8 - Le cauchemar avant le départ

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Il y avait quelque chose qui clochait avec ce ciel. Il n’était pas comme à ses habitudes. Bill le savait. Il lui arrivait parfois de se lever pendant que ses parents dormaient, et de sortir profiter des étoiles. Rarement de la lune, mais bof, admirer un ciel étoilé était plus intéressant qu’un ciel lunaire.

Il n’avait que trois ans quand pour la première fois il s’était prédisposé à contempler la peinture de Dieu, disait-il. Et depuis, toutes les nuits étoilées, il ne manquait pas. Cela s’étant étendu sur des années, il avait en quelque sorte développé un sens de prédiction : en ayant un avant-goût dans la soirée, il pouvait déterminer si oui ou non, la nuit serait envahie. Raison pour laquelle il n’arrivait pas à comprendre le ciel qui se tenait au-dessus de lui.

Il fit cinq pas, ferma ses yeux, le réouvrit. Mais cela n’avait pas changé.

Il est censé y avoir un ciel étoilé. Pas un tapis noir sans fond.

Un tapis noir sans fond. Cependant, noyé dans ses pensées, il ne s’était pas rendu compte que tout autour de lui n’était que vide. Comme ce ciel noir et menaçant.

Qu’est-ce qui se passe ?

Bill scruta ses mains. Ils étaient bien réels. Qu’est-ce qui se passait ? Il pivota autour de lui, fut surpris de constater qu’il se trouvait dans ce qui semblait être l’espace. Non. Si c’était l’espace, il devait manquait d’air, non ? En plus, il ne voyait aucun corps stellaire - la lune, la terre et même le soleil. Mais alors, pourquoi il sentait le sol sous ses pieds ? Un sol craquelé dont la texture lui rappelait l’écaille des reptiles.

Il agita sa main devant lui, comme essayant d’attraper quelque chose d’invisible, mais il n’atteignit rien. Un rêve ?

— Je ne crois pas, non.

À cette réponse, Bill sursauta. C’était trop drôle cette sensation. Il sentait le sol sous ses pieds, mais il était d’un noir opaque.

Je suis dans le ventre d’un poisson ?

— Il-il-il y a- il y a quelqu’un ?

— Je suis là.

La voix lui fit l’effet d’un adulte qui essayait d’imiter une voix d’enfant pour le soudoyer. La première chose à laquelle il pensa était l’éventualité qu’il s’agisse d’un clown. Il en avait déjà vu dans des cirques. Lorsque ses parents avaient prévu un autre coup - dans un cirque cette fois - l’un d’eux avait essayé de se faire passer pour un petit garçon. Il ne le trouvait pas drôle du tout. Au pire, malaisant. Ses parents avaient prévu ce jour-là de dérober le bracelet argenté du maître de scène. Bill devait donc attirer l’attention des clowns. Ce qu’il avait fait, à contrecœur.

Si c’était bien un clown qui venait de lui répondre, alors il ne lui faisait pas peur.

— Je ne suis pas un clown.

Un clown qui lit dans mes pensées !

Bill avala une grosse gorgée de sa salive.

Les clowns, ça ne fait pas peur.

Alors pourquoi son cœur palpitait ? Il fit deux pas en arrière, fermant-ouvrant ses yeux à plusieurs reprises dans l’espoir de se réveiller.

— Trouve-moi, Bill.

Elle le déstabilisait. Ce n’était pas un clown. Il essaya de déterminer l’origine de cette voix, mais impossible à cause de l’écho qui se propageait dans ce vide.

— Tes parents t’attendent, tu sais ?

La voix sembla toucher un point sensible car à leur évocation, Bill cessa de réfléchir. Son cœur palpitant toujours, il se mit à fouiller dans ses poches à la recherche de Woody et Buzz. Ils n’y étaient pas.

— Papa ? Et Maman ? fit-il d’une voix étouffée. Ils m’attendent ?

