Chapitre 8

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— Tiens-toi mieux ! Redresse les épaules, relève la tête, serre ton ventre !

Astyal donna une légère tape contre l’abdomen de Rhys. Celui-ci retint un soupir et manqua de s’affaisser plus qu’il ne l’était déjà. Une demi-heure que le duo infernal le martyrisait pour parfaire ses manières. Seigneur Bretzel suffisait, il ne fallait pas exagérer non plus ! Mais ses deux compagnons y tenaient : il lui fallait apprendre le plus de choses possibles avant son entrée à la cour. Entre Astyal qui le considérait comme le joyau d’une révolution contre la noblesse, et Zéphyr qui ne cessait de l’appeler « princesse », il était vraiment mal barré.

Ce qu’il ne comprenait pas, c’était la façon dont les deux tyrans faisaient pour avoir autant de temps libre. D’une manière ou d’une autre, ils devaient bien être appelés par leur statut à un moment donné ! Alors pourquoi fallait-il qu’ils soient constamment sur son dos ?! Rhys soupira de plus belle, provoquant un nouveau sermon d’Astyal. Cette fille était démoniaque, il l’avait toujours dit.

— Tu es un cas désespéré. À ce stade, autant abandonner et t’apprendre à supplier, s’exclama la jeune domestique.

Le jeune héritier s’abstint de rétorquer. Il jeta un regard vers Zéphyr, recherchant un soutien de sa part, mais le jeune apprenti Attributeur de Rois était pleinement absorbé par sa lecture, tant et si bien qu’il n’avais pas entendu un traître mot de l’échange. Tandis que Rhys s’interrogeait quant à la nature de ce qu’il lisait (ou même du fait que Zéphyr sache lire !), Astyal le libéra des deux seaux qu’il portait à bout de bras. Le danseur soupira d’aise en se voyant ôté des poids et s’accorda ainsi un coup d’œil vers le bas pour déchiffrer le titre du livre de son ami. Malheureusement, il ne réussit à comprendre les élégants symboles sur la couverture reliée.

— Qu’est-ce que tu lis Zéphyr ? demanda soudainement Astyal, dispensant ainsi Rhys de le faire.

Aussitôt la question fut posée que le jeune homme cacha l’ouvrage. Il arbora son plus beau sourire et tenta de paraître le plus innocent possible. Rhys et Astyal échangèrent un regard entendu et se jetèrent sur lui. La jeune femme s’occupait de le neutraliser à coup de chatouilles ravageuses, tandis que l’héritier lui arrachait le livre des mains. Zéphyr lutta, en vain. Il finit par céder dans un éclat de rire. Le danseur, tout content de ne pas être la victime pour une fois, s’empressa de regarder le butin qu’il avait obtenu de son ami. Il ne comprenait pas un traître mot de ce qui était marqué, alors il donna rapidement le bouquin à Astyal.

— C’est de l’Ancien Langage, déclara-t-elle avec étonnement.

— Rends-le moi !

— C’est quoi l’Ancien Langage ? Qu’est-ce que ça dit ?

Les trois jeunes gens commencèrent à parler en même temps, de plus en plus fort, sans qu’aucun ne distinguât ce que l’autre disait. Zéphyr essayait de récupérer son bien, Rhys harcelait Astyal de questions, tandis que cette dernière faisait pleuvoir sur l’apprenti Attributeur de Roi un concert de reproches. Finalement, ce fut l’héritier qui craqua en premier :

— STOP !

Les deux autres s’immobilisèrent.

— Est-ce que quelqu’un daignerait bien vouloir m’expliquer ce qu’il se passe ?!

Le jeune danseur avait l’impression de retourner à sa nomination d’héritier, lorsque personne n’acceptait de répondre à ses innombrables questions. Cela le faisait grincer des dents comme pas possible. Étonnamment, ce fut Zéphyr qui accepta d’éclairer sa lanterne :

— L’Ancien Langage désigne le langage qu’usaient nos ancêtre il y a près de trois siècles. Il a été interdit et banni de nos bibliothèques il y a deux cents ans. Le palais est le dernier endroit qui possède des reliques de cet héritage.

