Chapitre 7

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Des vestes à boutons dorés. Des pantalons aux ourlets repassés. Des chaussures pour toutes les heures de la journée. Des chemises à ne plus pouvoir en compter. STOP AVEC TOUS CES PUTAINS DE VÊTEMENTS !

— Que dites-vous de ce sublime ensemble vert émeraude accompagné d’une touche de lavande, votre altesse ?

— J’ai également ceci à vous proposer ; il s’agit d’une mousseline rose des prés accompagnée d’une redingote d’un azur aux teintes de ciel ensoleillé.

Les deux servantes étaient tellement émoustillées qu’elles n’attendaient même pas la réponse de Rhys pour lui faire essayer les habits et partir à la recherche de nouveaux. Elles s’activaient autour de lui, les bras couverts d’étoffes en tout genre, babillant sur les couleurs qui s’accordaient le mieux à son teint.

Évidemment, Rhys n’en avait strictement rien à faire. À vrai dire, il était difficile de trouver une activité dont le jeune danseur se préoccupât vraiment. Un prince se devait d’être exigeant, assurément, mais Rhys… Était Rhys. Et c’était déjà beaucoup à son humble avis. Il était difficile à qualifier et difficile à satisfaire ! Et si voyager dans une robe déguenillée pendant des semaines lui avait convenu, l’idée de porter toutes ces dentelles ne lui plaisait guère. Se déguiser en femme paraissait dès à présent une excellente idée. Au moins, les robes qu’elles vêtaient possédaient un charme et une élégance réservée à la gente féminine. Tandis que les costumes pour hommes…

Le nouvel héritier poussa un autre soupir. Tout à sa complainte intérieure, il ne fit guère attention à ce qu’il enfilait. Au point où il en était, peu importe les costumes de foire qu’il allait revêtir. C’était tout du moins ce qu’il pensait, jusqu’à ce qu’il sorte de la cabine d’essayage démesurée. Le jeune héritier se préparait déjà aux babillages des servantes qui l’accompagnaient, mais sa sortie ne reçut qu’un long silence qui s’éternisait, perdurait, continuait, se prolongeait… Pour finalement s’éteindre dans un rire étouffé. Ce dernier provenait du comptoir, où une jeune femme tenait la caisse. Elle tenta de camoufler son rire par quelques toussotements, en vain.

— Vous n’avez pas honte de rire ainsi d’un héritier à la couronne ! s’écria l’une des servantes (Hélène, croyait se souvenir Rhys).

Malza, la seconde dame en charge du danseur, s’empressa de pousser ce dernier dans la cabine d’essayage pour le cacher, prenant soin de tirer les rideaux au maximum. Elle se planta ensuite devant, pieds écartés, droite comme un i, bras croisés, le regard noir, prête à défier quiconque oserait s’approcher. Rhys, inconscient du garde du corps placé devant sa cabine, se regarda dans la glace, déboussolé.

— AH ! Y’a quelqu’un qui va y passer c’est sûr ! s’insurgea-t-il.

Évidemment, le jeune héritier s’était retrouvé, une fois de plus, affublé d’un costume ridicule. Après le poireau orange, il s’était métamorphosé en une grosse pomme de terre. Il portait, en tout élégance, un pantalon ample ainsi qu’une chemise dont la dentelle formait un tutu plateau sur ses hanches. Bien sûr, pour couronner le tout, il avait le droit à une veste bouffante qu’il lui rajoutait au moins vingt kilos et dont la collerette s’élevait derrière sa tête. Tout cela d’un sublime jaune fluo.

Alors qu’il s’égosillait mentalement, Hélène enguirlandait la vendeuse pour son rire mal venu. Elle en vain pratiquement à la menacer de la peine de mort, lorsque Malza l’interrompit :

— L’écartèlement serait davantage préférable à la pendaison.

Rhys, qui tentait toujours de se défaire de l’immonde habit qu’il revêtait, n’entendait pas un traitre mot de ce qui était dit à l’extérieure de la cabine. La vendeuse se liquéfia, puis s’enfuit en courant, les larmes aux yeux. Les deux servantes échangèrent un hochement de tête complice. L’héritier sortit à ce moment, en simple chemise blanche et pantalon ajusté. Cette tenue lui convenait bien plus que toutes celles qu’il avait essayées, tant par sa confortabilité que sa simplicité (surtout sa simplicité).

— Je vais prendre ça, annonça-t-il.

Hélène esquissa une grimace tandis que Malza le jaugeait de la tête au pieds.

— Si tel est votre souhait… Nous emportons également tous les vêtements que vous avez essayés.

— Quoi ?! Non, celui-ci suffira !

— Hors de question, un héritier ne peut se contenter d’une seule tenue dans sa garde-robe !

Rhys pouvait apparemment.

— De toute manière, on ne peut pas se permettre de payer tout ça ! se défend-t-il.

— Le coût n’est pas un problème. Sans compter qu’aujourd’hui est un jour où tout est gratuit, annonça fièrement Malza.

