Chapitre 12, Retour au Foyer

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 Un groupe de neuf voyageurs atteint sa destination plusieurs heures après la tombée de la nuit. Du ciel maussade dégringolait une pluie glaciale accompagnée par les vents hurlants venus du nord. À cette pénibilité s’ajoutaient les semelles s’enfonçant profondément dans la boue. Heureusement, leur objectif s’élevait devant eux : Synevyr.

 Ou plutôt ce qu’il en restait, car en ce premier jour de printemps 2169, la ville n’était plus qu’un cadavre décharné. Cette cité si prospère ressemblait à une ombre, désormais assimilée à la forêt alentour. Le lichen rampait sur les toits, les oiseaux nocturnes nichaient sous les charpentes et les rongeurs s’enfuirent devant les bottes des nouveaux venus. La rumeur se confirmait. Les rues étaient désertes, seul un fou pouvait loger en ce lieu à présent.

 Le guerrier en tête, armé comme un chevalier médiéval, leva la main gauche pour demander un arrêt. Un crâne humain expliquait la raison. Les aventuriers se rendirent compte que « ville Désertée » n’était pas la bonne expression. Voir des ossements mire les individus à un niveau très élevé de vigilance ; par une attention bien plus aiguisée, les yeux commençaient à remarquer les squelettes visibles çà et là, souvent sous la terre ou dans les hautes herbes. Objectivement, les corps n’abondaient pas, néanmoins, les voyageurs se sentirent envahis par une forte appréhension.

 Le chef était sans conteste l’un des plus jeunes de l’équipe. Un peu plus de la vingtaine, au gabarit moyen, sportif, équipé d’une armure argentée irradiant d’une lueur magique. Une épée longue, un bouclier et évidemment un sac finalisaient son apparence. Ce paladin novice était rasé — chose rare sur ces terres —, des cheveux bruns aux boucles impeccables tombant sous les épaules. Son regard intelligent et perçant observa chaque angle avec attention, attendant une embuscade à tout instant.

 Il rouvrit la marche. Ses pas assurés s’orientaient avec précision en direction d’un lieu spécifique : la propriété Vàrgova. Des grilles mi-closes accueillirent ses premiers visiteurs depuis toutes ces années. Un grincement terrible résonna lorsque le métal tourna sur les gonds. L’ancien jardin privé était en friche. Heureusement, aucun reste humain à l’horizon.

L'entrée du manoir était verrouillée, marquée de nombreux chocs et immenses griffures infligées par de gros animaux.


 —  Au moins, les portes ont tenu le coup avec le temps… Murmura le chef de file d’un air presque soulagé avant de pivoter vers son groupe. Laissez-moi une seconde.


Il posa son sac au sol pour le fouiller. Une minute plus tard, il sortit un trousseau comportant une quinzaine de clés et utilisa l’une d’elles. Dans un gros claquement grave puis un nouveau grincement, les grandes portes s’ouvrirent.

 —  Soyez les bienvenus dans le manoir de ma famille, dis le paladin. Veuillez excuser les quelques dégâts et la poussière à l’intérieur. Nous n’accueillons pas les visiteurs impromptus après une grande coupe budgétaire.


Sur son trait d’humour, Viktor entra le premier. Le bâtiment était étonnement intact. En dehors de la saleté envahissante, meubles et fenêtres ne comportaient aucune trace de combat. La seule invasion notable était celle d’insectes et d’araignées dont les toiles se cachaient presque à chaque angle du plafond.

Le hall était immense, un lustre gigantesque pendait au-dessus des visiteurs. De nombreuses armures parfaitement alignées formaient une partie de la décoration, l’autre moitié étaient des peintures accrochées aux murs représentant des membres de la famille Vàrgova ou divers paysages.


 —  Mon Père, je propose que l’équipe se repose dans une même pièce pour assurer son intégrité.


Le titre honorifique de Père désignait un cinquantenaire, un homme de foi vêtu d’une humble tenue de voyageur aux différentes teintes brunes. Il portait autour du cou un collier duquel pendait un symbole religieux très ancien. De nombreuses rides parsemaient son visage rodé par les difficultés de ce monde, une grande barbe peignée et une longue chevelure en bon état complétaient l’apparence de cet ascète.