— Pourquoi a-t-on aboli l’Ancien Langage ?

— Nul ne le sait et personne n’a besoin de le savoir, déclara Astyal en foudroyant Zéphyr du regard.

Ce dernier rendit son regard noir à la jeune femme.

— Il faut tout de suite le brûler.

— NON !

— Pourquoi faudrait-il le brûler ?

— Rhys ! Ne commence pas ! Tu es un héritier maintenant, si on te découvre avec des objets compromettant, tu pourrais perdre ta place, ou pire, finir à l’échafaud.

— Ce n’est qu’un livre.

— C’est un livre interdit, je ne sais même pas comme cet idiot a pu se le procurer !

Pour un fois que ce n’était pas Rhys l’idiot…

— Je l’ai volé, intervint Zéphyr.

— Ah bah bravo ! Non seulement tu voles, mais en plus tu voles des choses interdites ! Tu as pensé à Rhys ?!

— Évidemment ! Mais il n’y a rien de mal à vouloir comprendre ces origines et avoir soif de connaissances.

— Quand on sera tous à l’échafaud, tu comprendras peut-être en quoi c’est mal !

— Personne ne finira à l’échafaud si vous tenez votre langue et que je le remets à sa place d’ici quelque temps !

L’héritier passait de l’un à l’autre, observant le match qui se déroulait entre eux sans savoir qui aurait le dessus. Le ton commençait à monter, tant et si bien qu’il prit peur qu’ils n’en viennent aux mains. Il s’interposa entre ses deux amis, une main sur l’épaule de chacun.

— Arrêtez maintenant. Ça ne sert à rien de se disputer.

— Oh Rhys, la voix de la sagesse maintenant, ironisa Astyal.

Il l’ignora cordialement, sentant que répliquer ne ferait qu’attiser sa colère. Il posa son regard sur son ami, qui baissa piteusement la tête.

— Nous n’avons qu’à voter, proposa Zéphyr.

— Excellente idée ! grinça la domestique. Qui vote pour éviter l’échafaud ?

Elle et Rhys levèrent aussitôt la main.

— Voilà, c’était rapide, on brûle ce livre.

— On ne peut pas le brûler, quelqu’un remarquerait sa disparition, remarqua Rhys.

— Peut-être, mais personne n’aurait la preuve que ce serait nous qui l’ayons eu…

Zéphyr sentit un réchauffement au niveau de sa poitrine en entendant ce « nous » si réconfortant.

— …et on ne peut pas prendre le risque que cet idiot le remette à sa place, il risquerait de se faire prendre.

— Je ne suis pas sûr que le brûler, ce soit… bien.

Astyal tourna aussitôt son regard orageux sur le danseur. L’apprenti Attributeur de Rois vit à ce moment un moyen de retourner la situation à son avantage.

— On ne peut pas le remettre à sa place, déclara-t-il, ni Rhys ni moi ne voulons le brûler. Alors gardons-le ! Qui vote pour ?

Il leva aussitôt la main. Tous les regards se posèrent sur celui qui avait le pouvoir de changer la donne. Rhys sautilla d’un pied à l’autre, mal à l’aise. Il observa tour à tour ses deux amis, ne sachant que choisir. Il ne voulait pas trancher qui avait raison entre les deux. La peur que son choix brise son amitié avec l’un d’eux lui tenaillait le ventre.

La mort dans l’âme, il finit par lever la main pour ce qui lui semblait le plus juste, et surtout, ce qui assouvirait sa curiosité. Astyal serra les poings et quitta aussitôt les deux autres d’un pas rapide, abandonnant du même mouvement le livre. Zéphyr poussa un cri de victoire et se jeta au cou du danseur. Ce dernier avait tellement peur de l’amitié de la jeune femme qu’il ne repoussa même pas l’autre. Son cœur se serra, fort. Il s’abandonna dans les bras de Zéphyr, pour trouver le réconfort qu’il attendait dans la chaleur de ses bras.

