Palais mental
Assis dans le couloir de l’internat, nous discutions de nos amours passés. Seule la lumière de la chambre de Madison nous éclairait, à cette heure tardive de la nuit. La conversation avait maintenant tourné sur ma vie et ils venaient tous les deux de découvrir que je me laissais manipuler par mon copain. Mon portable m’avait été alors confisqué par Zach, qui s’évertuait à le garder hors de ma portée, derrière lui. J’avais lutté quelques minutes avant de céder et de me rasseoir en tailleur à ma place. Ils continuèrent à parler, essayant de m’expliquer que cette situation ne pouvait plus durer. Malgré ma compréhension de leur point de vue, je ne pouvais me résoudre à l’abandonner, ce qui devait être incompréhensible pour eux. Ne laissant rien paraître sur mon visage, je m’évertuais à dresser un plan d’attaque dans ma tête afin de récupérer mon téléphone. Je doutais que mon plan réussisse mais je me convainquis du contraire pendant les dernières secondes qui précédèrent mon action. Plongeant en avant sur mes genoux, je contournai habilement Zach et refermai la main sur le mobile. Je réussis, je ne sais comment, à me dégager rapidement des deux paires de bras qui s’étaient rués vers moi pour m’arrêter. Dans un léger dérapage, je me remis debout, en équilibre précaire, et m’élançai dans le couloir pour leur échapper. Les sentant à ma poursuite derrière moi, j’accélérai en riant.
Soudain, mon pied droit se déroba sous moi et je tombai. Non pas au sol comme je le cru, mais au travers de celui-ci. C’était comme si le carrelage n’avait été qu’une illusion visant à cacher un précipice et que je venais de mettre le pied en plein dans celui-ci. Un cri de surprise s’échappa de mes lèvres alors que je chutai brutalement, sans savoir ce qu’il se passait ni où je me trouvais. J’avais fermé les yeux par réflexe et attendais l’impact avec un stress grandissant. Pourtant, je m’arrêtai de tomber tout aussi brutalement, sans rien avoir touché. J’ouvris doucement les yeux. Du moins j’essayai car j’eus l’impression que cela ne servait à rien. Il me fallut une dizaine de secondes avant de comprendre que mes yeux allaient très bien et que c’était, au contraire, l’environnement qui clochait. Si tant est que je puisse parler d’environnement lorsque tout ce qui m’entourait était d’un noir d’encre impénétrable. Je flottais, littéralement, dans une sorte d’Espace totalement muet, sourd et aveugle.
La peur, la terreur, s’insinua en moi peu à peu alors que je prenais la pleine mesure de ce qu’impliquait ma situation. Dans ce silence assourdissant, les battements de mon cœur résonnaient terriblement fort à mes oreilles, s’accélérant de minute en minute. Toute la détresse, toute la peine que j’avais refoulée au fond de moi depuis des années ressurgit alors tout d’un coup, menaçant de m’engloutir dans un abîme de douleur. Ma poitrine s’écrasa sous l’effet de toute cette pression et mon souffle, auparavant rapide, se coupa soudainement. Je me retrouvai recroquevillée sur moi même sans avoir le souvenir d’avoir bougé. Je me rendis compte par la même occasion que cette position atténuait quelque peu la sensation de manque, de vide, comme un trou se creusant de plus en plus profondément dans ma poitrine. Avec quelques difficultés, je pus retrouver une respiration plus régulière. La puissance de la détresse était toujours aussi forte, si bien que je fermai à nouveau les yeux en priant pour que tout s’arrête.
C’est seulement au moment où je formulai cette prière intérieure que je sentis l’atmosphère se tordre autour de moi et se modifier. Lorsque je rouvris les yeux, je me retrouvai à nouveau dans le couloir, assise à ma place, en face de la chambre de Madison. Les deux avaient le regard fixés sur moi. Passant mes mains sur mon visage, je découvris que les larmes avaient coulés sans que je m’en aperçoive. La sensation du trou béant dans ma poitrine était encore si vive que je ne pus me résoudre à me dire que ce n’était que le fruit de mon imagination. Ce n’est qu’à ce moment que je compris la puissance du palais mentale, ainsi que sa dangerosité.
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