 —  Jeune Viktor. Le temple vous a confié la sécurité de notre équipe et vous vous débrouillez à merveille depuis le début, je continuerai à me fier à votre jugement jusqu’à la fin.

 —  Merci, répondit Viktor avec un fin sourire. Suivez-moi alors, nous allons nous installer dans la salle à manger.


Le chevalier se déplaça vers les immenses portes de droite pour atteindre directement la fameuse pièce. Cette dernière comporte une grande table de banquet, quatre accès différents, plusieurs fenêtres massives portant vers l’horizon avec de longs rideaux et, enfin, des décorations somptueuses avec des tableaux dévoilant Synevyr à son âge d’or. Il s’y retrouve même un emplacement, très humble, pour que des musiciens puissent s’installer ainsi qu’une cheminée. À quelques éléments près, tout était exagérément immense ici.

 Viktor se souvenait des quelques soirées organisées par son père. Ce n’était jamais grandiose à l’image de certains autres riches de l’ouest, mais les Vàrgova avaient de quoi protéger l’honneur de la cité. Les bottes métalliques du jeune propriétaire firent craquer le parquet.


 —  Voilà. Nous pourrons aisément nous défendre et nous reposer dans cet endroit. Nettoyons un peu avant de nous installer.


Avec l’investissement de tous les membres, la pièce devint très agréable en peu de temps. Le bois crépitant dans la cheminée et le matériel de la cuisine dans une salle adjacente, ils purent se préparer un remarquable repas, les chaises rembourrées et la table furent la cerise sur le gâteau. Toute l’équipe expérimenta un excellent moment social malgré l’ambiance morose de la ville.

 Ensuite, chacun profita du refuge confortable pour dormir profondément, confiant leurs vies à leurs camarades de garde sans hésiter. Viktor s’approcha des braises puis tendit les mains pour se réchauffer. Le froid de l’hiver persistant combiné au vent et la pluie transforma ce feu en un havre protecteur. Il gardait le groupe avec un collègue… Toutefois, son attention se tourna lorsqu’il vit une ombre passer près de lui pour s’installer devant une fenêtre. La personne était une femme, la seule de l’équipe.

 Blonde, de taille moyenne. Elle portait une robe de voyage rembourrée de fourrures, une longue cape posée sur ses épaules chétives et une écharpe blanche épaisse abritant son cou des hostilités de la nature. Ses doigts délicats trouvaient refuge dans des gants de cuir usés par d’inlassables travaux manuels. Elle contempla l’horizon, expression fermée, ses yeux saphir fixés sur la silhouette des montagnes au loin.

 —  Cela fait tant de temps et à la fois si peu que nous sommes partis, démarra Viktor en regardant sa voisine.

 —  Laisse-moi tranquille, Vàrgova, riposta la magicienne d’un air désagréable.

 —  Je sais que tu dois être d’une humeur noire, mais…

 —  Je t’ai dit de me foutre la paix.

 —  Arrête d’avoir autant de venin, Bathya.


La femme se tut. La pluie gagna en intensité et le grondement lointain d’un orage signala son arrivée future. Les deux jeunes admiraient l’eau marteler les vitres. Viktor était un homme sociable, il ne lâcha pas le morceau si facilement. Il s’approcha de la fenêtre où Bathya se trouvait.

 —  Je me souviens encore de l’époque où cette pièce était bondée… Mon père affectionnait les soirées avec ses amis. À l'inverse, ma mère détestait avoir à gérer des regroupements d'invités une fois tous les deux jours.

 —  Ah bon ? Bathya tourna la tête vers son interlocuteur, toujours froide, mais également un peu curieuse.

 —  Oui. Elle chérissait la pâtisserie. Viktor eut un petit rire et un sourire nostalgique. Néanmoins, recevoir signifiait l'impossibilité de s’amuser devant les gamelles. L’équitation se trouvait en deuxième position sur ses passions, d’ailleurs.

 —  Sport de riche.

 —  Eheh, il me semble t’avoir proposé de nombreuses fois de venir faire du cheval à l’époque. Tu as toujours refusé mes offres.

