9 - Harry Kharl

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Harry Kharl et sa troupe s’étaient donné rendez-vous dans les bois, à l’entrée de forêt. Ils avaient prévu jouer à une série de jeux pour célébrer la première semaine de vacances. De ce fait, s’étant regroupés près d’un arbre presque mort dont les feuilles contribuaient à tapir le sol, ils étaient assis en cercle.

— Non, c’est à moi, se plaignit Eden Gauss. Tu as déjà joué, arrêtes ça.

Ce groupe de jeunes gens baignait dans l’intervalle de douze à quatorze ans, Eden Gauss étant le plus âgé, et Yannelle Béka, la cadette.

— On avait dit par ordre d’âge, s’opposa Harry. Tu es le plus âgé, tu viens en dernier.

— Il n’a pas tort, renchérit Ornella Brown. Le jeu n’est pas amusant avec tes règles.

— Ça suffit, intervint Ethan Lloyd. C’était mon tour de toutes les façons.

Il s’imposa en arrachant la bouteille plastique des mains de Harry.

— Ce n’est pas drôle, s’opposa Ornella. Les règles sont claires. Ceux qui ont les mêmes âges tiraient à la courte paille.

Ethan Lloyd trouvait que cet attachement aux règles d’Ornella n’était pas amusant. Raison pour laquelle il ne l’appréciait pas souvent. En tout cas, plus depuis le jour où sans prévenir elle s’était retirée du groupe alors que la fête battait son plein, parce que personne n’avait respecté ses règles. Et là, si ça continuait, elle allait sortir un : « Vous ne respectez pas les règles, je me barre. » Puis se lever, s’épousseter la jupe et remonter.

Elle est pénible.

— Tirons à la courte paille à nouveau, d’accord ? proposa Yannelle. Cette fois, on ne se préoccupe pas de l’âge.

— D’accord, répondirent-ils à l’unisson.

Eden se leva et s’en alla chercher des morceaux de branche. Mais avec toutes ces feuilles mortes qui avaient pris d’assaut le sol de cette partie de la forêt, autant chercher une aiguille dans une boite de foin.

Tout le monde s’attela donc à la tâche.

— Ce n’est pas drôle, fit Ornella en s’approchant de Harry. Tout ça parce qu’Eden n’est pas fichu de respecter les règles.

— Ne réagis pas comme ça, rétorqua Harry en écartant les feuilles.

Tout aurait été simple si Eden avait respecté les règles dès le début. Eden et Ethan, c’était souvent à cause d’eux que les jeux partaient en cacahuète. Cela commençait dans la plupart du temps avec Eden qui se plaignait du désavantage de son âge. Pourtant, non seulement, il était le plus âgé, il était aussi le plus costaud. Du muscle, il en avait. Mais cela ne compensait pas, malheureusement, son quotient intellectuel. Ensuite Ethan qui en profitait pour semer la zizanie. Enfin, tout perdait de sa saveur.

Elle lança un regard à Yannelle qui tentait tant bien que mal de tirer un morceau d’arbre, sans succès. Elle, au moins, acceptait tout ce qu’on lui demandait de faire. Elle savait respecter les règles, mais aimait trop souvent suivre la masse. Et Harry, leader malgré lui du groupe, n’agissait pas comme tel.

C’est vrai qu’on ne t’a pas élu officiellement comme leader, mais c’est toi qui proposes tous les jeux drôles non ? Ça ne fait pas de toi un leader ?

Soudain, une pensée lui traversa l’esprit.

— Dis, Harry.

— Hum... ?

— J’entends des rumeurs dans tout le village.

— Ne fais pas semblant, Ornella. Tout le monde est au courant.

Elle s’épousseta les mains.

— Tu sais quoi ? répondit-elle en poussant un soupire agacé. Ce n’est plus drôle. Je rentre.

— Quoi ? réagit Yannelle. Tu n’as pas encore joué ton tour.

— Au départ, on se serait amusé. Si ce gros balourd d’Eden avait accepté gentiment d’attendre son tour.

— C’est qui tu traites de balourds ?

