Chapitre 9, Formation magique

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 Synevyr, autrefois majestueuse et attirant la jalousie, flétrit aussi vite qu’elle perdit ses habitants. L’enchantement qui remplissait les sens de bien-être déserta le jardin. Plus une âme saine d’esprit n’osa approcher du manoir des Belmonts au lendemain de l’accident avec Micaiah. Dès lors, les roses parurent bien pâles comme les ronces semblèrent envahir les parterres. Encore perturbée, Micaiah se leva difficilement de son lit. Elle attrapa mollement un crayon et se traina jusqu’à sa carte pour dessiner une croix tout près de l’atelier Lyssenko et associa celui-ci à une date.


« 30 novembre 2164 »


 Homme adulte de la quarantaine, un profil comparable à Niguel. Cette victime, beaucoup plus âgée que les précédentes, perturba l’enquêtrice en herbe à cause du changement très inhabituel.

 Edgar toqua à la porte pour ordonner à Micaiah de se rendre à l’observatoire, elle devait devenir la disciple de Camille aujourd’hui. Lorsque la jeune entra, elle nota l’absence d’une majorité des meubles autrefois présents. Tous les ouvrages scientifiques, les documents d’études sur la région ou le mithril eurent disparu. L’adolescente marcha jusqu’à la tour. Cette dernière n’avait pas trop changé depuis le départ des précédents occupants : le rez-de-chaussée ressemblait à avant avec ses nombreuses bibliothèques et une grande table ronde au centre. Toutes les œuvres de recherche des étagères furent remplacées par des grimoires magiques variés par leurs apparences comme par leur contenu. La nouvelle locataire s’était permis d’apporter une touche de confort avec des sièges rembourrés et quelques objets technologiques pour préparer des infusions ou chauffer sa nourriture.

 D’ailleurs, la mystérieuse Camille était installée devant le journal local, une tasse de thé chaud à ses côtés. Son attention pleinement dirigée sur les lignes ne décrocha pas à l’arrivée de la jeune femme.


 —  Bonjour, madame Westenra. Vous avez réclamé ma présence ?

 —  Mh, mh. J’ai été prévenue de l’accident qui s’est déroulé hier.


 Une certaine aura émanait de cette femme. Une force invisible et pourtant perceptible, si calme et ironiquement si désagréable. Elle parlait sans politesse, les yeux vissés sur son journal.


 —  L’accident ?

 —  Tu as gravement blessé un homme en pleine forme. Il sera handicapé à vie sans des soins adéquats.

 —  Je… Micaiah lâcha un long soupir, ennuyée. Je n’ai pas désiré cela, j’ai simplement cherché à me défendre.

 —  Pourquoi ne pas avoir utilisé une téléportation pour échapper à tes poursuivants ?

 —  Je ne sais pas… Je n’arrive pas à la solliciter consciemment.


 L’expression de Camille changea. Elle fronça les sourcils, tourna la tête vers son interlocutrice et jeta le journal sur la table par un geste mécontent.


 —  Tu as plus de seize ans et tu n’es pas en mesure d’employer un sort si basique à volonté ? C’est extrêmement décevant. Ton potentiel latent est remarquable, pourtant, tu te montres incapable d’actions aussi rudimentaires.

 —  Mes études n’ont pas consisté qu’à apprendre la magie, je d…

 —  À présent, ça le sera, trancha Camille avec une expression autoritaire effrayante. Sa voix fit légèrement trembler le sol, son ombre sembla envahir la salle tout entière. Tes enseignants se sont montrés trop complaisants. La femme tourna la tête puis tendit la main gauche vers une bibliothèque. Trois livres, posés les uns sur les autres, se mirent à léviter. En un geste sec de l’index, ces œuvres foncèrent droit vers Micaiah, la forçant à les rattraper en subissant l’impact. Je te donne deux jours pour lire ces trois tomes et pratiquer les exercices qui se trouvent à l’intérieur. Je veux que tu reviennes ici dans précisément 48 heures et me fasses une démonstration de tes progrès. Jusqu’au moment venu, gère ton temps comme tu l’entends.


 Micaiah ouvrit les livres un à un pour s’enquérir des titres.


