, tu ne l’emporteras pas au paradis.

Il tenta de défoncer la vitre quand un coup de feu résonna.

Bill dont les yeux s'étaient figés sur le volant, telle une personne emportée par les flots, ayant trouvé une bouée de sauvetage comme figure salvatrice, ne put qu’entendre l’éclatement de la vitre.

Lorsqu’il se décida à tourner son regard, il ne vit qu'un liquide écarlate épais qui en coulait. Du sang.

Par réflexe, il alla se réfugier à l’arrière du véhicule. Les secondes qui suivirent, ses parents ouvraient les portières avec frénésie.

— Oh merde, c’est la police !

— Bill, lui intima son père, t’as intérêt à n’avoir aucune égratignure, sinon j’en rajouterais.

— Démarre, Allan... ils approchent. Et laisse le gosse tranquille.

Bill avait ramassé ses jouets et s’était recroquevillé, se bouchant les oreilles. Tout autour de lui semblait tourner au ralenti.

Il ressentit un profond vertige au moment où le véhicule se mit en mouvement, crispant le parquet des traces noires, laissant sur le seuil, un corps sans vie dont le front avait été perforé.

— Ce n'était pas prévu qu’ils nous reconnaissent ! ragea Allan en tournant le volant vers la route principale. C’est très mauvais.

— On fait quoi maintenant ? demanda la mère en regardant en arrière.

Sa peur grandit en relevant que quatre véhicules de police les talonnaient, convoyés de leur insupportable tintamarre de bruits de sirène.

— Qu’est-ce qu’on fait ? insista-t-elle.

— La ferme ! Martha. Je réfléchis.

— Mon poussin ? Mon poussin ? Mon poussin ? Tu vas bien ?

Elle s’allongea vers lui et commença à caresser sa châtaigne chevelure, mais cela ne suffit pas à le rassurer. En réaction, il se recroquevilla encore plus, serrant ses jouets contre lui.

— Tu m’avais promis que ce serait le dernier coup, fit-elle à l’intention de son mari. Tu avais promis qu’il allait avoir une vie normale bientôt.

— La ferme... je l’ai dit sous le coup de l’émotion. Tu as déjà vu un homme qui vient de jouir, dire de paroles sensées ?

— Il n’était pas prévu qu’on bute quelqu’un, Allan. Putain...

— Personne ne touche à notre gamin, à part nous.

Le bruit d’un coup de feu retentit. Le rétroviseur extérieur s'explosa, balançant autour de lui, une gerbe d’étincelle. Ce qui eut le mérite de brouiller la vision d’Allan.

— Merde... il nous tire dessus ! Qu’est-ce qu’on fait ?

— Pauv’conne... réagit Allan en se massant l’œil qui avait été proche de l’explosion. Tire-leur dessus.

Martha sortit du tiroir-caisse un Sig-Sauer P220, un vieux modèle, mais toujours aussi efficace quand il s’agissait de faire exploser des têtes de culs, pensait-elle. Elle baissa la vitre de sa portière et commença à tirer à son tour.

La route devint étroite à mesure qu’ils roulaient. Dans cette partie du territoire, cela voulait dire qu’ils s’approchaient du sentier qui serpentait la chaîne des montagnes d’Acabris. Un sentier si étroit que la limite de vitesse avait dû être fixée à 20 km/h. Les conducteurs pressés ou avides de sensations fortes - en gros qui ne respectaient pas cette limite - devenaient dans la majeure partie du temps, de nouvelles pièces à conviction de ces montagnes.

La route commença à prendre un virage montant de 25 degrés, ce qui ralentissait déjà le véhicule. Ce, malgré les pédales appuyées à fond par Allan.

— Ils nous rattrapent !

— Tu n’en as buté aucun ! lui cria ce dernier en proie à la sueur. T’as vraiment des ovaires à la place des yeux, conne !

— Essaie d’en buter un dans un véhicule à plus de 120 km/h qui bouge dans tous les s...

Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’une balle lui transperça l’épaule. Elle poussa un cri désespéré pendant que le sang gicla sur le second rétroviseur.

— Ils m’ont eue, les bâtards, gémit-elle...

— Maman ? s’exclama alors Bill.

— Ça va aller mon poussin, répondit-elle en appuyant avec force sur le trou ensanglanté au niveau de son épaule gauche. Tout va bien se passer, okay ?

Le regard inquiet de Bill s’intensifia lorsqu’il nota qu’elle commençait à grimacer à chaque effort : parler, remuer, se rasseoir.

Elle plaqua sa tête contre la portière et cria en étouffant sa voix :

— ça fait mal, putain !

Le petit garçon se sentit coupable. On l'avait chargé d’avertir l’arrivée de la police, et là, ils se retrouvaient à essayer de leur échapper. C’est leur faute. Oui. Ses parents les nourrissent. Peut-être étaient-ils à la ramasse niveau affective, seule sa mère, fournissant des efforts pour lui. Mais ils lui donnaient à manger, le nourrissaient, lui apprenaient à se débrouiller. Même si son père le battait souvent, il le faisait pour son bien.

Ils doivent mourir, ces policiers. Ils doivent périr.

Dans sa position, des larmes traversèrent son visage pour atteindre son oreille droite.

Tout semblait aller en mal en pis, car le véhicule commença à ralentir à cause de l’angle du sentier. De plus, une courbure se tenait à une cinquantaine de mètres.

— Ici, la police de Cruh... fit une voix derrière eux à l’aide d’un haut-parleur. Ne nous compliquez pas la tâche et rendez-vous sans faire d’histoire.

— Ils sont des malades ! commenta Martha, c’est eux qui ont commencé à nous tirer dessus.

— La route que vous avez empruntée est dangereuse à cette vitesse... Rendez-vous maintenant...

Coup de feu.

Une balle percuta la roue arrière du véhicule, causant ainsi le dérapage sur le côté, projetant par la même occasion les passagers ainsi que les conducteurs vers l’avant. Bill se frappa le visage contre le siège de son père, la tête de sa mère passa à travers la vitre du véhicule et le père, seul passager ayant mis une ceinture de sécurité, se heurta contre le volant.

Le cabriolet entra en collision avec la courbure de la montagne, ce qui le fit dévier de sa trajectoire alors que ce dernier s’apprêtait à emprunter un virage serré. Tout devint flou.

Bill ne voyait rien, que du vertige, n’entendait que des bruits de verres qui se brisaient et se fracassaient, roulant en tonneau vers le bas de la montagne.

Cependant, l’espace d’une lucidité, alors qu’il avait le regard dirigé vers la radio qui se détachait du cabriolet suite aux chocs, il eut l’impression que les lumières jaunes qui en émanaient formaient des yeux et que le lecteur disquette affichait un sourire malicieux. La seconde d’après, ce fut le noir total, précédé d’une explosion finale au contrebas de la colline.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Nelva_ ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0