Bermark

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Les anciens disent que si nous, les sorcières souillent le monde, c’est à cause de la présence de la gemme violette. Cette gemme permet à son utilisateur de pouvoir contrôler tout éléments qu’avec la pensée ; ainsi que de contrôler l’esprit des âmes faibles. Magie très puissante lorsqu’elle est bien maîtrisée, Helya Listani fut considéré comme la première sorcière de ce monde. Ouvrant les faille de la magie dans les corps, elle enseigna ensuite la magie aux plus méritants hors de Rogmad.

Extrait de L’encyclopédie de la Magie par les sorcières de Gorgoline.

Le chef des géants d’Alrof, Dalin Hautevoie ; et le chef des nains de Bermark, Hendorf Barbe-de-Feu, venaient tous deux d’arriver au large de la capitale de l’empire de Drakonia, Stilrion. Empire le plus puissant du monde, ces deux êtres ne purent s’empêcher de penser que cela faisait seulement deux cents ans que Drakonia existait. Leur bateau était encore loin de Stilrion, mais les deux grandes statues accueillants les voyageurs étaient déjà visibles. Ces immenses êtres qui faisaient la taille de la montagne dont les pieds étaient plongés dans l’eau, cachant le soleil au navire. Hendorf eut du mal à apercevoir le visage de ces statues, deux femmes dignes et fiers qui semblaient protéger la ville de leurs lances et accueillir les voyageurs de leurs bras levés. Soudainement, le ciel parut s’assombrir, ce qui paraissait être un gros nuage, c’était positionné au-dessus de leur navire. Mais ce n’en était pas un, les deux chefs reconnurent les écailles du dragon, d’un rouge vif.

— Ce spectacle m’impressionnera toujours, annonça Dalin Hautevoie en regardant le dragon.

— Regardez, ajouta Hendorf Barbe-de-Feu, il y en a d’autres qui arrivent.

Des dragons plus petits venaient les escorter. Ils étaient de toutes tailles, formes et couleurs. Le spectacle était magnifique. Le grand dragon au-dessus d'eux accéléra soudainement, révélant la lumière du soleil et offrant une vue splendide de Stilrion. Cette cité des dragons, perchée au sommet d'une colline flottante, était célèbre pour ses cascades majestueuses, les plus grandes jamais connues. La ville s'étendait majestueusement, ornée de blanc et de vert, avec en son centre l'imposant palais impérial.

Les navires nains et géants se posèrent aux pieds de la montagne de Stilrion, dans le grand port. À partir de cet endroit, seuls les navires de la ville pouvaient circuler et ainsi naviguer sur le fleuve qui traversait la capitale. Mais avant d’atteindre ce fleuve, les voyageurs devaient gravir la montagne. Pour les simples voyageurs, ils devaient faire ça par leurs propres moyens ; mais pour les invités politiques, c’était différent. Le dragon rouge qui les avait accueillis se posa à côté d’eux et les invita sur son dos. Il était si grand qu’il dépassait de trois têtes le géant Hendorf.

Tous les dragons résidants sur Teranion habitaient dans l’empire de Drakonia. Le fondateur, Cartole Toladriam et le dragon le plus respecté, l’Insiron étaient de grands alliés qui acceptaient de vivre aux côtés de chacun. Ainsi, le creux de la montagne abritait le lieu de vie des dragons. Le géant et le nain, assis sur le dos du dragon, passèrent au-dessus de Stilrion, leur permettant d’admirer cette magnifique ville dans laquelle la vie menait son rythme. Les grandes maisons de la capitale étaient taillées dans des pierres, mélangeant le blanc pur du marbre et le vert étincelant de l’émeraude, scintillant à la lumière du soleil. Les toits en tuiles vertes étaient conçus pour accueillir les atterrissages majestueux des dragons, qui survolaient la ville avec une grâce imposante.

Le dragon rouge venait de se poser près du portail du palais impérial, un immense édifice reflétant la puissance de l’empire. Ce château était entouré d’un fleuve permettant de se protéger des éventuelles attaques ennemies – bien qu’il n’en ai jamais eu. Derrière, le palais, mélangeant blanc et vert à l’image de Stilrion dont chaque pierre était marqué de nombreux détails. Les tours du château étaient si hautes, qu’elles semblaient frôler le ciel, et les jardins qui entouraient le palais ne faisaient qu’embellir celui-ci.

— Je vous laisse ici, prononça le dragon rouge d’une voix roque avant de s’envoler.

Le pont-levis permettant de traverser le fleuve s’abaissa dès que l’immense portail en or s’ouvrit, laissant les nains et géants traverser ce pont dont le sol était fait d’émeraude et ainsi de rentrer à l’intérieur du palais.

— Mes vieux amis, que suis-je content de vous voir, les accueillit l’empereur de Drakonia, Charles Toladriam, accompagné des autres dirigeants des royaumes alliés.

Cet homme était loin d’avoir le charisme du premier empereur, Cartole Toladriam, mais savait être tout à fait respectable. Sa barbe brune et ses cheveux mi-longs permettaient de mettre en valeur ses yeux vert émeraude. Héritage physique qui se transmettait de génération en génération. Sa couronne en or remplie de pierres précieuses, portée à chaque grandes occasions, était posée sur sa tête, contrastant avec sa tenue noire et verte. Le roi guida ses invités vers le jardin de l’Insiron, passant dans les immenses couloirs du palais pouvant susciter l’admiration.

Ils arrivèrent enfin à destination, dans une grande plaine paisible et verte dans laquelle se reposait un dragon blanc immense, de la taille d’une montagne, faisant paraître Hendorf le géant pour un insecte. Ses écailles marbrées reflétaient dans leurs bords des teintes dorées. L’Insiron ouvrit ses yeux dorés quand elle sentit que le groupe était arrivé, bâillant un grand coup pour laisser apparaître ses crocs pointus. Puis, elle se prosterna aux pieds de Charles Toladriam, un signe de respect qu’elle faisait lorsque l’empereur lui convenait, lui laissant poser sa main sur la tête.

— Ainsi, le moment est venu pour moi d’annoncer l’avenir ? demanda-t-elle en regardant Hendorf et Dalin qui se prosternèrent immédiatement.

— Oui, grand Insiron, dirent tous deux en cœur.

La tradition voulait que tous les cinquante ans, les alliés de Drakonia se rejoignent à Stilrion pour écouter les prédictions de l’Insiron sur les siècles à venir. Ainsi, ils pourront empêcher qu’un malheur se réalise. Le dragon s’allongea à nouveau et ferma les yeux pour voir la prophétie.

Dans les âges à venir, lorsque les neuf lunes distinctes aligneront leurs courses célestes, une grande confluence se produira. À ce moment-là, les nains, les Hommes et les Méritinits uniront leurs forces pour incendier la majestueuse cité des dragons. Les flammes consumantes mettront fin au règne de la magie qui, autrefois, imprégnait le monde. Ainsi, débarrassés des mystères et des enchantements, les Hommes s'imposeront comme les maîtres incontestés de la terre, inaugurant une nouvelle ère sous le signe de la domination humaine.

Toute l’assemblée était restée pétrifiée par les dires du dragon. Seul Hendorf Barbe-de-Feu coupa le silence.

— Cela veut donc dire que les géants sont voués à disparaître.

— Hendorf, vous savez très bien que les prophéties peuvent avoir plusieurs sens. Il doit bien y avoir une solution cachée, le rassura Charles Toladriam.

— Moi, je vais vous dire, votre majesté, la solution. S’il manque l’un des membres des neufs, alors cette prophétie s’annulera. Les hommes sont beaucoup trop nombreux et les Méritinits cachés quelque part dans notre monde, pourquoi ne pas supprimer le nain ? proposa Hendorf.

— Mais comment savoir quel nain est question de la prophétie ? demanda Dalin Hautevoie.

— On ne peut pas savoir, répondit le géant, mais s’il y a plus de nains, alors la prophétie ne fonctionnera pas.

— Que voulez-vous dire ? demanda l’Insiron.

— Ce que je veux dire, c’est que nous devons faire disparaître les nains de notre monde pour le bien de tous.

Sur ses mots, toute l’assemblée se mit en action pour défendre leurs opinions. Charles Toladriam essaya de calmer les dirigeants, mais rien à faire, ils étaient beaucoup trop sous le choc. Le dragon poussa donc un rugissement pour calmer l’assemblée qui retentit dans tout Stilrion.

— Je refuse que mon peuple soit exterminé, objecta Dalin. Si quelqu’un tente de nous attaquer, nous nous défendrons.

— Veuillez m’excuser, mon vieil ami, répliqua Hendorf, mais pour le bien de mon peuple, je me vois obligé de vous déclarer la guerre.

Ce jour fut marqué comme étant le commencement de la guerre des nains contre les géants. Deux peuples voisins et anciennement alliés qui s’affrontera durant des siècles et dont aucun puissant Hommes ne pouvait y mettre fin.

Merinlt Doigt-de-Métal venait de recevoir un coup de massue sur la tête. Encore assommé, il avait du mal à se lever. Mais ce fut lorsqu'il vit un géant tomber sur lui que tous ses sens s'éveillèrent. Rapidement, il tourna sur lui-même pour l'esquiver, prenant de la neige dans la bouche.

— Merinlt, vite ! l'interpella un guerrier.

Merinlt courut vers le géant tombé sur lui et lui donna un gros coup de hache au cœur. Autour de lui, c’était la folie. Un champ de bataille dans la neige, entre les montagnes, où nains et géants se battaient depuis un mois sans repos. Depuis quatre cents ans, les géants d'Alrof et les nains de Bermark étaient en guerre. Ne pouvant supporter cette situation continue, les chefs des deux royaumes avaient décidé, il y a trois cent cinquante ans, que les batailles seraient menées tous les ans pendant un mois dans un lieu n'appartenant à aucun gouvernement.

Merinlt ne cessait de se battre et de tuer des géants. Sautant sur les cadavres pour attaquer et se défendre, les vieux nains disaient de lui que c’était un jeune très prometteur. Lui, il ne s’intéressait pas à ce que les anciens pouvaient dire de lui, la seule chose qui l'importait était de tuer des géants. Ces mêmes géants qui avaient tué sa douce Eidra, il y a deux ans. Il n'avait aucune pitié pour ces êtres qui passaient à côté de lui, ne faisant pas attention à leur visage. Pour lui, ce n’étaient que des ennemis. Derrière lui, des nains envoyaient avec des catapultes de gros rochers qu'ils parvenaient à porter eux-mêmes. Le peuple nain était réputé pour manier le métal et l’acier comme aucun autre peuple ne pouvait le faire, mais aussi pour avoir une force surhumaine leur permettant de rivaliser avec des géants.

Soudain, un marteau géant détruisit la catapulte en plein vol. Les nains qui avaient survécu essayèrent de porter l’arme, mais celle-ci bougea d’elle-même et revint vers son propriétaire. Celui-ci était un géant nommé Rengard Forcedouce. Ce géant était réputé dans son village pour être l’un des plus puissants et l’un des plus cruels. Impitoyable sur les champs de bataille, il avait déjà tué de nombreux guerriers nains, dont Eidra. Doigt-de-Métal s’était juré, depuis qu’il avait vu sa dulcinée mourir devant ses yeux, qu’il tuerait Rengard de ses propres mains. Mais pour l’instant, le nain ne pouvait pas rivaliser face au géant, dont le marteau lui permettait de renvoyer tous les coups et de ne jamais perdre son arme.

