4 - Une dette particulière

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Au cours de la soirée précédente, Andy Kowen avait eu le temps de passer des analyses complètes sur son état de santé. À son âge, il ne trouvait rien d’anormal à cela.

Mais en même temps, il avait passé la nuit à penser à ce garçon. Après tout, ce n’était pas sa faute si ses parents étaient des crapules. Et Gor Namm était un cas à part. Seulement, il était au courant de ce qui allait se passer par la suite. Les Stroads n’avaient pas de famille à proprement parler. Oncle. Tante. Ami. Ce qui signifierait que le petit serait relâché en fauteuil roulant pour faire face seul à ce monde. Ce n’était qu’un enfant. La preuve, il avait accroché deux jouets contre lui et ne voulait pas le lâcher alors qu’on tentait de le tirer d’un véhicule en feu. Un détail qu’il n’avait pas ignoré. Ce n’était qu’un enfant.

Kowen vivait dans une cabane à l’écart de Cruh. Un genre de cabanon roulant, petit, mais idéal pour une personne ayant l’habitude de vivre seul. Couché sur son lit, il se laissa peu à peu envahir par le sommeil.

Le jour qui suivit, Andy Kowen se leva de bon matin. Façon de parler, car il avait conscience que cette bonne humeur allait vaciller : Bientôt six heures qu’il faisait déjà chaud.

Maudite saison.

Sans son brasseur, son corps serait réduit en un nid de sueur. Tout de même il ne se posa pas la question.

Après sa routine matinale, il s’habilla. En civil cette fois : C’était son jour de repos.

Il chopa son pick-up et engrangea la direction de l’hôpital. Sur la route, il prit le temps de saluer les chaleureux qui se donnaient la peine de dire bonjour à un vieillard comme lui. Au moins, ça lui permettait d’oublier la chaleur un instant, d’oublier aussi qu’il avait les hôpitaux en horreur : c’était là que sa femme était morte. C’était là qu’elle mourut d’un satané cancer de foie découvert à un stade avancé.

Foutu cancer.

Le voilà qui se dirigeait vers là où ses problèmes de vie avaient commencé. Mais bon, autant y aller pour rassurer tout le monde de sa bonne santé.

Le véhicule pénétra la zone de stationnement. En ce début de matinée, les places de parking étaient libres pour l’instant, étant donné qu’il savait que ce ne serait plus le cas d’ici midi. Il y avait un fléau qui frappait la ville : le paludisme. La recrudescence de moustique avait connu une explosion folle. Chaque citoyen, se promenant avec pesticide maintenant. Même si cela ne semblait pas toujours marcher. Depuis une semaine environ, de nombreuses personnes, dont des parents stationnaient là.

À l’accueil, encore une de ces femmes au visage d’ange se présenta à lui. Mais là, contrairement à la rousse qui était sa voisine de bureau, celle-ci ne laissait pas émaner de l’arrogance. Il dirait plutôt qu’elle était du genre : « Je suis au même niveau que tout le monde, alors un peu de respect. » Cette attitude, venant d’une noire, ne lui aurait guère surpris. Quoiqu’il aurait voulu qu’elle s’affirme plus.

Pourquoi je pense à ça ? Ce ne sont que des suppositions, non ? Peut-être que c’est une femme battante.

Il observa un moment ses cheveux bouclés d’un brun orangé. Sa couleur caramel était mise en évidence par sa tenue. Elle était parfaite.

Il s’approcha d’elle et remplit les formalités avant d’aller patienter dans la salle d’attente de résultats diagnostic qui se trouvait dans l’étage du dessus.

Seul défaut qu’il trouvait dans cet hôpital, l’absence d’ascenseur. Il était trop vieux pour monter les escaliers. En plus de cette chaleur.

Il y avait un banc le long du couloir qui faisait face au bureau. Il était le premier arrivé. Raison pour laquelle on ne tarda pas à l’appeler.

