5 - Que c'est bon !

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En fauteuil roulant, Bill observait au pied de l’escalier tous ces gens aller et venir, entrer et sortir de l’hôpital. Sur le sol carrelé, le bruissement de chaussures l’irritait de temps à autre.

Il ne bougeait pas : il lui était impossible de ne pas penser aux derniers instants de ses parents. Les flammes de partout, du sang de partout. Il avait été habitué aux pires coups de ses géniteurs. Il avait déjà assisté à des meurtres, bien que très rares. Mais ça. Mourir de cette façon ne pouvait être qu’une malédiction.

C’est ce que tu penses. Beaucoup mourront si tu ne viens pas à moi.

Bill leva son regard pour chercher l’origine de la voix, mais avec tous ces gens dont certains le dévisageaient, il n’était plus sûr de sa lucidité.

Ce n’était qu’une radio. Une radio n’a pas de bouches. Une radio n’a pas d’yeux. Il avait eu peur et sa peur avait déformé la réalité. Mais alors, pourquoi ne se sentait-il toujours pas rassuré ?

Il tenta de lever ses mains, mais remarqua qu’il ne le pouvait pas. À la place, c’étaient des tremblements incontrôlés.

Néanmoins, il réussit à trouver la force de fouiller dans la poche de son pantalon et avec un cœur apaisé, en sortit Woody et Buzz l’éclair. Seulement, ils avaient été déformés par la chaleur. Les deux jouets étant en plastique. Le sourire gauche du cow-boy avait été transformé en un rictus sur le côté droit et le casque du ranger de l’espace avait laissé place à un creux fondu.

— Des jouets, tu pourrais en avoir d’autres, tu sais ? Des neufs en plus.

Sans être surpris, il ne prêta guère attention à son interlocuteur. Ses jouets, c’étaient ses jouets.

Andy Kowen s’assit à côté, sur l’avant-dernière marche de l’escalier.

— Ces jouets ont une valeur sentimentale pour toi ?

Bill ne réagit pas.

Qu’est-ce qu’il me veut, lui ?

Il voulait qu’on le laisse tranquille. Il n’avait plus de famille. Et seuls ces jouets étaient ces dernières figures amicales. Pour qui il se prenait à lui conseiller d’acheter de nouveaux jouets ?

— Comment tu t’appelles ? Tu dois avoir un nom, je me trompe ?

En réponse, Bill serra ses jouets contre lui et une goutte de larme naquit de son œil droit. L’instant d’après, il éclatait en sanglots.

En voyant cela, Andy Kowen se sentit mal. Il l’envoyait vers l’un de pire foyer qui soit. Toute cette série de contradictions allait le rendre fou. Du moins, il était sûr d’une chose : il connaissait suffisamment sa fille pour savoir qu’elle allait le traiter avec amour. Le mari ne serait qu’un fardeau à supporter. Elle s’occuperait bien de lui. En maternité, personne ne lui arrive à la cheville.

J’espère réellement que c’est vrai ce que je pense.

— Tu as faim ? fit-il en se levant et s’époussetant le pantalon. Il y a une crèmerie là-bas.

Il tint le fauteuil roulant par-derrière et fut surpris de l’inaction du petit garçon. Il ne réagissait pas, préférant pleurer en serrant ses jouets. Par ce fait, Kowen eut la désagréable sensation de ne voir qu’un grand jouet s’accrochant à d’autres jouets. Un gamin manipulable qui ne se débattrait pas, et se laisserait faire.

En sortant, il le conduisit encore une trentaine de minutes jusqu’à une boutique de crème. Il faisait si chaud dehors qu’une fois entré dans la pièce ventilée, le contraste plus qu’évident leur sauta aux yeux.

Il y avait une file de personnes, peut-être cinq. Pas plus. De temps à autre, Andy Kowen jetait des coups d’œil furtif à Bill, mais comme il s’y attendait, il était ailleurs. Ses yeux fixaient désormais à la fois tout et rien. Un état catatonique.

Arrivé devant le vendeur, il dit :

— Les sucreries, ce n’est plus ma tasse de thé. Je prendrai de la crème aux fraises pour le petit.

Le vendeur fut de prime abord septique. Le gamin avait des pansements sur le front et sur le pied droit. Chose que l’officier de police remarqua et dit :

— Il n’a rien de grave. Je suis policier et l’on vient de l’hôpital.

Le vendeur acquiesça et s'exécuta.

Par la suite, il arriva avec une crème.

Andy partit s’asseoir avec Bill dans un coin de la pièce, profitant encore de sa fraîcheur. Il lui présenta la crème.

En faisant cela, il remarqua que cela avait titillé l’intérêt du garçon, étant donné qu’il avait commencé à lancer des coups d’œil intéressés en direction de l’entremets.

— Tu n’y as jamais mangé, hein ? Regarde.

Le vieil homme sortit la cuillère en plastique, la trempa dans le bol de crème et prit une bouchée. Ce qui provoqua en lui, une envie puissante de grimacer, tant la glace était d’une fraîcheur extrême. Mais il se battit pour lui faire croire qu’il encaissait bien, en dépit du fait que ce dernier pouvait lire le supplice dans ses yeux.

Il avait été habitué à manger des plats faits maison. Ses parents amassaient des richesses pour aller vivre dans un endroit tranquille. Ils n’avaient pas le temps de se faire plaisir avec ça. Mais là, l’odeur pétillait dans ses narines.

Il tourna en fin de compte avec lenteur son regard, permettant à Kowen de remarquer alors un vide total dans son expression. Il avait l’impression de s’identifier dans ce visage. Ce gamin était fatigué de ce monde. Son visage criait : « Mettez fin à mon supplice. » Pourtant, il prit ses jouets, les empocha et tint le pot de crème.

À la première bouchée, un sourire discret se dessina avant de s’effacer aussitôt. C’était bon. La première fois qu’il goûtait quelque chose d’exotique aussi bon.

— Tu vois, sourit Andy. Ce n’est pas si compliqué.

Kowen lui caressa sa chevelure, puis lui essuya les larmes. Cependant, il demeura inactif. Aucune réaction.

Lorsqu’il eut fini sa crème, Andy tourna son fauteuil roulant en sa direction.

— Écoute-moi, d’accord ? fit-il en articulant avec nonchalance ses mots. Tu es un enfant. Tu as besoin de vivre une vie d’enfant normale. (Il lâcha un soupire) Dans la journée, je vais aller au poste placer une demande de dérogation légale pour toi. Je suis un haut grade, ces protocoles n’iront pas au-delà de trois jours, okay ? Une femme viendra te chercher pour t’emmener, le temps qu’on trouve une famille qui veuille de toi. Au pire de cas, un orphelinat. Tu comprends ?

Bill fit mine de ne rien comprendre.

En approchant son visage du sien, Kowen remarquait des cernes sous ces yeux. Il avait besoin de repos.

Mon pauvre garçon.

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