Chapitre 1 : La douleur d'un prénom

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Ethan ouvrit les yeux d’un coup. Son souffle haletait, sa poitrine trempée de sueur collait aux draps. Le cœur battait à un rythme absurde, désordonné. Il resta quelques secondes immobile, sans comprendre. Il n’était plus dans la pièce. Plus dans le bois moisi. Plus dans la peur. Il était chez lui. Le rêve s’effaçait déjà, comme toujours, mais la sensation, elle, restait accrochée à sa peau.

Il se leva sans allumer. La pleine lune baignait la chambre d’une lumière pâle, crue, presque irréelle. Il traversa le couloir et entra dans la salle de bain. L’eau froide du robinet coula sans attendre, et il y plongea les mains avant de se les passer lentement sur le visage. Il se redressa, les gouttes coulant le long de ses tempes, et fixa son reflet dans le miroir. Cheveux en désordre, yeux verts creusés, cernes violacés. Il avait l’air d’un homme qui n’avait pas dormi depuis des semaines. Et ce regard-là… ce regard-là n’était pas vraiment le sien.

Le rêve revenait par fragments. Une maison. Ou ce qu’il en restait. Le plancher humide qui craque sous ses pas. Les murs délabrés, rongés d’un silence trop ancien. Des planches clouées sur les fenêtres, laissant juste passer un filet de lumière sale, étrangère. Une odeur de poussière et de bois mort. Et cette porte, toujours la même. Bancale. Tordue. Une seule charnière rouillée la retenait encore. Il l’ouvrait. Derrière, un escalier. Noir. Un noir qui avale tout. Un noir sans fin.

Il descendait. Lentement. Chaque marche gémissait sous son poids. Puis un bruit. Un claquement. Sec. Rythmé. Humain, peut-être. Il se retournait. Une autre porte. Celle-là, intacte. Sauf les griffures. Fines. Alignées. Comme une écriture dans le bois. Il la poussait. Elle grinçait. Et derrière, l’ombre. Toujours. Elle restait là, quelques secondes, immobile. Puis elle fonçait. Et le traversait.

Il se réveillait toujours à ce moment-là. Le souffle coupé. La sueur, les draps froissés, le cœur prêt à exploser. Ce n’était pas une peur normale. C’était plus ancien, plus profond. Une peur que son corps semblait reconnaître avant lui.

Ethan s’essuya le visage avec une serviette et reprit son souffle. Dans le miroir, son reflet le fixait encore. Et juste un instant, il crut y voir autre chose. Quelque chose qui souriait. Mais pas avec ses lèvres.

Il rêvait souvent, mais cette fois, c’était autre chose. Plus précis. Plus réel. Comme si un souvenir avait été réveillé. Comme si le prénom l’avait ouvert de force.

C’était lors de son rendez-vous avec cette fille.

Le café était bruyant, saturé de voix pressées et de tasses qui s’entrechoquent. Ethan s’était assis dans un coin, à l’écart, les yeux rivés sur la buée qui serpentait le long de la vitre. Paris vivait derrière le verre, mais lui restait figé à l’intérieur, comme un spectateur engourdi. Il toucha distraitement sa tasse encore pleine. L’odeur du café noir montait lentement, douce et amère.

William arriva avec son aisance naturelle, veste ouverte sur une chemise impeccable, cheveux roux-blond coiffés juste assez pour paraître négligé avec style. Il lui lança un sourire sincère, sans fioriture, puis s’assit en face de lui.

— Tu bois ton café ou tu le regardes vieillir ? demanda-t-il, un pli rieur au coin des lèvres.

Ethan haussa les épaules, esquissa un sourire.

— Je le laisse infuser mon humeur.

William éclata d’un petit rire sonore, posa son téléphone sur la table. Il le déverrouilla d’un geste fluide, puis le tendit à Ethan.

— Regarde, tu as une touche.

Sur l’écran, une photo de profil : une fille sublime, blonde, yeux vert, sourire un peu trop parfait. Ethan fronça les sourcils.

— C’est quoi ça ?

— C’est une fille. Elle te plaît. Et vous avez rendez-vous ce soir.