En seulement quelques mots, les esprits s’échauffèrent.

— Harry, fit Ethan. Pourquoi tu ne la vires pas du groupe ? Elle est toujours là à plomber l’ambiance.

— On se calme, d’accord ? réagit-il. Eden, on va continuer de jouer, d’accord ? En ce temps, si tu avais accepté d’attendre, ça aurait été à ton tour.

— Tu dis parce que je suis le plus âgé, c’est ça ? Tu sais quoi ? Moi aussi, je ne trouve plus rien de drôle. Je rentre.

— Attendez les gars, les supplia Yannelle.

— Je crois que je vais rentrer aussi, fit Ethan à son tour. C’est l’anniversaire de mon père aujourd’hui.

— Mais c’est les vacances, réagit Yannelle. On est censé s’amuser. Pas vrai ?

Trop tard, ils remontaient déjà la pente, prenant soin de ne pas glisser, laissant aussi par la même occasion tomber des gravats de sables. Puis, la minute d’après, ils disparurent.

Yannelle se retourna alors vers Harry et lui demanda :

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— C’est toujours pareil avec eux, réagit-il sous la colère. Tu peux rentrer chez toi, si tu veux. Moi, je vais essayer de voir si je peux capturer un écureuil. Il parait qu’il y a un rassemblement près de la rivière. En plus, mon géniteur chasse de l’autre côté.

— C’est pas drôle à deux ?

— Que tu peux être lourde, s’exaspéra Harry en se mettant route. Tu ne comprends pas que je ne veux pas rentrer chez moi maintenant ?

— Anh... tu veux parler de ton...

— Maman a assez de problèmes comme ça avec papa. Imagine que ça va empirer. Et le village agit comme s’il ne se passait rien.

— En parlant de ça, pourquoi elle ne dit rien ?

— Va savoir ce qui se passe dans la tête de ma mère. Elle peut mettre fin à tout ça.

Il entendit quelque chose tomber. En tourna son regard vers le point d’impact, il vit des morceaux d’écorce. Levant ensuite son regard vers le haut de l’arbre, il découvrit un écureuil qui trimbalait derrière du pin.

— Je ne veux pas le voir. Il va lui attirer des problèmes et je n’aime déjà pas ça.

— J’ai une idée, fit-elle en tirant une mèche rebelle vers l’arrière. Et si on lui réservait un accueil de ce nom ? On n’avait jamais joué à un jeu pareil. Tu ne trouves pas ?

C’était la première fois que Yannelle proposait un jeu si osé. D’habitude, elle proposait de jeux inoffensifs, voire ennuyants, préférant se fondre dans la masse. Et faire ce qu’on lui demanderait de faire.

— Intéressante, ton idée.

— Comme ça, si on en parle aux autres, la règle principale sera de s’amuser. Eden n’aura pas de complexes d’âge, Ornella acceptera de jouer avec ces règles et Ethan s’amusera, car les règles ne sont pas si compliquées.

— On leur en parle.

Harry et Yannelle, remontant la pente, en profitèrent pour discuter de leur plan. Harry ne pouvait s’empêcher de jubiler dans son cœur. Peut-être qu’après ça, il manifesterait son envie de quitter le village. De cette façon, sa mère n’aura plus de problème supplémentaire à gérer. C’était une bonne idée.

Ils enfourchèrent chacun leur vélo respectif et reprirent leur route en direction du village.

Les maisons de Brook étaient toutes reliées par un canal d’égout. Devant chaque parcelle, une bouche soigneusement installée et arborant une couleur verdâtre tenait aussi compagnie à des grillages encastrés dans le sol. Ces grillages avaient pour rôle d’éviter la formation d’érosion en siphonnant les eaux de pluie. Chaque parcelle disposait d’un espace où garer sa voiture, bien que rarement utilisée au sein même du village. Et comme Savage Gauss l’avait souligné, en matière d’évolution, il y avait encore du travail. Alors que beaucoup d’autres municipalités avaient embrassé le cellulaire et la télédiffusion, ceux de Brook demeuraient encore dans les téléphones fixes et les papiers journaux.