 —  J’aime pas les animaux, réagit Bathya en détournant son regard vers l’eau de pluie ruisselant sur la fenêtre. Je sais pas pourquoi.

 —  Ce n'est pas très grave. Un moment de silence s’éleva ensuite, mais Viktor prit à nouveau la parole cette fois avec un ton bien plus sérieux. Crois-tu que nous découvrirons quelque chose ?

 —  Oui. Je me serai pas emmerdée à venir ici sinon. Et puis, je voulais voir les choses de mes propres yeux.

 —  Nous sommes deux. Lorsque nous trouv…

 —  J’ai pas envie de parler, interrompit la femme. Elle fixa son voisin avec dureté. Je n’ai pas envie de social. C’est pas contre toi, Vàrgova, je veux juste être tranquille et me concentrer sur la mission.

 —  Je sais, mais nous avons aussi besoin d'une fenêtre par laquelle respirer vu le passif que nous portons.

 —  Toi peut-être. Pas moi. Bathya se redressa pour aller en direction de l’entrée du manoir. Moi je veux juste être seule.


La femme sortit du bâtiment. Le porche, avec son toit avancé, offrait un abri acceptable à la pluie battante. Élevée à la dure dans ce climat, Bathya s’appuya contre un mur proche, loin d’être dérangée par la météo actuelle. Ses sens attentifs se concentraient sur les sons de l’orage, remède naturel à son agitation.

Deux heures du matin. Même avec l’eau et les yeux fermés, Bathya ne trouva pas le moindre signe de sommeil. En rouvrant les paupières, elle nota plusieurs lueurs étranges émanant de divers points de la ville. Sa curiosité piquée au vif, la femme réfléchit plusieurs secondes avant d’agir ; des théories passèrent dans son esprit. L’événement était artificiel au mieux, surnaturel au pire, d’autant qu’aucune vie humaine n’est supposée rôder dans ces rues. L’unique moyen de percer à jour la vérité est de voir cette source mystérieuse. Désirant en avoir le cœur net, Bathya attacha son chapeau pour qu’il ne s’envole pas sous l’effet du vent et brava l’orage afin d’enquêter.

Après avoir dépassé la herse principale, ses pieds foulèrent une énorme mare d’eau. Le ruissellement nettoyait le pavé de sa boue. Bathya écrasa les touffes d’herbes poussant entre les pierres, l’attention pleinement dirigée vers cette lumière mystérieuse. Des souvenirs lointains de son enfance refluaient en même temps qu’elle traversait les rues et allées. Et elle finit par sa destination, un lieu choisi, motivé par une curiosité morbide. Le quartier des artisans, l’endroit même où sa famille et ses relations vivaient.

Des étals délabrés étaient encore à leurs places. Pire, son propriétaire se trouvait derrière. Pas un corps ou un squelette, mais l’incarnation spirituelle de sa personne… Un spectre. Une silhouette turquoise, brillant d’une lumière éthérée au milieu de la pluie. Il n’était pas seul. Une dizaine de ces êtres erraient sans se préoccuper de la présence de leurs voisins.

Bathya redécouvrit l’ersatz de sa ville par l’intermédiaire de ces visages familiers. Des femmes en large majorité. À l'image des autres revenants du monde, ces âmes vagabondes revivaient éternellement une période particulière de leur existence, le cœur rempli d’émotions négatives comme l’angoisse ou la peur. Condamnés jusqu’à ce qu’une personne vienne leur accorder la paix.

La magicienne soupira face à ce spectacle. Il arrivait que certains villages soient hantés… Rien ne l’avait préparée à apercevoir tant de fantômes sur un espace si réduit, pourtant, elle n’en fut pas étonnée pour autant. Sachant que les spectres pouvaient se montrer agressifs envers les êtres humains, la femme rebroussa chemin jusqu'au manoir Vàrgova et tenter de s’y reposer quelques heures.


Le matin suivant, une pénombre persistait à cause de l’épaisse cellule orageuse, mais la lumière suffisait pour se voir sans employer de magie ou de torches. Sous l’ordre de Viktor, tout le monde se réunit autour d’une carte de Synevyr.