« Utilisation des flux magiques purs »

« Manipulation de la magie spatiale »

« Arts noirs »


 Ces titres évocateurs exprimèrent les intentions de Camille à diriger sa nouvelle disciple sur une formation de sorcière, spécialisée dans la maîtrise des ténèbres et du mana, essence même de la magie. L’adolescente fronça les sourcils en se rendant compte que ses études sur tous les autres domaines, la lumière et les éléments, méthodes idéales pour vaincre les monstres du mal, étaient proscrites.


 —  Quand vais-je apprendre la magie sacrée ?

 —  Ce n’est pas nécessaire. Tu en connais déjà suffisamment selon le programme que ton père m’a expliqué.

 —  Mais je ne suis jamais parvenue à lancer un seul sortilège de lumière.

 —  Pff… Un sourire moqueur se dessina sur le visage de Camille. Les chiens ne font pas des chats.

 —  Que voulez-vous dire par là ?

 —  Que tu n’auras aucun talent en la matière. Maintenant, va étudier. Je t’assure que tu auras besoin de chaque minute de ces deux jours.


 Camille était devenue tellement familière, hautaine, depuis son arrivée. Sa politesse d’autrefois n’était qu’une façade qu’elle ne cherchait même plus à en cacher l’artificialité. L’élève quitta l’observatoire. Si nonchalante en règle générale, Micaiah se pressa pour rentrer, de crainte de croiser encore un villageois en colère. Le monde extérieur représentait un lieu trop hostile à son existence ; pas uniquement ce jour-là, mais les suivants aussi. Elle préférait rester au sein des murs du manoir. Dès lors, toutes les journées se mirent à se ressembler, lentes, mornes et monotones. Réveil, se préparer, étudier, pratiquer, manger, dormir. Sa volonté effritée continuait de chercher vainement des informations sur les crimes sur ses rares moments de liberté, dans l’espoir que ses amis reviennent lorsque tout sera réglé. Elle rêvait, chaque soir au retour à son ancienne vie paisible d’enfant.

 Les deux premiers livres confiés par Camille enseignaient les phénomènes articulant la construction des sortilèges et leurs conséquences. Habituellement, cela exigerait beaucoup du temps aux apprentis sorciers pour les assimiler, néanmoins, Micaiah reçut toute l’éducation nécessaire des bases pour permettre d’accueillir ces connaissances en seulement quelques heures. Vint le dernier ouvrage, celui traitant la magie noire. Elle traversa les pages d’introduction, lut les concepts fondamentaux puis poursuivit enfin sur la première explication avec une certaine appréhension.


« Le sortilège d’Entaille consiste en une attaque de courte portée. Elle lacère le tissu cutané

d’une victime donnée à un niveau superficiel. Son action inflige une douleur moyenne

équivalente à un l’éraflement d’une lame. Ceci est la magie le plus basique que tout

apprenti en sorcellerie noire doit connaître et maîtriser parfaitement avant

de tourner ses études vers les formes plus complexes. »


 Par nature, cela ne pouvait être pratiqué sur des cibles non organiques ; agresser les êtres vivants était indispensable dans la majorité des cas. Une ligne jaune que la bourgeoise se refusait de traverser. Au début d’après-midi de sa seconde journée, Micaiah décida de prendre l’air tout en réfléchissant à une méthode pour ne pas recourir à un cobaye. Dès sa sortie, son attention se porta immédiatement à l’entrée du parc. Une bonne trentaine de miliciens formaient un barrage tandis que Niguel patientait au milieu, très calme. Du côté de la ville, une foule dense s’entassait en beuglant un ressentiment intense. Ruslan Vàrgova se trouvait également dans l’auditoire, démarqué par une garde personnelle. La jeune femme approcha, curieuse de connaître les raisons de cette réunion publique.

 Entre les guerriers et la présence imposante du bourgeois, personne n’osa agir comme c’eut été le cas avec la dame quelques jours avant. Les habitants rassemblés, monsieur Belmont utilisa un porte-voix pour s’adresser à la foule.


 —  Population de Synevyr. Je viens à votre rencontre, conscient des horreurs que vous vivez. Vous devez déjà le savoir, Dame Westenra s’est déplacée en personne pour nous aider à prémunir notre cité des influences extérieures. Elle et moi n’avons qu’un seul objectif : nous assurer que Synevyr retrouve sa paix d’antan. Ce ne sont plus que les enfants, les adultes également sont victimes du monstre aujourd’hui. Dans cet objectif, nous avons pris la décision de densifier les barrières magiques qui protègent Synevyr. Cela signifie que rien ni personne ne pourra entrer… Mais aussi en sortir.