— Je suis désolé que tu aies eu à choisir…

— C’est bon, ce n’est pas grave. Espérons juste qu’elle ne nous dénoncera pas maintenant.

— Ce n’est pas le genre d’Astyal.

Rhys acquiesça et ramassa l’origine de toutes ces disputes pour le tendre à son propriétaire. Ou plutôt, à son voleur.

— Comment est-ce que tu arrives à lire l’Ancien Langage ? demanda-t-il.

— Je n’y arrive pas, j’essaye d’apprendre, mais pour l’instant, je crois que je ne comprends que certains mots…

— Alors tu n’as rien découvert pour le moment, n’est-ce-pas ?

— Non…

Ils soupirèrent de concert, aussi découragé l’un que l’autre. Rhys ruminait dans son coin, absorbé par ses pensées noires. Il voulait se réconcilier le plus rapidement possible avec Astyal avant que leur dispute ait le temps de fermenter. Il réfléchissait aux bons mots à employer quand il entendit un reniflement à sa droite. Il tourna brusquement la tête et découvrit Zéphyr, en larmes, le visage dévasté.

— Pourquoi tu pleures ? s’exclama-t-il, paniqué par l’était de son ami.

Sa question ne fit qu’aggraver la crise de larmes. Déconcerté, l’héritier ne sut que faire, bien qu’il fut un peu soulagé de retrouver le Zéphyr qu’il connaissait : émotif et incompréhensible. Celui qu’il avait vu auparavant était plus sombre, moins loufoque et un voleur. Cela avait effrayé le jeune homme. Alors malgré la panique, il accueillit avec un certain soulagement tous ses pleurs qui dégoulinaient dans tous les sens. Il fit s’asseoir Zéphyr par terre, et se plaça à ses côtés, sans oser le prendre dans ses bras.

Au bout d’un certain moment, il finit par lui tapoter légèrement l’épaule du bout des doigts. Son ami prit son geste comme une invitation et se laissa tomber contre lui. Rhys écarquilla les yeux, cherchant quelqu’un qui pourrait le sauver de cette tâche. Mais Zéphyr s’accrocha à lui désespérément, puis, il se mit à beugler contre sa poitrine, faisant vibrer tout son corps et celui de sa victime par la même occasion.

L’héritier poussa un long soupir, puis encercla les épaules de l’étrange animal qui mouillait son haut coloré de larmes, de bave et de morve. Il pria silencieusement pour que le raffut qu’il faisait n’attire un curieux qui tomberait alors forcément sur le livre interdit. Par précaution, il se leva pour aller le chercher, Zéphyr pendu à sa taille. Il dut le tirer après lui pour atteindre l’ouvrage et se rasseoir. Il rangea le livre précieusement dans la sacoche de l’apprenti.

— Tu es bruyant, salissant et encombrant, fit-il remarquer.

Évidemment, sa remarque fit repartir la fontaine d’extérieur de plus belle. Il tapota le dos de la machine à pleurs avec une pointe d’agacement, teintée de compassion et d’amusement. Il avait du mal à imaginer que son ami ait pu retenir ses larmes aussi longtemps durant l’affrontement avec Astyal. Il en venait à se demander si la fierté ne l’empêchait pas de pleurer devant la domestique. Mais, dans ce cas, pourquoi osait-il faire tomber ses remparts devant lui ?

Rhys haussa les épaules comme pour chasser la question. Ses tapotements se muèrent peu à peu en caresse, jusqu’à ce que, tout à ses pensées, il se mit à frictionner frénétiquement le dos de son ami. Lorsqu’il s’en rendit compte, il laissa juste sa main contre l’échine de son ami.

Après la longue crise de pleurs, Zéphyr accepta de s’asseoir correctement. Il avait laissé une grande trace humide sur les vêtements du danseur. Ce dernier tenta de la frotter pour l’enlever, sans résultat, hormis ses doigts gluants de morve. Beurk.