Le jeune danseur regarda les deux servantes tour à tour, certain qu’elles lui jouaient un tour. Il chercha du regard la vendeuse pour tenter d’avoir une explication, mais ne la trouvant nulle part, il dut se contenter des paroles de Malza.

Ainsi se termina l’après-midi shopping où Rhys avait essayé tant de vêtements colorés qu’il ne pouvait plus distinguer le rouge du bleu. Il rentra au palais, flanqué de ses deux servantes qui le considéraient comme la huitième merveille du monde. Les gardes s’inclinèrent sur leur passage et Rhys crut distinguer celui qui lui avait fait passer un interrogatoire avant de soudainement s’éclipser pour une partie de jambes en l’air. Ce souvenir le fit soupirer, mais pas autant que la vue de Zéphyr qui lui faisait de grands signes depuis l’une des fenêtres.

— RHYYYYS ! Houhouuuuu ! Ne bouge pas, J’ARRIVE !

Merde. Le jeune danseur refourgua tous les sacs à ses deux servantes avant de prendre la poudre d’escampette. Il courut à tout allure jusqu’aux jardins qui constituaient de vrais labyrinthe. Lorsqu’il fut trop épuisé pour continuer de courir, il sauta dans un massif de fleurs azur. Son entrée fracassante eut le mérite de créer un énorme trou dans le buisson et de déchirer un pan de sa chemise.

— Damnation ! Ma seule tenue acceptable !

— RHYYYYYYYYYYS ! Où es-tuuuu ?

Un frisson parcourut le corps de l’héritier à la simple entente de ce hurlement. Il ne va pas me trouver, il ne va pas me trouver, il ne va pas… Une main l’agrippa soudain par le col et le tira brusquement hors du massif.

— Est-ce que je peux savoir ce que tu es en train de faire exactement ? l’admonesta sévèrement Astyal.

Il poussa un soupir de soulagement en voyant la jeune brune avec son air renfrogné. Il était sauvé de Zéphyr, pour l’instant.

— Je fuis Zéphyr. S’il te plaît, laisse-moi me cacher !

— Hors de question, un héritier ne se cache pas comme un lâche. Il fait face à la menace et la vainc d’un seul regard !

Rhys gémit, tenta de s’échapper, mais Astyal le tenait fermement. Zéphyr arriva à cet instant précis, tout guilleret, comme à son habitude. Son visage s’illumina en voyant sa princesse bien-aimée et il s’élança vers elle, petit soleil à lui tout seul. Il se jeta au cou de Rhys, les projetant tous les deux à terre.

— Tu me fais mal ! Lâche-moi !

— Rhyyys !

— Lâche ! Méchant chien !

Astyal contempla les deux idiots, l’un se débattant comme si sa vie en dépendait, l’autre accroché comme un koala accroché à sa branche. Lorsque l’apprenti Attributeur de Rois consentit enfin à relâcher l’héritier, il s’empressa de se relever pour saluer la domestique.

— Coucou Astyal !

— Salut Zéph.

Zéph ?!

— Merci de l’avoir empêché de s’enfuir !

Rhys regarda les deux adolescents, encore au sol, couvert d’herbes, de terre et de pollen des fleurs bleues. À son plus grand désespoir, Zéphyr et Astyal s’entendaient à merveille, si bien qu’ils s’arrangeait toujours pour l’empêcher de fuir. Ils constituaient à ses yeux désespérés un duo infernal.

— Rhys, ce n’est pas l’heure de ton entraînement avec Ferzel ? demanda soudainement Astyal.

Avec l’air le plus innocent possible, le danseur dénia cette question. Le duo infernal échangea un regard, puis chacun prit un des bras du jeune homme et le tira en direction du palais.

— Qu’est-ce que vous faites ?! Arrêtez ! Stop !

— On t’emmène à ta leçon avec Ferzel.

— Mais puisque je vous dis qu’il n’y a pas d’entraînement aujourd’hui !

C’était faux, bien sûr, et les deux autres en avaient conscience. Rhys ne se découragea pas pour autant, continuant de nier tout le temps que dura le trajet. Lorsqu’ils furent sur le pas de la porte de l’horrible bonhomme qui se chargeait d’inculquer les manières à l’héritier, Rhys en vint même à supplier ses deux compagnons de le laisser partir.

— S’il vous plaît, je vous dis qu’aujourd’hui est un jour libre ! On va le déranger et il va entrer dans une colère monstre ! Allez !

Comme il savait parfaitement que ses charmes n’auraient aucun effet sur la jeune femme, le danseur se tourna vers Zéphyr, plein d’espoir. Ce dernier le regarda longuement avant de déclarer, tout en toquant à la porte :

— Si tu portes une robe, j’y réfléchirai !

— Qu’est-ce que…

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase : le battant s’ouvrit sèchement dans un grincement horrible. Un homme immense apparut dans l’encadrement de la porte. Son ombre envahit le couloir tout entier et son regard remplit d’orage plongea Rhys sous une pluie battante.

