12 - La morsure

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— Maman, fit Harry. Tu pourras travailler aujourd’hui ?

Assis tous les deux sur le canapé, faisant face à la porte entrouverte, elle lui répondit par un sourire avant de lisser ses cheveux vers l’arrière.

— Ça va aller, répondit-elle, ce n’est pas la première fois.

Harry lui apporta son sac à main pendant qu’elle se levait. Elle se dirigea ensuite vers la fenêtre d’où elle put observer à travers, de groupes d’enfants qui s’amusaient de bon matin. Elle remarqua enfin qu’il avait pleuviné au cours de la nuit, raison pour laquelle le côté sableux de la route avait pris une teinte brune-rougeâtre.

— C’est ça, lui fit Harry.

Il s’approcha d’elle et lui tendit le sac.

— Merci chéri. Aujourd’hui, je vais rentrer un peu plus tôt que prévu. Papa reçoit son salaire dans la semaine. Il a prévu quelque chose pour nous... peut-être à la plage, qui sait.

— Et tu l’crois ? répondit-il d’un ton septique. On est en automne.

— Oh... c’est vrai.

Harry l’observa de la tête aux pieds.

C’est normal que tu confondes les périodes, vu comment on t’a défoncé dans la nuit.

Elle portait une chemise brodée qu’elle avait enfilée dans un pantalon d’un bleu proche du noir. Simple, mais efficace. Elle était belle. Ça, Harry pouvait le clamer haut et fort. Sans le savoir, il se mit à sourire bêtement.

— Ça va, Harry ?

— Tu es belle, maman...

À cette réponse, elle le prit dans ses bras. Puis, poussant un dernier soupire, franchit la porte.

Attendant qu’elle se soit éloigné, Harry se précipita vers l’autre fenêtre d’où il vit Ethan sortir d’un buisson, agitant son bras à son encontre. Il réagit en lui faisant un clin d’œil avant de tourner son regard vers la chambre d’ami. Ensuite, il lança un autre regard vers la table à manger. Sa mère avait déjà tout préparé : thermos, tasse, thé, lait, pain et boite de margarine.

Après cela, il entendit un bruit métallique. Bill se posait sur son fauteuil roulant. Le cœur de Harry se mit alors à trépigner d’impatience. Il demeurait là, devant la porte de la chambre, l’attendant, s’appuyant aussi sur le canapé pour ne pas vite fatiguer.

Voir cet étranger sortir le récompensa de ses efforts. Il se déplaçait tant que bien mal en faisant rouler les roues de sa chaise. Sur ses genoux, il avait posé ses maudits jouets fondus. Ils étaient toujours aussi horribles à cause de leurs brûlures.

Comment tu fais ?

Bill, lui prêtant à peine attention, remarqua le petit déjeuner servi sur la table. Ce qui eut le mérite de mettre à rude épreuve les nerfs de Harry. On pouvait les voir se dessiner sur son front. Mais ce n’était pas le moment. C’était un jour spécial. On allait poser les bases. Peut-être que ça suffirait pour qu’il s’en aille au cours de la semaine.

— T’as du mal à déplacer ton siège... lui dit-il en s’approchant. Laisse-moi t’aider.

À sa grande surprise, il ne réagit pas. À la limite, il se laissa faire quand il toucha le poignet de sa machine. O...Kay. Avec cette attitude, ce serait plus facile alors.

Bill avait une façon atypique de prendre son repas. Il découpait son pain en quatre morceaux plus ou moins égaux et plaçait la tasse au centre. Puis, il tartinait l’un après l’autre, les morceaux. Un petit détail que Harry remarqua et trouva, en cela, une raison de plus au fait qu’il n’était pas le bienvenu.

Cependant, venant de quitter la maison, il se sentit mal à l’aise à cause de l’inaction de Bill. Ce dernier ne savait pas où il le conduisait, et ne faisait aucun mouvement de protestation. C’était comme si un grand jouet s’était assis sur le chariot. Assez désagréable comme sensation. Mais bon... ça rendait les choses plus faciles. D’autant plus que ses deux jouets avaient accaparé son attention.

En cours de route, des villageois curieux les arrêtaient pour poser des questions. Notamment à Bill, mais ce dernier ne réagissait pas, ne répondait pas et continuait de s’amuser avec ses figurines. Chose qu’ils trouvèrent malpolie. Harry en ressentit non seulement de la honte, mais aussi de la fureur.

