Stilrion
La gemme bleu est sans aucun doute la plus recherché dans le monde. Permettant d’avoir un savoir et une sagesse immense, tout être vivant ont déjà rêvés de s’en emparer. Pourtant, ses utilisateurs se font rares. Peu de nom est connu, étant donné que les utilisateurs ne sont pas assez fous pour révéler leurs atouts. Et sans doute, nous ne trouverons jamais qui l’eu posséder.
Extrait de L’encyclopédie de la Magie par les sorcières de Gorgoline
Loca Monridone courait dans les longs couloirs du palais impérial de Stilrion, espérant atteindre à temps les appartements de l’impératrice. Des corps jonchaient le sol, et les murs étaient maculés de sang. En l’espace d’une nuit, le magnifique palais de Stilrion avait perdu toute sa splendeur. Un pirate à la jambe de bois tenta de le trancher avec son sabre, mais le garçon esquiva de justesse. Loca voulait éviter à tout prix les combats entre les pirates de La Morsure des Mers et leurs alliés.
Lorsqu’il atteignit enfin les appartements de l’impératrice, celle-ci défendait sa jeune fille, une épée à la main, contre un groupe d’hommes armés.
—Elle est belle et féroce, ricana l’un des pirates.
— Je ne vous laisserai pas emporter mon enfant ! s’exclama Calimia Toladriam avec détermination.
Dans les bras de sa mère, Leia Toladriam, un bébé aux grands yeux verts, pleurait à chaudes larmes, comme si elle pressentait le drame à venir. Surgissant de derrière, Loca Monridone abattit les ennemis avec une précision fulgurante. Ils tombèrent raides, morts.
— Votre Majesté, suivez-moi ! Nous devons nous cacher, dit-il en s’adressant à l’impératrice.
Loca ouvrit rapidement une porte dissimulée, révélant une chambre secrète. Il laissa Calimia s’y réfugier, tandis que les pas lourds de John Canterbelt résonnaient de plus en plus fort dans la pièce.
— Chut, chut... ne pleure pas, mon ange, murmura Calimia, berçant doucement son enfant pour la rassurer.
Affaiblie par une blessure à la jambe, l’impératrice s’effondra dans le sombre couloir. Elle venait de perdre son mari, et ses deux fils avaient été massacrés par les pirates. Le bébé qu’elle portait dans son ventre ralentissait chacun de ses mouvements. La petite Leia pleurait encore.
Mon petit trésor, mon tendre enfant,
Ferme les yeux pour que la nuit t’emporte.
Demain sera un jour meilleur,
Les vagues danseront pour toi,
Mais laisse-moi veiller sur toi ce soir,
Je te chante l’amour pour t’apaiser.
Des larmes coulaient sur les joues de Calimia Toladriam. Elle savait qu’elle ne reverrait jamais les beaux yeux verts de sa fille, qui venait enfin de s’endormir. Les pas de John Canterbelt se rapprochaient dangereusement.
— Votre Majesté, nous devons partir, insista Loca, terrifié.
— Va-t’en, mon garçon, répondit fermement l’impératrice.
— Mais... et votre fille ?
— Si elle survit, elle vivra dans la souffrance toute sa vie. Il vaut mieux qu’elle meure maintenant, innocente.
Le regard de Calimia était résolu. Elle observa intensément le jeune garçon, ses mèches rousses, habituellement bien attachées, tombant délicatement sur son visage. L’impératrice, malgré tout, restait courageuse, prête à affronter le plus grand pirate de tous les temps.
— Alors elle s’appelle Leia ? lança John Canterbelt en pénétrant dans la pièce.
D’un geste rapide, Calimia sortit un poignard dissimulé dans sa robe et tenta de frapper le pirate. Mais sa lame ne fit que l’entamer : la blessure se referma presque aussitôt.
— Pauvre sotte, cracha-t-il avant de l’égorger sans hésitation.
Calimia s’effondra, tenant toujours fermement sa fille dans ses bras. John Canterbelt s’empara du bébé, prêt à lui ôter la vie. Pourtant, alors qu’il levait son arme, il s’arrêta. Son unique œil clair croisa les profonds yeux verts de Leia. Le capitaine resta immobile, comme figé par un sentiment inexplicable.
Après un moment qui parut une éternité, il abaissa son arme, caressa doucement la joue de l’enfant, et l’emporta avec lui.
Loca Monridone, caché derrière une fenêtre, suspendu dans le vide, fut le seul témoin de la scène. Le seul à savoir que la princesse Leia Toladriam était encore en vie. Lorsque Harry Rondelet s’empara de la couronne, Loca se fit une promesse : il détrônerait l’usurpateur et restaurerait l’héritière légitime sur le trône de Stilrion.
Loca Monridone venait de bousculer des passants qui se promenaient dans le quartier de Délovais. Le soldat était déterminé à attraper un voleur qui venait de s'emparer de provisions au grand marché de Stilrion. Le criminel, connaissant les lieux, avait choisi de s'engouffrer dans les bas quartiers, son terrain de jeu favori.
Loca connaissait bien Délovais. Il y était déjà allé à plusieurs reprises pour appréhender d'autres malfaiteurs. C'était un quartier qu'il n'appréciait guère. Avec ses grands immeubles sombres entassés, les uns sur les autres et les innombrables linges suspendus entre les habitations, la lumière du jour peinait à atteindre le sol. L'atmosphère y était oppressante.
Une main maigre et décharnée attrapa soudain la cheville du soldat. Loca se dégagea d'un simple coup de pied. L'homme qui avait tenté de le saisir ne ressemblait presque plus à un être humain : son corps était marqué par la pourriture et amputé de plusieurs membres. Beaucoup d’habitants des bas quartiers présentaient des signes similaires, conséquence de la drogue qui circulait abondamment dans ces lieux.
— Par ici ! interpella Loca en s’adressant à ses compagnons d’armes.
Les soldats s’engouffrèrent dans une ruelle étroite menant à une petite place. L'odeur y était si nauséabonde que Loca dut retenir sa respiration, une habitude nécessaire pour quiconque n’était pas familier des lieux.
— Bonjour, mon beau, le salua une vieille prostituée dont il ne restait que la moitié des dents.
Monridone ignora la femme et poursuivit sa traque. Le voleur atteignit bientôt le centre de la place, où une fête était en cours de préparation. Profitant de l’agitation, il se dissimula dans la foule en rabattant sa capuche. Les soldats, quant à eux, tentaient de se frayer un chemin sous les regards hostiles des habitants.
— Encore vous ! cracha une vieille dame aux pieds de Loca.
Habitué à ce genre de remarques, le soldat n'y prêta pas attention. Les insultes étaient monnaie courante lorsqu’il mettait les pieds dans les quartiers pauvres de Stilrion.
Soudain, il aperçut le sourire narquois du voleur, dissimulé sous sa capuche. L’homme distribuait ce qu’il avait volé aux enfants affamés. Loca, bien qu’ébranlé par la scène, serra les dents et se jeta sur lui, le plaquant au sol.
— Monsieur, je vous arrête pour vol, déclara-t-il fermement en maintenant le voleur sous le regard de la foule. Vous répondrez de vos actes devant la justice.
— Mais de quelle justice parlez-vous ? railla le voleur.
Loca lui asséna un coup à la tête avec la crosse de son fusil, laissant une plaie saigner sur sa tempe. L’atmosphère devint tendue. Les habitants s’armèrent de tout ce qu’ils avaient sous la main, certains brandissant des couteaux.
— Je vous en supplie, épargnez mon père ! implora une petite fille.
— Ne t’inquiète pas pour moi, mon ange, répondit le voleur avec tendresse. Prends soin de ta mère malade.
Une vieille dame intervint pour éloigner l’enfant, jugeant que ce genre de spectacle n’était pas pour elle. Loca partageait cet avis.
— Quiconque osera s’en prendre à l’armée sera jugé par l’empereur, menaça Loca en appuyant le canon de son fusil sous le menton du voleur.
Face à la menace, la population resta immobile, paralysée par la peur. Les autres soldats, armes en main, tenaient également la foule en respect. Les habitants de Délovais, excédés, lançaient des regards haineux à ces soldats vêtus de leurs élégants manteaux verts, avec leurs nœuds au cou et leurs grands chapeaux.