Rengard était plus grand que ses congénères, ce qui lui donnait une posture beaucoup plus imposante. Les cicatrices qui recouvraient son visage dur et pâle intensifiaient cette caractéristique, se mélangeant à la blancheur de sa longue barbe et de ses cheveux. Tous les géants avaient sur leur tête, contrairement aux nains, un casque avec des cornes. Les géants d’Alrof n’étaient vêtus que d’une simple jupe, laissant apparaître leur belle musculature, bien que certains portassent une fourrure sous forme de cape sur les épaules. Les géantes, elles, avaient un léger tissu qui cachait leur poitrine, mais faisaient bien attention à montrer leurs bras musclés. Nains et géants avaient les bras remplis de tatouages représentant leurs exploits de guerre.

Les nains ressemblaient beaucoup aux géants, mais étaient seulement plus petits et avaient un visage beaucoup plus ferme. Tous avaient une longue barbe souvent coiffée en nattes, une caractéristique inhérente chez les nains. Les femmes pouvaient, elles aussi, avoir une légère barbe qui était moins mise en valeur que chez les mâles. La tradition chez les nains, comparée aux géants, était de s’attacher les cheveux en diverses tresses pour se distinguer de leurs ennemis.

Forcedouce renvoya son marteau selon une trajectoire particulière, changeant de direction de lui-même. Puis, il vint frapper contre le flanc de la montagne, créant une avalanche. La neige tomba tout droit sur l’armée des nains qui n’eut pas d’autre choix que de fuir le champ de bataille. Cette année-là, ce furent les géants qui gagnèrent la bataille, mais Merinlt avait bien l’intention de gagner la suivante.

Toute la population naine de Bermark s’était rassemblée dans la salle de guerre. La défaite écrasante avait baissé le moral de tous. Merinlt Doigt-de-Métal était assis au fond de la salle, regardant le chef des nains, Nemporf Crâne-d ’Acier, analyser toute l’assemblée. Lui aussi avait été blessé durant la bataille, mais en tant que chef, il devait rester de marbre. Le chef des nains de Bermark et ses conseillers étaient installés à une table surélevée, dominant ainsi la grande salle.

Selon certains Hommes, les nains de Bermark étaient le peuple le plus puissant et le plus vaillant du monde. Pouvant vivre jusqu’à trois cents ans, ils étaient considérés comme de fiers guerriers, qui ne laissaient passer aucun affront. Bermark laissait passer peu d’Hommes dans ses contrées à cause de la guerre contre les géants. C’est pourquoi aucun humain ni aucun autre peuple nain ne venait les embêter. Ces nains étaient réputés pour leur grande résistance au froid, mais surtout pour leur force surhumaine, qui leur permettait de manier le métal avec une grande simplicité. Ces petits êtres, mesurant entre un mètre vingt et un mètre cinquante, étaient dirigés par un chef, choisi tous les cinquante ans. Ce chef était souvent le nain le plus respecté et celui qui avait réalisé le plus d’exploits durant sa vie. Lorsqu’il recevait le pouvoir, il était obligé de jurer fidélité à Brint, le dieu de la guerre, et à Laïta, la déesse de la vie et de la justice.

Toute l’assemblée attendait que Nemporf se décide à parler. Mais la parole du chef nain semblait s'être envolée. Lorsqu’il se décida à se lever, son épée, posée entre ses mains, tous les nains se turent.

— Mes chers confrères, merci de vous rassembler en ce jour malgré notre défaite contre Alrof.

À ces mots, tous les nains présents se mirent à grogner.

— Silence ! cria-t-il. Si je vous ai convoqués ici, ce n’est pas pour vous entendre vous plaindre, mais pour trouver un moyen de gagner la prochaine bataille. Des idées ?

Chaque nain se regardait, mais aucun ne parla. Les solutions étaient évidentes pour tout le monde : s’entraîner encore plus et fabriquer encore plus d'armes.

— Moi, j’ai quelque chose à dire, prononça Merinlt en se levant.

Merinlt Doigt-de-Métal était considéré comme l’un des jeunes nains les plus prometteurs de Bermark et beaucoup d’anciens pensaient qu'il allait succéder au chef. Étant le premier fils des meilleurs forgerons du pays, il savait manier les armes avec un rare aplomb, mais aussi les créer. Il avait décidé, avec sa Eidra, de quitter la ville familiale de Bornt pour s’installer dans la capitale du royaume, Garmont, et ainsi gravir les échelons pour devenir un jour, chef.

Toute l’assemblée avait tourné le regard vers lui, se demandant comment un jeune nain de soixante ans comme lui pouvait donner son avis sur cette guerre.

— Je t’écoute, Merinlt. Dis-moi ce que tu as à dire.

Nemporf n’avait pas réagi au fait que Merinlt soit trop jeune. Pour lui, le plus important était de trouver un plan pour écraser les géants.

— Durant la dernière bataille, commença-t-il, j’ai compris que la soudaine force d’Alrof ne venait pas des guerriers, mais des armes que l’un d’entre eux possède. (Les nains semblaient intrigués par ses paroles.) Le géant Rengard Forcedouce est en possession d’un marteau capable de revenir à lui quand il le souhaite. C’est ce même marteau qui a provoqué l’avalanche en changeant de trajectoire de lui-même.

— C’est impossible, répliqua un nain. Ce genre d’arme n'existe pas.

— Et pourtant si ! se défendit Merinlt, je l’ai vu de mes propres yeux brandir se marteau, et l’envoyer sur nos catapultes. Pourquoi je vous raconterais des sottises.

— C’est vrai ! Je les vus moi aussi, exclama une jeune naine du nom de Rurmiel. J’ai vu nos compagnons se faire tuer par cette arme.

Toute l’assemblée c’était mise à parler entre eux, créant un gros brouhaha dans la salle.

— Silence ! cria Nemporf de belle voix, puis voyant que les nains s’étaient tus il se tourna vers Merinlt. Et que penses-tu qu’on devrait faire face à ça ?

— Je propose d’en créer une encore plus puissante, répondit le jeune nain.

— Et comment comptes-tu t’y prendre ? demanda Eimrock Brulure-à-l ’œil, l’un des conseillers qui s’était brulé l’œil quand il était plus jeune.

— Je ne sais pas encore. Je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir. Mais si les géants ont réussi, alors je me dis que, nous aussi, on peut le faire.

— Merinlt, Nemporf s’était tourné vers le jeune nain, je te laisse onze mois pour créer cette arme. A toi et autres forgerons du pays. Mais pas plus. Si vous avez une idée intéressante, venez me voir pour que je l’approuve. Est-ce bien clair ?

— Oui chef, répondirent tous les nains de l’assemblée.

Avant de quitter la salle de guerre, les nains se mirent à chanter leur chant traditionnel qui leur permettait d’avoir de la force dans cette nouvelle année qui venait de commencer.

Au cœur des montagnes enneigées,

Ô Feyra, donne-nous ce métal

Avec lequel nous conquérons la terre et les cieux.

Ô Brint, donne-nous ta force,

Pour nous battre jusqu’au matin.

Les flammes de nos forges,

Brillant comme de l’or.

Que les étoiles sacrées nous guident,

Que notre victoire et notre honneur,

Nous accompagnent aux confins du monde.

Dans les contrées lointaines,

Nos haches et nos sabres

Feront couler le sang de ces lâches,

Dans les veines des roches.

Nous trouverons notre force.

Ô montagnes éternelles,

Nous nous battrons avec bravoure.

Pour nos dieux et nos enfants,

Le chant de nos cœur,

Résonnera à jamais dans la montagne.

Merinlt Doigt-de-Métal avait passé ses journées dans sa forge à Garmont, plongé dans les livres. Garmont se situait aux abords du mont Ozbof, l’une des montagnes les plus dangereuses. Cette renommée était due à la légende racontant qu’un dragon y reposait. Une partie de la ville était ancrée dans la roche, dont l’entrée était protégée par deux statues de guerriers nains avec leurs marteaux surplombant la ville et donnant accès aux mines. Les maisons en bois étaient recouvertes de neige, présente dans le pays les trois quarts de l’année. Leur architecture, typique des nains de Bermark, semblait les faire se superposer les unes sur les autres, chaque maisons étant accueillies par une statue de leur bâtisseur. Un cours d'eau longeait la ville, accompagné de blocs de glace flottants que les nains avaient brisés.

— Eurêka ! J’ai trouvé ! s’écria Merinlt, réveillant toute la ville encore endormie.

Durant une semaine entière, le nain avait étudié les livres des forgerons à la recherche d’un métal équivalent à celui de l’arme de Rengard Forcedouce. Pensant qu’il ne trouverait jamais ce métal, Merinlt avait découvert qu’il en existait un encore plus intéressant dans une grotte du mont Ozbof. Les livres racontaient que dans cette grotte résidait un dragon dont le souffle avait créé un métal conducteur de foudre, capable de l’invoquer à volonté. Malgré la prétendue présence du dragon, Doigt-de-Métal accourut vers la demeure du chef pour lui demander son accord pour partir.

— Tu veux dire qu’il existe des métaux capables d’invoquer la foudre ? demanda Nemporf Crâne-d ’Acier.

— Oui, chef, mais les livres racontent qu’un dragon les protèges, répondit Merinlt.

Le jeune nain ne parvenait pas à discerner le sentiment de Crâne-d ‘Acier sur cette quête risquée.

— Et comment comptes-tu t’y rendre ? Le mont Ozbof est immense, tu le sais, Merinlt.

Nemporf était sceptique à l’idée d’envoyer un jeune nain dans une quête périlleuse. À ses yeux, Merinlt était l’un des nains les plus prometteurs de toute sa génération. Il ne pouvait le laisser partir à l’abattoir.

— J’ai lu dans les livres que la quantité de métal est si grande qu’elle attire les aiguilles des boussoles. Ce métal porte le nom d’elmarside, répondit le jeune nain sûr de lui. Tout ce dont j’ai besoin, ce sont de vaillants guerriers pour m’accompagner et votre accord.

— Je ne peux te laisser partir.

Nemporf Crâne-d ‘Acier venait de s’asseoir sur son fauteuil, l’air pensif. Ce nain impressionnait Merinlt. Il avait sauvé, il y a des années, tous ses camarades de combat lorsqu'ils avaient tenté d'infiltrer le pays des géants. Il y avait perdu son bras, remplacé par une hache. La peinture bleue sur son visage cachait la brûlure qu’il avait à l’œil gauche, le rendant encore plus féroce, et ses cheveux roux recouvraient son oreille droite manquante.

— Vous dites que je suis l’un des nains les plus prometteurs, mais si vous ne voulez pas me laisser prouver ma valeur, tous les nains penseront que je suis en réalité un lâche. J’ai vu l’expression de nos congénères lorsque je me suis adressé à l’assemblée. J’ai vu ceux qui ont ri de moi, et je ne peux laisser passer une telle humiliation. Laissez-moi prouver ma valeur.