 —  Nous allons diviser notre équipe en deux. Je mènerais le premier groupe au centre-ville pour enquêter dans les deux anciens établissements ici et là… Il indiqua la plus grande taverne ainsi qu’une zone de riches appartements. Il posa ensuite son doigt sur le chemin devant la propriété de sa famille et remonta celui-ci jusqu’à un terrain un peu isolé de la ville. La seconde moitié d'entre nous empruntera la route pour rejoindre l’Observatoire. Mon père, je vous confie cette équipe.

 —  À vos ordres, Mon garçon, répondit l’intéressé en hochant la tête. Puis-je être informé sur les raisons conduisant à ne pas inspecter d’autres bâtiments ?

 —  Ma famille avait accès à un réseau de connaissances. Nous savions que Niguel Belmont fréquentait régulièrement cet établissement pour se réapprovisionner en produits rares. Ensuite, certains de ces appartements étaient habités par des amis proches de Niguel et concernant l’Observatoire, celui-ci était le lieu principal d’étude dirigée par la famille Belmont. En remontant les routes de cette façon… Il expliqua le trajet des deux groupes l’un après l’autre. Nous nous réunirons devant le portail du jardin public puis nous ferons nos recherches tous ensemble sur la propriété des Belmonts. Aucune des équipes ne pénètre seule dedans. N’oubliez pas que nous risquons d’affronter entre deux et quatre adversaires capables de réduire une ville comme Synevyr en ruine. Soyez très vigilants. Dans le cas où un ennemi de nature démoniaque ou vampirique surgit, ne jouez pas aux héros et envoyez sans réfléchir un signal de détresse pour avertir l'autre groupe.


Tous hochèrent la tête. Les derniers préparatifs terminés, les deux équipes se séparèrent. Bathya accompagna le prêtre jusqu’à l’Observatoire. Par sa position isolée, ce bâtiment avait subi quelques dégâts visibles par ses nombreuses vitres brisées. Les touffes de poils et quelques petites traces de sang séché trahissaient des combats entre bêtes. Coups de griffe, livres détruits, meubles retournés voir cassés... Il y avait peu de chose à fouiller et, à la fois, beaucoup à accomplir pour une enquête complète.

 —  Monsieur Harker, je vais chercher dans les papiers, je vous laisse les livres.


Le prêtre hocha la tête puis regarda les deux autres hommes.


 —  Nous comptons sur vous pour inspecter les traces et déplacer les obstacles gênants. Navré d'avoir à vous demander cela.


Chacun s’appliqua dans son travail. Bathya avait appris la lecture ces dernières années, toutefois, elle n’était pas la plus efficace en la matière. Monsieur Harker, habitué depuis son enfance à consulter des ouvrages religieux, pouvait parcourir les livres gravement abîmés rapidement. Les données récoltées s’avérèrent décevantes. Les traités scientifiques et magiques restant de précédents locataires n’apportèrent aucun savoir sur les Belmonts. Quant aux dégâts dans le bâtiment, rien n’était dû aux fruits d’action humaine.

L’Observatoire tint son nom. Au-dessus du salon, au centre de la petite tour, reposait un dortoir avec quelques lits ; au sommet, un imposant télescope de l’ancienne civilisation encore aujourd’hui pointé vers le ciel. Cette salle était pratiquement intacte si ce n’est une importante infiltration d’eau causée par les pluies. Les livres présents abordaient l’astrologie, des études sur la grande catastrophe et le mithril. Bathya garda avec elle tout ce qui concernait le dernier sujet. Finalement, le groupe ressortit bredouille deux heures après être entré.

Sans obstacle ni danger, ils contournèrent la majorité des quartiers jusqu’à rejoindre les grilles ceinturant le parc public. Bathya approcha en première, prenant le temps d’admirer ce parc repassé à l’état sauvage. Tous ces beaux tapis de fleurs, tous ces buissons toujours si bien taillés, toutes ces fleurs colorées autrefois présentes d’année en année ont laissé place à une masse végétale inhospitalière, sans forme ni organisation.


« La fierté de Synevyr… Un cadeau empoisonné. »


 —  Mademoiselle Lyssenko ?