En ce moment, pendant que les villageois sur le chemin les dévisageaient et qu’il s’apprêtait à entamer le parc qui reliait Brook à la forêt, il n’avait qu’une seule envie : le pousser jusqu’à une descente et le lâcher afin qu’il aille s’écraser. Mais cela ruinerait son plan. Il devait s’efforcer. Car sa présence allait augmenter la fréquence au cours de laquelle sa mère se ferait battre. Il connaissait son géniteur.

Il y avait aussi eu des enfants qui avaient proposé de l’inviter à jouer avec eux. Mais avec l’inaction de Bill, Harry en avait profité pour leur répondre : " Une prochaine fois. Je lui fais visiter Brook. " Ce qui avait entraîné un murmure plaintif de leur part avant qu’ils ne se décident à acquiescer.

Au loin, il aperçut Eden et les autres qui les attendaient au pied d’un petit arbre. Les battements de son cœur s’accélèrent de plus belle. Il était proche de son but. Bill allait connaître les bases. Sans s’en rendre compte, il serrait avec force les poignets du chariot de Bill. Toutefois, il y avait cette foutue étendue d’herbes qui l’empêchaient de manœuvrer avec aisance. Étant donné qu’il avait goutté dans la nuit, sous les herbes s’étaient alors formés des amas de boues, des trous et de bosses. Ce qui ajouta à ses nerfs, déjà à rudes épreuves, une tension de plus.

Bordel.

La roue bloqua.

— C’est quoi ce délire ? fulmina-t-il en s’accroupissant.

Avec dégoût, il se mit à creuser pour libérer les roues. La boue sur ses mains et la douleur sur ses ongles étaient le prix à payer pour sa mère.

La minute d’après, la roue se dégagea et il put reprendre la route.

— Alors, c’est lui ? s’exclama Ethan en les voyant arriver.

— J’continue de penser qu’on ne devrait pas faire ça, fit Ornella en se levant.

— Toujours là à plombier l’ambiance, réagit-il. C’est juste une petite blague. En plus, on n’est pas en dehors des règles que je sache.

— Et toi Yannelle ? réagit-elle. Tu penses que c’est bien ce qu’on s’apprête à faire ?

— Pour rappel, répliqua Eden, l’idée vient d’elle.

Ornella, à court de mots, préféra croiser ses bras en seul signe de protestation.

Les derniers assis se levèrent à l’unisson et se dirigèrent vers Harry et Bill.

— Il est plutôt glauque, fit remarquer Yannelle en contemplant avec dégoûts les deux figurines défigurées.

— Alors, c’est toi... fit Ethan lui tapotant le menton.

Mais ce dernier ne réagit pas. Buzz l’Eclair devait empêcher Woody de s’écraser sur la boue.

— Il a quoi ? demanda Eden en remarquant que Bill les ignorait totalement.

— Cherchez pas à comprendre. Il est toujours comme ça.

— Ça tombe bien... ça rendra les choses encore plus faciles, non ?

À ce mot, ils le conduisirent jusqu’au bord d’une bosse de terre qui précède la descente vers la forêt. Bill, curieux tout de même, lança un coup d’œil et aperçut une pente de boue dont le contrebas était recouvert d’un tapis de feuilles mortes. En redressant son regard, il remarqua qu’il s’agissait d’une partie de la forêt.

Autour de lui, ces cinq ados formèrent un arc.

— La séance peut commencer, fit Ethan en frappant le sol de ses pieds.

Ce qui eut le mérite de faire glisser des gravats de boues

— Hey, se plaignit Eden. Je croyais que c’était moi qui ferais le juge.

— Et voilà, soupira Ornella en se frappant le front, c’est reparti.

— On s’était entendu les gars, répondit Harry. Ethan ferrait le juge, Eden le bourreau, Ornella l’avocat. Yannelle et moi, les plaignants.

— Je suis le plus âgé et...

— C’est pour ça que tu ferais un bon bourreau.

— C’est bon, leur interrompit Ethan avant de retourner son regard vers Bill. Accusé. Vous êtes accusé d’être étranger au village. Vous en courrez une sentence de vingt ans de prison. Que déclarez-vous ?