Après avoir menotté le voleur, Loca Monridone se releva et se dirigea vers le centre de la ville, son monde. Il s’arrêta un instant pour contempler les majestueux bâtiments de Stilrion, perchés plus haut sur la montagne. Ces lieux de rêve étaient visibles depuis les bas quartiers, mais les habitants refusaient d’y poser les yeux, rongés par leur rancune envers les élites qui y vivaient.
Loca Monridone se tenait debout face à son supérieur dans l'armée de Stilrion. Ce petit être, qui n'était même pas un homme, adorait contredire Loca, malgré son comportement irréprochable.
— Donc, vous avez laissé ces vermines humilier l’armée ? lui reprocha son supérieur, Eliot Jacquemin.
La petite créature retroussait les babines. Sa grosse barbe grise frémissait à mesure qu’il finissait son repas de viande. Tous les Irks ne se nourrissaient que de viande. Ces sortes de lutins poilus faisaient d’excellents soldats grâce à leur agilité et à leur discrétion. C’est ainsi qu’Eliot Jacquemin avait réussi à devenir capitaine de l’armée de Stilrion.
— Je ne voulais pas blesser d’innocents supplémentaires, répondit doucement Loca. Ils ont déjà suffisamment de problèmes à gérer.
— Oui, bien sûr. Comme si je n’avais pas assez de problèmes moi-même…
Le capitaine commença à marmonner dans sa barbe, comme à son habitude, tout en touchant compulsivement tout ce qui se trouvait à portée de main. Loca Monridone, de son côté, peinait également à rester immobile. Cela faisait trop longtemps qu’il était statique, et son trouble de l’attention devenait de plus en plus évident, son pied pivotant nerveusement sur lui-même.
— Êtes-vous conscient que l’empereur attend des résultats efficaces et concrets ? gronda Eliot, désormais debout devant lui. S’il découvre que c’est le chaos dans sa capitale, c’est moi qui en subirai les conséquences. Et je n’ai aucune envie d’avoir des ennuis.
— Oui, je comprends, mon capitaine.
— Alors, proposez une idée qui pourrait plaire à notre vénéré empereur Harry Rondelet.
Loca crut percevoir une pointe d’ironie dans sa voix.
— Je n’ai pas d’idée, mon capitaine, répondit-il.
Loca Monridone fixa Eliot Jacquemin droit dans les yeux. Lorsqu’il s’agissait de l’empereur, il n’avait aucune envie d’agir. À ses yeux, Harry Rondelet n’était qu’un usurpateur, un lâche qui s’était réfugié derrière la puissance de John Canterbelt pour s’emparer du trône de l’empire le plus puissant du monde. Eliot le savait. Pourtant, il fermait les yeux sur les idéaux de Loca, car ce dernier était l’un de ses meilleurs hommes. Il ne pouvait pas laisser l’empire exécuter un soldat aussi talentueux pour une telle cause.
— Vous pouvez disposer, conclut l’Irk.
Loca tourna les talons et se précipita chez lui pour retrouver ses enfants. Il ne supportait plus de travailler pour la police de Stilrion. Sa place était auprès de son peuple, celui qui souffrait de la faim depuis qu’Harry Rondelet avait accédé au trône. À ses yeux, seul un Toladriam avait la légitimité de diriger Drakonia. Mais les Toladriam avaient été exterminés, et la seule survivante, Leia, avait été enlevée sous ses yeux par John Canterbelt.
Monridone avait rejoint l’armée dans le seul but de trouver des informations sur elle, mais Leia Toladriam avait disparu. Pourtant, il était persuadé qu’un jour, elle reviendrait sur sa terre natale, monterait sur le trône et ramènerait la force des dragons dans l’empire. Celle-ci avait disparu peu avant le coup d’État de Harry Rondelet et de John Canterbelt, ces derniers ayant jugé qu’Eldric Toladriam avait perdu tout respect. Certains murmuraient qu’un dragon avait choisi de suivre l’empereur actuel, mais personne ne l’avait jamais vu.
Loca Monridone errait dans les rues de Stilrion, perdu dans ses pensées. Indifférent à la vie autour de lui, il longeait les magnifiques bâtiments jaunis par le temps, surmontés de toits vert émeraude. La nuit était tombée, et les passants se faisaient rares. Quelques lampadaires, équipés de bougies, éclairaient les rues pavées. Les immeubles, tous semblables, créaient l’harmonie bien connue de Stilrion : des façades en pierre taillée, ornées de fenêtres symétriques aux encadrements finement sculptés, et des balcons massifs gravés de motifs floraux délicats.
Le policier traversa l’un des nombreux ponts de pierre ornés de fleurs. La cité des dragons le dégoûtait. Il se demandait comment une telle beauté pouvait côtoyer la misère des bas quartiers. Le centre de Stilrion semblait sorti d’un conte, avec ses rues impeccables et ses habitants élégamment vêtus, toujours souriants. Loca n’en pouvait plus de porter ce masque, nécessaire pour se conformer à la haute société.
Après avoir traversé l’une des nombreuses places fleuries, Loca arriva enfin chez lui, un luxueux appartement aux teintes vertes. Cependant, en entrant, il se retrouva face à face avec son ancienne femme, Louise de la Cour, qui l’accueillit avec un sourire éclatant.
— Que fais-tu ici ? demanda Loca, irrité.
— Je voulais simplement voir mes enfants, répondit-elle d’une voix douce.
Une fine mèche de ses cheveux bruns tombait sur son visage ferme, tandis que ses yeux bruns le fixaient intensément.
— Je veux que tu partes, ordonna Loca sévèrement.
— Mais…
— Maintenant.
Louise tourna les talons, soulevant son épaisse robe. Remettant son chapeau et son long manteau chic, elle quitta les lieux en claquant la porte.
À ce moment-là, les deux enfants de Loca, Maria et Thomas, se précipitèrent dans ses bras.
— PAPA ! crièrent-ils à l’unisson, ravis de le retrouver.
— Mes chéris ! s’exclama-t-il, tout aussi heureux. Venez m’embrasser !
Loca tomba à terre sous le poids de ses enfants. Ces petits êtres étaient ce qu’il avait de plus précieux au monde. En regardant sa fille aînée, il se revoyait enfant. Avec ses cheveux châtains et ses yeux noisette, Maria avait hérité de la beauté de sa mère, et Loca espérait qu’elle deviendrait l’une des plus belles femmes de Stilrion, à son contraire.
Le policier ne s’était jamais trouvé beau, notamment à cause de la brûlure à l’œil qu’il avait subi lors du coup d’État de Harry Rondelet. Adolescent, il avait tenté de la dissimuler en laissant pousser ses cheveux, avant d’apprendre à l’accepter lorsqu’il rejoignit l’armée, qui imposait aux soldats de dégager leur visage. Ses années d’entraînement lui avaient permis de bâtir un corps athlétique, mais il avait fini par négliger son apparence à mesure qu’il montait en grade, devenant un homme à la barbe négligée, ce qui avait éloigné sa femme.
Mais son apparence importait peu à Loca. Ses priorités étaient ailleurs : instaurer la justice dans sa ville, rendre ses enfants heureux et remettre Leia Toladriam sur le trône de Drakonia.
Louise de la Cour examinait attentivement les documents qu’elle avait volés chez Loca Monridone. Lorsqu’elle s’était présentée au seuil de son ancien appartement, prétextant auprès de la domestique vouloir simplement voir ses enfants, celle-ci l’avait laissé entrer sans méfiance, lui accordant une confiance aveugle.
Grâce à ces documents, Louise s’imaginait pouvoir faire incarcérer son ancien mari, qui l’avait rejetée pour une simple aventure avec un homme riche. En tant que femme, elle avait été reniée par sa famille, pour qui une fille divorcée représentait la plus grande honte. Privée de ressources, Louise n’avait pas eu d’autre choix que de vendre son corps pour survivre. Mais en faisant emprisonner Loca, elle espérait laver son honneur et retrouver son ancienne vie.
En feuilletant les papiers, Louise tomba sur un avis de recherche représentant une petite rousse aux yeux verts nommée Leia Pendleton. Depuis longtemps, elle savait que son ex-mari portait un vif intérêt à cette pirate, affirmant à plusieurs reprises qu’elle était la véritable impératrice. Ces propos, considérés comme subversifs à Drakonia, étaient punis de prison. Louise comprit que cet élément pourrait lui permettre de renverser la situation, mais pour cela, elle aurait besoin de davantage de preuves.
Loca Monridone espérait passer deux semaines tranquilles avec ses enfants à la campagne, chez ses parents. Cependant, Eliot Jacquemin venait de lui confier une affaire urgente de vol d’armes.