Le shérif trouvait au contraire que cela servait à renforcer l’esprit de communauté. Même s’il savait que beaucoup n’étaient pas de cet avis. Notamment les Gauss qui ne manquaient aucune occasion de le rappeler. Que chacun s’occupe de ses oignons.

Le chez-soi moyen d’un habitant de Brook se constituait d’un gazon en circonférence dont d’épais buissons délimitaient les contours, servant de barrière contre le voisinage, dont les maisons étaient en majeure partie faites de bois. Un village tout ce qu’il y avait de plus ordinaire à Bohomie. Ces genres de villages, c’était légion à Bohomie.

Roulant à bicyclette, Harry s’impatientait à l’idée de voir la tête de son demi-frère. Il frissonna à l’idée de ce lien. À tel point qu’il faillit percuter une bouche d’égout.

— Attention où tu conduis !

— Pardon, monsieur Barjot.

Il n’entendit pas l'homme râler une seconde de plus qu’il voyait déjà la boite aux lettres de sa maison.

Parfait. On va voir à quoi il ressemble.

Garant son vélo, d’un pas précipité, il monta l’escalier jusqu’à la véranda.

En ouvrant la porte, telle fut sa surprise de constater un handicapé en chaise roulante. Sa mère et lui avaient le dos tourné.

Elle lui expliquait quelque chose en montrant du doigt le téléphone fixe.

— Tu vois, fit-elle, quand tu as un problème, tu appelles ce numéro. C’est celui de mon bureau.

Ce n’est pas parce qu’il est handicapé que tu vas le privilégier.

Harry observa la scène en serrant ses poings.

— Oh... tu es déjà là ! fit sa mère en lui souriant.

Elle s’approcha de lui et lui caressa les joues. Mais le jeune ado, gêné, lui retira la main.

— Arrête ça, maman. Je ne suis plus un enfant.

Il la poussa avec délicatesse sur le côté.

Sa colère se fit plus grande lorsqu’il constata que ce gamin en fauteuil roulant ne lui prêtait pas la moindre attention. Il avait son regard accroché au téléphone fixe posé sur une table près de la fenêtre, comme voulant jouer avec.

— Fais comme chez toi, lui dit-il avec mépris. Ne te gêne surtout pas.

— Je sais ce que tu dois penser, fit sa mère en remarquant sa colère, mais c’est compliqué à t’expliquer.

Compliqué à expliquer ? Un parfait inconnu s’installait chez eux. Elle lui présentait tout dans la maison comme s’il y avait grandi. Et là, elle n’arrivait pas à lui trouver aucune explication pour justifier ça ?

Andréa s’approcha de Bill et tourna sa chaise, de sorte que le regard de deux frères se croise. Mais l’indifférence de Bill était de trop. Le voilà maintenant qui tirait de ses poches de jouets moches et le fixait.

Tu arrives à conserver de jouets en piteux état ?

— Il est glauque.

Andréa, épuisée par le voyage, posa un genou à terre et une main sur l’épaule de Harry, s’efforçant de sourire.

— Écoute chérie. Il n’est là qu’un pour un moment. Tu n’as pas à t’en faire. En entendant, laisse-le se reposer, tu veux bien ? Tu peux le faire pour moi ?

Harry bouda dans son coin et observa avec dédains sa mère conduire Bill vers sa nouvelle chambre. Il put néanmoins constater qu’elle n’empruntait pas l’escalier, ce qui signifiait qu’il allait s’installer dans la chambre d’amis. En d’autres termes, il n’aurait pas à partager sa chambre avec lui.

Il lança un coup d’œil à travers la fenêtre et remarqua que le soleil allait bientôt se coucher. La fatigue, se lisant sans peine sur la lenteur de ses mouvements, il comprit qu’il se devait d’aider sa mère à préparer le dîner pour papa. Il était au courant de ce qui se passerait s’il rentrait et ne trouvait rien sur la table. Alors, avec hâte, il se dirigea vers la cuisine.

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