 Les voix s’élevèrent, certaines, indignées, parlent de prison.


 —  Je sais, s’exclama Niguel en levant une main. C’est une mesure drastique qui va exiger beaucoup de sacrifice pour un grand nombre d’entre nous, mais nous nous confrontons à un défi extrêmement périlleux qui impose des choix difficiles. Nous ouvrirons la barrière à intervalles réguliers pour permettre des échanges avec le monde extérieur. Ces échanges seront soigneusement surveillés par la milice. Cette barrière offrira une opportunité sans équivalent aux soldats d’enquêter sur l’identité du démon qui hante nos murs. Tous les responsables et gestionnaires continueront de travailler en coopération pour assurer la pérennité de notre havre. De plus, l’armée enrôlera dès aujourd’hui tout volontaire qui désirera intégrer la protection de notre ville et servir à la défense de sa population. Merci beaucoup pour votre attention.


 Les mots sonnaient tellement creux, Micaiah ne crut pas à ce discours. Son père eut décidé d’inviter Camille sans en avertir qui que ce soit ; la mesure ne garantissait pas non plus que le monstre soit bien écarté des habitants. La réouverture au recrutement de la milice parut comme l’unique point productif. Niguel fut immédiatement arrêté par Ruslan. Leurs conversations apparurent houleuses. Couverte par les bavardages de la foule, Micaiah n’entendit rien. Après l’échange très froid entre les deux hommes, Niguel emprunta le chemin de pierre, il offrit un grand sourire à sa fille en s’approchant.


 —  Bonjour, ma Fleur. Comment vas-tu ce matin ?

 —  Père, croyez-vous vraiment à vos propos ?

 —  La situation est compliquée. Il est indispensable d’agir selon les difficultés rencontrées, mais aussi la sensibilité de la population, son état d’esprit… On ne peut pas raconter l’exacte vérité ou la panique prendrait le dessus.

 —  Cette barrière est-elle nécessaire ?


 Le visage de Niguel adopta une expression ennuyée.


 —  Elle l’est, oui. Cette protection devait être dressée tôt ou tard. Les deux se regardaient droit dans les yeux. L’homme cachait quelque chose, restait à savoir quoi. Concentre-toi sur tes études, jeune fille, c’est la seule chose réellement importante.

 —  En parlant de cela. Micaiah hésita un instant. Je voulais vous dire. Madame Westenra souhaite que je pratique un sortilège, l’Entaille. Vous devriez déjà le connaître.

 —  Et donc, quel est le problème ?


 Micaiah ouvrit les yeux en voyant son père réagir avec la plus grande indifférence. Cette totale neutralité la laissa stupéfaite.


 —  Je… désirais juste vous informer, balbutia-t-elle en réponse.

 —  C’est une étape indispensable à ta formation. Tout mage doit expérimenter la sorcellerie des ténèbres. Elle est un mal nécessaire pour se défendre. Il me semble t’avoir expliqué que la vie se montre souvent cruelle et sombre, plus qu’on ne le souhaite vraiment.

 —  Je sais… Mentir, ignorer. Seul l’objectif à atteindre doit me préoccuper.

 —  Exactement. L’autel de tes ambitions doit accepter tous les sacrifices pour se rassasier pleinement. Ne perds jamais cela de vue ou tu plongeras dans les ténèbres comme beaucoup d’autres avant toi.


 Le père laissa sa fille derrière, désintéressé par les interrogations ou la détresse de celle-ci. Il l’abandonna face aux épreuves à venir, lui accordant que de rares occasions de converser ; cela ne changea pas de l’habitude, seulement, l’isolement social actuel donna un cadre nouveau, beaucoup plus difficile à supporter pour l’adolescente en pleine tourmente. La jeune s’entraina toute la journée dans le jardin sur les victimes, plantes et animaux, assez malheureux pour croiser son chemin puis elle alla se coucher au soir, l’esprit envahi de doutes. À l’observatoire, le lendemain. Micaiah constata que Camille avait entassé une dizaine de petites bêtes sauvages dans des cages. L’enseignante n’attendit pas et posa l’une d’elles, occupée par un chat, au milieu de la table. Elle s’installa ensuite pour admirer sa disciple dévoiler le résultat de ses exercices.