— Un de nos jeunes soldats jouait un double jeu et a profité de son statut pour dérober des armes et des informations à ses confrères, expliqua le capitaine.
— Avez-vous pu l’arrêter ? demanda Loca, espérant clore rapidement ce dossier.
— Oui, répondit Eliot d’une voix grave. Nous avons également pu l’interroger.
— Et alors ?
Loca s’approcha du bureau. Il détestait rester immobile et avait besoin de bouger. Bien qu’il préférait profiter de ses jours de repos, il ne pouvait s’empêcher d’apprécier les affaires complexes. Depuis son enfance, il avait toujours cherché à se battre pour défendre ses convictions. C’est ainsi qu’à douze ans, il avait été recruté pour protéger l’impératrice enceinte. Cependant, après la chute d’Eldric Toladriam, il avait été relégué à des missions de maintien de l’ordre dans des villages isolés, avant qu’Eliot Jacquemin ne le remarque pour ses exploits héroïques.
— Laissez-moi terminer, pardi ! reprocha le capitaine. Ce jeune soldat, vaillant et prometteur, a longtemps refusé de parler et même de se nourrir. Ce n’est qu’en voyant sa compagne menacée d’être envoyée dans une maison close qu’il a finalement révélé ce qu’il savait.
Eliot se leva pour contempler les trophées de guerre ornant son bureau, une habitude lorsqu’il donnait des ordres importants.
— Il a avoué avoir été engagé par un certain « Chuchoteur », chef d’un vaste réseau de trafic d’armes et de drogues dans les bas quartiers. Ces armes étaient destinées à être revendues à une organisation appelée « Le Fil de l’Abîme », influente dans toute la cité.
— Avez-vous récupéré les armes ?
— Malheureusement, non. Lorsque nous avons capturé le voleur, les armes avaient déjà été remises au Chuchoteur.
— Que voulez-vous que je fasse ?
Loca sentait son intérêt grandir, voyant dans cette affaire une opportunité de gravir les échelons.
— Le voleur a révélé que le Chuchoteur prévoyait de vendre les armes au Fil de l’Abîme dans une semaine, à la taverne de Délovais, L’Ivrogne. Je veux que vous vous infiltriez et approchiez un membre de l’organisation.
— Bien, mon capitaine. Une autre consigne ?
— Non, vous pouvez disposer.
Loca s’apprêtait à quitter le bureau lorsqu’une question lui vint à l’esprit.
— Puis-je vous demander quelque chose ?
— Je vous écoute, répondit Eliot, inquiet. Il redoutait une question interdite par l’empereur.
— Avez-vous des nouvelles de Leia Pendleton et des événements survenus au manoir d’Éric Naseby ?
— Toujours aucune. Mais prenez garde à vos questions, Loca. Certaines oreilles malveillantes pourraient s’en servir contre vous.
— Je le sais…
Sur ces mots, Loca quitta la pièce. Resté seul, Eliot réfléchit à la dernière question. Depuis que l’affaire du manoir avait fait la une des journaux, Loca semblait obsédé par Leia Pendleton, responsable présumée de la destruction. Eliot avait fini par comprendre : Leia Pendleton présentait toutes les caractéristiques pour être Leia Toladriam, dont le corps n’avait jamais été retrouvé. Le capitaine espérait que la curiosité de Loca ne finirait pas par le conduire à sa perte.
Loca Monridone repoussa une prostituée qui tentait de l’attirer dans son lit depuis son arrivée à Délovais.
— Bah, quoi, mon chou, tu ne veux pas te faire un peu plaisir ? dit-elle en se palpant la poitrine.
Le soldat ignora la remarque de cette femme, vieillie par la drogue, et entra dans la taverne de l’Ivrogne. À son arrivée, toute la salle se tut pour le dévisager. Les habitants des quartiers pauvres voyaient d’un mauvais œil ceux des quartiers riches. Bien que Loca eût tenté de s’habiller modestement, un homme aisé restait facile à repérer dans ce genre d’endroit. Il était bien trop propre et arborait encore tous ses membres.
— Une brasserie, s’il vous plaît, demanda Loca en s’asseyant au comptoir.
Les clients continuaient de le dévisager. Quelques gros bras tatoués semblaient prêts à dégainer leurs poignards, imaginant pouvoir le dépouiller à la moindre occasion. Mais Loca connaissait ce type de personne et savait comment s’en défendre.
— Je vous conseillerai de partir tout de suite, lui souffla la serveuse en lui tendant sa bière.
Cette femme paraissait moins pitoyable que celles qu’il avait croisées en chemin. Malgré un visage marqué par les coups, elle dégageait une certaine beauté avec ses cheveux blonds coupés court et son allure athlétique, dissimulée sous ses nombreux vêtements. C’était précisément ce genre de femme qui attirait Loca.
— À vrai dire, dit-il en prenant une gorgée, je suis ici pour le travail.
— Vous êtes un soldat ?
La serveuse braqua soudain une arme sur Loca Monridone, tandis que les clients savouraient déjà le spectacle : l’exécution probable de l’un des pantins de l’empereur. Personne ne bougea ; tous observaient avec attention.
— Rassurez-vous, je ne suis pas ici pour arrêter qui que ce soit, déclara Loca, levant les mains pour montrer qu’il ne représentait pas une menace, bien qu’il détestât avoir une arme pointée sur lui.
— Alors, que voulez-vous ?
La tension était palpable. Un mot de travers et le soldat serait mort.
— Vous connaissez un certain Chuchoteur ?
Loca tentait de dissimuler le tremblement de sa jambe causé par son hyperactivité. Malgré son inquiétude, il ressentait un étrange désir de se battre contre tous les clients présents, bien qu’il sache qu’il n’aurait aucune chance de gagner.
— Non, répondit-elle froidement.
— Ce Chuchoteur a rendez-vous ici pour une transaction d’armes avec un groupe criminel nommé Le Fil de l’Abîme. Cela vous dit quelque chose ?
Certains clients se redressèrent à ces mots. Cette organisation semblait connue dans la taverne. La serveuse fit signe à plusieurs gardiens d’escorter dehors les clients les plus dangereux.
— J’ai entendu parler d’une transaction, dit-elle. Des hommes évoquaient un échange de drogue contre je-ne-sais-quoi — peut-être des armes — prévu pour demain. En ce moment, la moncoline circule beaucoup à Délovais. C’est une drogue très dangereuse.
— Quand aura lieu la transaction ?
— À seize heures, ici même. Vous comptez venir ?
— En effet. J’aimerais rencontrer ces individus.
La serveuse entrevoyait une lueur d’espoir : débarrasser son quartier de cette drogue qui le ravageait. Malgré sa pauvreté et sa mauvaise réputation, cet endroit restait son chez-soi, et elle refusait de le laisser sombrer. Elle se disait que l’intervention du gouvernement pourrait résoudre cette affaire rapidement.
Loca Monridone quitta la taverne après avoir payé sa consommation. Grâce à la serveuse, il s’éclipsa sans y laisser un bras. À l’extérieur, la prostituée l’attendait toujours, prête à sauter au cou du premier venu. Lorsqu’elle aperçut le soldat, elle courut vers lui, agrandissant son décolleté.
— Maintenant, tu veux bien venir avec moi, mon chou ? demanda-t-elle en l’embrassant sur la joue.
Le soleil déclinait. Ses enfants devaient l’attendre avec leur nourrice. Ils étaient habitués à ce que leur père rentre tard à cause des imprévus de ses missions. Ils devaient sûrement être en train de se coucher. Finalement, Loca céda à ses désirs. Il décida de s’offrir un moment de plaisir qu’il ne s’était pas accordé depuis longtemps. Même si le visage de la femme n’était pas des plus beaux, ses formes, elles, étaient attrayantes. Il la suivit donc dans sa chambre, ignorant le jeune garçon agonisant au pied de la porte sous les effets de la Moncoline.
— Tenez, servez-moi la même chose, commanda Loca, le jour suivant.
Loca Monridone avait décidé de rester dormir à Délovais et de passer la journée entière dans le quartier. Une seule conclusion s’imposa à lui : jamais il ne viendrait vivre dans ces rues.
Un étrange homme, visiblement méfiant, entra dans la taverne, tentant de dissimuler son visage. Il ne fallut qu’une seconde à Loca pour remarquer que ce nouvel arrivant ne venait pas des quartiers pauvres. Son manteau impeccablement propre et ses bottes de cuivre parfaitement cirées trahissaient une origine aisée. L’homme s’installa à une table au fond de la salle, jetant autour de lui des regards méfiants.