— William…

— Ne râle pas, c’est moi qui ai géré les discussions. Tu n’as rien eu à faire. Elle est drôle, elle est curieuse, et surtout, elle existe. C’est un bon début.

Ethan secoua la tête, soupira longuement.

— Tu sais très bien que je n’aime pas ça. Ces trucs de rencontres. Je ne suis pas…

— Pas quoi ? intéressé ? apte à aimer ? Tu dis ça chaque fois, et pourtant tu t’en sors toujours.

Ethan le regarda un instant. Il avait envie de lui dire qu’il n’y croyait pas, qu’il n’y avait jamais cru. Que l’idée même de tomber amoureux lui paraissait irréelle, presque douloureuse. Mais il n’avait pas les mots. Juste ce poids dans la poitrine. Ce vide qu’aucune main ne parvenait à toucher.

— Elle s’appelle comment ? demanda-t-il enfin.

William eut un sourire malicieux.

— Surprise. Tu verras bien ce soir.

Ethan roula des yeux. Il porta la tasse à ses lèvres. Tiède, amer, juste ce qu’il fallait. Il aurait voulu qu’elle le brûle.

— Et sinon ? Ton boulot ? demanda William, changeant de sujet comme il en avait l’habitude.

Ethan s’affaissa légèrement sur sa chaise.

— Je vais craquer, je crois. L’hôpital me ronge.

— Tu veux démissionner ?

— J’y pense tous les jours. Les patients méprisants, les collègues fantômes, les couloirs qui puent la mort. Et puis… j’ai cette impression d’être transparent. Je passe au milieu d’eux sans que personne ne me voie vraiment.

William prit une gorgée de son café, hocha la tête.

— C’est pas l’endroit, c’est pas toi. T’as jamais vraiment été là-bas. Pas avec le cœur.

— Tu veux dire quoi par là ?

— Que t’as toujours semblé… ailleurs. Même quand tu souris. Même quand tu parles. Comme si une partie de toi était restée en arrière. Tu l’as oubliée, c’est tout.

Ethan baissa les yeux. Les mots de William l’avaient frôlé comme une lame émoussée. Pas assez pour couper. Juste assez pour déranger.

— T’es toujours là quand j’ai besoin, souffla-t-il.

William sourit à nouveau, leva sa tasse dans un demi-salut.

— Et ce soir, tu vas au rendez-vous. Dix-neuf heures. Le Comptoir Gourmet. T’as plus d’excuse.

Ils restèrent là encore un moment, à parler de tout et de rien. De moins en moins de choses, en vérité. Puis vinrent l’addition, le silence, et le froid du dehors.

Il avait ouvert l’armoire, regardé ses vêtements sans vraiment les voir. Des chemises trop larges, un vieux pull qui sentait encore l’adoucissant, deux pantalons propres dont il ne savait jamais lequel choisir. Il opta pour un chino bleu nuit et une chemise noire, un peu trop ample. En-dessous, un t-shirt gris ardoise, froissé mais sobre. Ça ferait l’affaire. Il n’avait jamais su s’habiller pour séduire.

Dans la salle de bain, il se rasa de près. Il ne le faisait presque jamais, mais ce soir-là, il le fit. Par automatisme. Pas par envie. Il appliqua un peu de cire dans ses cheveux, tenta un effet mouillé. Dans la glace, l’image qui lui faisait face n’avait rien de séduisant. Juste un garçon trop propre sur lui, mal déguisé en homme sûr de lui.

Il soupira longuement, posa les deux mains sur le lavabo. Quelque chose en lui se crispait. Il ne savait pas si c’était de l’appréhension ou du refus. Il n’aimait pas les rendez-vous. Il n’aimait pas les conversations forcées, les sourires appris, les regards qui attendent quelque chose. Il n’aimait pas cette idée de plaire. Et plus encore, il n’aimait pas l’idée d’être choisi.

Ce n’était pas de la peur. C’était plus diffus. Comme un mur. Invisible, mais réel. Un barrage en lui, une barrière qu’il ne comprenait pas, mais qui avait toujours été là. Il avait déjà essayé d’aimer. Pas souvent, c’est vrai. Mais à chaque fois, c’était comme si quelque chose refusait. Pas de rejet. Pas de haine. Juste… un vide. Un détachement. Une incapacité à projeter son cœur.