— Oui, Bill. Woody et Buzz t’attendent aussi. Tu veux les voir, n’est-ce pas ?

Un petit sourire se dessina alors sur le visage du gamin. Un sourire qui s’amplifia lorsqu’il aperçut au loin, une silhouette familière se dessiner. L’instant d’après, une seconde. Suivi d’une troisième et d’une quatrième. Bill tenta un pas vers eux, mais il eut l’impression de reculer. Il essaya à nouveau, mais recula encore.

— Sois patient Bill, ils viendront à toi comme tu viendras à moi, n’est-ce pas ?

Bill sourit. Ses parents venaient à lui. Mais qui étaient les deux autres ? Il ne pouvait que distinguer les contours, étant donné qu’il ne voyait que de masses de fumée noires en forme humaine.

Son cœur s’impatienta lorsqu’il prit conscience que l’une de ces formes avait sur sa tête comme un chapeau de cow-boy : Woody ; et un second, un casque de ranger de l’espace : Buzz. Pour la première fois depuis il ne savait combien d’années, des larmes de joie commencèrent à festoyer sur son visage. Sans le savoir, il s’était mis à rire. Un rire qui, dans le monde réel, le ferait passer pour un fou.

Il essaya encore de courir vers eux, mais toujours le même effet reverse. Il ne pouvait qu’attendre.

— Papa, maman... j’ai klaxonné quand j’ai vu la police, leur fit-il d’un ton joyeux.

Mais la joie fut de courte durée. Comme il observait la silhouette de son père, il crut remarquer quelque chose comme accroché à sa mâchoire inférieure qui pendulait de gauche à droite. Vice versa.

— Papa...?

La silhouette de sa mère partait dans des gestuelles dignes des zombies du film : 28 jours plus tard. Avec en suppléments, une silhouette de flamme sur la tête.

— Maman ?

Sa voix se fit timide. Il comprenait ce qui se passait. Ce n’était pas un rêve, mais un cauchemar.

— Bill, fit Woody. Tu veux bien jouer avec nous ?

La voix était à la fois douce et pleine de danger. Bill ne saurait comment le décrire avec exactitude. Il dirait que c’était un peu comme un chasseur imitant les bruits d’une biche pour capturer ses petits. Oui, ça ne devait être que ça. Ce Woody à taille humaine n’était pas amical. Il fit un pas en arrière, mais cela le fit avancer. Un autre pas, même effet.

— Viens me trouver, comme eux viennent te trouver. Crois-moi, ça vaut mieux pour tout le monde.

— Vous êtes quoi ? lâcha Bill qui finit par céder à la peur.

En réponse, la voix ricana de plus belle, laissant le petit qui, plus tôt, s’exprimait avec impatience et joie, dans la terreur absolue. Et ce sentiment s’accrut quand les silhouettes prirent forme.

La chose qu’il croyait penduler, agrippé à la bouche de son père, était en fait sa mâchoire inférieure. Et la corde n’était rien d’autre qu’un muscle déchiré qui s’accrochait tant bien que mal à la peau. Les yeux de Bill s’écarquillèrent. Son père, déformé au visage, marchait avec lenteur, avec des yeux sans pupille.

Son cœur allait lâcher.

Il essaya de regarder ses mains et constata que le vertige en déformait la perception. En relevant son regard, il aperçut le visage de sa mère dont la peau cramait par le feu, lui permettant d’observer son crâne tandis qu’elle s’avançait vers lui en tremblotant comme un malade.

— Billy ?

Woody n’est pas méchant. Woody n’est pas méchant.

Il sentit deux mains se saisir de lui et l’agiter.

Ils m’ont eu. Woody n’est pas méchant.

— Bill ?

— Non... Woody n’est pas méchant.

— Bill !

— NON... WOODY N’EST PAS MÉCHANT.