— Le Chuchoteur, murmura doucement la serveuse.
— Ou bien un de ses sbires, répondit le soldat.
Loca avait assez d’expérience pour savoir qu’un criminel haut placé ne se déplaçait jamais en personne pour une simple transaction avec les gens de la « basse classe ». Le Chuchoteur devait donc être quelqu’un de riche pour envoyer un homme si bien habillé. Cependant, cet émissaire n’était pas un spécialiste de l’infiltration : autrement, il aurait envoyé un homme du quartier, mieux adapté au contexte.
Quelques minutes plus tard, un autre client arriva. Contrairement au premier, celui-ci semblait sûr de lui et connaissait visiblement bien les lieux.
— Nathan Audar, un habitué, ajouta la serveuse en essuyant une table.
— Sers-moi la même chose, demanda Nathan en la saluant poliment.
Cet homme dégageait une prestance rare à Stilrion. Il avait l’air d’un leader, du genre à pouvoir commander une armée et être suivi sans hésitation. Malgré ses cheveux clairs et bien taillés, il était évident qu’il venait des quartiers pauvres, une appartenance qu’il ne paraissait pas chercher à cacher. Grand et mince, une barbe naissante dissimulait partiellement son nez pointu. Ses yeux gris scrutaient les moindres recoins de la taverne, analysant tout. Lorsqu’ils croisèrent ceux de Loca, Nathan comprit immédiatement les intentions du soldat.
Il ne fallut qu’une gorgée de bière pour que Nathan disparaisse soudainement. Réactif, Loca se précipita à sa poursuite. Cependant, à peine sorti de la taverne, il fut frappé par-derrière et traîné dans une ruelle sombre.
— Qui êtes-vous et que voulez-vous ? demanda Nathan, un poignard appuyé contre la gorge de Loca.
— Un simple client amateur d’histoires de rue, mentit Loca avec un brin de désespoir.
Nathan resserra son emprise sur l’arme.
— Ne vous moquez pas de moi, gronda-t-il. Lucie m’a dit que vous me cherchiez hier.
— Alors, vous savez déjà qui je suis et ce que je veux, répliqua Loca.
Nathan baissa légèrement son arme, bien qu’il la gardât en main, prêt à s’en servir.
— Pourquoi cherchez-vous à me rencontrer ? insista-t-il.
— Récemment, des armes de Stilrion ont été volées par un certain Chuchoteur. Selon mes sources, elles seraient destinées à l’organisation criminelle Le Fil de l’Abîme. Si je comprends bien, vous êtes lié à cette affaire.
Nathan secoua la tête.
— Je n’ai reçu aucune arme. J’en ai suffisamment chez moi. Si vous en cherchez, allez voir ailleurs.
— Vous pensez que je vais croire à ces belles paroles ?
Loca détestait être pris pour un idiot.
— Pas vraiment, admit Nathan. Ici, je suis le chef. À Délovais, on me respecte plus que votre empereur, Harry Rondelet. Ces gens sont mon peuple, et j’ai le devoir de les protéger.
— Ce genre de discours ne suffit pas à gagner ma confiance, rétorqua Loca. Votre groupe est connu pour vendre de la drogue. Ce n’est pas une méthode acceptable pour protéger votre peuple.
— Vous parlez de la moncoline ?
Loca acquiesça.
— Pour protéger Délovais, j’ai besoin d’argent. Travailler uniquement dans ce quartier ne suffit pas. Cette drogue, je la vends aux riches des quartiers centraux. Ce sont eux qui, parfois, la revendent ici pour s’enrichir. Je ne peux rien y faire.
Loca fronça les sourcils.
— Vous savez que me révéler tout cela est risqué. Le commerce de drogue est sévèrement puni.
— Pourtant, ce sont souvent ceux qui appliquent la loi qui en consomment le plus, répondit Nathan avec un sourire amer.
Loca savait que cette vérité, aussi amère soit-elle, ne pouvait être niée. La justice qu’il défendait était gangrenée par la corruption. Mais dans sa position, il ne pouvait rien faire.
— Puis-je vous proposer un marché ? demanda Loca.
— Je vous écoute.
— Aidez-moi à retrouver le Chuchoteur et ses complices, notamment ces riches qui revendent votre drogue. En échange, je fermerai les yeux sur vos activités.
Nathan éclata de rire.
— Vous êtes comme tous les autres. Vous prétendez servir la justice, mais laquelle ? Celle du peuple, de l’empire, ou la vôtre ? Chaque soldat se croit vertueux, mais chacun agit pour sa propre cause. Alors, quelle justice appliquez-vous vraiment ?
Loca garda son calme malgré les provocations.
— Alors, acceptez-vous mon marché ? demanda-t-il avec fermeté.
Nathan finit par se calmer.
— Je n’ai pas le choix, de toute façon. Nous collaborerons, mais à une condition : laissez Délovais en dehors de cette affaire.
Une nouvelle feuille venait d’être jetée à la poubelle. Loca Monridone était épuisé par toutes ses recherches sur le Chuchoteur, à tenter de trouver des pistes. Depuis des jours, il restait enfermé dans son bureau, tournant en rond sans parvenir à aucun résultat. Ses enfants étaient à l’école, il ne pouvait donc pas s’occuper avec eux. Le papier commençait à manquer, il décida d’en chercher dans les tiroirs de son bureau.
Soudain, une petite pochette attira son attention. Elle était simple, petite, marron ; jamais il n’avait vu un tel objet dans sa maison.
— Qu’est-ce que cela peut bien être ? se demanda-t-il à haute voix.
Il la prit et l’ouvrit. À l’intérieur, il découvrit de nombreux petits cristaux transparents. Loca Monridone reconnut immédiatement la moncoline, une drogue dont il avait déjà eu affaire. Pourtant, il n’avait aucun souvenir d’en avoir ramené chez lui. Pourquoi aurait-il fait une chose pareille ?
À chaque fois qu’il avait confisqué cette drogue consommée par les habitants de Délovais, il avait ressenti une forte envie d’en prendre lui-même. Chaque instant où il remettait les sachets saisis était une lutte intérieure. Loca connaissait bien les dangers de ces cristaux, les ravages qu’ils pouvaient causer ; mais il connaissait aussi l’euphorie que ressentaient ceux qui les consommaient. Après tout, se dit-il, il n’en prendrait qu’une seule fois.
Ses enfants ne rentreraient que tard dans la soirée, il avait tout le temps. La journée était particulièrement calme. Loca s’installa sur le divan de son salon, confortablement. Après avoir chauffé les cristaux, il inspira la fumée qu’ils dégageaient. Il hésita. Puis recommença. Une fois, deux fois, trois fois. L’effet fut immédiat.
Le monde autour de lui commença à tourbillonner. Les couleurs se mêlaient, le rouge, le vert, le jaune devenaient une seule et même teinte. Loca eut le sentiment d’être transporté au-delà du ciel, parmi les étoiles, dans un univers cosmique où seul le plaisir régnait.
Ses émotions exécutaient une danse chaotique mêlant joie, tristesse, et excitation. Les images de sa vie défilaient, s’entrelaçaient, puis s’effaçaient dans cet univers calme. Oubliant ses tourments, il les chassa de son esprit.
Loca Monridone était seul dans ce vide. Il ne réalisa pas que son corps était tombé au sol. Il n’entendait pas non plus les cris autour de lui. Il savait qu’ils existaient, mais il les ignora. Il se sentait enfin libéré de ses chaînes, libre de bouger et de penser comme il le voulait.
De ses yeux éteints, il aperçut des visages penchés sur lui. Il était le spectateur d’un théâtre où il tenait le rôle principal.
Puis, tout s’apaisa. Cette sensation prit fin, mais elle semblait encore présente, comme une faille menant vers un chemin incertain. Le retour serait périlleux et dangereux. Loca voulait continuer d’avancer, ne pas revenir en arrière.
À son réveil à l’hôpital, une question le hantait : était-il assez fort pour surmonter son péché ?
— Tu es enfin réveillé ! pleura Louise de la Cour en se jetant dans ses bras.
Il ne réagit pas. Il était trop occupé à observer sa petite chambre, où une infirmière s’affairait à nettoyer des vêtements.
