7 - Kharl et Gauss

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Deux hommes d’imposante corpulence creusaient un trou dans la forêt de Brook, quelque part aux voisinages du petit village. Le premier se chargeait d’abord d’écarter les feuilles qui tapissaient ce côté de la forêt, pendant que le second frappait à coup de pelle le sol.

Cette zone, niveau densité, ne pouvait se payer le luxe de se comparer au reste de la forêt. Cette dernière se dimensionnait de sorte à abriter trois grands affluents dont l’un traversait presque tout le pays. De plus, il avait été suggéré que des grottes çà et là y logeaient, mais qu’il était cependant difficile de s’y rendre à cause de sa flore gênante. Ce n’était pas l’Amazonie ni la forêt équatoriale, loin de là. Faut pas abuser. Mais elle avait quand même son mot à dire quant au fait de sa densité.

Il n’y avait ni tribus, ni faune variée - les animaux majoritaires, étant lièvres, quelques rares loups, les écureuils... bref seuls les loups, étant un véritable danger.

Les deux hommes se tenaient sur un montant - une bosse de terre - et bêchaient un piège à lièvre. Mais le plus dur était de surmonter ce vent d’automne qui ne cessait de leur balancer des feuilles mortes en plein visage, rendant encore plus ardu le travail.

— J’emmerde l’hiver, fit l’un d’eux en s’appuyant sur le haut de la pelle.

Il semblait fatigué. Depuis le début de la matinée, ils luttaient contre la forêt et la nature elle-même : à peine arrivaient-ils à finir de creuser un trou que le vent l’inondait de feuilles mortes.

— On devrait penser à organiser une campagne de déboisement, proposa le second. On bute ces foutus arbres. Ce sera plus facile.

— Tu tiens vraiment à faire face aux écolos de Brook ?

— Brook est un village paumé, réagit-il en se redressant et s’échauffant le dos. Il y a de tonnes de villes qui ont embrassé l’évolution, et nous ? Qu’est-ce qu’on fait ?

— Arrête de te plaindre, Savage, répondit-il en s’adossant contre un arbre. J’arrête. En plus, tu as de l’argent, toi ?

Savage Gauss s’adossa à son tour.

— Logan, fit-il, arrête de me rentrer par le trou d’cul et remets-toi au boulot.

— Regarde autour de toi, réagit-il en écartant ses bras. On n’est pas équipé. Tu crois qu’avec trois ou quelques coups de pelles, on va le faire ? Et d’abord, qu’est-ce qui te fait croire que le bateau passera par ici ?

— J’ai des contacts, tu vois ? Le bateau fera une escale. Profitons pour capturer le plus de ces rongeurs à vendre à bon prix. Tant qu’on se fait de bénéfices. Je ne m’emmerde pas à réfléchir.

— Tu délires, Savage.

Gauss se relaxa une dernière fois les muscles et se remit au travail.

Logan Kharl - lui - savait que c’était une perte de temps. Hélas, il connaissait Savage Gauss. Plus têtu que lui ne pouvait exister. Ce, malgré son âge. Il se souvint par exemple qu’un jour, durant leur adolescence, il s’était obstiné à croire à l’existence de la magie.

Toujours à croire n’importe quoi.

Mais cela n’était pas encore problématique. Le problème venait du fait que s’il croyait que la terre était plate, alors elle l’était pour de vrai. Personne ne serait capable de lui faire changer d’avis, malgré les preuves accablantes qui se serait présentées à lui. C’était comme ça qu’était Savage.

Creuser dans les bois, avec toutes ces feuilles mortes, sans oublier le vent, avec une simple paire de pelles était impossible. Mais c’était Savage.

— Tu sais quoi ? finit-il par lâcher. Démerde-toi.

— Quoi ? J’ai pas bien entendu.

En matière de chasse pure et dure, personne ne lui arrivait à la cheville. C’était le seul mérite que Logan lui reconnaissait. Quant à poser des pièges, c’était une autre histoire.

— Tu vas me faire un faux plan, c’est ça ?

— Démerde-toi vieux, insista-t-il en remontant une pente.

— Sache que quand je me serai enfilé tout un tas de pactoles, tu n’auras que dalle. Bâtard de merde.

— J’ai d’autres chats à fouetter, tu vois ?

— Ah bon ?

À quoi bon lui expliquer à ce têtu ? Capable d’aller jusqu’à croire à l’existence du père Noël, et prôner haut et fort avec fierté que c’est vrai.

Là, Logan Kharl se demanda si son affinité avec un type comme lui n’avait pas été la cause de son échec littéraire. Être écrivain était un rêve d’enfant. Mais chaque fois qu’il essayait, il se ratait. Il ne savait comment l’expliquer. Ses écrits ne dépassaient jamais les quinze mille mots, et tout ça était dû à sa mauvaise gestion d’écriture. Encore que son orgueil lui rappelait sans cesse : « Champion, tu n’as pas besoin d’académies pour apprendre à écrire. Écris. Tu finiras par trouver ton étincelle, non ? » Oui. Cela allait bientôt faire dix ans qu’il planchait sur un roman. Un roman. Qu’il n’avait jamais commencé. Il se demanda si ce n’était pas l’influence néfaste de Savage qui était, au contraire de lui, une vraie brute.