Merinlt Doigt-de-Métal n’était pas le genre de nain à supporter les moqueries. Ceux qui le côtoyaient disaient que c’était l’être ayant la plus grande fierté du monde. Malgré son côté bon vivant, la colère pouvait facilement monter en lui, surtout depuis la mort de sa bien-aimée Eidra. Quand quelqu’un touchait à sa fierté, il n’hésitait pas à répliquer.

— Fais comme il te chante, Merinlt, céda Nemporf. Après tout, tu es assez grand pour décider ce qui est le meilleur pour toi. Mais je veux qu’Eimrock Brûlure-à-l ’Œil t’accompagne dans ta quête. C’est celui qui connaît le mieux le mont Ozbof parmi nous.

Cette idée n’enchantait pas Merinlt, qui voyait Eimrock comme un vieux charlatan. C’était le seul nain qui ne reconnaissait pas sa valeur, et cela le dérangeait beaucoup.

— As-tu des noms pour t’accompagner dans ta quête ? ajouta le chef nain.

— Oui… Mayriside Cheveux-d ’Or, Sondlop Grâce-de-Fée, Rurmiel Point-d ’Acier, Plostof Yeux-en-Feu et Moyrock Grandes-Jambes.

— Très bien, répondit Nemporf. Vous sept partirez dans deux semaines, chercher l’arme qui détruira le géant.

Cela faisait environ quinze jours que le groupe de nains était parti en quête de l’elmarside à dos de poneys. Au début de leur voyage, les nains n’avaient pas rencontré beaucoup de difficultés. Leur plus gros problème fut une attaque d’un ours garine, des créatures plus grandes et plus féroces que la moyenne, capables de parler pour certains. Heureusement, ils étaient assez nombreux pour le semer. Ils savaient que s’ils avaient été seuls, ils seraient sûrement morts à cette heure-ci.

Les nains avançaient dans le creux de la montagne, Merinlt Doigt-de-Métal en tête. Les nains s’entendaient tous bien, sauf Merinlt et Eimrock Brûlure-à-l ’Œil, qui essayaient tous deux de prendre le rôle de chef. Eimrock légitimait sa position en raison de sa plus grande expérience dans ce genre de quête.

— Ne bougez plus ! ordonna Mayriside Cheveux-d ’Or.

Les nains l’écoutèrent tous et s’arrêtèrent. La naine s’avança et analysa la neige de la vallée qui s’étendait devant eux. Mayriside était considérée comme la plus belle femme du pays pour certains, mais également comme la plus féroce. Son absence de barbe caractérisait sa beauté, et ses cheveux d’or lisses la renforçaient. Si la naine avait été plus grande, on l’aurait sans doute prise pour une humaine du nord. Malgré cela, cela ne l’empêchait pas d’avoir des bras très musclés.

Pendant que les nains la contemplaient avec admiration, ils entendirent une secousse venant du haut de la montagne. Une grosse avalanche était en train de foncer sur eux.

— Courez ! cria Merinlt.

Les poneys les avaient devancés dans leur course, les laissant seuls face à cette avalanche. Les nains couraient le plus vite qu’ils pouvaient, tentant de semer la neige qui filait à grande vitesse, détruisant tout sur son passage.

— Par ici ! les interpela Plostof Yeux-en-Feu.

Plostof se tenait devant une grotte permettant de se protéger d’une avalanche de neige. Eimrock trouvait cela étrange qu’un tel abri puisse se trouver en plein milieu d’une montagne. Il se disait que cela devait appartenir à quelqu’un. Mais les nains n’avaient pas le temps de demander l’autorisation au propriétaire, ils devaient vite se protéger. Tous les nains se réfugièrent dans cette étrange grotte.

À l’intérieur, il faisait tout sombre. Rurmiel réussit à allumer une torche pour éclairer les murs de la grotte. Sur les murs, ils virent de nombreux dessins représentant une ancienne civilisation. On y voyait la représentation d’hommes accueillant un être beaucoup plus grand entouré de lumière. Une sorte de rituel était organisé en son honneur, représenté par des sacrifices et une grande fête située aux fins fonds des océans.

— Qu’est-ce que cela peut représenter ? demanda Moyrock en touchant ces dessins de sa main manquante.

— Je ne sais pas, répondit Merinlt inconsciemment.

Autour de ces dessins étaient écrits des mots qui ne semblaient appartenir à aucun langage. Comme s’ils appartenaient à un ancien peuple disparu depuis longtemps. Soudain, la lumière du jour disparut en même temps qu’un grand bruit.

— Merinlt, l’entrée a été bouchée par un gros caillou, prévint Sondlop Grâce-de-Fée.

Tous les nains accoururent vers l’entrée qui était bel et bien bloquée. Tous essayèrent de la briser, mais rien à faire. La roche était faite d’un métal très résistant.

— On fait quoi maintenant ? s’inquiéta Rurmiel.

— On avance jusqu’à ce qu’on trouve une sortie, dit Merinlt.

Les nains s’avancèrent vers le long couloir sombre qui était le seul passage que le groupe pouvait prendre. Merinlt Doigt-de-Métal en tête avec la torche. Chacun de leurs pas était fait avec une telle prudence qu’aucun être humain n’aurait supposé que c’était un groupe de nains. Pourtant, leurs pas étaient assez lourds pour se faire remarquer par la tribu des Moonford, qui les espionnait depuis plusieurs heures, sans qu’aucun nain ne fasse attention à leur présence. Jusqu’à ce que le sol s’ouvrit soudainement, les piégeant dans un cratère sombre. Inconscients.

Merinlt Doigt-de-Métal se réveilla attaché à un morceau de bois en plein cœur d’une clairière. Certains de ses compagnons étaient encore endormis tandis que les autres regardaient autour d’eux, aussi incompréhensifs que lui. Autour d’eux, d’étranges créatures étaient prêtes à se battre. Ces créatures étaient beaucoup plus petites que les nains, mais bien plus terrifiantes. Elles avaient une peau remplie de cristaux aussi bleus que la glace, qui accueillait trois grands yeux. Leur visage était très petit, positionnant les narines au niveau des yeux. La bouche, elle, faisait la largeur du visage et laissait apparaître de fines dents aiguisées jaunes. Ces créatures marchaient sur deux pattes comme les nains, mais une queue pendait de leur derrière.

L’une de ces créatures s’approcha de Merinlt avec une lance. Le nain fit peur à cette bestiole avec un cri. Celle-ci s’éloigna rapidement en poussant elle aussi un cri particulier, comme si sa voix était brisée. Toutes les créatures présentes répondirent ensuite à cet étrange rugissement de la même manière.

— Qui êtes-vous ? demanda Merinlt dans l’espoir de trouver un moyen de s’échapper.

— Ta question est inutile, je suis sûr qu’elles ne peuvent pas parler, objecta Eimrock.

Pour Merinlt, ces créatures ne semblaient pas être de simples animaux. Elles se battaient avec des armes et avaient créé des pièges.

Les créatures se regardèrent, avec un visage reflétant l’incompréhension.

— Qui êtes-vous ?! répéta le nain plus distinctement.

À ces mots, les créatures se mirent à faire d’étranges bruits qui semblaient être leur moyen de communication. Toutes semblaient parler dans leur coin. L’une d’entre elles s’approcha de Merinlt, méfiante sans pourtant l’attaquer.

— Guiliki ! sembla-t-elle lui dire.

Doigt-de-Métal avait du mal à comprendre ces paroles, mais la créature semblait insister sur ce mot.

— Vous voyez bien qu’il ne comprend pas ! rappliqua Mayriside. Nous sommes des nains, nous venons du bas de la montagne.

La créature regarda la naine, incompréhensive, en répétant le mot « nain ». Toute l’assemblée autour d’eux répéta le même mot dans un grand brouhaha. Puis, la même créature s’avança vers Mayriside en mettant sa main bleue à trois doigts près de son cœur.

— Moonford, dit-elle.

Puis, toutes les créatures répétèrent ce mot fièrement, en le criant ensuite.

— Ça doit être leur nom, les Moonford, affirma Sondlop.

— Sûrement, dit Merinlt. Mais il faut vite qu’on trouve un moyen de s’échapper.

Les nains firent bouger leurs bouts de bois de manière à les faire tomber au sol, sans que les Moonford les remarquent — étant occupés à crier leur nom. Plostof fut le premier à réussir à se libérer et courut détacher ses camarades. L’une des créatures les repéra et se mit à crier d’un cri strident qui réveilla tous les oiseaux endormis sur les arbres autour. Tous les Moonford se précipitèrent sur eux, faisant claquer leurs grandes dents. Les nains couraient le plus vite qu’ils pouvaient, après avoir récupéré leurs affaires, mais ces créatures étaient beaucoup plus rapides. Sur leur passage, les Moonford détruisaient tout ce qu’ils trouvaient. Le groupe se réfugia en haut d’un arbre dans l’espoir de gagner du temps.

— Jamais on ne pourra les semer, il faut que quelqu’un fasse diversion pendant que les autres se cachent, proposa Rurmiel.

— Mais cette personne risquerait de se faire tuer, objecta Moyrock.

— Je sais bien, répondit la naine. Mais soit il y en a juste un qui se fait tuer, soit tout le monde y passe. Alors, vous proposez quoi ?

Pendant que Rurmiel parlait, Merinlt avait senti la peur dans ses yeux foncés. Il fallait que quelqu’un se sacrifie. Pourtant, Doigt-de-Métal n’avait aucune envie de perdre l’un de ses camarades, de nouveau.

— Alors Merinlt, tu proposes quoi ? l’interpella Eimrock.

— Rurmiel a raison. Il faut que quelqu’un fasse diversion, répondit Merinlt. Ne vous inquiétez pas, j’y vais.

Sur ces mots, le nain sauta à terre, s’apprêtant à attirer les ennemis. Cependant, ce ne furent pas les Moonford qu’il vit, mais Rurmiel. Un poignard à la main, prête à se battre.

— Qu’est-ce que tu fais là ? Retournes-en haut de l’arbre, lui ordonna le nain.

— C’est moi qui vais servir d’appât, répondit Rurmiel. Toi, tu n’as pas le droit de mourir. Pas maintenant en tout cas. Et puis, c’est un honneur de mourir au combat. Ai-je bien été claire ?

— Rurmiel… Merinlt avait du mal à prononcer des mots. Tu es digne des nains de Bermark.

Rurmiel Point-d ’Acier hocha la tête, laissant ses cheveux bouclés roux retomber sur ses yeux. Merinlt avait toujours apprécié cette naine, il la considérait comme sa plus grande amie. Après la mort de sa Eidra, elle était la seule à être là pour lui. Il s’était dit que peut-être plus tard, elle aurait pu remplacer sa bien-aimée. Pourtant, non. Rurmiel allait mourir.

Les deux nains se tapèrent les mains en contractant leurs muscles, symbole de respect chez les nains de Bermark, signifiant qu’ils étaient de fiers guerriers. Du haut de l’arbre, les autres nains la regardèrent, fiers de leur camarade et tristes de la perdre si tôt. Merinlt monta dans l’arbre, se cachant derrière le feuillage, tandis que Rurmiel lança un cri strident. À ce moment-là, les Moonford apparurent déchaînés. La naine courut à l’opposé de l’arbre des nains. Loin, bien loin. Vers la paix éternelle.