— Hier soir, en ramenant les enfants à la maison, poursuivit-elle, nous t’avons trouvé allongé dans le salon, en train de suffoquer. J’ai immédiatement demandé de l’aide et prodigué les premiers soins. Heureusement, Dieu merci, il n’était pas trop tard.
Louise esquissa un doux sourire en caressant son visage. Loca fit de même, examinant tendrement ses traits. Ce visage, il l’avait aimé durant des années. Il avait regretté leurs gestes de tendresse, mais certaines blessures ne s’effaçaient pas.
— Merci d’être là, murmura-t-il faiblement.
Louise lui prit la main.
Loca leva les yeux vers le plafond. L’infirmière était partie. Se remémorant chaque détail de sa vie, il ne trouvait aucun souvenir dans lequel il aurait gardé de la moncoline. Quelqu’un avait sûrement voulu qu’il en prenne. Une personne suffisamment proche pour accéder à son bureau.
Sous l’effet de la colère, il serra la main de Louise avec force, lui faisant lâcher prise sous la douleur.
La mine des dragons était un endroit très fermé à Stilrion. Seuls les travailleurs étaient autorisés à s’y rendre. Ce lieu regorgeait de ressources précieuses, et les dragons y travaillaient autrefois, à l’époque d’Eldric Toladriam. C’était là que Nathan Audar et Loca Monridone attendaient leur client.
Les deux hommes étaient contraints de rester à l’entrée, n’apercevant que faiblement l’intérieur des mines. Elles se présentaient comme un immense cratère au cœur de la montagne, parsemé de roches scintillantes. Dans cet endroit, la chaleur était suffocante, et seuls les plus robustes pouvaient espérer y mettre les pieds un jour.
— Bonjour, messieurs, les interpella une voix faible, émanant d’un petit homme.
Loca reconnut immédiatement leur client de la taverne.
— Fred ! Je suis ravi de vous revoir, l’accueillit Nathan.
— Moi de même, Nathan. Je suis désolé de vous avoir fait venir dans un endroit aussi reculé. Mais voyez-vous, c’est ici que je travaille, répondit Fred, visiblement hésitant.
Loca se demanda comment un homme aussi frêle pouvait supporter les conditions de travail des mines. Il espérait pour lui qu’il ne travaillait pas directement la roche. Mais, étant donné son statut, cela semblait improbable.
— Et vous êtes ? demanda Fred en se tournant vers Loca.
— Luca Despret, un de mes subordonnés, répondit Nathan à sa place.
— Je vois…
Fred posa un regard inquisiteur sur Loca. L’homme, bien que physiquement faible, n’était pas naïf. Il avait déjà aperçu Loca à la taverne, où il paraissait les épier. Ce soldat ne pouvait être un simple subordonné.
Fred sortit une bourse d’or tremblante et la tendit à Nathan en échange de drogue. Il paraissait nerveux, jetant des regards inquiets autour de lui.
— Qu’avez-vous ? demanda Loca, cherchant un indice.
— Rien, répondit Fred brusquement. Je ne veux simplement pas que mes supérieurs me voient traiter avec vous.
— Vous craignez de ternir votre noble image ? lança Loca d’un ton acerbe.
Une goutte de sueur glissa le long de la tempe de Fred. Il comprit que Loca Monridone avait perçu une part de vérité dans ses mensonges.
— J’espère pour vous que le Chuchoteur vous offrira une part de sa fortune colossale, continua-t-il en souriant.
À côté, Nathan Audar restait impassible, feignant de compter l’or. Soudain, il s’arrêta.
— Cela ne fait pas le compte, remarqua-t-il. Il manque une part.
— Oh oui, désolé, j’avais oublié de vous prévenir, balbutia Fred, de plus en plus anxieux. Elle m’a dit…
— Elle ? le coupa brusquement Loca, sur ses gardes.
— Je voulais dire « il », le Chuchoteur, qu’il vous donnera le reste une fois qu’il aura testé la moncoline.
— Alors le Chuchoteur est une femme, réfléchit à haute voix Loca.
— C’est étrange, intervint Nathan. Un chef d’organisation criminelle ne teste jamais ses propres drogues. Il sait très bien que c’est trop risqué.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire…, bafouilla Fred.
Il parlait si vite qu’il en devenait incohérent. La panique le gagnait, et sans s’en rendre compte, il venait de révéler deux informations cruciales à Loca et Nathan.
Nathan Audar le saisit par le col et le plaqua contre le premier mur venu.
— Écoute-moi bien, je veux mon argent d’ici à une semaine, à l’Ivrogne, déclara-t-il d’un ton menaçant, celui qui lui avait permis de se faire un nom dans le milieu criminel.
De son côté, Loca Monridone avait de plus en plus de mal à rester immobile. Il n’avait plus rien à faire ici.
— Chef, je dois y aller, dit-il en tournant les talons.
— Bien, répondit Nathan en relâchant Fred, qui se tenait le cou.
Tandis que Loca s’éloignait, il ne remarqua pas le sourire espiègle de Fred, satisfait d’avoir accompli sa tâche.
Pour la première fois depuis bien longtemps, Loca Monridone avait pu profiter d’une journée paisible avec ses enfants. Les emmenant au parc, admirant leurs exploits dans leurs activités, il savourait ces instants simples qui emplissaient son cœur de bonheur. Échanger quelques mots avec ces êtres qui avaient su conserver leur innocence, flâner dans les rues de la plus belle ville du monde... Ces petits riens suffisaient à combler un homme. C’était lors de ses missions que Loca prenait conscience de l’importance de ces moments précieux. Pourtant, ce bonheur allait bientôt lui être arraché à jamais.
De retour à leur appartement, le père et ses enfants étaient installés sur le divan, plongés dans la lecture d’une belle histoire d’amour entre un jeune prince et une servante incapable de faire son deuil. Soudain, on frappa violemment à la porte.
Deux soldats attendaient sur le seuil, armés, leurs visages graves.
— Loca Monridone, déclara l’un d’eux.
— Je vous écoute, répondit-il, posant discrètement une main sur le pistolet qu’il portait toujours sur lui.
— Vous êtes en état d’arrestation pour trahison envers l’Empire.
— Je vois...
— Papa, qu’est-ce qui se passe ? s’inquiéta Maria.
Thomas, lui, serrait la main de sa sœur, tentant de se faire tout petit.
— Ne vous inquiétez pas, mes chéris, papa sera bientôt de retour à la maison, les assura-t-il.
D’un sourire calme, Loca Monridone suivit les soldats hors de l’immeuble. Mais il savait pertinemment ce que signifiait une arrestation dans l’Empire : un aller simple vers la mort. Lui-même avait déjà conduit ce genre de missions. Cependant, Loca n’était pas du genre à se laisser pourrir en prison.
Une fois dehors, il bouscula l’un des soldats et s’élança en courant. Les deux hommes, surpris, mirent quelques secondes à réagir avant de se lancer à sa poursuite.
Loca traversait à toute vitesse les larges rues de Stilrion. Ses pas résonnaient sur les pavés mouillés. Sa respiration devenait haletante, mais il n’avait pas le droit de s’arrêter : sa vie en dépendait. Derrière lui, les soldats, bientôt rejoints par d’autres, gagnaient du terrain. Leurs épées scintillaient à la lueur des torches que les habitants allumaient à la tombée de la nuit. Les cris des poursuivants se mêlaient à ceux des marchands fermant leurs échoppes, créant une cacophonie oppressante.
Loca s’engouffra dans une ruelle sombre et grimpa à une échelle pour atteindre les toits de Stilrion. Le panorama qui s’étendait sous ses yeux était époustouflant, mais il n’avait pas le luxe de s’arrêter pour l’admirer. Les soldats, agiles et déterminés, continuaient de le traquer.
Un coup de feu retentit, déchirant le silence des hauteurs. Une balle siffla près de son oreille. Loca reconnut immédiatement le tireur : un homme qu’il avait déjà rencontré à plusieurs reprises. Accroupi derrière une cheminée pour reprendre son souffle, il chercha désespérément une issue. Ses yeux tombèrent sur un pont de bois étroit reliant deux immeubles. Sans hésiter, il s’y engagea, priant pour que la structure tienne. Le bois gémit sous son poids, mais il parvint de l’autre côté indemne.
Cependant, le plus imposant des soldats, un colosse chauve, franchit le pont avec aisance. L’homme se jeta sur Loca, l’immobilisant d’une poigne d’acier. Les autres soldats les rejoignirent et formèrent un cercle, leurs fusils braqués sur lui.