Et pourtant, il savait que ce vide n’avait pas toujours été là.

Il ne savait pas pourquoi cette idée le hantait parfois. Comme un pressentiment. Comme si son cœur, autrefois, avait appartenu à quelqu’un. Quelqu’un qu’il ne pouvait pas nommer.

Il chassa la pensée d’un revers d’eau froide. Releva les yeux vers son reflet. Il avait l’air fatigué. Pas de ces fatigues qui s’effacent avec du repos, mais de celles qui s’impriment. Une fatigue intérieure. Celle de ceux qui ne savent plus très bien pourquoi ils avancent.

Il regarda l’heure sur son téléphone. 18 h 50.

— Merde…

Il attrapa sa veste, ses clés, son téléphone. Enfila ses chaussures à la hâte. Il était en retard. Il dévala les escaliers, sortit dans la rue. Il faisait encore jour, mais les réverbères s’étaient déjà allumés.

En courant, une pensée le frappa de plein fouet.

Il ne connaissait pas son prénom.

Il s’arrêta quelques secondes, le souffle coupé par la course. Il sortit son téléphone. Écrivit à William :

« Comment elle s’appelle ? »

Aucune réponse. Il l’appela. Boîte vocale.

Il soupira. Évidemment. Il allait devoir improviser.

Quand il arriva devant le Comptoir Gourmet, il était 19 h 05. La devanture était discrète, presque invisible. Une enseigne blanche sur fond noir, sans prétention. Il chercha du regard. Et puis il la vit.

Elle était là.

Robe rouge. Silhouette gracieuse. Elle se tenait debout, droite, regardant de côté.

Et dans la lumière du soir, elle semblait irréelle.

Elle se tourna au moment où il arrivait, essoufflé par sa course.

Gaëlle.

Il ne savait pas encore que c’était son prénom. Mais déjà, quelque chose en elle dérangeait l’air autour.

Elle avait des cheveux blonds clairs, attachés à la va-vite en une queue de cheval haute, des mèches s’échappant pour danser devant ses yeux. Elle portait une robe rouge, simple mais taillée pour elle, qui soulignait sa silhouette sans jamais chercher à la montrer. Son regard vert, presque trop net, accrocha le sien. Un de ces regards qu’on n’oublie pas, parce qu’il semble lire à l’intérieur sans même vous interroger. Un sourire éclatant vint tout balayer.

— Tu dois être Ethan ? dit-elle d’une voix claire, posée.

Il s’arrêta un instant, figé dans un mélange de surprise et de trouble. Sa voix n’était pas douce, pas mielleuse. Elle était vive, affirmée, presque rieuse — comme si elle savait déjà qu’il allait aimer lui répondre.

— Oui… c’est bien moi. Désolé du retard.

— Je viens juste d’arriver. Je pensais moi-même être en retard.

Il lui sourit, presque soulagé. Elle tendit la joue. Il hésita à faire la bise. Ce genre de gestes le mettait toujours mal à l’aise, mais elle n’attendit pas : elle se pencha légèrement, l’effleura sans insister. Ce n’était pas de la séduction, c’était un réflexe humain. Un contact vrai.

Ils entrèrent dans le restaurant, escortés par un serveur jeune et trop poli. L’endroit était chaleureux, à la fois rustique et élégant. Une lumière jaune dorée tombait du plafond comme un coucher de soleil apprivoisé. Ils furent installés à une petite table, l’un face à l’autre.

Elle s’installa avec aisance, jambes croisées, coude posé sans gêne sur la table. Elle regardait autour avec une curiosité tranquille, comme si elle absorbait chaque détail pour en faire une anecdote plus tard.

Ethan, lui, s’enfonçait dans sa chaise. Il avait l’impression d’être arrivé trop vite dans une pièce trop grande. Il ne savait pas quoi dire. Il ne savait même pas comment elle s’appelait. Et il n’avait aucun sujet de conversation préparé.

— Tu as l’air stressé, fit-elle en souriant. Tu veux t’enfuir ?

Il rougit légèrement, esquissa un rire.

— Non… non, je n’ai juste pas l’habitude de dîner avec une inconnue.

Elle haussa un sourcil, amusée.