Quand ils jugèrent que c’était le bon moment pour descendre, les nains posèrent les pieds au sol, silencieux. Puis, ils se dirigèrent en courant loin de ces étranges créatures.

— On n’aura même pas pu l’enterrer, dit Mayriside en tenant l’épée de Rurmiel.

Merinlt planta avec force l’épée de Rurmiel sur une roche, comme le voulait la tradition, de manière que personne ne puisse l’utiliser. Puis il commença à chanter de sa voix grave.

Dans les vents du nord, repose l’esprit des héros

L’âme brave s’en est allée, aux portes de la gloire

Les marteaux s’arrêtent, pour honorer ta vie

Les montagnes chantent mais les mines pleurent

Puis le reste du groupe rejoignit Merinlt dans son chant.

Ô, esprit noble, trouve donc la paix

Que tes idées demeurent, que tes rêves continuent

Ta gloire restera, dans la forge des nains

Auprès des dieux, pour l’éternité, tu régneras

Le chant des nains résonna au cœur des montagnes, apaisant les esprits affaiblis. Tandis que l’épée de Rurmiel se brisa, annonçant sa mort héroïque.

Plusieurs semaines s’étaient écoulées depuis la mort de Rurmiel Point-d ’Acier, et aucun nain n’avait l’impression d’atteindre le but. La boussole qu’avait prise Merinlt indiquait toujours la même direction : l’est. Leurs vivres commençaient de plus en plus à diminuer, les obligeant à chasser dans les forêts enneigées. Leur emprisonnement par les Moonford leur avait fait perdre beaucoup de provisions, et ils n’avaient plus de monture. Durant leur périple, ils tombèrent plusieurs fois sur des animaux sauvages voulant les dévorer, mais aussi sur des Garines. Ils réussirent également à réveiller un ours blanc qui était en train d’hiberner, les forçant à dévier de leur trajectoire initiale. Les flocons de neige tombaient silencieusement sur la montagne endormie. Le froid mordant pénétrait jusqu’aux os des nains, rendant les pas lourds et difficiles. Les arbres formaient un labyrinthe fantomatique sous la lueur pâle de la lune. Le vent hurlait dans les oreilles des nains, rendant leur voyage plus compliqué.

Malgré le froid épouvantable, les nains continuaient d’avancer, montrant leur courage implacable. Seul leur espoir, d’atteindre un jour la destination attendue leur permettait d’avancer. Pourtant, les tensions dans le groupe commençaient à s’accentuer, créant des disputes entre Merinlt et Eimrock. Le reste du groupe tentait de les calmer, mais rien n’y faisait. Quand deux coqs commencent à se disputer, plus personne ne peut les arrêter. Chacun avait ses idéaux, et chacun voulait les transmettre aux autres. Eimrock souhaitait que les nains retournent à Garmont, tandis que Merinlt était d’avis de continuer la quête. Tous deux justifiaient leur idée par Rurmiel. L’un disait qu’elle s’était sacrifiée pour que les nains puissent vivre et qu’ils ne soient pas tués dans le froid, et l’autre, au contraire, affirmait qu’elle s’était battue pour que la quête puisse être achevée.

Cette fois-ci, les nains avaient posés le campement en plein milieu d’une clairière. Épuisés, ils avaient dû semer une meute de loups affamés. Eux aussi avaient faims. Leur ventre criait famine.

— J’en peux plus, dit Eimrock en se levant. Cette quête ne mène à rien. Il faut rentrer à Garmont.

— Reste assis, Eimrock, répliqua Merinlt, qui était en train de préparer à manger. On n’a toujours pas trouvé l’elmarside.

— Parce que tu crois qu’elle existe vraiment ?

Eimrock Brulure-à-l ’Œil se mit à rire d’un rire forcé. Le reste du groupe se demanda s’il n’était pas en train de perdre la tête.

— J’en suis persuadé, se leva Merinlt à son tour.

— Pourquoi ?! Parce que tu l’as lu dans les livres ?! Et tu crois que ça, c’est suffisant ?! Rurmiel est morte à cause de tes bêtises ! Et maintenant, tu veux tous nous envoyer à l’abattoir et tu veux que je te dise pourquoi ?

— Oui, vas-y. Je t’écoute, vieux nain.

Merinlt avait pris sa hache entre les mains et froncé les sourcils. Le comportement de son compagnon l’énervait et il était prêt à se battre s’il le fallait.

— Calmez-vous, vous deux. Ça ne sert à rien de se battre maintenant, essaya de les calmer Mayriside.

Merinlt et Eimrock ne l’écoutèrent pas. Ils étaient tous les deux armés et se faisaient face. Rien à faire, leur affrontement était inévitable.

— Alors, je t’écoute, provoqua Merinlt.

— Tu es tellement déprimé par la mort de ta Eidra que la seule chose dont tu as envie, c’est de mourir. Cette quête est juste un prétexte pour te faire tuer. Et on va tous te suivre dans la mort.

C’en était trop pour Merinlt Doigt-de-Métal. Eimrock allait beaucoup trop loin. Se faire traiter de mauvais chefs, il l’acceptait. Dire qu’il n’était pas assez fort, il pouvait l’entendre. Mais qu’on lui dise qu’il voulait mourir était la pire insulte pour les nains. C’était comme dire qu’ils avaient honte d’être un nain et qu’ils préféraient perdre la vie. Merinlt ne pouvait pas laisser passer un tel affront. Alors, il se précipita vers son compagnon pour lui donner un gros coup de hache dans la tête. Celui-ci se releva en crachant du sang et le frappa avec son marteau. Les autres nains les regardaient se battre. Ils ne pouvaient rien faire. Quand deux nains se battaient, il fallait les laisser continuer. Sinon, c’était leur honneur qui allait être blessé.

Les coups d’Eimrock et de Merinlt s’enchaînaient dans la neige, réveillant tous les oiseaux autour d’eux. Personne ne pouvait dire lequel des deux nains menait le combat, leur force était égale. Pourtant, certains voyaient Merinlt comme un meilleur guerrier. D’un coup, Doigt-de-Métal trancha un doigt d’Eimrock, lui faisant perdre son arme. Il venait de gagner. Son adversaire, lui, était à terre en train de hurler de douleur. Plostof se précipita vers lui pour lui bander la blessure, afin de stopper le sang qui coulait abondamment.

— Qu’as-tu fait, Merinlt ? lui demanda ce dernier.

— Je me suis juste battu, répondit le guerrier nain sans le regarder.

— C’est décidé, je m’en vais, dit Eimrock toujours à terre. Si certains veulent me rejoindre, qu’ils me suivent.

Eimrock Brulure-à-l ’Œil se leva en titubant et ramassa ses affaires pour partir. Plostof Yeux-en-Feu et Moyrock Grandes-Jambes le rejoignirent.

— Je suis désolé, Merinlt, mais je ne veux pas mourir inutilement, dit Moyrock en partant.

Merinlt Doigt-de-Métal regarda ses compagnons partir sans dire un mot. Il était beaucoup trop en colère pour leur adresser la parole. Puis, il regarda Mayriside Cheveux-d ’Or et Sondlop Grace-de-Fée.

— Vous ne partez pas ? leur demanda-t-il.

— Non. Un nain ne doit pas abandonner une quête, dit Sondlop en levant la tête.

— Bien, répondit Merinlt. Alors maintenant, allons-y. On n’a pas besoin d’eux.

Une semaine s’était écoulée depuis le départ de la moitié du groupe nain. Ceux qui restaient suivaient toujours l’aiguille de la boussole sans savoir où ils se rendaient. Plus ils avançaient, plus ils sentaient la pression du ciel retomber sur eux. Sondlop commençait à tomber malade et à éternuer tout au long du voyage, chose qui n’arrivait que très rarement chez les nains. Merinlt aussi sentait la fatigue monter en lui. Il avait complètement perdu la notion du temps, ne sachant plus quand ils étaient partis. Dans leurs sacs, il n’y avait presque plus de vivres, seulement de quoi se nourrir pendant deux jours.

C’est alors que l’aiguille de la boussole se mit à bouger frénétiquement à l’approche d’un grand cratère sans neige.

— Qu’est-ce qu’il lui prend ? demanda Mayriside en analysant la boussole. Ne me dites pas qu’elle va nous lâcher maintenant.

— Je ne sais pas, répondit Sondlop. Mais regardez plutôt en bas. Vous ne trouvez pas ce cratère étrange ?

Tous les trois se dirigèrent vers le grand trou en courant. Ce trou était immense et profond. Dès que la neige se posait dessus, elle fondait immédiatement. La roche à l’intérieur ressemblait à de la roche volcanique avec d’étranges motifs, ressemblant à des écailles. Merinlt lança un caillou pour voir si ce cratère était dangereux. Au moment où il se posa sur le sol, les roches rejetèrent une vague d’électricité, le réduisant en poussière. La roche, elle, était devenue bleu électrique. Un spectacle magnifique à voir.

— Je crois qu’on a trouvé ce qu’on cherchait, on a trouvé l’elmarside ! s’écria Merinlt, qui venait de sauter dans les bras de ses compagnons, oubliant sa fatigue.

Tous les trois sautèrent de joie et chantèrent. Depuis le temps qu’ils cherchaient cette pierre, la voir les rendait encore plus heureux.

— Je ne veux pas casser l’ambiance, dit Sondlop, gêné, mais comment va-t-on faire pour récupérer ces roches ?

— Mmm, réfléchit Merinlt. Ça, c’est une bonne question.

À ces mots, les trois nains tombèrent dans un trou qui s’était formé à leurs pieds, glissant jusqu’à des tunnels assez grands pour accueillir un serpent géant. Les pierres de cette grotte renvoyaient une teinte bleutée et s’allumaient à chacun de leurs pas. Étrangement, contrairement aux roches du cratère, aucune charge électrique ne ressurgissait de l’elmarside.

— Vite, il faut se dépêcher de la prendre, ordonna Merinlt en prenant sa hache pour extraire la roche.

Ses compagnons suivirent ses mouvements en sortant des pioches. Très rapidement, ils remplirent leurs sacs de ces roches, montrant l’habileté des nains à manier la pierre. Ce qu’ils ne savaient pas, c’était que ces tunnels menaient à une caverne.

Dans cette caverne, reposait un dragon qui n’aimait pas être dérangé. Ce même dragon qui avait créé l’elmarside. Pourtant, les nains faisaient beaucoup trop de bruit, qui résonnait dans toute la grotte et réveilla le dragon qui était endormi depuis des années.

Soudain, les nains entendirent un rugissement qui résonna dans toute la grotte, faisant trembler les murs de la caverne. Puis, un silence de mort s’installa, seulement interrompu par la respiration des nains.

— Qu’est-ce que c’était ? chuchota Mayriside, ses yeux noyés de terreur.

— Un dragon, murmura Merinlt, le visage pâle. Oh oui, il n’y a aucun doute. C’était bien un dragon.