Il se leva donc et entra dans le cabinet où il croisa une très vieille connaissance. En outre, celui qui avait diagnostiqué le cancer de sa défunte femme. Rien qu’en le voyant, Andy Kowen ne put s’empêcher de crisper son visage. Il se ressaisit tout de même en comprenant qu’il n’avait fait que son travail. Lui-même en tant que policier avait déjà était obligé d’ôter des vies, bien qu’il ait toujours détesté que l’on manque de respect à la vie d’autrui.

L’homme qui se tenait devant lui se nommait August M. Curtis. Un sourire s’affichait sur son visage.

— Bonjour, monsieur Kowen, comment vous allez ?

Il lui tendit la main mais ce dernier préféra s’asseoir et le regarder.

M. Curtis ne le prit pas mal malgré l’embarras et se rassit en face de lui, écartant par la même occasion les documents sur la table qui s’imposaient entre lui et le vieil homme.

— Vous êtes un haut gradé, demanda-t-il sans passer par quatre chemins au médecin, n’est-ce pas ?

— Que me vaut l’honneur de la question ?

— Je suis un flic, bientôt retraité. J’ai droit à un traitement de faveur.

Il se cambra sur son siège de façon à montrer son impatience.

— Oui... si on peut dire.

— Hier, un garçon, huit ou sept ans avec un pied presque perforé... Quel traitement vous lui resservez ?

— Ah... lui.

Le médecin l’avait dit avec un tel détachement qu’il donna l’impression que son sort n’était pas son problème.

Il croisa ses doigts et fit mine de réfléchir.

— Vous voulez que je sois franc avec vous ?

— Je vous écoute.

— Vu le rapport de la police, ce gamin avait une chance sur un million de survivre à cette chute. Et il ne s’en sort qu’avec un pied mal en point ? Vous ne trouvez pas ça intrigant ?

— Ça arrive. On nous a déjà rapporté des cas où des personnes survivaient à une chute des montagnes d’Acabris.

August M. Curtis le fixa comme pour lui répondre : « Je suspends mon incrédulité pour vous croire. » avant de continuer :

— Pour le moment, nous n’avons pas assez de place pour héberger dans l’hôpital. Avec ce paludisme, incroyablement violent cette année, grand est le nombre des patients en attente des chambres libres. J’trouve plutôt qu’ils en profitent pour avoir droit à une salle climatisée. Avec cette chaleur.

— Vous comptez le laisser répartir ?

— Vous savez mieux que moi que personne ne voudrait accueillir un gamin de son acabit. Pas après G...

— Je sais, répondit-il avec exaspération.

— Je suis vraiment désolé.

— Je vais m’occuper de lui alors, c’est ça ? finit-il par trancher.

À cette réponse, le médecin sembla perplexe. Il lui afficha un visage plein d’incompréhension.

— Le temps de lui trouver une famille qui voudra bien de lui. D’après les lois du pays, pour son cas, cela devrait prendre jusqu’à deux ans.

— Monsieur Kowen, je doute que s’occuper d’un enfant pour vous soit une bonne idée.

— J’aimerais savoir pourquoi ?

— Dans quelques mois, peut-être moins...

— ... Un cancer, n’est-ce pas ?

— Vous devrez passer les prochaines semaines à l’hôpital. Nous vous avons réservé une chambre spacieuse pour v...

— Pour quoi faire ? Je vais mourir.

Aussi bizarre que cela puisse paraître, Kowen semblait l’avoir bien pris. De toute façon, il approchait la quatre-vingtaine. Il était déjà proche de la mort.

— Quand pensez-vous que j’aurais besoin de venir m’installer ici ?

— Nous vous conseillons le plus tôt possible. Peut-être à partir de la semaine prochaine. Le temps que vous ne prépareriez votre...

— Testament ?

Andy se mit à repenser à sa vie. Il ne regrettait rien. Il avait adoré son métier de policier. Sa femme était la plus parfaite. Son seul regret, sa fille.