Les regards se tournèrent vers Bill. Mais ce dernier avait toute attention sur ses jouets. Buzz devait aider Woody à travers la vallée qui se trouvait entre ses cuisses.

— L’accusé n’est pas coopératif, réagit Harry, votre honneur. Qu’attendez-vous pour prononcer la sentence ?

Les choses ne se passaient pas comme prévu. Et c’était avec frustration que Harry s’en rendait compte.

Pourquoi il ne pleure pas ? On l’emmène devant une pente ? On joue les intimidant, mais il nous ignore complètement, le salaud.

— C’est quoi ton problème ? cria-t-il en craquant.

Il le saisit avec sauvagerie par les épaules et commença à l’agiter.

Si seulement je peux te briser les rotules.

Dans la surprise, Bill laissa échapper ses figurines. Ce qui pour la première fois le fit réagir. Il poussa un gémissement comme voulant dire : "Laissez-moi tranquille. " Harry eut un mouvement de recul.

— Alors, fit Eden en ramassant les jouets maintenant couverts de boue. Tu réagis finalement.

Bill tendit ses mains vers les jouets qu’il agitait devant lui. Ses gémissements commencèrent à se faire plus audibles. C’est ce que Harry voulait. Il manquait juste que son visage ne se froisse de désespoir. Ce n’était pas encore le cas. Son visage restait impassible quant à la situation.

— Accusé... insista Ethan. Que déclares-tu ? Une réponse, sinon, c’en serait fini de tes jouets moches.

Bill fit un mauvais pas et son fauteuil roulant menaça de glisser le long de la pente. Néanmoins, Ornella eut le temps d’intervenir avant.

— Les gars, fit-elle, on est censé lui faire peur. Rends-lui ses jouets.

— Ne me dis pas que tu ne t’amuses pas ? s’exclama avec stupeur Ethan. Regarde-le.

Ornella lança un regard à Bill et ce dernier continuait de geindre en tendant le plus loin possible sa main vers ses jouets. De son côté, Eden s’amusait à les faire voltiger devant lui pendant que Yannelle, Harry et Ethan éclataient de rire.

— Alors, dit Harry. Tu réagis maintenant, hein...

— Et moi qui croyais que t’étais muet.

Se rendant compte qu’il n’obtiendrait pas ce qu’il voulait comme ça, Bill tenta de se lever. Un autre faux pas. Car l’instant d’après, il frôla à nouveau la glissade. Ornella, ayant interposé son bras contre lui afin que ça n’arrive pas.

— Ne fais pas ça, lui conseilla-t-elle en le remettant sur sa chaise. Je vais les récupérer pour toi.

— À quoi tu joues ? demanda Eden avec colère.

En retournant son regard vers le reste de la bande, Ornella se sentit exclue. Eux, qui les secondes précédentes s’amusaient, se mirent à la dévisager.

— Le plan était de lui faire peur. Là, ça va trop loin. Il a failli tomber deux fois.

— Tu crois qu’on va loin ? fit Ethan en la poussant avec violence par l’épaule. Chaque fois qu’on s’amuse, il faut toujours que tu fasses la rabat-joie.

— Tu délires, Ethan.

— Non. C’est toujours toi le problème. Où est-ce que t’as vu qu’on allait loin ?

Ornella fit pivoter son regard vers les autres, en attente de leur réaction. Mais ils dégageaient maintenant la même atmosphère. Rabat-joie.

— Vous savez quoi... je me tire. Si c’est pour endurer ça, je préfère quitter la bande.

— Parfait, répondit Ethan.

Elle releva son vélo et prit la direction d’une route d’où elle pourra enfourcher son véhicule avec aisance.

— C’était évident qu’avec elle, les choses allaient se passer comme ça.

Ethan tourna son regard vers Eden, et lui fit un signe complice de la tête. C’est alors que sous le regard surpris de Yannelle et de Harry, ce dernier sortit de son pantalon un minipistolet.

— Wouah ! Wouah ! Wouah ! s’exclama Harry. À la base, c’est censé lui faire peur.

— Détends-toi, lui rassura Ethan. C’est vide.

— C’est le flingue de ton père, Eden. Tu le connais. S’il le découvre, t’es dans la merde.