— Fin de la course, Monridone, grogna son ancien subordonné.
Loca se débattit de toutes ses forces, mais il fut rapidement maîtrisé et ligoté. La nuit tombait sur Stilrion, et avec elle, les espoirs de Loca de revoir un jour ses enfants semblaient s’éteindre.
La prison de Stilrion était réputée comme l'une des plus épouvantables de l’Empire. Loca Monridone, qui avait déjà eu l’occasion de s’y rendre, plaignait sincèrement les criminels qui y étaient enfermés. Située à la sortie de la ville, au bord de l’eau, elle abritait de sombres cachots.
Les murs épais, humides, exhalaient une odeur âcre de moisissure et de désespoir. Les cellules, étroites et lugubres, n’étaient éclairées que par de maigres rayons de lumière filtrant à travers de fines fissures. Les chaînes fixées aux murs de pierre brute cliquetaient doucement quand les prisonniers bougeaient, leur écho se répercutant dans les couloirs vides. Le sol, jonché de paille sale, portait les traces des nombreux captifs qui avaient souffert en ces lieux. Les gardiens, silhouettes massives et menaçantes, patrouillaient d’un pas lourd, surveillant ce royaume d’ombres saturé d’une tension palpable.
Des cris de terreur résonnaient dans les cachots tandis que certains prisonniers, à bout, murmuraient des prières inaudibles, implorant qu’un dieu vienne les délivrer. Tout semblait conçu pour briser les âmes : ici, seule la mort offrait une issue.
Loca, bien qu’il n’y fût resté que quelques jours, avait l’impression d’y être enfermé depuis une éternité. Jamais il n’avait ressenti une telle horreur.
Soudain, des pas résonnèrent dans les couloirs sombres.
— Par ici, jolie dame ! interpellaient certains prisonniers en se pressant contre les barreaux de leurs cellules.
Mais personne ne répondit. Les bruits de talons se rapprochaient inexorablement de la cellule de Loca. Une femme apparut. Elle était noble, d’une beauté saisissante, et sa grâce paraissait défier l’obscurité du lieu.
— Bonjour, mon amour, lança-t-elle d’une voix douce, se tenant au seuil de la cellule.
— Louise…
La voix de Loca était faible, brisée par l’épuisement, tandis que celle de son ancienne épouse était chaleureuse. Il baissa les yeux, honteux de se montrer ainsi, sale et blessé, devant une créature d’une telle élégance.
— Que fais-tu ici ? parvint-il à demander.
— Je suis venue te voir, répondit-elle avec un sourire éclatant qui réapparut sur son visage.
— Tu ne devrais pas être là. S’ils te voient avec moi, ils t’arrêteront, comme ils l’ont fait pour moi.
— Ils ? Elle éclata de rire. Mais c’est moi qui t’ai fait arrêter.
Loca resta figé, incrédule.
— Quoi ?
Il ne comprenait pas. Ou plutôt, il refusait de comprendre. Depuis son arrestation, personne ne lui avait expliqué clairement les raisons de son incarcération.
Louise de la Cour jeta un regard autour d’elle, s’assurant qu’aucun gardien ne l’écoutait, puis elle reprit :
— C’est moi qui ai ordonné à ce jeune soldat de voler les armes. Bien sûr, je l’ai payé grassement pour cela. Ensuite, j’ai demandé à Fred, ce pauvre homme désespéré qui voulait nourrir sa famille, d’organiser des transactions de drogue avec les hommes de l’Abîme. Grâce à cela, j’ai pu obtenir de la moncoline que j’ai déposée chez toi, te liant ainsi à Nathan Audar, un criminel très recherché.
— Alors… c’était toi, le Chuchoteur… murmura Loca, comprenant enfin.
— Qui d’autre cela pourrait-il être ?
Un sentiment de trahison l’envahit. Être piégé par sa propre femme…
— Pourquoi as-tu fait ça ? demanda-t-il, la voix tremblante de désespoir.
— Pour me venger, répliqua-t-elle en se retournant pour le regarder. Tu m’as tout pris : mon honneur, ma vie, ma famille. Pendant que tu vivais heureux avec nos enfants, moi, j’étais seule, condamnée à survivre par les moyens les plus vils. Tu as détruit ma vie.
— C’est toi qui as entaché mon honneur en courtisant un autre homme !
Louise ne répondit pas. Elle savait que toute discussion avec Loca Monridone était vaine. Cet homme était perdu.
— Maintenant, les rôles s’inversent, conclut-elle froidement. Je vivrai avec nos enfants, et toi, tu mourras ici, seul et sans honneur.
Sur ces mots, Louise de la Cour tourna les talons et disparut, laissant Loca seul, rongé par la haine et la colère. Il jura de se venger. Mais avant qu’il ne puisse se relever, une autre silhouette apparut dans l’ombre : Eliot Jacquemin.
— Dans quel pétrin vous êtes-vous encore fourré, Loca ? soupira son supérieur.
Eliot semblait désemparé par l’arrestation de son meilleur soldat.
— Je savais que cela finirait ainsi, poursuivit-il.
— Je vous jure que je suis innocent.
— Je vous crois, mais votre haine pour l’Empire actuel est une preuve suffisante pour justifier votre emprisonnement.
Loca fronça les sourcils, confus. Louise venait de lui avouer qu’elle était responsable, et voilà qu’Eliot évoquait une tout autre raison.
— Tous les documents que vous avez récupérés sur Leia Pendleton et Eldric Toladriam ont irrité Harry Rondelet. C’est lui-même qui a ordonné votre arrestation.
Loca se figea. « Alors, Louise n’y est pour rien », pensa-t-il, soulagé.
— Qu’est-ce qui vous fait sourire ? demanda Eliot, suspicieux.
— Rien, répondit Loca en détournant le regard.
Eliot s’approcha, sérieux.
— Écoutez-moi bien. J’ai réussi à organiser un procès devant les hauts dirigeants de l’Empire. Si vous plaidez en faveur de Harry Rondelet, vous pourrez être innocenté. Alors, je vous en supplie, ne faites pas n’importe quoi. Promettez-le-moi.
— Je ne peux rien vous promettre. Je ne suis pas homme à mentir pour survivre.
— Pourquoi êtes-vous si obstiné ?
Sans attendre de réponse, Eliot disparut à son tour, laissant Loca seul dans l’obscurité. Loca espérait que le procès lui offrirait une chance de s’en sortir, mais il savait qu’il ne renierait jamais ses convictions, pas même pour sauver sa vie.
Loca Monridone avait rarement eu l’occasion de participer aux grands procès dans la salle principale du tribunal de Stilrion. Cette salle imposait par son architecture minutieuse. Le plafond voûté, décoré de fresques élaborées, laissait filtrer une lumière douce à travers de hauts vitraux aux teintes vertes. Au centre trônait une table ronde entourée de sièges en bois massif, ornés de velours vert, destinés aux jurés. Face à l’assemblée, une estrade surélevée accueillait un fauteuil magistral, réservé à l’empereur, bien trop occupé à s’amuser avec ses concubines. Les murs, bordés de colonnes et de bibliothèques regorgeant de vieux ouvrages, renforçaient l’impression de poids historique de cet espace. Le sol était marqué en son centre par une rose gravée.
Tous les jurés étaient déjà en place, installés sur leurs sièges ornés de leurs symboles. Eliot Jacquemin se tenait en face de Loca. Les soldats chargés de l’escorter l’attachèrent à la poutre située au cœur de la rose. Loca s’était souvent demandé l’utilité de tous ces hommes assistant à la scène.
Loca Monridone se sentait humilié. Il détestait jouer le rôle de la bête enchaînée, scrutée par tant de regards. Un simple éternuement, un clignement de paupière, pouvait être interprété contre lui. Il devait à tout prix se montrer exemplaire.
Une voix grave s’éleva, celle du haut juge. Chaque mot résonnait dans la salle tel le fracas d’un marteau sur une enclume :
— Par le serment divin et le pouvoir de la justice, que la vérité soit mise au grand jour !
Loca Monridone se redressa, fier, défiant les regards accusateurs qui pesaient sur lui. L’Irks lui fit signe de s’arrêter, mais l’ancien soldat fit semblant de ne pas le voir. Ces hommes voulaient la vérité ? Alors, il allait la leur donner.
— Vous voulez la vérité ? déclara-t-il d’une voix haute, brisant le silence. Alors, écoutez-la ! Ce n’est pas moi qui ai trahi l’Empire, mais l’empereur lui-même, au moment où il s’est installé sur le trône !
