6 - Neil Bojack

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Une tempête se déchaînait vers l’ouest de l’Atlantique, prenant pour cible un navire marchand colossal qui avait eu le malheur de tomber dans son infernal gouffre. L’embarcation encaissait des fouets de vagues, la majorité d’attaques venant des côtés. De ce fait, il était donc difficile au capitaine de maintenir la barque sur la trajectoire.

De plus, à chaque minute qui passait, le ciel avoisinant le gris profond virait parfois vers un gris plus violent. Plus agressif.

— Grosse vague à tribord !

Un cri d’alerte que les matelots - peinant à encaisser les rafales et la horde de pluies - remarquèrent après avoir observé une ombre se former de ce côté. Par la suite, ils pivotèrent. Leur expression ne put alors cacher la panique grandissante de ce à quoi ils assistaient. Une silhouette massive s’élevait au milieu de toute cette tempête. Un vague dont l’envergure aurait suffi à décourager jusqu’au plus téméraire de l’équipage fondait sur eux.

— Fermez l’entrée de la coque interne ! On ne doit pas perdre les marchandises !

À ces mots, l’un des marins se précipita vers la rampe d’accès à la coque et bloqua l’entrée, dans l’espoir de minimiser les dégâts. Ils étaient payés pour assurer la sûreté des transactions.

Et là, dans un déversement de rage, la grande vague frappa avec force le bateau, le faisant dévier de sa trajectoire. Les passagers, peu rassurés, se sentirent par conséquent brusqués avec violence vers le côté. Certains s’évanouirent même.

— Qu’est-ce qu’on fait capitaine ? On ne tiendra pas longtemps si ça continue !

Ce dernier venait de saisir avec soulagement qu’ils avaient été à deux doigts d’être renversés par la vague. Observant dans la suite le pont inondé que les membres de son équipage s’attelaient à vidanger, il espérait de tout cœur qu’il n’y aurait plus une autre vague de ce calibre.

En touchant le sommet de son crâne, il s’aperçut que son chapeau avait été éjecté du poste de pilotage, mettant à nu ses cheveux d’une noirceur profonde.

Les vitres du cockpit, assujetties par le torrent, ne lui permirent pas de différencier avec clairvoyance ce qui se passait sur les côtés du pont. Toutefois, l’espace d’un instant, il crut distinguer une masse noire accrochée à un canoë de sauvetage, ce dernier prompt à se détacher de l’embarcation. Mais la minute d’après, son attention bifurqua vers une nouvelle succession de vagues qui faisaient tanguer le navire. Il n’avait pas le temps de s’inquiéter des détails incertains. Les vitres étaient teintées de pluie, ce qui lui fit comprendre qu’il ne s’agissait que d’un simple drap d’une forme quelconque.

En outre, sous cette tempête, ils avaient dû perdre beaucoup de leurs matériaux, canoës y compris. La seule réalité qui les ait maintenus en vie jusqu’à présent était le gabarit et la lourdeur du navire. Il en éprouva d’ailleurs une sorte de fierté. Ce n’était pas tous les jours qu’on avait la chance de piloter un navire marchand capable de dominer les mers agitées. Même si, en ce moment, la nature était déterminée à les avoir.

— Capitaine.

Il tourne son regard vers la portière.

— La tempête... Elle se calme.

Le capitaine, en réponse à cela, considéra l’annonciateur de la nouvelle avec un œil nouveau. Au bout d’un moment, il crut reconnaître en lui un super héros. Mais là, il lui manquait juste la cape.

Son chapeau, d’un blanc ceinturé d’une bande noire, une tenue imposante d’un bleu marine et le pantalon d’un blanc presque huileux pour finir avec des bottes toutes aussi blanches. Peut-être pas le super héros le plus stylé, mais au moins, il en avait les caractéristiques.

Il te manque juste la cape, matelot.

Un sourire se dessina sur son visage.

Malgré la présence toujours insistante de la tempête, le bateau ne semblait plus tanguer avec danger. Il pouvait respirer.

— Vérifiez l’état final des bords. Et qu’on aille voir comment on s’en sort dans la coque interne.

Le matelot s’exécuta.

Le capitaine se scruta de haut en bas, ne prêtant pas attention au fait qu’il était trempé de la tête aux pieds, souriant d’avoir survécu à l’une de pire vague de ces dernières années. Il se caressa la barbe. Maintenant que la tempête s’était calmée, il fallait repérer l’itinéraire initial et rebrousser le cap.

— Vous pouvez me dire ce qui se passe, nom de Dieu ? s’exclama l’un des marchands lorsqu’il vit le premier matelot descendre de la rampe d’escalier.

Ce dernier prit son temps d’analyser ce qui s’était passé dans la coque interne. La lumière naturelle filtrait désormais, et il pouvait observer les dégâts qu’avait occasionnés la tempête.

En arrivant au bout de la rampe, il sentit un bout de verre craquer sous ses chaussures. Il baissa donc son regard et put constater des bouteilles de bière éparpillées dans tous les sens. Des morceaux à vrai dire.