— Tu crois qu’Astyal me déteste ? glapit l’apprenti Attributeur de Rois.

Sentant un nouveau tsunami arrivé, Rhys s’empressa de le rassurer :

— Bien sûr que non ! Elle était un peu fâchée, c’est tout. Ça va vite s’arranger.

En réalité, l’héritier n’en avait pas la moindre idée. Il ne connaissait pas Astyal depuis assez longtemps pour savoir si elle était rancunière ou pas. Il n’était même pas certain qu’elle veuille encore lui parler, alors à Zéphyr… Celui-ci renifla et enroula ses jambes de ses bras. En le voyant ainsi, aussi triste et apeuré, Rhys sentit un pincement au cœur. Énervé contre lui-même d’être aussi sensible, il ne put néanmoins pas s’empêcher de se lever et de tendre la main à son ami.

— Viens, allons nous excuser auprès d’elle.

Plus vite l’affaire se serait arrangé, moins il aurait à supporter la morosité de Zéphyr, se consola-t-il. Ils partirent ainsi tous deux vers le palais. Sur le chemin, une question lui vint soudainement au jeune danseur :

— Pourquoi as-tu lu le livre alors que nous étions là, Astyal et moi ? C’était pratiquement sûr que nous finirions par te le prendre pour savoir ce qui t’absorbait tant…

Il dut attendre un peu avant d’avoir une réponse, le temps que son interlocuteur se mouche.

— Je sais. C’était intentionnel en fait… Ce n’est pas la première fois que je me faufile dans la bibliothèque interdite et que je lis des choses que je ne devrais pas. Mais je ne pensais pas trouver un livre sur l’Ancien Langage, alors je me suis senti dépassé. Je voulais vous en parler, mais j’ignorais comment alors…

…alors il avait volontairement laissé le livre en vue pour ses deux amis. Rhys, qui ignorait que Zéphyr les tenait en si haute estime pour partager un tel secret, lui tapota une nouvelle fois l’épaule en guise de soutien. Ils échangèrent un regard complice pour l’un, désespéré pour l’autre.

Ils arrivèrent finalement devant la chambre d’Astyal, grâce à Zéphyr (puisque Rhys serait dans un placard à balais s’il avait dû faire le chemin seul). Anxieux, ils se jetèrent tour à tour des coups d’œil.

— Vas-y toque, enjoignit Rhys.

L’apprenti Attributeur de Rois inspira profondément, puis frappa la porte avec le plus de force qu’il pouvait. Le mur tout entier ressentit l’onde de choc. Rhys s’empressa de lui attraper le bras qui tentait de détruire la porte.

— Arrête, arrête ! On vient faire la paix, pas déclarer la guerre !

Zéphyr s’excusa, penaud. Ils attendirent un peu, puis frappèrent une seconde fois, plus calmement. Aucune réponse. Ils retentèrent, jusqu’à ce que l’héritier autorise son ami à frapper aussi fort qu’il le souhaitait. Là, seulement, la porte s’entrebâilla. Leur amie apparut dans l’encadrement de la porte, le regard plus noir que jamais. Ils frissonnèrent tous deux, prêts à s’enfuir (surtout Rhys).

— À quoi vous jouez à la fin ?! Je crois que tout a été dit, alors dégagez !

Sur ce, Astyal leur claqua la porte au nez. Alors que les yeux de Zéphyr s’embuaient de larmes, Rhys jura dans sa barbe. Il jura de plus belle en voyant une fontaine de salon à ses côtés prête à démarrer.

— Non Zéphyr, ne pleure pas, ne…

Trop tard. Les beuglements de Zéphyr remplirent tout le couloir. Rhys s’empressa de s’enfuir pour sauver ses oreilles et ses vêtements. Sur le chemin qui le conduisait vers le sous-sol alors qu’il croyait retourner à l’aile des héritiers, il se demanda pourquoi rien ne se passait jamais correctement. Ah oui, c’est vrai. Les dieux, bien sûr.

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