Un murmure choqué parcourut la foule. Certains spectateurs se rapprochèrent pour écouter l’audace de l’accusé. Le haut conseil resta immobile, tentant de dissimuler leurs mains crispées, tandis qu’Eliot Jacquemin détourna son visage, déçu.
— Regardez-vous, continua-t-il, tous dans vos beaux vêtements de soie, vivant dans l’opulence. Mais avez-vous seulement osé poser les yeux sur l’autre monde de Stilrion ? Avez-vous déjà mis les pieds à Délovais, où la famine règne en maître ? Harry Rondelet n’est qu’un charlatan, un usurpateur qui n’a même pas reçu le respect des dragons. Et vous l’acceptez en tant qu’empereur ?
Les conseillers réagirent, chuchotant entre eux. Le haut juge serra les mâchoires ; il savait que Loca Monridone disait vrai.
— L’accusé remet-il en cause la légitimité de notre sauveur, Harry Rondelet ? dit-il d’une voix glaciale. Ce sont des mots lourds de conséquences. En êtes-vous conscient ?
Loca esquissa un sourire sombre, une lueur dangereuse dans les yeux.
— L’impératrice légitime est encore en vie, quelque part dans ce monde. Pourquoi ne pas la ramener et écouter le jugement des dragons…
Le silence retomba, plus lourd que jamais. La tension était à son comble. La salle attendait la réaction du haut juge, mais pour un instant fugace, c’était Loca Monridone qui régnait en maître.
— Blasphème ! cria l’un des spectateurs. Harry Rondelet a protégé la paix !
D’autres le suivirent dans sa colère, pointant Loca Monridone du doigt.
— Il a raison ! répliqua un autre spectateur. Depuis que Harry Rondelet est monté sur le trône, l’empire ne s’est jamais aussi mal porté !
La discorde envahissait le tribunal, chacun défendant son point de vue. Le haut juge tenta d’apaiser les tensions, mais en vain. La foule était bien trop agitée.
Loca Monridone riait de la scène. « Ainsi, nos nobles montrent enfin leurs vrais visages », pensa-t-il en observant la dispute. Il avait réussi son coup.
Soudain, un coup de feu retentit dans la salle. La foule se tut, terrifiée. En son centre avançait un homme, dont le charisme hypnotisa l’assemblée. Même Loca n’osa prononcer un mot. Mathieu McLogan, chef des armées impériales, avançait, son arme pointée vers le ciel. Sa simple présence suffisait à faire taire un tribunal entier.
Le haut juge se leva et salua McLogan respectueusement. Ce dernier se plaça aux côtés de Loca Monridone, une lettre scellée de la main de l’empereur dans les mains.
— Moi, commença-t-il à lire d’une voix forte, Harry Rondelet, empereur de toutes choses, désigne Mathieu McLogan, mon représentant au procès du condamné Loca Monridone. Sa décision sera la mienne.
Personne n’osa réagir à la lecture de cette lettre, pas même Loca. Le haut juge brisa le silence le premier.
— Quel est donc votre verdict, McLogan ?
Le chef des armées observa Eliot Jacquemin, puis se tourna vers Loca. Une ombre de déception passa sur son visage.
— Je n’oublie pas que Loca Monridone fut un soldat d’exception dans notre armée, et j’avais de grands projets pour lui. Mais il a trahi l’Empire en s’alliant à une organisation criminelle. Pour ce geste, bien que conscient de tout ce qu’il a accompli pour Drakonia, je vous condamne, Loca Monridone, à la peine capitale, qui sera exécutée en place publique.
Toute l’assemblée applaudit les paroles de Mathieu McLogan, à l’exception de Loca et d’Eliot Jacquemin, dont tous les espoirs venaient de se transformer en poussière. Pendant ce temps, le chef des armées Drakonienne en profita pour s’emparer discrètement des recherches de Loca, qu’il cacha soigneusement à l’empereur.
Le soleil matinal embrasait la cité des dragons, illuminant la place centrale de Stilrion. Au centre de cette place, se dressait un temple monumental, orné de colonnes de roche élancées supportant un fronton gravé de motifs anciens. De larges escaliers bordés de plantes fleuries conduisaient à l’édifice, tandis qu’une procession solennelle avançait lentement.
Tout autour, la vie bouillonnait. Des marchands, espérant profiter de cette journée particulière pour nourrir leurs familles, s’étaient installés aux abords. Des soldats en armure, droits et vigilants, surveillaient la foule, leurs lances pointées vers le ciel. Des enfants couraient sur les pavés, leurs rires insouciants contrastant avec l’horreur qui les attendait.
Soudain, un cor retentit, imposant un silence pesant sur la place. La garde impériale apparut, escortant Loca Monridone, le condamné. L’empereur, caché derrière les fenêtres du temple, observait la scène sans se montrer.
Loca, ainsi que les autres condamnés, avançait difficilement, ses jambes fléchissant sous son poids.
— Traîtres à l’Empire ! hurla la foule en lançant des projectiles variés.
Loca esquiva tant bien que mal certains d’entre eux, mais il n’avait plus la force d’avancer. Louise de la Cour, accompagnée de ses enfants Maria et Thomas, était présente. Un sourire cruel aux lèvres, elle pointait du doigt son ancien mari. Loca détourna le regard, incapable de croiser celui de ses enfants ou de ses parents, qui l’observaient avec une honte palpable.
Au centre de la place, il aperçut l’instrument de sa mort : un rocher surmonté d’un bourreau impatient de s’acquitter de sa tâche. « Comment les hommes peuvent-ils aimer de tels spectacles ? » se demanda-t-il, tandis que sa haine pour ce monde pourri grandissait. Il se consola à l’idée que sa mort imminente mettrait fin à son calvaire.
— Vos dernières paroles ? demanda le bourreau en levant sa hache.
— Faites-le proprement, murmura Loca en jetant un dernier regard à ses enfants, terrifiés.
Loca attendait la mort. Cette mort qu’il n’avait jamais mérité. La mort d’un homme qui voulait seulement avoir une once d’espoir. A partir de quand le monde a-t-il était si pourris ? La réponse il la connaissait déjà : depuis toujours. Alors, Loca se sentait heureux que son calvaire se finisse à cet instant, avec son exécution…
Mais rien ne se produisit. À sa place, le bourreau s’effondra sous les cris de la foule. Son assassin était invisible. Les soldats, pris de panique, couraient dans tous les sens pour le retrouver. Seul Loca repéra les membres du Fil de l’Abîme, sautant de toit en toit sous leurs capuches sombres.
Nathan Audar avait envoyé ses hommes pour le sauver de l’injustice. Plus loin, des cris plus violents éclatèrent : les habitants des quartiers pauvres attaquaient les soldats dans l’espoir de libérer leurs alliés condamnés.
— Jamais je n’aurais cru vous voir dans une telle situation, remarqua Nathan en surgissant devant Loca.
— Pourquoi avoir fait ça ? demanda Loca, perplexe.
— Je rends simplement justice à ma manière. Fuyez maintenant, et ramenez-nous la véritable impératrice, qu’elle remette l’Empire sur le droit chemin.
Loca et Nathan échangèrent un salut avant de partir chacun de leur côté. Loca s’empara d’une épée abandonnée et combattit tous ceux qui se dressaient sur son chemin, sachant qu’il devenait un criminel. Trébuchant sur les cadavres, il priait de ne pas tomber sur celui de ses enfants.
— Loca ! cria une voix familière.
Eliot Jacquemin, suspendu à un balcon, se balança pour le rejoindre.
— Pardonnez-moi d’avoir trahi votre confiance, mon capitaine, s’excusa Loca.
— Promettez-moi de ramener la paix à Stilrion.
— Je donnerai ma vie pour cela, promit Loca en rendant son insigne de soldat.
Loca s’échappa par les passages secrets de Stilrion, prêt à affronter un monde qu’il ne connaissait pas. Son but : retrouver Leia Toladriam et la ramener, de gré ou de force, sur le trône de Drakonia. Pour la première fois, depuis longtemps, Loca se sentit libre.
Mais Loca Monridone quittait la cité des dragons. À Stilrion, la bataille faisait encore rage. Ce ne fut qu’au bout de deux jours d’affrontements qu’elle prit fin, marquée par l’exécution du chef des révolutionnaires, Nathan Audar. Pourtant, le peuple de Drakonia ne perçut pas cet événement comme une défaite, mais comme une victoire. Il voyait un empire où les citoyens étaient prêts à se battre pour retrouver la paix d’antan.