Le groupe se figea, retenant chacun leur souffle. Le son du rugissement résonnait encore dans leurs oreilles, laissant un malaise pesant.

— Il faut qu’on parte d’ici, dit Sondlop, serrant son épée entre ses mains tremblantes.

Les nains opérèrent un demi-tour, marchant plus rapidement dans l’espoir de trouver vite une sortie à ce labyrinthe. Chaque bruit était un signal d’alarme. La peur les suivait à chaque pas. Ils sentaient le danger présent.

Soudain, les pierres du sol se mirent à trembler en même temps qu’un gros bruit qui les suivait de derrière. Le groupe s’arrêta net, s’échangeant des regards inquiets. Merinlt sentit une sueur froide à son cou. Avant qu’ils ne puissent réagir, un courant chaud les enveloppa dans tout le corps, suivi d’un rugissement terrifiant. Sondlop fut propulsé à terre et renvoyait des charges électriques. Allongé sur le sol, il ne respirait plus, son cœur ne battait plus. Il était mort.

Mayriside resta pétrifiée devant son camarade, ne comprenant pas ce qu’il se passait. Merinlt, habituellement courageux, n’osa pas respirer et n’eut qu’une envie : fuir. Le dragon rugit de nouveau, détruisant les parois autour d’eux. Merinlt et Mayriside s’effondrèrent au sol, complètement inconscients.

Merinlt Doigt-de-Métal se réveilla enfermé dans une prison d’os aux côtés de Mayriside, accroupie au sol. Le nain put apercevoir la caverne grâce à la légère lumière qui passait à travers les trous recouverts de glace formés au-dessus. À l’intérieur, l’elmarside servant de mur donnait une teinte bleutée à la caverne, laissant apercevoir une rivière gelée se jetant en cascade, elle aussi gelée. Les stalactites accrochées au plafond brillaient dans la sombre caverne.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Mayriside en pointant du doigt le fond de la caverne.

Merinlt aperçut la carcasse géante d’un dragon enfoncé entre des pics de glace. Cette carcasse semblait être recouverte de neige gelée, laissant entrevoir des touches de verdure lors des beaux jours. Plus loin, la lumière de la lune reflétait une énorme créature.

Mayriside entendit du bruit venant de cet endroit, celui de quelqu’un (ou quelque chose) dévorant son festin. Rapidement, Merinlt reconnut le visage de son ancien camarade Sondlop. Les yeux et la bouche ouverts, son corps était presque inexistant. Dans son regard vide, on pouvait lire la fierté d’être mort au combat en tant que héros.

— C’est terrifiant, chuchota Mayriside, ne pouvant détacher ses yeux de la scène.

Entendant le bruit venant de leur cage, le monstre se retourna brusquement, les laissant l’apercevoir. La créature imposante et majestueuse avait un corps en serpentin, couvert d’écailles miroitantes oscillant entre le noir obscur et le bleu profond. Ses yeux, deux orbes hypnotisant, perçaient l’obscurité de leur lueur malveillante.

Le dragon qui se tenait devant eux déploya ses ailes marquées par des veines bleu électrique, rappelant la froideur de la créature. Il posa une patte, laissant apercevoir ses griffes capables de déchiqueter n’importe quel métal.

— On dirait que mon dessert s’est réveillé plus tôt que prévu, dit le dragon d’une voix rauque en les regardant.

De ses paroles, le dragon montra ses grandes dents aiguisées qui firent frissonner les deux nains, pourtant connus pour n’avoir peur de rien.

— Qui êtes-vous ? demanda Merinlt pour gagner du temps, essayant de ne laisser paraître aucune peur.

La créature s’approcha dangereusement de leur cage pour ne leur laisser voir que son visage menaçant, marqué par une cicatrice à l’œil.

— Qui suis-je, me demandez-vous ? dit-il en guise de réponse avant de rire bruyamment. Eldmor, ce nom te dit quelque chose, petit être ?

Merinlt fit signe que non en reculant loin du dragon. Celui-ci sourit en voyant sa peur.

— On dirait que ton ami le nain a peur, continua-t-il en regardant Mayriside, prête à attaquer. Ce n’est pas digne des nains.

Le dragon Eldmor avait un ton à la fois menaçant et sournois. Les deux nains n’arrivaient pas à distinguer les intentions du dragon. Tous deux cherchaient un moyen de s’échapper. Soudain, Mayriside vit une porte de sortie. L’un des os qui composaient leur cage était presque brisé. Un seul coup bien placé pouvait le casser complètement et leur permettre de sortir. Leurs affaires se trouvaient de l’autre côté de la rivière gelée. Il leur restait seulement un sac d’elmarside et une hache émoussée.

Mayriside fit un signe discret à Merinlt vers leur possible sortie, et il comprit directement ce qu’il fallait faire. Le nain fit semblant de s’écrouler vers cet endroit en prenant rapidement un os qui se tenait à ses côtés. Lui, qui était le meilleur dans ce domaine, essaya de scier discrètement l’os, tandis que la naine faisait gagner du temps en parlant au dragon.

— Mais dites-moi, fit Mayriside en voyant qu’Eldmor s’était tourné vers son compagnon, il est rare de voir un dragon dans cet endroit.

Eldmor se retourna vers la naine, tombant dans son piège. « Ce dragon ne doit pas être très intelligent », pensa-t-elle en le regardant droit dans les yeux.

— Je vois que tu essaies de gagner du temps pour ne pas te faire manger tout de suite, le dragon vit la panique dans ses yeux. Soit, cela me permettra de digérer un peu. Tu as raison, je ne viens pas d’ici.

Eldmor venait de poser sa tête sur ses pattes, lui faisant face.

— Ah oui ? Et vous venez d’où ?

— Stilrion, d’où veux-tu que je vienne.

Un souffle électrique venait d’émaner des narines du dragon, faisant tressaillir la barbe de Merinlt, toujours occupé à tailler l’os.

— Mais vous n’étiez pas seul, à qui était la carcasse du dragon accrochée ? continua Mayriside, qui jetait de réguliers coups d’œil vers son compagnon.

— Lui, dit-il en regardant la carcasse du dragon, c’est Ford. Lui et moi étions contre la paix entre les Hommes et les dragons. Alors, nous avions décidé de brûler Stilrion. Mais ce fichu empereur Cartole Toladriam et son compagnon — je ne sais plus qui c’est— ont décidé de nous bannir. L’Insiron avait, elle aussi, pris le parti de ces hommes. Puis, nous nous sommes retrouvés tous les deux ici, seuls. La faim commençait à nous guetter, alors on s’est battu à mort — il m’a laissé cette cicatrice à l’œil— et je l’ai tué. Puis, je l’ai mangé. Et en son honneur, j’ai décidé de l’exposer auprès de moi.

Merinlt avait écouté l’histoire d’Eldmor, se disant que ce dragon était très dangereux. Puis, il regarda sa cicatrice profonde qui ne pouvait disparaître.

— Et dis-moi, la naine, reprit-il, que faisiez-vous tous les trois dans ma taverne ?

Mayriside regarda Merinlt afin de lui demander son accord pour révéler leur but. Celui-ci acquiesça en guise de réponse.

— Nous cherchions l’elmarside, donna-t-elle comme réponse.

Eldmor leva brusquement la tête pour s’approcher d’elle de près.

— Et pourquoi vouliez-vous de mon elmarside ? Celle que j’ai moi-même créée avec mon souffle électrique.

— On a besoin de ce métal pour construire une arme qui pourrait exterminer les géants, répondit Merinlt à la place de sa compagne.

Le dragon tourna la tête vers le nain qui le regardait avec férocité. Fier, il était prêt à s’enfuir, faisant signe à Mayriside que le moment était venu. Tous deux coururent frénétiquement vers la sortie créée par Merinlt tandis qu’Eldmor poussa un rugissement qui fit trembler la caverne.

Une fois sortis de leur cage, les deux nains se réfugièrent derrière la carcasse du dragon, évitant de justesse la foudre qui sortait de la bouche du dragon.

— Je comprends mieux comment l’elmarside a été créée, fit Mayriside entre deux souffles.

Merinlt ne répondit pas à la remarque de la naine, beaucoup trop occupé à trouver un moyen d’atteindre les sacs. Le cracheur de foudre déploya ses ailes noires et bleues pour se diriger rapidement vers les deux nains. Celui-ci fracassa la carcasse de son ancien compagnon en plein vol, le faisant tituber. Les nains accoururent se cacher derrière un rocher plus proche des sacs. Il était hors de question pour Merinlt qu’ils partent sans eux après tout ce qu’ils avaient enduré pour en arriver là. Le dragon se précipita vers les nains qui étaient en train de courir vers les sacs, faisant tomber l’une des stalactites près d’eux. Tous deux tombèrent, puis se relevèrent pour atteindre finalement les sacs.

— C’est bon, le métal y est, affirma Mayriside en posant le sac sur ses épaules.

— Bien, allons-y, dit Merinlt sûr de lui.

Mais alors qu’ils s’apprêtaient à courir vers la sortie de la caverne, le dragon se mit en travers de leur chemin. Celui-ci prépara son crachat, anticipant le son que cela allait produire. Tous les espoirs de Merinlt partirent en fumée. Lui qui voyait son arme entre les mains il y a une seconde à peine, voyait maintenant sa mort. C’est à ce moment-là qu’il entendit des cris venant de la sortie. Puis quelqu’un sauta en face du dragon, repoussant la foudre avec son bouclier en métal. Le nain fut ensuite projeté à travers un morceau de glace et se releva encore sous le choc. Merinlt le reconnut immédiatement.

— Ne crois pas que tu peux tuer un nain comme ça, cria Eimrock Brûlure-à-l ’Œil.

Merinlt et Mayriside n’arrivaient pas à croire ce qu’ils avaient devant les yeux. Eimrock, Plostof et Moyrock venaient d’arriver en renfort, avec des armes en plus.

— Que faites-vous ici ? demanda Merinlt sous le choc en relevant Eimrock.

— Pas le temps d’en parler tout de suite, répondit-il en lui donnant une hache. Mais j’avais juste oublié qu’un nain ne devait pas abandonner l’un de ses frères. Alors, c’est ce dragon le méchant ?

— Ouais…

Eimrock et Merinlt se tapèrent dans les mains, sachant qu’il était impossible de le vaincre. Ils devaient juste gagner du temps pour laisser les autres s’échapper.

— Courez vers la sortie et ne vous retournez pas ! ordonna Merinlt. Nous, on va se faire le dragon.

Tandis que le reste des nains s’enfuyait vers la sortie, Merinlt et Eimrock coururent frapper le dragon dans tous les sens, ne lui laissant pas le temps d’attaquer. Puis celui-ci cracha dans tous les sens, les forçant à se cacher derrière les blocs de glace.

Merinlt et Eimrock enchaînèrent les coups sur Eldmor dès qu’ils voyaient une faille dans sa défense. Frappant de tous les côtés et se protégeant à chaque attaque du dragon, les deux nains manquèrent plusieurs fois de se faire tuer. D’un coup, celui-ci déploya ses ailes et vola à travers la grande caverne.

— Des nains comme vous ne peuvent pas tuer un dragon, rugit-il en crachant des boules de foudre tout autour de lui.