La jeune femme tourna la tête vers son groupe qui l’attendait comme le voulaient les ordres de ne pas se séparer.


 —  Désolée.

 Ils poursuivirent la route pour atteindre la grande entrée du jardin. Première arrivée, l’équipe deux prit son mal en patience. Cela permit une contemplation des chemins. Bathya fixa le sentier principal, dérangée par un élément dont elle ne parvenait pas à saisir la nature. Ce sentier artificiel, fabriqué par de petites pierres beiges concassées, avait résisté à l’épreuve du temps.


 —  Les voilà.


Tous tournèrent la tête vers l’avenue menant au centre-ville. Viktor et ses camarades approchaient, le pas dynamique.

Une fois réuni, le chef sourit.


 —  Aucun problème de votre côté ? Avez-vous trouvé quelque chose ? Je crains que non, rétorqua monsieur Harker. Et vous ?

 —  Des factures et des lettres, toutefois, leurs contenus ne m’ont pas apparu suspects. Nous les avons tout de même emportés pour une analyse plus poussée. Peut-être parviendrez-vous à découvrir un message que nous n’avons pas perçu, mon Père.

 —  Chaque chose en son temps, surtout s’il n’y a pas d’élément inhabituel.

 —  Mh, mh… Viktor hocha la tête. Passons à la propriété des Belmonts. Nous allons dans un premier temps inspecter le jardin pour nous assurer qu’aucun indice ni aucun piège ne s’y trouve. Ceci fait, prêtres et sorciers se chargeront de scruter les protections magiques potentielles puis nous nous engagerons par la suite dans le manoir. Tenez-vous prêts à tout.


 L’ambiance lugubre de Synevyr invitait à la plus grande prudence. En l’absence de défense, le groupe entra sur la propriété privée, suivant les chemins d’autrefois pour examiner tout ce que la famille maudite aurait pu cacher dans cette végétation.

 Rien ! Une heure entière à regarder vainement chaque recoin sans obtenir de résultat. Ce n’est qu’une fois devant la crypte que Viktor prit une lente respiration, son flair sentait de possibles découvertes. Les anciennes sécurités brisées par Micaiah quelques années plus tôt n'existaient plus depuis si longtemps qu'aucune trace magique ne résidait encore dans la structure. Concernant la grille, elle était grande ouverte.

 Le chef d’équipe refusa d’entrer, privilégiant une étude par les spécialistes de l’occulte avant d’exposer qui que ce soit à un danger potentiel.


 —  Je préfère que la majorité reste à l’extérieur, les escaliers sont étroits, nous n’avons pas besoin de tous y descendre. Il regarda le prêtre un instant puis nota la silhouette aux vêtements sombres de Bathya juste derrière. Bathya, accompagne-moi. Mon Père, je vous confie la sécurité de tout le monde en mon absence.


Les plus âgés hochèrent la tête, acceptant cette décision pourtant beaucoup plus émotionnelle que logique. Viktor dégaina son arme par prévention, leva sa main et utilisa la magie blanche présente dans son gantelet pour illuminer le chemin devant lui. Avec Bathya qui emboîta son pas, ils descendirent tous les deux ces escaliers en colimaçon.

Une vingtaine de secondes plus tard, ils arrivèrent dans le sous-sol. Les tombeaux des Belmonts étaient là, tous les quatre et les cercueils de bois s’y trouvaient également. Une seule chose avait réellement changé depuis le passage de Micaiah quatre ans plus tôt : un amoncellement d’ossements humains entassés sur la partie gauche de la pièce. Une pile haute de plus d’un mètre de dépouille… La plupart étaient décédés depuis quelques années, d’autres semblaient plus récents, le corps desséché et la peau encore en décomposition.

Une odeur putride envahissait la salle. Viktor et Bathya se cachèrent le visage, résistant aux nausées qui s’emparaient d’eux. Le jeune homme s’occupait d’inspecter les tombes une à une, son accompagnatrice gardait ses yeux fixés sur les cadavres, afin de s’assurer que l’un d’entre eux ne vient pas à se réveiller.

 —  Nous devons recenser la quantité de personnes décédées, souffla le paladin en repoussant le dernier cercueil.