— Inconnue ? Tu me vexes un peu, là. On a parlé, non ?

Ethan hésita. Il se gratta la nuque, baissa les yeux vers la table.

— Je vais être honnête… ce n’est pas moi qui t’ai parlé. C’est… un ami. Il a tout organisé sans me dire. Je ne savais même pas ton prénom.

Elle le fixa un instant. Un silence court. Puis elle éclata de rire.

— Sérieusement ? Bon… au moins t’es franc. C’est déjà ça.

Le serveur apporta les cartes. Elle les prit, en tendit une à Ethan.

— Alors, inconnu, on fait connaissance ? Je t’avoue que j’ai une petite faim.

Le dîner se déroula étrangement bien. Ils commandèrent chacun un plat, puis un verre de vin. Gaëlle parlait avec ce mélange rare de naturel et de vivacité, posant des questions sans jamais envahir, racontant des anecdotes avec une assurance qui ne cherchait pas à impressionner. Elle avait cette façon de bouger les mains quand elle parlait, de ponctuer ses phrases d’un rire léger, qui donnait l’impression d’un orage domestiqué.

Ethan l’écoutait. Par moments, il se surprenait à sourire pour de vrai.

Et puis, il osa :

— Au fait… je ne connais toujours pas ton prénom.

Elle posa sa fourchette. Le regarda droit dans les yeux. Son sourire s’élargit.

— Gaëlle.

Le mot tomba. Simple. Clair.

Mais dans l’esprit d’Ethan, il résonna comme une détonation.

Son cœur manqua un battement.

Quelque chose en lui… se contracta.

Un nom. Un souvenir. Un vertige. Une douleur.

Gaëlle.

Ou était-ce… Gaël ?

Il ne comprenait pas. Il ne savait pas. Mais ce prénom… il l’avait déjà entendu. Ressenti. Ailleurs. Dans un autre temps.

Ou dans un autre rêve.

— Ça va ? demanda-t-elle, fronçant les sourcils. On dirait que t’as vu un fantôme.

Il cligna des yeux. Revint à elle. Força un sourire.

— Oui, pardon… j’ai juste eu un vertige. Gaëlle… c’est un joli prénom.

Elle haussa les épaules, un peu gênée.

— Merci. Toi aussi, t’as un prénom pas trop mal.

Ils rirent ensemble. Le fil du repas reprit. Mais Ethan, lui, n’était plus totalement là.

Une fissure venait de s’ouvrir quelque part. Et il ne savait pas s’il voulait en regarder le fond.

Ils marchaient le long de la Seine, dans un silence apaisé.

La ville bruissait au loin, lointaine, presque floue. Les lampadaires dessinaient des halos dorés sur les pavés, et l’eau reflétait le ciel nocturne comme un second monde, inversé, plus calme. Gaëlle marchait légèrement devant, sa robe rouge flottant autour de ses jambes comme un feu apprivoisé. Ethan la suivait d’un demi-pas, les mains dans les poches, la gorge nouée par quelque chose qu’il n’arrivait pas à nommer.

Ils avaient parlé tout au long du dîner. Rires, questions, confidences timides. Et pourtant, c’était maintenant, dans ce silence sans poids, que tout semblait plus vrai.

Gaëlle s’arrêta soudainement et se retourna vers lui.

— Merci pour ce soir, dit-elle simplement.

Elle avait cette façon de dire les choses sans détour, sans artifice. Une honnêteté paisible. Pas besoin d’exagérer. Juste… dire ce qu’elle ressentait.

Ethan hocha la tête, puis chercha ses mots.

— Moi aussi… je me suis bien senti. Avec toi.

Elle sourit. Un sourire sans séduction, sans attente. Juste là, posé sur son visage comme une lumière douce.

— Tu es bizarre, Ethan. Mais dans le bon sens. T’as l’air un peu cassé, mais pas méchant.

Il haussa un sourcil, surpris. Puis rit, un peu malgré lui.

— C’est censé être un compliment ?

— Absolument, confirma-t-elle avec sérieux.

Elle s’approcha, tout près. Ils étaient seuls. La nuit les enveloppait doucement. Elle tendit la main, la glissa dans la sienne, naturellement. Un geste sans préméditation, sans poids. Mais la chaleur qui en émana le traversa de part en part.