— Timothée, fit-il.

— Hum ? lui répondit son collègue qui arrivait à son tour de la rampe.

— Il va nous falloir un toubib. Non. Plusieurs.

Le second, remarquant que la majorité des passagers avaient été éraflées par de bouts de verre, s’en pressa de remonter pour informer au-dessus.

Le premier continuait de jauger les dégâts.

— La tempête, c’est fini? lui demanda un homme qui s’approchait avec crainte de lui.

— Faites attention, lui répondit-il en remarquant des tables glisser vers lui.

Ce dernier, avisé, put s'esquiver à temps.

— Il pleut encore dehors, reprit le matelot. Faites attention.

Plus facile à dire qu’à faire. Tout était sens dessus dessous. Chaises. Tables. Bière. Porcelaines. Le matelot eut l’impression qu’il était devenu - lui ainsi que les passagers - des concombres sur une pizza pendant que tous ces désordres représentaient des garnitures d’accompagnements.

— Il n’y a plus de raison de s’inquiéter.

— Plus de raison ? réagit quelqu’un au fond.

Le matelot tourna son regard et vit une sorte de prince de pays arabes. Difficile d’être sûr. Il portait pourtant une dishadash blanche, décolorée par les vins versés. Il avait à son cou des perles et sur ses poignets des bracelets d’objets précieux. Le matelot se surprit à se demander comment un commerçant pareil traitait sa clientèle. Mais il ne se posa pas longtemps la question, car au niveau de son épaule, il y avait de traces de sang.

— Ne vous inquiétez pas. Un groupe de toubib arrive.

— Vous êtes des marins, répliqua-t-il d’un ton à la fois furieux et hautain. Vous n’êtes pas censés apprendre à détecter ces genres de catastrophe ?

À cette interrogation, le matelot s’arrêta.

Il sentit un autre bout de verre craquer sous ses chaussures.

Cette tempête les avait surpris. Pourtant, il travaillait dans ce cargo depuis près de cinq ans. Il connaissait les compétences de ses collègues en matière de desceller le moindre changement dans le climat. Il se souvint d’ailleurs que dans sa formation en tant que marin, tout un chapitre avait été dédié à cela. Alors, comment ?

On est des êtres humains. On ne peut pas tout connaître. Peut-être, pensa-t-il.

— Hervé, lui fit une voix qui venait d’arriver d’en haut.

Il pivota.

— Le capitaine demande à ce qu’on aille voir dans la soute à marchandises. Vérifier que rien n’est perdu. Et qu’elles sont en bon état.

— Vous avez intérêt, le menaça le prince.

Le prénommé Hervé le toisa en silence. Puis rejoignit son partenaire en direction de la soute.

Dans les minutes qui suivirent, les toubibs s’exécutaient à soigner en priorité ceux qui avaient des blessures plus graves.

— Faites gaffe, fit le prince pendant qu’on examinait son épaule.

On le fit asseoir sur un matelas, mais il ne cessait de gigoter.

— Comment vous êtes-vous fait cette blessure ?

— L’incompétence de cet équipage ne cessera de m’étonner, ricana-t-il en réponse.

Ce qui eut le mérite d’agacer le toubib. En réaction, il fit exprès de laisser une goutte d’alcool suinter sur la plaie. S'ensuivit un cri qui fit perdre sa crédibilité au prince.

— MAIS VOUS ÊTES MALADE ! s’emporta-t-il.

— Nous devons nettoyer la plaie.

— Croyez-moi, je militerai pour la fermeture de votre entrep...

Un nouveau cri. Le toubib venait à nouveau d’asperger la plaie d’alcool.

— Vous allez vous décider à m’expliquer comment vous vous êtes fait cette blessure, sinon ce sera compliqué pour nous de trouver un soin adapté.

— Vous êtes toubib, oui ou merde ? grimaça le prince.

Le toubib savait ce que c’était. Ou du moins, espérait qu’il se fut trompé. La plaie était une assez longue ligne béante qui allait du début de la nuque vers le coude, passant par l’épaule. La blessure n’était pas non plus profonde. Au premier abord, l’on penserait à un bout de verre. Mais pour une telle blessure, il aurait fallu une force supplémentaire. Il ne serait donc pas étonné s’il y avait quelqu’un dans la salle qui avait essayé de l’assassiner durant la tempête. Mais là encore, une personne normale utiliserait la pointe du verre pour essayer de l’embrocher, ou du moins, l’asséner de coups jusqu’à ce que mort s’ensuive. Mais ici, c’était comme si l’on avait tenté de le griffer avec. Oui. Le griffer.

— Tu as trouvé quelque chose d’anormal ? demanda Timothée à l’intention d’Hervé alors qu’ils venaient d’arriver dans la soute.

En d’autres termes, la partie la plus sécurisée du cargo. Cependant, il y avait quand même eu du grabuge. Les étagères contenant les marchandises avaient été décalées.