 La jeune bourgeoise ferma les yeux une seconde le temps de chasser ses questions. Elle leva les mains vers sa cible. Ses doigts se mirent à luire d’une couleur violacée en parallèle d’une montée en puissance de sa concentration. Soudain, un jaillissement magique semblable à une pointe bleutée frappa la bête. Une entaille superficielle apparut entre ses poils, comme si un couteau invisible venait de le toucher. La petite victime bondit, surprise et immédiatement sur la défensive. Il se plaqua contre la partie opposée à Micaiah, grognant avec une sauvagerie primale.

 Une autre étincelle surgit et accomplit son méfait. Le chat commença à courir partout en portant de grands coups dans les grilles pour chercher à s’enfuir. Ses feulements devinrent féroces. Une troisième, une quatrième coupure ! La jeune mage lâcha un soupir en baissant les mains. Cela suffisait amplement pour la démonstration.

 D’un coup, la cage se renversa sous la brutalité de l’animal enragé. Ce dernier parvint à s’échapper de sa prison puis se faufiler par la porte entrouverte du fond, guidé seulement par l’air frais de l’extérieur. Camille leva les yeux au plafond, visiblement insatisfaite.


 —  Disons que c’est un début…

 —  Vous m’avez demandé de vous faire une démonstration du sortilège d’Entaille. C’est chose faite.

 —  Vraiment ? Tu appelles ça une réussite, donc ?


 L’adolescente fixa son enseignante.


 —  En effet.

 —  Un animal de quarante centimètres capable de s’enfuir aussi facilement après quatre attaques est un succès selon toi ? Nous n’avons pas la même définition du terme, je le crains.

 —  Je ne suis pas-

 —  Silence, aboya Camille en frappant la table de sa main. Tu as montré de bonnes performances dans tes sortilèges basiques du contrôle de la magie, mais ta sorcellerie ténébreuse s’est avérée médiocre. Je soupçonne que tu refuses d’exploiter ton plein potentiel.

 —  Vous avez vu mon maximum, je ne peux pas faire mieux.

 —  Mensonge ! Crois-tu pouvoir me tromper si aisément, ma chérie ? Camille secoua la tête. Non, tu ne peux pas, encore moins à une personne avec mon expérience. Tes ressources intérieures suffisent amplement pour augmenter l’intensité des attaques présentées, ton corps ne présente aucun signe de fatigue après tout. Je t’expose ma grande théorie : tu ne désires pas blesser tes cibles. Mais tu sais, le luxe de choisir est terminé. Tuer ou être tué, c’est la véritable nature de notre monde. Il n’y a pas d’autre option possible. Toi, ma chère, tu es une belle jeune femme et comme les roses développent des épines, toute dame de ta trempe doit apprendre à se défendre. Sans quoi, elles sont destinées à se faire dévorer par les menaces de ce monde. Camille déposa une cage contenant un lapin et le plaça sur la table. Alors à toi de choisir : Victime ou Bourreau. Camille s’essaya de nouveau et saisit un livre pour démarrer une lecture. Je veux voir les résultats de tes exercices ; ramène-moi son cadavre mutilé demain à l’aube. Et si tu ne te présentes pas ici… Je viendrai constater moi-même ta réussite.


 D’un geste de la main, Camille chassa son étudiante. Le rythme exigé durant cette période imposait un corps inanimé chaque matin. Après avoir assimilé les techniques pour blesser un adversaire à distance avec la force de son esprit, Micaiah développa la méthode pour empoisonner l’air autour d’une cible, un sortilège non létal mais douloureux. Puis, elle aborda un troisième pôle qui sembla innocent en théorie : la magie de protection. Cependant, Micaiah découvrit enfin le véritable visage de cette étrangère à ce moment. L’enseignement, cruel, consista à être criblée d’attaques contre lesquelles elle devait dresser les défenses optimales sous peine de subir la même douleur qu’elle eut infligée à ses propres victimes des jours précédents. Elle étudia trois domaines magiques des mois durant, ignorant tout autre sujet sans distinction.

 En ce qui concernait Synevyr, les disparitions cessèrent pendant un temps. Une longue période qui instilla un sursaut d’espoir dans la population. Malheureusement, la crainte continua de planer…

 À raison. Après quelques semaines, les décès reprirent, ciblant toute personne sans distinction d’origine ou de genre.

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