— Je vais rentrer, murmura-t-elle.

Il aurait voulu la retenir. Juste un peu. Mais il n’en fit rien. Il ne bougea pas. Son corps ne suivait pas son désir. Il ne savait même pas si c’était du désir.

Elle s’approcha encore. Une seconde. Ses yeux dans les siens.

Un baiser aurait été facile.

Mais il ne fit rien.

Elle, non plus.

Le moment glissa, et ce fut fini.

Elle se détacha doucement, fit demi-tour. Ses pas claquaient doucement sur le pavé humide.

— À bientôt, Ethan, dit-elle sans se retourner.

Il ne répondit pas. Il regarda sa silhouette s’éloigner, avalée par les lampadaires et l’ombre des ponts. Quelque chose en lui hurlait sans bruit.

Il resta là un long moment, seul, face à la Seine. Le nom tournait en boucle dans sa tête.

Gaëlle.

Ou était-ce…

Gaël ?

Il ne savait plus.

Il était un peu plus de six heures du matin lorsque Flemming descendit de voiture.

Le vent glacé remontait le long des quais. Les gyrophares peignaient les murs d’éclats bleus ; leurs reflets dansaient sur la surface noire de la Seine. Une bande jaune isolait la zone, mais personne n’osait vraiment s’en approcher. Le silence, ici, avait une densité étrange.

Il s’approcha lentement.

Le corps gisait au bord de l’eau, à demi couvert d’un drap blanc. Il ne demanda pas tout de suite à le soulever. Il en avait vu d’autres. Il connaissait la scène. Il préférait d’abord lire l’air, les visages, le langage des policiers trop jeunes qui faisaient semblant de ne pas trembler.

Un agent s’avança, le teint blême.

— C’est elle, dit-il. Une femme. La robe rouge était à quelques mètres. Les sous-vêtements aussi. Pas de papiers.

Flemming hocha la tête.

— Marquage ?

— Comme les autres. Articulations lacérées, langue coupée, dents arrachées. Visage défiguré. Viol aussi, très probable.

Il ferma les yeux. Juste un instant. Il aurait voulu croire à une exception. Un premier. Un accident. Mais non.

C’était la cinquième.

Il s’agenouilla près du corps. Le drap fut soulevé avec précaution.

Le visage était méconnaissable. Lacéré. Creusé. Arraché. Une bouche sans lèvres, des yeux ouverts mais déjà absents. Le torse criblé de plaies nettes. Il ne restait plus rien à reconnaître. Juste un corps vidé de son nom. Une peau réduite à l’état de champ de guerre.

Il se releva, sans un mot.

— Le Tourmenteur, murmura l’agent, sans y croire lui-même.

Flemming n’aimait pas ce mot. Il ne l’avait jamais accepté. Mais il n’en avait pas d’autre. Et peut-être qu’un surnom, même grotesque, permettait de ne pas devenir fou.

Il s’éloigna un peu, marcha vers les vêtements. La robe rouge était là, posée avec soin. Pas froissée. Pas déchirée. Juste alignée. Comme si quelqu’un l’avait pliée. Et puis oubliée.

Les collants noirs. Les sous-vêtements en dentelle, presque intacts. Pas de sac. Pas de portable. Aucun papier d’identité.

Il serra les poings. Les relâcha.

Il allait falloir encore attendre les résultats ADN. Les empreintes. Les témoignages qui ne viendraient pas. Aucun témoin. Comme toujours.

Il jeta un œil à la Seine. Le courant était lent, ce matin-là. Presque apaisé.

Mais il avait charrié une femme. Une femme qu’on aurait pu aimer.

Une femme qui, quelques heures plus tôt, riait encore.

Il se détourna, les mâchoires fermées. Juste un pli amer au coin des lèvres.

Il regagna sa voiture.

S’arrêta une seconde devant la portière.

Dans la vitre, il vit son reflet. Cheveux courts, presque absents. Regard noir. Fatigué. Il se vit.

Et pourtant, il ne vit personne.

Comme chaque matin depuis le premier meurtre.

Il monta. Claqua la portière.

Et démarra.

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