Enfin Libre
Ce fut la première fois que je me réveillais tout seul, sans l'aide d'éléments extérieur. J'espère que ce sera la dernière. Ce fut aussi la première fois que j'aperçut la mort d'aussi près. Et cette vision ne fera qu'empirer avec le temps. La première fois aussi que j'avais cet instinct de survie aussi bas.
Toutes ces premières fois aujourd'hui - enfin d'hier - n'auraient pas dû exister. Tout ce que j'ai vu défiler aussi.
Mon cœur bat encore à tout rompre. Ma respiration est encore saccadée.
Je suis étrangement malheureux que mon esprit m'ait menti. Que tout ça, toute cette peur, toute cette agitation, ce questionnement, ne soit que créé par l'illusion de mon imagination.
Suis-je vraiment en vie ? Je suis le plus douteux à ce sujet.
Mais le frissonnement qui m'a été offert par cette basse température du matin me rappelle que j'ai de la putain de chance d'être en vie.
Que je suis encore de ce monde qui peut s'avérer à tout moments irréel. Que je mérite sûrement plus la mort que la vie.
Jusqu'à cet instant, je me contentait seulement d'exister, et maintenant, je veux vivre plus que jamais sans penser au lendemain.
Je n'ai plus envie de me plier aux ordres militaires de toutes ces personnes dont je ne connaîtrais jamais le prénom ni leur vie familiale. Ces gens n'en ont rien à foutre de la mienne.
Je n'ai plus envie de me cacher, et cela, grâce à la chose qui a failli me faire délirer.
Parce que j'ai envie de vivre non pas comme les autres. J'ai envie de mourir en donnant à tous ceux qui m'ont connu jusqu'à ce que je vive mon autre vie. Ce cadeau, je n'ai aucune idée de ce que c'est.
Il est six heures quarante et je n'ai aucune idée de ce qui va se dérouler pendant que j'attends patiemment pour ne pas rencontrer le visage de ma mère - ou plutôt traître - et partir d'un bon pied ma journée.
Je reste éveillé, un peu comme si j'allais fêter ma non mort, bien que la journée est loin d'être finie et que je suis loin de ne pas mourir. J'ai encore dix-huit heures à surmonter avant de pouvoir encore être heureux.
Enfin, j'ai toute ma vie à surmonter avant que je fête ce qui sera une longue vie, enfin, j'espère.
J'ai une étrange envie de fuir tout ce qui me gâche la vie. Je pense que je ne suis pas le seul. Des milliers de "Centre d'activités" doivent exister dans le monde.
Cela fait aussi des milliers d'âmes en détresse face à la situation.
Tout ce monde ne va pas.
J'ai peur de ce que le monde peut devenir, alors je vais le fuir. Le fuir assez longtemps. Assez longtemps pour rester moi-même et ne pas perdre la tête.
J'attends que le monde change, pas simplement l'heure ou l'intensité du problème. Je n'ai pas envie de changer mon monde. J'ai envie de le percevoir différemment.
J'ai envie d'un monde assez respectueux pour ne pas prendre les homosexuels comme une question d'acceptation, mais le prendre pour la normalité. J'ai le vœu depuis longtemps de pouvoir être juste moi.
Je secoue la tête, comme si une mauvaise idée m'était parvenue.
Je regarde l'heure : il est sept heures trente. Je me lève et je m'en vais, sans oublier tout ce que je veux prendre : mon téléphone, ma gourde, deux pains au chocolat et de l'argent. Je ne préfère pas dire que j'ai pris un sac car je pense que cela est logique
Je regarde derrière moi, tel quelqu'un qui découvre une maison. Je scrute.
En ouvrant la porte avec mes clefs, je la ferme à deux reprises lorsque je ressort, puis je plie ma clef comme une création du diable et je la brise tel un rocher qui aurait été soumis à une pression.
Me voilà libre. Enfin libre. Pourquoi je ne m'étais pas libéré plus tôt ? Pourquoi je n'ai pas pensé à me rendre libre, tel un oiseau voulant voler de ses ailes qui y arrive miraculeusement ?
Pourquoi je ne me posait pas la question d'être heureux ?
Ma mère est sûrement impossible à en juger si on le prend d'un autre regard que celui de son unique fils.
J'allume mon téléphone et j'appelle ma sœur. Elle doit être compréhensive vu qu'elle a dix-neuf ans.
Je tombe sur sa messagerie. Je vais sur InstantPosition pour voir sa position et elle est vers Meaux, dans son appart au troisième étage.
Je me dirige vers le métro parisien.
Je paye quinze euros. Je n'étais pas au courant que quinze euros pouvait libérer toute une vie. Je vais dans le métro. Je n'étais pas non plus au courant que deux pas pouvait sauver une vie.
J'ai surement dû dormir après cela.
Je serais probablement arrivé que dans quarante minutes.
C'est quarante minutes qui me sépare de ma liberté.
Enattendant, je dors sans dormir. Dormir est certainement la chose que je ne pourrais jamais faire après avoir rêvé de mourir.
J'ouvre les yeux comme si j'avais fait un micro-sommeil. J'allume mon téléphone et retente d'appeler ma sœur.
Cette fois-ci, elle me répond.
- Salut ! dis-je
- Pourquoi tu m'appelles aussi tôt ?
- Merci pour l'accueil, frangine.
- Ne me dis pas que tu t'es enfin décidé a me rejoindre ?
- Eh, si. Rien ne t'échappe, à ce que je vois.
- Super !!! J'ai tout préparé. A toi de jouer. T'es où, d'ailleurs ?
- Dans le métro.
- A toute à l'heure alors !
Elle raccroche. Je suis heureux que ma sauveuse le prend bien. Sinon, je ne sais pas où je dormirais.
Cette fois-ci, je me sens vraiment fatigué. J'ai à peine le temps de cligner des yeux que je m'endors sans penser à tous les soucis qui vont arriver.
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