Eiji, la terre des valeureux samouraïs. Un lieu où le respect était une religion, et la sagesse, un art enseigné à tous les enfants. Ce royaume vivait dans une paix éternelle. Depuis son plus jeune âge, Loca Monridone rêvait de fouler cette terre. Il arpentait maintenant ces rues, ayant trouvé un endroit où se cacher et vivre paisiblement.
Le village s’étendait au creux d’une vallée brumeuse, entouré de montagnes boisées. Les toits des maisons, recouverts de tuiles vernissées, étaient inclinés pour résister aux neiges hivernales qui approchaient. Loca se promenait entre des habitations ornées de lanternes en papier peintes à la main.
Au centre du village, une rivière cristalline serpentait, ses rives bordées de ponts arqués en bois. Sur l’un de ces ponts, deux silhouettes étranges semblaient fuir. Dans ce lieu paisible, une telle agitation était rare. Mais Loca n’y prêta pas attention et poursuivit son chemin. Il se rendait à une taverne pour obtenir des informations sur un équipage mystérieux, la Reine Noire.
— Revenez ici ! ordonna un samouraï à leurs trousses.
L’un des fugitifs, un être de grande corpulence et d’une agilité surprenante, sauta sur un toit. Son compagnon, plus petit, le suivit de près, lançant une lame en direction d’un samouraï. Loca, d’un geste rapide, dévia l’attaque, sauvant le guerrier. Ce dernier le remercia d’un salut avant de reprendre la poursuite.
Loca ne comprenait pas pourquoi il s’impliquait dans cette course-poursuite. Peut-être était-ce l’instinct du soldat en lui qui le poussait à traquer les criminels. Il bondit à son tour sur les toits, suivant les fuyards. Ils étaient rapides. Trop rapides pour de simples humains. Loca sentit l’excitation monter en lui. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas affronté un adversaire à sa hauteur.
Le plus petit des fugitifs sauta au sol et s’engouffra dans une maison. Loca décida de le suivre, laissant le plus grand aux samouraïs. Voyant qu’il était poursuivi, l’homme lança une pluie de lames vers Loca, qui les esquiva de justesse.
— Un excellent tireur, pensa Loca, alors qu’une lame effleurait sa joue.
Sans se soucier des éventuels habitants, Loca attrapa une petite table et la lança sur son adversaire, qui s’effondra sous l’impact. Il se précipita pour le maîtriser et l’entraîna hors de la maison, dans un coin plus tranquille.
— Qui êtes-vous ? demanda Loca, brandissant un morceau de bois en guise d’arme.
L’homme, acculé, cherchait désespérément une issue. Voyant qu’il ne répondait pas, Loca leva son bâton.
— Je me rends ! Je me rends ! s’écria l’homme.
Loca, surpris par cette reddition soudaine, observa son prisonnier. L’homme retira sa capuche, révélant un visage jeune et malicieux, aux traits qui trahissaient une origine étrangère à ce royaume.
— Je m’appelle Mauwda Zirhmon, se présenta-t-il d’une voix tremblante. Nous ne vous voulons aucun mal… enfin, moi, je ne vous veux aucun mal.
À ces mots, le compagnon de Mauwda frappa Loca avec la manchette de son arme. Sonné, Loca sentit un liquide chaud couler sur son visage. Mauwda, désormais plus confiant, pointait un étrange poignard en souriant.
— Merci d’être venu me sauver, dit Mauwda à son complice.
Loca jura qu’il ne pardonnerait jamais un tel affront. Mais ce qui lui faisait face n’était pas humain. La créature, dotée de grandes oreilles, se tenait fièrement aux côtés de Mauwda.
— Franchement, Aspiri, tu es vraiment le meilleur, lança Mauwda.
— Je sais, mais essaie d’être plus courageux, répondit la créature avec un sourire narquois.
Loca, reprenant ses esprits, donna un coup de pied à la créature et lui arracha son arme.
— Vous avez affaire au soldat Loca Monridone. Maintenant, dites-moi, qui êtes-vous vraiment ?
Aspiri, la créature, éclata d’un rire moqueur avant de répondre :
— Nous, simples voyageurs en quête de moyens pour survivre.
Loca ne baissa pas son arme, fixant tour à tour Mauwda et Aspiri.
— Des voyageurs, vraiment ? Et toi, qu’es-tu exactement ? demanda-t-il en pointant Aspiri.
La créature soupira, visiblement agacée par la question.
— Je suis Méritinits, de Tinasvili. Tu ne connais pas ? Tant pis.
Mauwda, inquiet, tenta de calmer la situation en posant une main tremblante sur son poignard.
— Écoutez… nous ne voulons pas de problèmes, insista Mauwda. Tout ce que nous cherchons, c’est survivre.
— En volant ? répondit Loca, le regard dur.
— Pas le choix, intervint Aspiri d’un ton plus calme. Nulle part où aller.
La créature s’allongea au sol, visiblement peu inquiète par la menace de Loca.
— Et vous, monsieur, continua Aspiri en levant un œil vers Loca, vous non plus, vous ne semblez pas originaire d’ici.
Loca resta silencieux un instant, surpris par la perspicacité de la créature.
— En effet, finit-il par répondre. Je parcours le monde à la recherche de quelqu’un.
— Un criminel ? s’intéressa soudainement Mauwda.
— On peut dire ça, répondit Loca en s’asseyant à son tour. Une pirate, plus précisément. Leia Toladriam… ou plutôt Leia Pendleton. Vous avez entendu parler d’elle ?
Mauwda secoua la tête, mais Aspiri, pensif, leva les yeux au ciel.
— Ce nom me dit quelque chose, répondit-il. Je crois qu’elle a rejoint un nouvel équipage… la… la Reine Rouge ?
— La Reine Noire, corrigea Loca.
— Pourquoi voulez-vous la retrouver ? demanda Mauwda, désormais plus curieux que craintif.
— C’est nécessaire. J’ai besoin d’elle, répondit Loca d’un ton ferme.
— Soldat qui a besoin d’une pirate… le monde fou, ricana Aspiri.
Loca les observa un moment avant de lancer :
— Pourquoi ne m’accompagneriez-vous pas ? À plusieurs, nous serons plus forts.
Il sortit une bourse remplie d’or et la jeta sur le sol. Les yeux d’Aspiri s’illuminèrent à la vue des pièces scintillantes. Loca savait qu’il jouait un jeu dangereux en faisant confiance à des étrangers, mais il avait besoin d’alliés pour accomplir sa mission.
— Je ne vous fais pas confiance, déclara Mauwda d’un ton sec, tandis qu’Aspiri était déjà aux pieds de Loca, prêt à accepter l’offre.
— Attends, quoi ?! s’exclama Aspiri, horrifié par la réaction de son compagnon. Cet homme est la personne la plus noble que ce monde n’ait jamais connue ! s’écria Aspiri, visiblement séduit par la promesse de richesse.
Loca comprit rapidement qu’Aspiri pouvait être acheté facilement, mais il décida de jouer le jeu.
— Écoute, tenta Loca en adoptant un ton paternel. Ce monde est dangereux. Un jeune homme comme toi a besoin d’un guide pour suivre le droit chemin. Je suis cet homme.
Mauwda, hésitant, finit par céder.
— Très bien, soupira-t-il, mais si je sens une seule mauvaise intention de votre part, je n’hésiterai pas à utiliser mon poignard contre vous.
Loca esquissa un léger sourire. Quelque chose en Mauwda lui rappelait son propre passé, à l’époque où il était un jeune soldat sous la tutelle d’Eliot Jacquemin.
— Alors, par où commence-t-on pour trouver Leia Pendleton ? demanda Aspiri, visiblement impatient.
— Que cherche un jeune équipage pirate ? répondit Loca.
— De l’or ! s’exclama Aspiri.
— De la renommée ? tenta Mauwda.
— Non, des bras. Et savez-vous où l’on trouve les plus de jeunes pirates en quête d’aventure ?
Les deux compagnons secouèrent la tête.
— À Helmtown, l’île aux pirates, déclara Loca.
Il savait que mettre les pieds sur cette île signerait une rupture définitive avec son passé. Pactiser avec une pirate ferait de lui un ennemi de l’empereur. Mais Loca était déterminé. Il retrouverait Leia Toladriam, et avec elle, il ramènerait la paix et la justice à Drakonia.
Annotations
Versions