13 - Belphégor

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Sentir de la boue sur son visage ne fut pas quelque chose qui irriterait Bill, comme cela se serait passé pour toute personne normalement constituée. Ne prêtant pas son regard à ceux qui, plus tôt, avaient essayé de lui faire une mauvaise blague, ces derniers disparaissant au loin, il se trouvait à ramper sur un sol infesté d’herbes humides. Herbes qui surplombaient une terre boueuse. Mais en même temps, seul le goût nauséabond du sang d’Eden, ainsi que du morceau de sa chair lui filait la gerbe.

Aïe.

Rampant vers il ne savait où avec clarté, il s’érafla la main.

Il se demanda d’où lui était venue une telle sauvagerie. Il était vrai qu’il avait grandi dans un environnement brutal, mais jamais au grand jamais, cela n’avait viré à quelque chose d’aussi sanglant. En pensant à cela, Bill se sentit dégoûté de lui-même. Comment avait-il pu en arriver là ?

Parce que c’est tes jouets, non ?

Oui. C’étaient ses jouets. Les seuls qu’il avait réussi à gagner. Personne n’avait le droit de les lui arracher. En tout cas, c’était ce que son père lui avait dit. C’est ça. Le petit garçon se sentit rassuré alors de constater qu’il avait agi comme tout être humain voulant protéger ce qui lui appartenait.

Il se redressa et s’assit sur le sol, en profitant pour jauger les bandages de son pied qui avaient pris une teinte brune sombre à cause de la boue. Il se cambra pour l’atteindre du bout de ses doigts afin d’évaluer s’il pouvait se lever et marcher. La réaction fut directe. Il ressentit un vif picotement qui s’amplifia par la suite. Même s’il pouvait marcher, d’une certaine façon, il savait que ce n’était pas le moment de tenter le diable. Il lui suffirait de ramper encore quelques minutes, n’est-ce pas ? Le temps de retrouver ses jouets que ce gros lard avait balancés il ne savait où, remonter sur sa chaise et rentrer. Rentrer où ? Mais en fin de compte. Avait-il réellement envie de rentrer ? Ce n’était pas sa famille. Elle n’était pas sa mère. Encore moins, ce n’était pas son frère.

Prise dans l’étau de l’indécision, il ne put remarquer son fauteuil qui dégringolait à cause du sol glissant. À la minute, il se trouvait au contrebas de la pente de boue.

Bill pensa à cette femme aux cheveux roux. À ce visage mince. À cette taille fine. À cette femme qui d’apparence frêle et faible se prétendait remplaçante maternelle.

C’est quoi son problème ?

Il était assez âgé pour comprendre certaines réalités. D’autant plus que grandir plus tôt que la normale était obligée s’il ne voulait pas que ses parents l’abandonnent. De ce fait, il lui était légitime de se demander quelle folie aurait pris une femme battue d’accepter d’héberger un inconnu.

Ce n’est pas normal.

Il arriva au bout d’un monticule de terre par delà laquelle il vit en bas, le tapis de feuillages d’un jaune brun morne et monotone. Ses jouets étaient là. Ses jouets.

Il se redressa et se mit à ramper à quatre pattes avant de se laisser glisser jusqu’en bas. Sur le fait, l’éraflure sur sa main lui alerta par le biais d’un picotement que de la boue s’y était incrusté. Mais cela lui importait peu. Il devait retrouver Buzz l’Eclair qui, sûrement, l’aiderait à retrouver Woody. Qui de mieux qu’un ranger de l’espace pour retrouver un cow-boy disparu ?

Arrivé en bas, il se sentit tout trempé. Et c’était le cas. Son visage, ses cheveux ainsi que ses vêtements étaient non seulement recouverts de terre mouillée, mais aussi de feuilles. Il essaya tant bien que mal de s’en défaire, mais il eut l’impression qu’à chaque tentative, une ruée d’autres feuilles prendrait le relais. En conséquence, afin d’économiser du temps, il se mit à raser sans plus tarder la zone de ses mains, en quête de ses jouets.

Il ne sentait rien sous ses paumes. Juste un sol accidenté et bosselé.

Je veux qu’il meure. Ce gros.

Un vent glacial vint envahir cette partie de la forêt. Ce qui eut la désagréable séquelle de faire voltiger les feuilles dans tous les sens. Bill n’eut que pour choix de fermer les yeux dans l’espoir que ça ne passe vite. Pourtant, la minute d’après, il sentit de gouttelettes d’eau tapoter sa nuque pendant que le vent glacial venait frapper avec plus de force son visage.

Non, c’est pas juste.

Bill leva sa main droite vers l’avant tandis que l’autre continuait de fouiller le sol, afin d’au moins protéger son visage. Tout-à-coup, sans prévenir, un coup de tonnerre résonna avec fureur dans le ciel, et là, un début d’averse commença. Avec elle, le bruit envahissant d’une pluie s’annonçant particulièrement violente.

En continuant à fouiller, le petit garçon sentit une difformité sur le sol. Un métal. S’efforçant alors d’ouvrir ses yeux, il aperçut sous un léger rideau de pluie en formation, le pistolet qu’avait tenu Eden. Dans un geste de frustration, il balança l’arme au loin et reprit sa quête.

J’aurais dû lui arracher toute sa peau à ce gros.

La pluie devenait chaque seconde plus forte. Et à chacun de ses efforts, elle le frappait de front et avec force sur le visage. Ce qui le poussa à s’arrêter. Difficile de se repérer.

Fatigué, il se dirigea vers l’arbre le plus proche. Mais ce dernier se déformait vers la gauche à cause des rafales du vent. Au moins, il avait un appui contre lequel s’adosser, non ?