 —  Combien est-ce que tu en as trouvé déjà ?

 —  Treize. J’exclus la famille Belmont, ils ont succombé depuis très longtemps.


Bathya hocha simplement la tête en soupirant. Les deux s’approchèrent des défunts sans sépulture et se mirent à compter le nombre de crânes. Un travail macabre, tristement nécessaire en mémoire à toutes ces personnes. Aucun des deux ne souhaitant manipuler les restes, ils préférèrent employer l’épée de Viktor comme outil.

 —  63, termina le paladin en baissant son arme. 76 au total.

 —  Tu as pas remarqué quelque chose d’étrange depuis qu’on est arrivé ? réagit Bathya à voix haute.

 —  Le devrais-je ?

 —  Le sentier principal. Les corps frais ici… Et même en venant jusqu’à la crypte.


Viktor ouvrit les yeux en grand, il comprit immédiatement.

 —  Es-tu en train de supposer que l’un des Belmonts vit encore au manoir ?

 —  Avec les routes et cette... découverte. C'est probable.

 —  Tu as raison, répondit l'homme à voix haute. Les preuves étayent cette théorie. Remontons prévenir le reste du groupe.

 —  Ouais… Mais lorsque Viktor arriva à hauteur des escaliers, sa vieillie amie réagit. Hé, Vàrgova.

 —  Oui ?

 —  Merci, elle détourna le regard, n’osant pas fixer son interlocuteur dans les yeux. De m’avoir fait venir avec toi.


Le bourgeois sourit.


 —  Bathya. Je n’ai pas perdu mes deux parents comme toi. Ma mère est encore en vie… Pourtant, ta colère, ton incompréhension… Je les ressens avec une intensité similaire. Je voulais m’excuser pour hier, je me suis montré insistant. J’avais besoin d'une personne capable d'approuver mon sentiment… J'avais oublié à quel point tu étais plus sauvage, que ce n'était pas adapté à notre relation.

 —  T’es en train de sous-entendre que je suis une pauvre ?

 —  Ah ah. Viktor ricana. Mais non, pas du tout ! Tu es simplement plus solitaire, tu gères tes problèmes seule. Je n’ai pas cette force.

 Bathya passa près de son compagnon et lui accorda un petit sourire.

 —  Mais si, regarde. T’es ici maintenant. T'as eu le courage aussi de revenir. On est juste deux à avoir eu ce cran.

 —  C’est vrai… Tu as raison.


Les deux amis remontèrent à la surface, faisant part de leurs découvertes et leurs observations à leurs collègues. Leurs conclusions se confirmèrent au moment où personne ne réagit par la surprise. Chacun ayant l’idée de croiser un ennemi bientôt, l’équipe se dirigea enfin vers l'épicentre des maux de la région.

Le manoir parut endormi. Les voyageurs notèrent plusieurs données importantes à l’instant même où ils grimpèrent les marches menant en direction des portes principales. En excellent état, aucune végétation n'osait escalader ses murs à la différence des autres constructions de la ville. Aucune marque de griffe, aucun signe d’irruption ou de destruction. Ni les plantes ni les animaux sauvages n’avaient touché le bâtiment. Tous les individus munis de perceptions surnaturelles diraient avec une complète assurance que la responsabilité provenait de l’énergie ténébreuse pulsant à l’intérieur. En effet, du premier étage de l’aile nord émanait une source de pouvoir inconnue, faible mais présente.


 —  Dragan, est-ce dangereux ? demanda Viktor en regardant le spécialiste.


Dragan est un type à la tenue d’aventurier sans la stature solide qui va avec. Chétif, petit et discret, c’est aussi le principal sorcier du groupe. Il a des cheveux courts, des yeux bruns et une barbe mal rasée qui rappellent davantage les hommes venus des pays du sud.

 —  Non. Ce qu’on ressent est un rituel encore actif. Le sceau semble avoir faibli avec le temps donc je doute que l’on soit en présence d’un envoûtement puissant. Restons vigilants, mais ce n’est pas un système défensif pour moi.


Monsieur Harker et Bathya hochèrent la tête, rejoignant l’avis du magicien. Rassuré, Viktor tourna la poignée pour découvrir une porte verrouillée de l’intérieur.