— Héritier Cétout, vous êtes en retard.

Monsieur Cétout ne parvint qu’à peine à balbutier des excuses, soutenu par ses deux acolytes qui s’empressèrent de saluer Ferzel, avant de déguerpir avec bravoure. Le géant se décala pour laisser entrer Rhys dont les jambes flageolantes menaçaient à tout instant de le faire tomber.

Le seigneur Ferzel était un homme strict dans l’apparence et le caractère. Son rôle consistait à apprendre l’étiquette aux héritiers qui possédaient des lacunes en la matière. Notre jeune danseur était donc la proie idéale pour ce vautour sinistre. Et malheureusement pour lui, leur première rencontre fut un désastre, dès les premiers échanges :

— Héritier Cétout, on m’a avertit que vous aviez de sévères retards en ce qui concerne les bienséances. Je suis chargé de parfaire votre éducation, ou du moins, de la combler. Veuillez m’appeler Seigneur Ferzel lors de nos leçons.

— Seigneur Fier Zèle ?

— Seigneur Ferzel.

— Bretzel ?

— Ferzel.

— Fier Zèbre ?

— FERZEL ! SEIGNEUR FERZEL !

Ainsi c’était déroulé leur première rencontre pour le moins… palpitante. Depuis, Ferzel ne pouvait pas encadrer le jeune héritier, tandis que ce dernier tremblait à chacune des leçons qu’il recevait.

— Sachez, Héritier Cétout, que votre présentation officielle à la cour approche à grands pas. Il est impératif que vous soyez près lorsque vous serez présenté à vos semblables, j’espère que vous comprenez ça.

Les sourcils de l’instructeur s’élevèrent pour former une courbe singulière, tandis que sa mâchoire tentait d’esquisser un sourire. La grimace qui en ressortit manqua de faire s’évanouir le jeune danseur.

— Il est évident que vous êtes d’une nullité dans tous les domaines indispensables à la cour…

— Hé ! Je sais manier le couteau !

— …aussi, j’espérais que vous auriez un talent caché qui pourrait vous faire bien voir de notre société.

— La danse.

— Vraiment ? Vous êtes tellement maladroit qu’il est incroyable que vous ne soyez pas déjà mort, j’ai du mal à croire que vous sachiez esquisser deux pas de danse sans tomber.

Vexé, Rhys s’empressa de pousser la chaise qui encombrait l’espace, ainsi qu’un chariot de domestique. Il déboutonna sa chemise où des taches vertes, brunes et jaunes s’étalaient en aquarelle. Il l’ignorait, mais Astyal et Zéphyr tenait un poste d’observation depuis une autre aile du palais. Zéphyr avait réussi à mettre la main sur un étrange objet qui s’apparentait à des jumelles et qui s’utilisait en mer. Le duo infernal avait coutume d’observer l’héritier en toute circonstance. Aussi, lorsqu’il déboutonna sa chemise et grimpa sur une table, Zéphyr qui tenait les jumelles vira rouge tomate, se mit à saigner du nez et tomba en arrière.

— Zéph ?! Qu’est-ce qu’il se passe ?!

— Ayayayacdejondjz.

Astyal s’empressa de le relever et prit à son tour les loupes grossissantes pour voir Rhys fermer les yeux et se concentrer. Ses bras s’élevèrent au-dessus de sa tête, redescendirent devant son visage, une main sur le cœur, l’autre tentant de fuir. La grâce de ses mouvements étaient sans pareille. Ses pieds glissèrent sur le bois poli de la table, en harmonie avec le reste de son corps, puis il prit son élan et sauta. Zéphyr poussa Astyal pour avoir le droit d’observer grâce à l’une des jumelles, juste à temps pour voir Rhys braver la gravité et s’écraser contre le mur.

Alors qu’Astyal explosait de rire, que Zéphyr retenait ses larmes et le sang qui gouttait de son nez, Ferzel soupira et releva le jeune héritier dont la chute l’avait sonné.

— Quelle danse en effet, grommela l’instructeur.

— Hé ! Je sais vraiment bien danser ! C’est pas ma faute s’il y avait un mur sur mon passage !

— Oh oui, voudriez-vous qu’on le fasse démolir, votre éminente Altesse ?

De colère, Rhys quitta la salle. Aussitôt eut-il fait quelques pas à l’extérieur que Seigneur Bretzel le coursa. Le malheureux danseur crut à une blague, mais en voyant l’air ténébreux de son enseignant, il se mit à courir de toutes ses forces.

— AU SECOUUUUURS !

Astyal qui observait avec attention la course poursuite contenait à peine son fou-rire.

— Ça fait bien dix ans qu’on a pas vu le snock courir comme ça !

Zéphyr se joint à elle dans son hilarité. Aucun des deux ne pensa à venir porter secours à l’héritier, bien entendu. Rhys réussit l’exploit de traverser le château en seulement quelques minutes, bien que suivi de très près par Ferzel.

— BORDEL ! JE VEUX QUITTER CE PAYS !

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