— Ils sont à l’autre bout de la forêt. Et ils ne vont pas rentrer avant six heures. On n'aura qu’à le rendre avant.

Harry, tout d’abord réticent, finit par acquiescer. Mais ce ne fut pas le cas de Yannelle. Son regard témoignait de son effroi et d’une terreur grandissante.

— Tu tiens quand même une arme, Eden. À la base, on devait lui faire peur. Et puis, t’as bien vérifié que ce n’est pas chargé ?

— Toi aussi.

Les contradictions s’enchaînaient lorsque sans prévenir, Bill se jeta sur les hanches d’Eden. Et de toutes ses forces, lui mordit le côté droit de sa cuisse. Eden lâcha un cri.

— Il m’a mordu… !

Venant à sa rescousse, Ethan et Harry saisirent Bill par l’abdomen et se mirent à tirer pour lui faire lâcher prise. Mais ce dernier ceintura avec force la cuisse d’Eden. Et plus on tirait, plus il augmentait la pression de sa morsure. Eden le sentait. Ses dents étaient en train de pénétrer sa chair. Il le sentait.

— Retirez-le, bordel !

La douleur se développait à un rythme effréné. Malgré la fraîcheur de la journée, il commença à transpirer. Il se cambra et essaya d’utiliser sa main gauche comme levier pour repousser sa tête. Mais Bill enfonçait à chaque seconde, ses dents.

Ethan perdit l’équilibre et lâcha le premier. Se relevant ensuite, il courut vers un petit arbre et arracha une branche. Il tourna son regard vers le lieu de la scène. C’était un spectacle assez horrifiant pour lui. Eden était cambré à quatre pattes, poussant avec sa main gauche la tête d’un Bill accroché comme sangsue, mordant de plus en plus fort, pendant que Harry tirait de toutes ses forces.

Soudain, l’horreur se lit dans ses yeux quand il perçut une marque rougeâtre se dessiner de son pantalon.

Le bâtard, il est en train de lui arracher de la peau.

Yannelle, paralysée par ce qu’il se passait, tomba sur les fesses, salissant par la même occasion son pantalon.

— Tu le veux, tes saloperies de jouets ! ? cria Eden.

Regroupant ses dernières forces, il le jeta par delà la pente. Bill, l’instant d’après le relâcha, faisant trébucher Harry. Ce dernier pouvait maintenant admirer avec dégoût la bouche ensanglantée de Bill, tenant entre ses dents un bout de chair d’Eden.

— Espèce de... fit-il avec haine et mépris.

Mais les gémissements d’Eden l’arrêtèrent. Ce dernier agonisait. De son pantalon déchiré, on pouvait voir maintenant un liquide écarlate creuser un sillon vers la boue. Il gémit quand Ethan frôla la plaie.

— Ça fait mal !

— Il faut l’emmener à l’hôpital, proposa Yannelle qui tremblait à la vue du sang.

Les larmes d’Eden amplifièrent son effroi. Lorsque Yannelle s’approcha de lui, il constata que ses jambes tremblaient comme une feuille. À tel point que lorsqu’elle essaya de se lever, elle retomba aussitôt. Tachant aussi sa chemise.

Harry, sous la colère, désira au moins balancer de la boue sur le visage de Bill, mais au moment d’essayer, il se figea devant le regard de ce dernier. Ce n’était plus un petit être humain qu’il avait en face de lui. C’était une bête sauvage. Bill les regardait avec une telle noirceur qu’à un moment donné, il crut vouloir se pisser dessus. Ce regard. Jamais il ne l’oublierait. Il avait encore le bout de chair d’Eden entre ses dents, et du sang suintait de ses lèvres. Ses sourcils froncés. Rien que son visage avait tout d’un parfait prédateur. Harry comprit pourquoi il n’arrivait pas à lui lancer de boue sur le visage. Il avait peur. Ce petit garçon qui se tenait devant lui reflétait ses peurs.

Ne pouvant lutter une seconde de plus, il se retourna vers Ethan afin de l’aider à faire levier pour permettre à Eden de se lever. Néanmoins, vu son poids et sa taille, ils pouvaient oublier les vélos. Yannelle allait s’en occuper. Boitant à trois, ils laissèrent Bill pour rentrer au village.

Il n’est pas normal.

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