En parlant d’elle, il eut une idée. Il leva alors son regard vers le médecin.

— Je peux passer un coup de téléphone ?

Auguste accepta.

Kowen prit le téléphone et espéra que sa mémoire ne le lâcha pas. En tant que policier, c’était important de travailler sa mémoire pour mieux appréhender des suspects ou résoudre des enquêtes. Il composa le numéro qui l’avait contacté à la journée précédente dans l’espoir qu’elle répond. Allait-elle le faire ?

Le téléphone sonna. La minute d’après, quelqu’un décrocha :

— Allô !

— Andréa, je vais mourir.

À cette phrase, même M. Curtis se surprit à éprouver de l’amertume envers le vieux sénile. Ce n’était pas une façon d’annoncer sa mort à un proche, si ?

— Si c’est une blague, ce n’est pas drôle.

— Je vais héberger un gosse chez moi, reprit-il en s’essuyant une morve. Je veux te demander si tu pourrais venir le chercher dans la semaine, le temps qu’on lui règle les procédures pour lui trouver un foyer d’accueil.

— Laisse-moi résumer : je t’appelle, tu me parles avec mépris, tu me raccroches au nez. Ensuite, tu m’appelles, tu m’annonces que tu vas mourir, et ta dernière volonté, c’est ça que tu me demandes ?

La voix à l’autre bout du fil ne put lui cacher les sanglots de la propriétaire. Andy savait qu’il n’avait pas eu de tact sur ce coup-là. Et cela faisait un moment qu’il n’avait pas entendu les sanglots de sa fille.

— Il t’en doit une, n’est-ce pas ? Parce que dans l’année, je ne pense pas qu’il t’ait battu qu’une seule fois.

— PAPA ÇA SUFFIT ! Ce n’est pas drôle !

— Ton mari est à côté. C’est un bâtard et un salaud. Mais le bougre a quand même des principes. Mets le haut-parleur.

— Papa...

— Fais ce que je te dis.

Un soupire s'ensuivit, puis un déclic.

— C’est bon. Il peut t’entendre.

— Écoute-moi sac à merde. Tu as épousé ma fille, je n’ai rien dit. Tu as commencé à la battre, mais elle a préféré me mettre en dehors de ça, quitte à accepter que je la renie, pour toi.

— Papa... il n’est pas d’humeur, ce soir.

— Je m’en contrefiche. Il y a bien eu un moment où tu as explosé les bornes, non, fils de chien ?

Une voix rauque et presque moqueuse lui répondit :

— Je lui dois de petits services. Mais m’occuper d’un gosse que je ne connais pas, je ne le ferais pas. Il faut être débile pour accepter ça. Pas vrai, chérie ?

Andy se sentit mal. Le gamin avait déjà assez souffert. Mais lui ne pourrait pas s’occuper de lui. De plus, il avait grandi dans une famille de criminelle qui connaissait la brutalité. Il pourrait s’en sortir, n’est-ce pas ? Sans compter le fait que ce ne serait pas pour longtemps. Juste le temps de convaincre pour lui trouver une famille décente.

— Mais en même temps, vu les prouesses de votre fille, je ne pense pas pouvoir m’opposer si elle accepte, parce que je lui en dois une très-très-très grosse...

À ces mots, son sang se mit à bouillir. Dans un cartoon, de la fumée aurait jailli de ses oreilles.

— Que lui as-tu fait bâtard ?

— En temps normal, je n’aurais pas accepté. Hors de question. Mais tant que je n’ai pas à m’occuper de lui, et tant qu’il ne croise pas mon chemin, ça peut passer... Mais aussi je suis un homme très impatient. Tiendra-t-il trois mois justes ?

— Qu’as-tu fait à ma fille ?

Il lui raccrocha au nez et la colère explosa. Dans un excès de rage, il balança avec force le téléphone contre le mur.

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