Les deux nains étaient derrière un gros bloc de glace, tout essoufflés.

— Tu as un plan ? demanda Eimrock entre deux souffles.

— Non, pas vraiment, répondit Merinlt.

Eldmor brisa leur abri d’un coup de patte, blessant le bras gauche de Doigt-de-Métal. Même s’ils arrivaient à blesser le dragon, ils savaient tous deux qu’il était impossible de le tuer. Leur seule possibilité de survie était de s’enfuir, mais un nain ne s’enfuyait pas face au danger.

— Merinlt, écoute-moi, j’ai un plan.

Pendant qu’il s’occupait de la plaie de son compagnon, Eimrock avait trouvé un moyen de sortir, mais très risqué.

— Il est impossible de tuer ce dragon. Si on se fait tuer, notre mort n’aura servi à rien. Il faut absolument qu’on parte d’ici, affirma Brûlure-à-l ’Œil rapidement.

— Et que proposes-tu ? demanda Merinlt dont la blessure lui faisait extrêmement mal.

— En haut, il y a une stalactite géant qui manque de s’écraser au sol. Si tu pouvais essayer avec ta hache de le briser sur le dragon pendant que moi, je l’attire à cet endroit, ce serait parfait.

Le dragon, qui cherchait les nains au fond de la grotte, poussa un gros rugissement qui fit trembler la stalactite comme preuve.

— Mais ce serait dangereux pour toi. Tu risquerais de te le prendre dessus.

— Ne fais pas attention à moi. Tu es jeune, l’avenir de Bermark est entre tes mains, c’est à toi de le faire.

Merinlt comprit le sens caché derrière les paroles de son compagnon. Il savait qu’il n’avait aucune chance de survie. Le chef des nains disait toujours qu’il fallait favoriser la survie des plus jeunes dans ce genre de situation. Le nain ne pouvait pas refuser la proposition. Ce serait comme déshonorer les dernières paroles d’un mort.

— J’y vais, dit Eimrock en se dirigeant vers le dragon.

Merinlt ne répondit pas et resta caché derrière le rocher. À côté de lui se trouvait de l’elmarside. Une idée lui vint à l’esprit. Pendant qu’Eimrock s’approchait du dragon pour l’attirer dans le piège, le jeune nain enfonça le métal — avec toute la force qu’il avait pu y mettre — sur sa hache. Le métal se brisa à l’impact, faisant devenir la partie abîmée de l’arme bleu électrique.

— Viens me tuer si tu l’oses ! cria Eimrock en courant.

— Je vais te bouffer tout cru ! répondit Eldmor en le suivant.

Merinlt chercha un moyen de se propulser vers la stalactite. En face, il y avait une succession de blocs de glace propices à l’escalade. De derrière son abri, il vit son compagnon lui faire signe d’attaquer. Le nain accourut donc vers les blocs de glace, mettant de la force dans ses cuisses pour se propulser le plus haut possible, puis sauta vers la stalactite en brandissant sa hache vers le ciel. À ce moment-là, la foudre vint briser le plafond, se rassemblant autour de l’arme de Merinlt dont le manche devint brûlant. Pourtant, Merinlt continua à le tenir fermement entre ses deux mains, même s’il devait se les brûler. En l’air, il aperçut son compagnon se tenir debout, droit, son marteau posé au sol. Lui, fier comme toujours. Eimrock fit bouger les lèvres que Merinlt traduisit comme « je suis le meilleur ». Souriant, Merinlt frappa de toutes ses forces la stalactite avec toute la foudre qu’il avait, la faisant briser sur le dragon et Eimrock. Eldmor tomba sur le sol assommé, mais pas mort, tandis que son compagnon s’effondra lui aussi. Mort.

Merinlt tomba brusquement à terre. Sa hache était réduite en poussière. Il n’avait plus aucune arme pour se défendre. Puis, voyant le corps de son ancien compagnon, il le prit sur ses épaules, avec son marteau sur le dos. Les mains de Doigt-de-Métal lui faisaient affreusement mal. Pourtant, il continuait d’avancer. Lentement. Un pas après l’autre. Jusqu’à la lumière.

Dehors, le nain déposa son compagnon sur des bûches en bois qu’il fit brûler ensuite. Seul, il chanta le chant des morts en l’honneur de ce guerrier nain qui s’était battu jusqu’au bout. Un héros de plus venait de partir vers les portes de la gloire. Une âme noble s’en était allée. Ainsi, Eimrock Brûlure-à-l ’Œil allait rejoindre les dieux. Mais surtout Sondlop Grâce-de-Fée et Rurmiel Point-d ’Acier. Tel était le chemin des héros.

Les vieux nains vivant aux côtés de la montagne racontèrent qu’ils avaient vu le feu des héros émaner de la montagne et comprirent ce que cet acte avait signifié pour l’avenir.

Merinlt Doigt-de-Métal marchait sur l’épaisse neige du mont Ozbof dans l’espoir de trouver un endroit où s’abriter. Le nain avait décidé de suivre ses pas en pensant qu’il pourrait peut-être rejoindre ses compagnons. Durant ces deux jours de marche, Merinlt ne vit aucune trace du dragon Eldmor, pensant qu’il devait être coincé dans la caverne. Pourtant, après avoir brûlé le corps de son compagnon, il l’avait entendu rugir.

Le nain n’avait plus de vivres, ni même d’armes. Seulement un bâton pour s’appuyer. Il n’avait pas mangé depuis qu’il était sorti de la caverne du dragon, n'ayant pu se nourrir que des fruits congelés venant des plantes. La faim commençait à le ralentir.

Soudain, il vit les traces d’un campement dans lequel trois personnes s’étaient reposées. Alors qu’il avait perdu tout espoir de survie, Merinlt sut qu’il n’était pas très loin de ses compagnons. Doigt-de-Métal décida donc de suivre les traces de pas sur la neige rapidement, oubliant sa faim et sa fatigue.

Au bout d’une heure, il les vit : Mayriside Cheveux-d ’Or, Plostof Yeux-en-Feu et Moyrock Grandes-Jambes. Tous les trois avançaient lentement. Merinlt Doigt-de-Métal décida de pousser le cri le plus fort qu’il n’ait jamais fait, résonnant dans toute la montagne. Le groupe de nains se retourna brusquement, le voyant au loin. Tous décidèrent de le rejoindre rapidement en poussant, eux aussi, des cris de joie. Les nains avaient oublié leur fatigue, ne pensant plus qu’à se retrouver. Mayriside fut la première à sauter dans les bras de Merinlt, le faisant tomber au sol.

— On croyait que tu étais mort, dit-elle, un sourire aux lèvres qui embellissait son visage.

— Il en faut plus pour me tuer, répondit-il en rigolant.

Les deux autres nains venaient de les rejoindre, lui tapant gentiment l’épaule.

— Et Eimrock, où est-il ? demanda Moyrock, inquiet.

Merinlt ne répondit pas à cette question. Il décida de baisser la tête pour faire comprendre qu’Eimrock était parti. Les trois nains se turent pour commémorer l’esprit de celui qui s’était sacrifié pour eux.

— Il est mort en héros ! affirma Plostof en regardant le ciel comme s’il s’adressait à lui.

— Oui, confirma Merinlt en s’asseyant.

Un long silence se fit entre les nains qui pensèrent aux camarades qui étaient destinés à rester pour l’éternité sur le mont Ozbof. Mayriside devina que le grand feu qu’ils avaient vu du bas de la colline n’était pas celui du dragon, mais celui de Merinlt brûlant le corps d’Eimrock.

— Mais dis-moi, tu dois avoir faim Merinlt, pensa soudainement Mayriside.

— Tu ne peux même pas l’imaginer, confirma le nain en s’écroulant au sol joyeusement.

— Quand on était parti avec Eimrock, on était tombé sur la maison d’un vieil homme qui vivait dans la montagne. Cela nous avait étonnés de voir un humain ici, mais il nous a accueillis et remplis nos sacs de bons produits faits maison. Tiens, mange ça, raconta Plostof en fourrant un morceau de viande dans la bouche de Merinlt qui manqua de s’étouffer.

Le groupe de nains s’installa dans cet endroit. Riant fortement et s’enivrant d’alcool récolté, la joyeuse assemblée fit fuir les animaux autour. Ils racontèrent des histoires toute la nuit avant de partir vers leur maison à Garmont.

Leur voyage du retour fut moins long puisqu’ils passèrent leurs journées à glisser dans la neige. Les nains ne virent pas de traces de Moonford, mais ils surent qu’ils étaient passés par le même lieu puisque celui-ci était totalement dévasté. Ils croisèrent quelques animaux, dont l’ours Garine qui, à leur plus grand étonnement, leur adressa un « bon voyage » avant de partir dans sa forêt.

Ils arrivèrent deux semaines plus tard dans la capitale de Bermark. À leur retour, toute la population s’était rassemblée autour d’eux, les accueillant comme des héros en voyant qu’ils avaient réussi. Nemporf Crâne-d ’Acier les félicita puis commémora l’âme de Rurmiel Poing-d ’Acier, Sondlop Grâce-de-Fée et Eimrock Brûlure-à-l ’Œil.

Merinlt Doigt-de-Métal ne s’était accordé que deux jours de repos avant de se mettre à la fabrication de son arme. Le chef nain, Nemporf Crâne-d ’Acier, était venu le voir dans sa forge pour analyser l’elmarside qu’ils avaient ramené. Il lui avait ensuite proposé de partir dans un lieu moins agité pour éviter de se faire voler ou de blesser quelqu’un accidentellement. Le jeune nain décida donc de retourner dans sa ville natale, Bornt, dans la forge de ses parents. Ainsi, il y travaillait toute la journée, oubliant de manger, dans l’espoir de créer une hache surpuissante.

Un matin tranquille, où le soleil commençait à illuminer la montagne endormie, le bruit des marteaux retentissait dans toute la ville de Bornt. Merinlt était le seul debout, priant Feyra, la déesse des forgerons. Puis, il prit l’elmarside dans sa réserve. Ce métal brillant reflétait une aura mystique. Merinlt alluma le feu de la forge dont les flammes lui firent penser à ses anciens compagnons morts au combat, en chantant les chants anciens. Il mit ensuite l’elmarside dans le creuset abîmé depuis longtemps par toutes les armes que ses parents avaient créées avant lui. Le métal fondu fut ensuite versé dans le moule qu’il avait lui-même fait, avec des symboles représentant la quête qu’il avait entreprise. Une fois refroidi, Merinlt inspecta le métal de telle sorte qu’il n’y ait aucune imperfection. Lui, dont la famille était réputée pour être les meilleurs forgerons du royaume, ne pouvait salir leur honneur. Tandis qu’il forgeait l’arme avec son marteau, des étincelles scintillaient à chaque coup.

Le manche de la hache venait du mélèze, un arbre très répandu à Bermark, symbolisant l’immortalité de la puissance des nains. Ce bois résistant au feu était orné d’entrelacs qui représentaient la famille Doigt-de-Métal. Ainsi, Merinlt ajusta le manche à la hache. Une fois assemblée, le jeune nain immergea sa hache dans l’eau sacrée de la cascade qui venait du mont Ozbof pour posséder la force de Feyra.