Dans la panique, il balança une grosse claque pensant qu’il arriverait à les faire lâcher, mais la sensation qu’il eut, ne fut pas celle à quoi il s’attendait. C’était comme s’il touchait un visage truffé de rides d’une personne dont l’âge était avancé.

— Ce n’est qu’un cauchemar, Bill.

Ouvrant ses yeux finalement, il réalisa qu’il s’agissait d’Andy Kowen. Il avait presque oublié que ce dernier lui avait permis de passer les trois dernières nuits chez lui.

Son visage se froissa.

— Papa... Maman... ils ne sont plus là.

Il se déchaîna en sanglots.

Andy le prit dans ses bras.

— Tu fais un de ces boucans, hein. Heureusement que je n’ai pas de voisins.

— Papa... Maman... ils ne sont plus là.

Son visage inondé de larme et de morves s’enfouit dans la chemisette à carreau du vieil homme.

— Ça va aller, le rassura-t-il en lui massant les cheveux. Ça va aller.

Ce dernier lança un regard à l’horloge et nota qu’il n’était encore que 4h.

— Rendors-toi, d’accord ? Ça va passer. Tu dois reprendre des forces pour le voyage qui t’attend.

Soudain, le vieil homme sentit une démangeaison le frapper au niveau de son œil droit. En faisant passer son doigt dessus, il reconnut l’écoulement de sang. Son état s’aggravait.

— Ils ne sont plus là...

— Je connais quelqu’un qui pourra t’aimer mieux que tes parents, Bill.

Depuis quand on dit ça à un enfant. Ressaisis-toi, Andy.

— Tu mens...

Andy dut rester dans cette position une demi-heure tout au plus avant que Bill ne se décide à accepter le sommeil à nouveau.

Il se leva par la suite et ouvrit la porte. Comme il s’y attendait, l’air était chaud.

Maudit western.

Il réduit l’intensité de son van à 1.

L’on approchait les dix heures de la matinée maintenant. Andy et Bill se faisaient face devant une table, partageant le petit déjeuner : du pain et de la margarine avec du thé.

— Tu vas bien, Bill ? lui demanda Andy.

Ce dernier, en réponse, prit une bouchée de son pain tartiné. Kowen comprit ce que cela signifiait. « Je n’ai pas envie d’en parler, c’est ça ? » Il prit à son tour une bouchée de pain qu’il associa à une gorgée de thé. Il tira ensuite un mouchoir avec lequel il s’épongea la bouche.

— J’ai pu t’acheter quelques vêtements, ça devrait suffire.

Il se leva et alla vers un coin de la pièce où il rangeait ses valises. Il en prit une. Une valise taille moyenne et l’approcha de Bill. Ce dernier préféra terminer son petit déjeuner avant de l’ouvrir. Il y trouva des vêtements contre le froid : tunique et quelques tricots. Ce qui lui arracha un froncement de sourcils.

— Je sais. Là-bas, c’est l’autre bout du monde. Il y fait souvent froid. Mais je t’avertis qu’il pleut aussi très souvent. À défaut de neiger. Tu en as déjà vu, de la neige ?

Bill fouilla dans ses poches et sortit les versions amicales de Woody et Buzz, malgré leurs visages déformés. Il les trouva une place dans la valise et la referma. Quelques minutes après, quelqu’un vint frapper à la porte.

— Salut Pa, fit Andréa en franchissant le seuil.

Ce dernier ne répondit pas, et lui fit dos.

Fais ce que tu as à faire et bon vent.

Bill tourna son regard vers elle. Elle n’avait rien en commun avec son père en tout cas. Elle disposait d’une chevelure d’un rouge orangé et des taches de rousseurs sur le visage. Ses cheveux étaient tirés en queue de cheval dont quelques mèches se balançaient sur son front. En plus de cela, elle avait un physique assez chétif. Il n’y avait rien d’imposant chez elle. Contrairement à son père qui, malgré sa vieillesse, avait une certaine forme de robustesse. Cependant, le seul point commun aux deux, c’était la chemise carrelée qu’elle avait vêtue. Bien que Bill trouvât la sienne plus belle à regarder - des motifs de bleus et de ses variants : marin, foncé, ciel - alors que pour le vieil homme, c’était un mélange de rouge, brun, bordeaux, cramoisi.