Mais c’est ça ! Il devait le savoir. Ils sont opposés, pas vrais ? Savage avait de gros problèmes de poids. En y réfléchissant, il ne put s’empêcher de lui lancer un coup d’œil. Il avait grossi, maintenant qu’il y pensait. Sa corpulence était imposante certes, il avait quand même du surpoids.

Logan se voyait dans la moyenne. Juste qu’il avait des épaules un peu plus larges. Mais à part ça, où était la différence ?

Kharl se battit pour trouver des différences supplémentaires, mais n’y arriva pas. Tous les deux étaient de chasseurs. Ils gagnaient leurs vies en rapportant de la viande au village, en vendant auprès de marchands venus d’ailleurs, ou en traquant un loup un peu trop farouche dans les villages voisins. Ils avaient tous les deux une famille. Une femme anormalement soumise. Un gosse insupportable.

Merde. Ne me dis pas que je suis comme lui ?

Non. Savage Gauss était doué dans tout ce qui était travail manuel, lui était plus tactique. Ouais. Il était tactique. Le cerveau de deux.

Un petit sourire se peignit sur son visage suite à cette pensée.

— J’peux savoir ce que t’as à sourire comme ça ? lui demanda ce dernier.

Logan ne répondit pas.

— Allez, insista-t-il, fais pas chier, tu veux ?

Logan continua de le fixer dans l’espoir de trouver encore d’autres détails qui les différenciaient. Les cheveux ? Non. Ils avaient tous les deux de cheveux noirs et courts.

— Dis-moi, fit-il finalement, c’est vrai cette rumeur qui circule dans le village ?

À cette question, Kharl retourna son regard vers le haut de la pente qu’il avait emprunté. Il y avait une montée de terre qui débouchait vers un terrain herbeux. Un centre de loisirs - surtout pour les plus jeunes. Et un sentier traversait ce terrain, reliant la forêt à Brook. La distance entre ces deux se résumait à peut-être une heure ou une heure trente de marche.

— Brook est un village paumé, acquiesça-t-il. Tout le monde connaît tout le monde et les ragots explosent comme dans une traînée de poudre.

— Mais il faut être con, hein... ajouta Savage en s’appuyant sur sa pelle. Depuis quand t’obéis aux caprices d’une femme ?

— J’ai des principes, connard.

Tiens. Il l’avait enfin trouvé - une autre différence. Lui, quand il battait sa femme, par principe, il lui accordait un service en guise de "récompense" pour sa loyauté. Même si en vrai, c’était dans l’optique de la maintenir sous contrôle. Mais Savage, quand il le faisait, il n’y avait aucune contrepartie. Elle devait l’encaisser.

Logan rigola. En temps normal, le village de Brook n’était pas sexiste. Si elles le voulaient, elles auraient pu en parler au shérif ou à l’on ne savait qui. Cela aurait suffi à obtenir un divorce facile, avec eux comme nouvelle source de finance. Mais cette communauté connaissait avec perfection l’adage : « Occupe-toi de tes oignons. »

Il grimaça en pensant à ce nouveau point commun. Leurs épouses semblaient accepter le fait qu’elles étaient des femmes battues.

— L’homme n’est pas censé être soumis, reprit Savage.

— Oh...La ferme. Tu n’as jamais pensé au fait qu’elles pourraient se rebeller et nous plonger dans la merde ?

— Ah, maintenant je comprends pourquoi tu as fait un tel marché avec elle alors. Tu veux la garder sous contrôle. En temps normal, tu aurais refusé, n’est-ce pas ?

— Quel génie, rétorqua-t-il avec sarcasme.

— Oh, rougit Savage en affichant un sourire complice. Alors, c’était ça ? Ou bien c’est plus profond ?

— Disons que ma femme n’est pas un bon coup quand il s’agit de baiser. Mais elle devient une vraie tigresse après un service rendu.

— Hum... Je ne vois vraiment pas pourquoi tu te tracasses pour ça, répondit-il d’un ton las. Tu es excité, tu la prends en missionnaire. Tu te laisses aller et tu balances. Rien de bien compliqué.

Encore un autre point de différence. Logan ne pouvait que se réjouir qu’il n’était pas si similaire finalement.

Savage est une brute primitive. Moi, j’adore savourer mes moments.

— Bon... je m’casse. Bonne chance pour ton piège.

— Tu comptes vraiment me laisser faire ça seul ? fit-il d’un ton voulant dire : « Tu vas me la payer. »

— Avec ce vent et ces feuilles, c’est une perte de temps.

Kharl se mit à gravir la montée, tout en faisant gaffe de ne pas glisser, avant de disparaître derrière le monticule. Laissant derrière lui, un Savage déterminé à creuser son piège à la noix. La minute qui suivit, un véhicule bruissa puis s’évapora à son tour à l’horizon.

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