Merinlt regarda sa hache avec fierté. Cette arme scintillante et parfaitement ajustée était un exemple de la rigueur du nain lorsqu’il forgeait. Doigt-de-Métal tenta de l’activer en augmentant la pression sur son manche, et à ce moment-là, les symboles représentés sur le métal devinrent bleus, à l’image de ses yeux. Il tenta ensuite de briser un rocher imposant, et celui-ci se brisa directement au contact du métal et de la foudre qui l’avait rejoint. Cette hache n’était pas seulement une arme, elle était aussi un héritage. L’héritage des nains qui avaient donné leur vie pour qu’elle puisse exister. Un héritage de nains qui avaient parcouru une montagne enneigée pour un jour la trouver. Ainsi, en l’honneur de ses amis morts pour elle, il décida de lui donner un nom, chose que seules les armes les plus remarquables pouvaient avoir. Merinlt Doigt-de-Métal l’appela Feldrock. Ce champ de pierre où se reposent tous les nains les plus courageux et honorables, morts au combat.

Merinlt Doigt-de-Métal arriva dans la demeure de Nemporf Crâne-d ’Acier d’un pas décidé, Feldrock à son dos. Le jeune nain posa son arme sur la table pour lui montrer son chef-d’œuvre.

— Quelle beauté, souffla le chef impressionné.

— Cette hache vous convient-elle ? demanda Merinlt en le regardant droit dans les yeux.

— Je ne sais pas. Certes, elle est très belle, mais est-elle puissante ?

Crâne-d ’Acier guida Merinlt dans une plaine enneigée où personne ne se reposait, divisée par un barrage de pierre.

— Créez-moi un passage dans ce barrage, ordonna Nemporf.

Merinlt exécuta directement les ordres du chef nain. Lui ayant donné une forme capable de revenir vers lui, le jeune nain envoya la hache vers le mur en pierre après avoir mis toute la force qu’il avait. Feldrock brisa, accompagné de la foudre, une partie du barrage, puis revint vers lui en brisant une autre partie toujours recouverte de foudre. La neige avait fondu là où la foudre était passée.

Nemporf regarda la scène qui s’était déroulée en l’espace de quelques secondes, impressionné. Jamais il n’avait vu une telle puissance et précision dans une arme.

— D’accord, dit-il sans regarder Merinlt. Cette hache est digne des nains.

Tous les nains en âge de se battre s’étaient rassemblés dans la salle de guerre. Nemporf Crâne-d ’Acier et ses conseillers étaient debout sur une balustrade. Merinlt Doigt-de-Métal n’était pas très loin, sa hache à la main.

— Mes nains ! cria le chef pour se faire entendre. (Toutes les têtes se tournèrent vers lui.) Aujourd’hui est un nouveau jour pour prouver que les guerriers nains de Bermark sont plus forts que les géants d’Alrof. Aujourd’hui, nous allons leur montrer de quoi nous sommes capables. Alors, mes guerriers, ne soyez pas envahis par la peur, ne craignez pas la mort, car mourir au combat est la chose la plus honorable qu’un nain puisse accomplir. Je veux donc vous voir avec férocité. Je veux avoir en face de moi des bêtes sauvages, déterminées à dévorer leur proie. Mes nains ! Aujourd’hui, nous allons montrer qui nous sommes vraiment !

Tous les nains poussèrent des cris d’acclamation en brandissant leurs armes avant de partir vers le lieu de combat. Les plus jeunes, ceux pour qui c’était la première fois qu’ils allaient se battre, avançaient en tête. Merinlt, lui, marchait calmement en pensant à la manière dont il allait massacrer Rengard Forcedouce. Lui couper la tête ? Beaucoup trop direct. Lui retirer les membres un à un ? Beaucoup trop long. La seule chose qui comptait à ses yeux était de voir ce géant mort.

— Tout va bien ? demanda Mayriside qui l’avait vu plongé dans ses pensées.

— Oui, répondit Merinlt sans regarder qui lui avait adressé la parole.

Soudain, les nains sentirent le sol trembler. Certains d’entre eux tombèrent à terre sous l’impact. Les géants d’Alrof venaient, eux aussi, d’arriver sur le lieu de combat. Aussi grands que des arbres.

— Êtes-vous prêt à vous faire massacrer ? demanda Thrain, un sourire aux lèvres.

Sans attendre, Thrain frappa Nemporf de sa grande massue, l’envoyant loin dans la montagne. Le chef nain se releva rapidement et entailla le visage de son ennemi. Les nains et les géants perçurent cette attaque comme le signal du début de l’assaut. Tous coururent vers l’ennemi pour l’attaquer à leur tour. Tandis que certains géants tentaient de se battre contre Merinlt, celui-ci les esquiva. Le nain voulait planter sa hache uniquement dans le corps de Rengard. Il courait à travers ce champ de bataille dans la neige, espérant trouver son ennemi, passant à côté des cadavres de nains et de géants déjà décomposés lors des anciennes batailles. Voyant les siens se faire tuer ou tuer, entendant le bruit du métal qui s’entrechoquait, sentant le sang jaillir des corps.

Soudain, il sentit un poids pénétrer son corps, l’emmenant dans la montagne. Merinlt Doigt-de-Métal reconnut immédiatement le marteau de Rengard. Son poids était si lourd que, pendant un instant, le jeune nain pensa qu’il ne pourrait plus respirer. Rengard s’avança vers lui, imposant, puissant, féroce.

— Je crois que nous sommes destinés à nous affronter, dit-il en récupérant son marteau.

Merinlt tenta de se lever, mais le géant l’envoya plus loin d’un coup de pied. Le nain cracha immédiatement du sang, qui coulait également sur son visage. Doigt-de-Métal se réfugia rapidement derrière un rocher avec sa hache, puis chargea vers le géant. Rapidement, il frappa avec Feldrock sur le marteau du géant, envoyant une vague d’électricité parcourir tout son corps. Forcedouce resta debout, ne comprenant pas ce qu’il venait de se passer. Voyant que son adversaire n’avait pas bougé, le jeune nain frappa le géant sur ses jambes pour le faire tomber, puis se précipita vers lui en concentrant toute la foudre qu’il pouvait. Mais le géant éveilla ses sens et se défendit avec son marteau. À ce moment-là, toute la foudre accumulée par Merinlt se projeta à travers le champ de bataille, réduisant en poussière nain et géant. La bataille s’arrêta net pour regarder les deux adversaires se battre l’un contre l’autre avec férocité.

— J’avoue que ton arme est très puissante, affirma le géant en repoussant son adversaire. Mais elle ne te permettra pas de me battre, petit nain.

De nouveau, Rengard projeta son marteau vers Merinlt, qui parvint à le stopper avec Feldrock. Doigt-de-Métal se retrouva de nouveau à terre, blessé par une cicatrice au visage. Le géant prit le nain par le cou et le souleva pour lui faire face.

— Tu es faible, dit-il.

En réponse, Merinlt lui cracha au visage. Le géant réagit en lui serrant le cou plus fort, ce qui coupa la respiration de Merinlt et fit lâcher sa hache de ses mains.

— Tu as le même regard que cette pauvre naine que j’ai tuée il y a trois ans. Comment s’appelait-elle déjà ? Ah oui, je me souviens. Cette faible Eidra que tu as laissée se faire tuer.

À ces mots, Merinlt fut envahi d’une telle haine contre le géant qu’il parvint à se libérer de son emprise en lui donnant un coup de tête. Merinlt Doigt-de-Métal ne laisserait jamais personne salir le nom de sa Eidra. Cela était hors de question. Les pied-à-terre, il reprit rapidement Feldrock et partit loin pour mieux attaquer ensuite. Puis, il courut le plus vite possible en chargeant l’arme vers Rengard, qui avait préparé son marteau pour se défendre. Lui aussi se mit à courir vers le nain, prêt à attaquer. Alors que Merinlt était en l’air, il frappa de toutes ses forces son adversaire, faisant en sorte qu’il prenne la foudre en brisant en même temps le marteau. À ce moment-là, alors qu’il était encore en l’air, un rugissement énorme retentit et une foudre encore plus puissante fut envoyée sur le géant.

Eldmor, le dragon, se tenait derrière Merinlt. Les ailes déployées, montrant toute sa puissance. Nains comme géants s’arrêtèrent à la vue du dragon, la peur se reflétant sur leurs visages. Bien qu’ils aient entendu les histoires sur un dragon se reposant au cœur du mont Ozbof, jamais ils ne l’avaient vu pour de vrai.

Directement après, Eldmor cracha du feu électrique sur le champ de bataille. Le dragon avait passé des mois enfoui sous de gros glaciers à cause de ces sales nains. Il ne laisserait pas passer un tel affront. Puis la foudre qu’il avait senti le jour même permit au cracheur de foudre de s’échapper de son piège et de voler vers là où la vie était la plus dense.

Au contact de la foudre, de nombreux nains et géants furent réduits en poussière, décimant la moitié des guerriers. À côté de lui, les géants semblaient ressembler à des nains.

— Courez ! ordonnèrent en chœur Nemporf Crâne-d ’Acier et Thrain Hautetaille.

Merinlt, qui était aux côtés de la dépouille de Rengard Forcedouce, exécuta rapidement les ordres de son chef. Lui, qui avait déjà combattu le dragon, savait qu'il était inutile de se mesurer à lui. Certes, un nain devait mourir au combat et non fuir, mais une mort ridicule était la pire de toutes. Pourtant, certains jeunes s’amusèrent à affronter le dragon, qui les tuait d’un simple coup de patte.

Le champ de bataille était maintenant vide, les nains parvinrent à partir assez loin du champ de vision d’Eldmor.

Eldmor, voyant qu’il était seul, monta en haut de la montagne et rugit à travers toute l’île.

Merinlt Doigt-de-Métal regardait le jeune homme debout, en face de Leia Toladriam. Il était grand et avait un assez beau visage. Gêné par le silence, le dénommé Elendio Nelson arborait un sourire narquois. Le nain ne connaissait pas du tout ce jeune homme et se demandait ce que faisait quelqu’un comme lui à Bermark. Leia, elle, était toujours pétrifiée devant l’inconnu. Nelson. Ce nom, elle le connaissait, mais ne savait pas d’où. Dans sa tête, elle chercha tous les noms des personnes qu’elle avait rencontrées dans l’espoir de tomber sur le bon.

— Nelson ? demanda-t-elle dans l’espoir de trouver une réponse.

Elendio hocha la tête frénétiquement. Il n’aimait pas du tout la situation dans laquelle il s’était mis. Il trouvait que les deux personnes le regardaient étrangement. Le nain derrière Leia semblait imposant et puissant. Ses cicatrices au visage renforçaient cette idée. Durant son voyage, depuis qu’il avait quitté Vich-Tori, il avait pu voir de nombreux types d’êtres vivants, mais jamais de nains. Ce n’était que lorsque Elendio avait atteint Little-Garp, et qu’il avait rencontré ce Dorante Rodan (un garçon qui l’avait guidé vers Leia), qu’il apprit l’existence d’êtres plus petits que des humains, et même que des Vich-Toriens, mais bien plus forts. Le regard d’Elendio Nelson se posa ensuite sur Leia. Une jeune femme qui ne ressemblait en rien aux Vich-Toriennes. Elle avait certes la même taille, mais restait élancée — chose qu’il avait remarquée chez tous les humains — mais surtout, elle était claire. Sa peau était presque pâle, et le jeune homme dirait qu’elle l’était plus que son père, Braden Nelson. Ses yeux étaient d’un vert hypnotisant, émeraude, dont le jeune homme avait du mal à se détacher. Ses cheveux cuivrés, bouclés, qui partaient dans tous les sens permettaient de les mettre en valeur. Son visage était très fin, comparé à celui du nain derrière, tout comme son nez, mais différent de sa bouche pulpeuse.