 —  Fermée. Tentons la serre.

 —  Non, intervint un autre guerrier présent. Pardonnez-moi, Monsieur Vàrgova, mais cette fois, vous vous montrez beaucoup trop prudent et respectueux pour votre propre bien.


Un grand coup de pied suffit pour voir l’entrée s’ouvrir brutalement. Les éclats de bois ricochèrent un peu partout dans un fracas puis tous les soldats pénétrèrent dans le manoir avec leurs lames en argent dégainées. Les yeux passèrent chaque accès, chaque angle, chaque ombre au crible, effectuant une zone de contrôle comme de véritables professionnels.
L’intérieur était silencieux. Une pénombre surnaturelle régnait dans ces salles ; même la lumière ensorcelée des équipements n’aidait pas à observer au-delà de quelques mètres. En opposition au reste de cette ville, tout était propre, sentait la cire ou le feu de cheminée. Les températures agréables et l’entretien mystérieux mirent les voyageurs mal à l’aise.

L’ambiance malaisante du manoir pesait avec son linceul d’obscurité consumant cet intérieur pétrifié dans le temps. La mort rôdait, les fantômes erraient dehors… Cette demeure de meurtriers ressemblait trait pour trait au jour où Bathya et Viktor furent invités par Micaiah il y a cinq ans. Au loin, le bruit rythmé de plusieurs horloges continuait de résonner dans la bâtisse en bois.

Viktor était particulièrement tendu. Son épée tremblait légèrement, l’un de ses collègues posa sa main sur son épaule.


 —  Détends-toi, Petit. Tu n’es plus seul.

 —  Mh… Oui. Le chef d’équipe souffla un bon coup et parla à voix basse. Restez prudents, si les pendules fonctionnent, cela signifie que quelqu’un vit encore ici. Démarrons sur la gauche.


Ce n’est pas lui, mais l’homme le plus expérimenté qui passa en premier, Viktor lui emboîtait le pas de près suivi par ses alliés. En arpentant les ténèbres surnaturelles de la zone, ils notèrent une lueur étouffée émanant par delà une arche en chêne. Les guerriers s’engouffrèrent tous dans le salon en brandissant leurs armes, ainsi, ils formèrent un périmètre défensif en un instant.

 Cette salle n’était plus qu’une ombre de son allure d’autrefois. Tous les rideaux restaient fermés pour empêcher la lumière d’entrer. La plupart des meubles comme la table de repas avec ses chaises ou les paravents furent poussés contre les murs pour maximiser l’espace de passage. Et une ancienne odeur de cendre désagréable flottait.

 Les visiteurs notèrent la présence d’une frêle silhouette debout en face de la grande cheminée allumée. Un vieillard dégarni, ridé, écrasé par le poids de l’âge et des épreuves, se présentait devant les nouveaux venus. Néanmoins, malgré sa tenue chic, il brandissait un pistolet vers les intrus de sa main tremblante. Son corps n’exprimait aucune peur seulement de l’épuisement.

 —  Posez votre arme ! hurla l’un des soldats.

 —  Allez-vous-en, répondit l’inconnu solitaire. J’ai dit, posez votre arme.

 —  Calmez-vous ! Calmez-vous ! cria ensuite Viktor pour imposer un semblant d’ordre. Calmez-vous, ce n’est qu’un vieillard.

 —  Viktor, ne baisse pas ta garde. Nous sommes en territoire ennemi !

 —  Ce n’est pas nécessaire d’agir de la sorte. Je vous l’assure. Viktor, pourtant, gardait son épée brandie vers la personne âgée. Vous êtes bien Edgar Partyka, n’est-ce pas ? Je suis Viktor Vàrgova. S’il vous plaît, baissez votre arme et nous ferons de même.


Le vieil homme fronça les sourcils en regardant Viktor un moment. Soudain, une violente quinte de toux longue d'une dizaine de secondes l'incita à baisser son canon, faute d'énergie physique.

Edgar commença à parler d'une voix faible, cassée, depuis trop longtemps inutilisée.


 —  Vous n'auriez jamais dû revenir ici, mon garçon.

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