Après la pluie, il se remettrait en quête de Buzz et Woody.

Impossible de voir avec précision à travers le rideau de pluie. Cependant, l’espace d’une minute, il crut distinguer une masse noire passer derrière un arbre. Non, trois, peut-être quatre - que le vent menaçait de déraciner, tant ils étaient pliés à l’oblique. Le bruit assourdissant de la pluie l’empêchait d’entendre les feuilles et les branches craquer sous ces pattes griffues qui approchaient.

Alors c’est ici que je vais mourir ? Cette pensée provoqua comme un sentiment d’espoir en Bill. La mort était le sauveur dont il avait besoin. Si c’était un loup, il espérait qu’il fut le grand méchant loup, et lui-même, le chaperon rouge. Grand méchant loup. Il sourit. Alors c’était comme ça qu’il allait enfin rejoindre ses parents ?

— Papa... Maman... j’arrive, finit-il par lâcher avant de fermer ses yeux.

Son cœur pétillait d’impatience à l’idée de les revoir. Il reverrait son père sans cette mâchoire pendulant de sa tête et sa mère, sans cette tête couverte de flammes. Et avec un peu de chance, ou de grâce, il verrait un Buzz gentil qui l’inviterait dans ses aventures dans l’espace et un Woody sympa qui l’inviterait dans son western. Le rêve parfait.

Tu crois vraiment que je vais vous laisser mourir ?

D’où venait cette voix ? Ça n’avait pas d’importance. Tant que la mort l’embrassait. En tout cas, c’est l’idée qu’il s’était fait, mais cela se passa autrement. D’abord, il sentit quelque chose tomber dans la paume de sa main gauche. Puis de sa main droite.

Qu’est-ce que t’attends pour me tuer ?

Obstiné à attendre la mort, les yeux fermés, il put néanmoins refermer ses paumes pour essayer d’identifier les objets à leurs contours. C’est alors que son visage se froissa de doute. De sa main droite, il reconnut les ailes du ranger de l’espace et de sa main gauche, il reconnut le chapeau de cow-boy de Woody.

Curieux et intrigué alors, il ouvrit avec lenteur ses yeux. Mais la pluie, plus violente encore, continuait de l’agresser. Quitte à peser sur tout son corps. Il put malgré tout voir quelque chose de grand qui se tenait à seulement quelques centimètres de son visage. Il était trop imposant pour être un loup. Peut-être un ours. Non, il ne l’était pas assez pour un être ours. L’image floue, il crut identifier des yeux jaunes dont la pupille rappellerait celle d’un chat.

Pourquoi je n’ai pas peur ?

— Tu vas m’emmener voir mes parents ?

Les monstres, ça tue les enfants.

Il était d’une noirceur envoûtante d’apparence. Ce noir tellement beau qu’il scotcherait pour juste le contempler. Ce n’était pas un noir qui caractérisait un monstre de croquemitaine classique, mais ce noir qui évoquerait plutôt une œuvre d’art à la fois glauque et belle pour faire l’unanimité.

Bill sentit quelque chose de visqueux s’accrocher à son visage. Il ne tarda pas à s’apercevoir que le monstre venait de lui laper le visage. Cela lui laissa une désagréable sensation de picotement. Comme ci de minuscules épines étaient accrochées à sa langue.

— Tu es réel ?

La pluie commença à effacer la boue qui avait recouvert son visage. Bill se rinça ensuite le visage.

— Tu es donc réel.

Il laissa échapper un sourire.

— Je veux revoir papa et maman.

En réaction, l’énorme masse noire continua de la fixer.

Tu ne veux pas te venger ?

— Encore cette voix, réagit Bill en tentant de se lever.

Il s’accrocha à l’arbre pour se maintenir en équilibre, mais au moment de retomber avec violence sur le sol, la masse noire s’interposa, usant de son dos comme nouvel appui.

Il a fait du mal à Buzz et à Woody.

Bill sentit la fourrure. C’était alors un animal. Et lui qui pensait qu’il s’agissait d’une créature sortie d’un folklore de la région.

Il avança la main. S’il ne pouvait pas identifier l’animal avec sa vue, il pouvait au moins essayer avec son toucher. C’est alors qu’il palpa un début de crinière vers la nuque. Un seul animal de ce gabarit en possédait.

— Tu es donc un lion. Un jour, au zoo, j’en avais vu un. Les lions, ce n’est pas carnivore ?

Il avança à nouveau sa main vers le visage de l’animal. C’était bien un lion.

— Les lions, ça mange de la viande non ?

Bill enfonça ensuite ses jouets dans la poche de son veston alourdi par l’humidité cumulée.

— Les lions, ça mange les enfants ?

Il se rinça à nouveau le visage. La pluie battait maintenant son plein. Avec force et férocité, elle frappait quiconque à sa portée avec un vent non seulement glacial, mais sifflant d’horreur. Les plus sensibles d’oreilles se reconnaîtraient.

— Les lions, ça mange les méchants ?

Les poils du lion plaqués sur sa peau se gorgeaient d’eau chaque seconde.

— Il a fait du mal à Buzz et à Woody. Je veux qu’il le paie.

Bill n’en croyait pas ses propres oreilles. Que venait-il de dire là ? Une voix en lui se mit à rire. Cela ne pouvait pas venir du lion, si ? Mais enfin, d’où venait cette voix ? Pourquoi s’en prenait-elle à lui ?

— Je t’ai fait quoi ?

Viens à moi, Bill. C’est juste toi qui manques à l’appel. Viens.

— Comment je fais ?

La voix ricana de plus belle. Ce n’est pas un clown.

— Tu veux qu’il le paie alors ?

Bill retint son souffle un dernier moment avant de lâcher :

— Je veux qu’il souffre.

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