Soudain, la dénommée Leia Pendleton poussa un cri d’exclamation.

— Elendio Nelson ! Tu es le fils de Braden Nelson !

— Oui ! C’est ça, s’exclama-t-il à son tour. Parce que tu connais mon père ?

— Évidemment que je connais ton père.

L’image de Braden Nelson était revenue dans sa mémoire, pendant qu’Elendio l’examinait. Elle se souvint que ce pirate avait été bon envers elle, et que c’était grâce à lui qu’elle était ici.

— Mais non, tu es le fils de Braden Nelson, répéta-t-elle plusieurs fois.

— Pourrais-je avoir une explication de ce qui se passe ? demanda Merinlt, toujours assis.

Les deux humains se retournèrent vers lui, perplexes. Elendio Nelson fut le premier à s’avancer vers lui en lui tendant la main.

— Elendio Nelson, enchanté, se présenta-t-il. Et vous êtes… ?

— Merinlt Doigt-de-Métal, propriétaire de cette forge.

— Oh ! pardon, veuillez m’excuser.

Le nain reconnut un certain accent de Formana dans les paroles d’Elendio.

— Mais dis-moi, Elendio, demanda Merinlt, d’où viens-tu et que fais-tu ici ?

— Je viens de Vich-Tori, répondit-il en prenant de la nourriture sans demander la permission. C’est dans la forêt d’Erminnad. Et si je suis ici, c’est qu’un vieil homme m’a dit de retrouver Leia Pendleton.

Elendio Nelson avait la bouche pleine de nourriture, ce qui grossissait ses joues.

— Vich-Tori, répéta Leia qui venait de s’installer à leurs côtés. Ce n’est pas ce petit village dans les arbres où les gens croient qu’ils sont les derniers hommes sur Terre ?

Pour confirmer sa réponse, Elendio hocha la tête tout en restant concentré sur son morceau de viande.

— C’est bon, ça, affirma le jeune homme. Qu’est-ce que c’est ?

— De l’ours, répondit Merinlt en réfléchissant.

À ces mots, Nelson avala bruyamment puis reposa le morceau de viande là où il l’avait trouvé, en espérant que personne ne le remarque.

— Et qui est ce vieil homme qui voulait que tu me retrouves ? demanda Leia en se rapprochant d’Elendio. Pourquoi voulait-il cela ?

— Je ne sais pas. En tout cas, je suis sûr que tu ne le connais pas. C’est un Ancien de mon village, Aztila, qui a juste répété les mots de mon père. Il m’a dit (Elendio toussa bruyamment pour imiter la voix d’Aztila) : « Va à Rogmad, dans le royaume de Nokwa, puis retrouve celle qui se fait appeler Leia Pendleton. » Enfin, ce ne sont pas exactement ses mots.

— Rogmad ? s’écria Leia qui ne comprenait rien à cette discussion.

— Nokwa, je connais, dit Merinlt. Mais Rogmad n’existe pas. Ce n’est qu’une légende.

— En fait, si, le contredit Leia. Cette cité existe, mais elle est cachée. Elle se situe au cœur de la montagne de Sakwi. Mais que faisais-tu là-bas ?

Cette fois-ci, Leia s’était tournée vers Elendio qui admirait la forge de Merinlt. Voyant que le nain et la jeune femme le regardaient, il revint à sa place et raconta son histoire, sans oublier de parler de la gemme qu’on lui avait donnée.

— Alors c’est toi qui avais la gemme jaune depuis tout ce temps, dit Leia à la fin du récit.

— Une gemme, marmonna Merinlt dans sa barbe. Toi aussi, Leia, tu en as une.

La jeune femme acquiesça sombrement, attisant la curiosité des deux hommes.

— Moi aussi, j’ai dû aller à Rogmad pour l’activer, il y a longtemps. Mais tout ça ne répond pas à pourquoi tu veux me voir.

— Ce n’est pas que je veux te voir, la contredit Elendio. C’est qu’on me l’a ordonné. Mais je pense qu’on me l’a demandé pour que tu m’aides à retrouver mon père…

— Ne compte pas sur moi, le coupa Leia sans le regarder.

— Pourquoi ?

— Comme je l’ai dit à ce Merinlt, Braden Nelson fait partie de l’équipage de John Canterbelt. Ce pirate est surpuissant et impossible à tuer. J’ai réussi une fois à m’échapper de son emprise, ce n’est pas pour y retourner.

— Au moins, on peut dire que tout a un lien, dit Merinlt en pensant à son but de reconquérir Drakonia.

Un silence de mort pesa dans la forge. Personne n’osait parler. Chacun pensait à son objectif : Elendio de retrouver son père ; Merinlt, de reconquérir Drakonia, ce qui permettrait peut-être d’arrêter la guerre contre les géants d’Alrof ; et Leia, de vivre une vie paisible avec une famille dans laquelle elle ne se sentirait plus jamais seule.

— Si je te suis dans ton projet, je ne ferai que t’attirer des problèmes, s’adressa Leia à Elendio. Je ne sais pas si tu le sais, mais je suis recherchée par les gouvernements à cause de mon passé de pirate. Si on te voit en ma compagnie, toi aussi, tu risques d’être recherché.

— À vrai dire, je le suis déjà, dit Elendio, gêné, en se passant la main dans les cheveux.

— C’est-à-dire ? demanda Merinlt d’un air sévère.

— On m’a accusé d’avoir enlevé la femme d’un riche homme sur Nokwa. Mais je vous rassure, c’est elle qui voulait partir.

Elendio Nelson parlait comme un enfant qui devait justifier une bêtise à ses parents. Cela lui donnait un côté assez enfantin.

— Et qui est cette femme ? demanda Leia Pendleton, espérant que ce ne soit pas quelqu’un de beaucoup trop important.

— Aisha Mamaka, la femme de Konto Chawni.

— Super, souffla Leia qui se souvint que cette histoire avait fait la une des journaux.

Konto Chawni était un homme puissant sur Nokwa. Il était l’un des plus grands distributeurs d’armes dans le monde et l’une des principales fortunes. Son influence était telle qu’Elendio avait été obligé de se cacher pendant des semaines pour ne pas se faire prendre. Aisha Mamaka, qui était à ce moment-là enceinte, ne fut jamais retrouvée.

— Si on récapitule bien, dit Merinlt, nous avons deux personnes recherchées pour diverses raisons et un ennemi commun...

— Et attends, je n’ai jamais dit que Canterbelt était mon ennemi, le coupa Leia.

Merinlt Doigt-de-Métal la regarda d’un air sévère et reprit sa phrase.

— Quand on est recherché, le seul moyen de survie est de rester en meute. Ceux qui parviennent le mieux à vivre dans ce genre de situation sont les pirates. Alors, on a notre solution. Créons notre équipage.

Merinlt arborait un étrange sourire fier de lui.

— C’est drôle, dit Elendio. Parce que j’avais déjà essayé de le faire en recrutant Aisha, mais elle m’a dit qu’elle avait quelque chose à faire. Elle m’a aussi dit que si je tenais vraiment à l’avoir, il faudrait que je la rejoigne dans une île appelée Helmtown.

— Génial ! L’île des pirates, répliqua Leia, qui n’avait pas l’air emballée à l’idée de créer un équipage.

— Bah voilà, si tout le monde est d’accord, on crée notre propre équipage pirate. Qui veut être le capitaine ? demanda Merinlt en regardant ses invités.

Leia fit semblant de ne pas le voir pour ne pas être désignée. La jeune femme savait que le capitaine avait toujours plein de problèmes. « Et puis merde… » pensa Leia en se disant que Merinlt Doigt-de-Métal était assez fort et raisonnable pour la protéger.

— Je veux bien être le capitaine, fit Elendio comme s’il acceptait sous conditions.

Leia pensa que la formation de cet équipage s’était faite bien rapidement. Beaucoup trop rapidement. Elle ne connaissait aucun des deux êtres. Leur passé, leur vie et leurs objectifs. La jeune femme ne se voyait pas rejoindre de parfait inconnus. Cependant, un certain sentiment de sécurité s’était installé dans son âme. Elendio Nelson ne paraissait pas être dangereux, ni même avec de mauvaises attentions. Cela n’était pas très étonnant puisqu’il était le fils de Braden Nelson.

Mais quelque chose en elle disait de ne pas les suivre. Toute sa vie Leia avait rêvé d’une vie paisible. S’installer dans une petite maison à la campagne et y fonder une famille. Ses journées seraient toutes similaires, mais heureuses. Pourtant, cette vie lui était refusée. Leia Pendleton était la dernière héritière d’une famille déchue, une ancienne pirate de la Morsure des Mers et la détentrice d’une puissante gemme de pouvoir.

De plus, une envie d’aventure et de liberté totale émanait de la jeune femme. L’océan était son élément, il n’avait aucun secret pour elle. Alors, prenant sur elle, Leia accepta de les accompagner mais seulement un certain temps. Puis, elle irait vivre sa vie rêvée.

— Bien, dit Merinlt en finissant sa chope. Maintenant, laissez-moi vous guider vers notre navire pirate.

Elendio Nelson et Leia Pendleton suivirent Merinlt à poney, qui les conduisait vers le port de Bermark. Le nain savait que s’il devenait pirate, il déshonorerait les siens. Pourtant, le nain qui avait affronté un dragon était animé d’un esprit d’aventure. Il voulait parcourir le monde, combattre de nouveaux ennemis plus dangereux. Mais surtout, Merinlt voulait abandonner cette terre qui lui rappelait toujours sa Eidra. Alors, suivre ces deux jeunes Hommes lui permettrait d’oublier ses souffrances. Et ça, il le savait.

Le trio s’arrêta devant le port. Là-dedans, de nombreux navires imposants étaient en construction. Le nain les conduisit vers celui qu’il avait lui-même construit il y a des années pour se rendre à Stilrion. Un grand bateau imposant en bois presque noir, très résistant. Ce trois-mâts aux voiles noires était orné de symboles mélangeant la culture des nains de Bermark et de Drakonia. Sur la proue était représentée une femme légèrement habillée, accrochée, comme si elle guidait le navire. En voyant le navire, Elendio et Leia ne purent s’empêcher d’exclamer un cri d’admiration. Leia, qui était d’abord prête à refuser de rejoindre l’équipage, oublia directement cette idée. Ce vaisseau à la fois incassable et rapide était l’une des plus belles merveilles du monde.

— Elendio Nelson, Leia Toladriam ; je vous présente votre navire pirate que j’ai moi-même fabriqué : la Reine Noire.

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