— Qu’est-ce qui t’a pris de venir en jeans ? lui fit remarquer Andy Kowen. Tu n’avais pas de robes ou de jupes ?

— Papa... comment tu vas ?

Andy Kowen tapota l’épaule de Bill pour lui signifier de se redresser.

— Il est là. Comme tu peux le voir, il a l’air un peu... un peu...

Andréa Kharl observa Bill de la tête aux pieds. Sa chevelure était d’une châtaigne orientée vers le brun. Sa peau était foncée. Un métis, pensa-t-elle, probablement mulâtre. Il portait une chemise légère ornée d’une paire de lignes noires allant de l’épaule droite à l’abdomen. Il portait une culotte. Et en bas, le bandage.

— Il ne pourra pas marcher avant un moment, mais ça devrait aller, n’est-ce pas ?

— Il a pleuré, fit-elle en remarquant de traces de larme séchées sur son visage.

— Tu as toujours l’œil maternel, pesta Andy, à ce que je vois.

Il sortit une pile de papier de l’armoire et le présenta à Andréa.

— Ses documents légaux.

— Merci, papa, répondit-elle en le prenant. Dis-moi, comment tu as passé la n...

— Ça devrait être bon alors...

À ce mot, Andréa s’arrêta et le fixa. Ce dernier remarqua une goutte de larme à son tour sur son visage.

— Un cancer, répondit-il. Mais différent de celui de ta mère.

Il déplia le fauteuil roulant de Bill et le fit asseoir dessus. Andréa saisit la chaise et le dirigea vers la porte de sortie. Mais avant de franchir le pas de la porte, elle lui lâcha :

— Alors tu ne vas pas me raconter ta matinée, n’est-ce pas ?

Andy prit le soin de cacher sa réaction en grognant dans son coin. Il n’avait rien à lui dire.

— Tu ferais mieux d’y aller avant qu’un soleil ne te fasse disjoncter.

Devant la maison se tenait un taxi. C’était la première fois que Bill en découvrait de cette couleur. D’habitude, les taxis qu’ils voyaient étaient de ce jaune rayé avec du noir. Classique selon lui. Mais là, c’était un véhicule lambda sur lequel était juste posé un écriteau : « Taxi. »

— Bill ? fit Andréa.

Le petit garçon perçut sa voix déformée par des sanglots silencieux. Comment ne pouvait-elle pas rester avec son père encore un peu ?

Tu ne sais pas ce que je donnerai pour être à côté du mien.

Il était mourant. Mais elle vient et part. Sans même qu’ils aient eu le temps de discuter.

— Non, laisse tomber.

Elle l’aida à entrer et plia sa chaise roulante.

Elle s’assit ensuite à l’arrière avec lui. En vrai, elle n’avait pas la moindre idée de quoi lui dire. C’était assez gênant. Alors, dans l’espoir de briser le silence, elle sortit de sa trousse un paquet de chips.

— Tu en veux ?

Bill, intéressé par l’odeur, tourna son regard vers le paquet. Ce qui eut le mérite d’arracher à Andréa un sourire ravi. Elle s’essuya les dernières larmes.

— On y va ?

— Attendez... fit-elle en tapotant le siège du conducteur.

L’instant d’après, elle descendit en trombe du véhicule et courut vers la maison du vieillard. Et cria devant la porte :

— Harry te salue ! Il dit que t’es qu’un égoïste qui ne pense pas à nous !

Avant de finalement retourner dans le taxi. Action que Bill trouva assez intéressante, mais il était plus au taquet du paquet de chips.

— On peut y aller, fit-elle à l’intention du chauffeur.

Le véhicule démarra.

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