— Je vais de ce côté, fit Hervé vers la droite.

— On se revoit dans dix minutes.

— D’accord.

Hervé se cambra pour dégager un paquet de boites de cigarettes qu’il remit en hauteur. Le sol produisait un son de craquement à chacun de ses pas, mais rien de grave. Les étagères avaient juste dévié de quelques centimètres. Pas de quoi s’alarmer non plus.

Encore cinq pas qu’il ramassait déjà un troisième paquet.

Toutes les marchandises ayant trait à des produits consommables étaient emballées dans d’épais cartons dont l’intérieur était recouvert de polystyrène. Ils étaient tous étiquetés et rangés sur des étagères en métal conçues pour supporter les turbulences.

La pièce tout entière ressemblait à un labyrinthe. À moins de s’y connaître, il était difficile, voire impossible, de se repérer au milieu de toutes ces étagères et marchandises.

Hervé avançait maintenant avec peine. Il venait d’atteindre la partie la plus touchée de la pièce. Des paquets d’environ une vingtaine de marchandises étaient éparpillés.

Soudain, il s’arrêta. Éparpillés ?

Non. Ils ont été éparpillés par quelqu’un. Quelqu’un s’est introduit ici pendant la tempête.

À cette pensée, il tâtonna une sorte de matraque accrochée à sa ceinture. Il leva son chapeau et se lissa les cheveux avant de reprendre :

— Il y a quelqu’un ?

Marchant avec prudence entre les paquets en désordre, il suivit le sentier créé par le passage de l’intrus.

— J’ai une matraque, vous savez ?

Le jeune matelot ne pouvait cacher son frisson. D’autant plus que la pièce n’était pas particulièrement éclairée. Tout semblait baigner dans une sorte de sombre halo que la lumière du dehors tentait bien que mal de balayer. Mais cette frayeur se dissipa dès lors qu’il vit l’éclairage d’une lampe torche à travers le carrelage d’une étagère.

— Qu’est-ce que vous faites là, monsieur ?

Le matelot avait sa main droite prête à dégainer sa matraque à tout moment.

Il s’avança vers l’inconnu. Ce dernier, en position accroupie, observait une cage vide à moitié couverte de drap.

— On m’avait dit que vous étiez les meilleurs, fit l’homme d’un ton à la fois alarmé et frustré.

— Je vais vous demander de remonter, monsieur. Cet espace est reversé à l’équipage.

L’homme disposait d’une courte chevelure noire. Le matelot le jugea dans la trentaine. Et estima son poids vers les soixante-dix kilos, pas plus. Pour sa taille, il était bien mince. Mais là, n’était pas le problème. Cet homme se trouvait dans un endroit qu’il ne devrait pas fréquenter. C’est le code du navire.

— Pourquoi vous avez fait ça ?

— Pardon ?

À cette réaction, l’homme se redressa sans prévenir et se jeta sur lui, ne lui laissant pas le temps de dégainer sa matraque. Il le plaqua ensuite par le col contre une des barres des étagères. Le matelot pouvait lire de l’amertume dans son regard baigné par la faible lumière de la lampe torche.

— Pourquoi vous avez fait ça? insista-t-il.

L’homme le plaquait de toutes ses forces, à tel point que tout son corps vibrait. Il ne se préoccupait pas du fait que le métal lui provoquait une série de microdouleurs qui s’amplifiaient à mesure qu’il serrait son col.

— De quoi vous parlez ? Par ordre de confidentialité, nous n’avons pas l’autorisation de fouiller vos marchandises. Elles entrent dans le bateau, déjà emballées et tamponnées par un sceau officiel.

L’homme le relâcha.

Hervé sentit sa respiration accélérer pendant que l’inconnu ramassait déjà avec précipitation sa lampe torche, puis marchait vers la sortie.

— Il faut le retrouver.

Le matelot l’observa avec béance. Il est bizarre.

— Il ne doit pas quitter ce bateau. Sinon, c’est la catastrophe.

Hervé voulut lui demander de quoi il parlait, mais l’homme avait déjà disparu de son champ de vision. Il tourna alors son regard vers la cage et s’accroupit pour y lire les instructions. Il y avait un petit caché blanc d’où un carré jaune était mis en valeur. Il pouvait lire : « Atk-215 » accompagné d’un code barre, sûrement le code de la marchandise. Il défila son regard vers le bas : « Origine : Zoo du Midland. Destination : Port de Dalvanie. » Un animal s’était donc échappé. Il avait raison, c’était grave. Mais il ne s’alarma pas pour autant. Ils avaient déjà transporté tout un zoo dans le navire. Ils étaient préparés pour une telle éventualité.

Il continua donc sa lecture, mais l’écriture se fit plus petite et les ténèbres de la pièce ne lui facilitèrent pas la tâche. Il put néanmoins lire : « Propriétaire : Neil Bojack. »

— Hervé ?

— J’arrive.

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