Chewing-gum (1/3)

6 minutes de lecture

V

Dorian Crelès se sent stupide, car très mal équipé. Les brindilles sèches et autres feuilles mortes craquent sous ses chaussures de ville, et même à l’ombre des arbres, son costume — pantalon et veste bien noirs, chemise blanche, col déboutonné — l’étouffe et ne se fond pas franchement dans le décor. Les forêts du Morvan ne sont pas bien denses, dans le coin. Les charmes, parasités par quelques pins, montent plutôt haut, mais aiment également être espacés de leurs voisins. Anton, lui, est relativement bien camouflé avec son attirail de randonneur ; Dorian fait son possible pour le suivre, sans trop le distancer pour autant.

Finalement, les bois sont assez denses, à bien y réfléchir, lorsque les fougères deviennent grasses et les troncs imposants ; Dorian doit suivre Anton de près pour ne pas le perdre. L’avantage, c’est que la cible est proche et qu’il peut voir ce qu’il fabrique. L’inconvénient, c’est que lui aussi est proche ; il doit s’appliquer à ne pas faire de bruit, et se cacher derrière chaque arbre qu’il croise.

Lorsque Dorian est arrivé à l’hôtel, trois heures plus tôt, Anton Arkitt était cloîtré dans sa chambre, volets clos, accroche-porte « Ne pas déranger » pendant de la poignée. L’inspecteur s’est assuré, auprès du personnel réduit de l’hôtel, que le client-suspect était bien présent, avant de se poster à la naissance des bois, contre un charme. La chambre d’Anton ne donnant pas sur le parking, Dorian avait dû abandonner la chaleur intenable de la 207.

Il aurait dû se douter, pourtant, qu’il y avait de grandes chances qu’il finisse par devoir s’enfoncer dans la forêt ; Anton lui avait dit qu’il aimait les randonnées. Et, sur les coups de dix-huit heures trente, c’est exactement ce qu’il a constaté.

Après tout, le chasseur passe son temps dans les bois, à soigner ses scènes de crime. Peut-être part-il s’occuper de celle de Joanna Ploignel, qui ne donne aucun signe de vie depuis la veille ?

Mais pour l’instant, Anton ne fait rien de bien intéressant. Il paraît juste nerveux. Dorian consulte sa montre : dix-neuf heures. Lors de sa précédente audition, à l’hôtel, juste après les meurtres de Gautrois et Royand, le fils Arkitt leur a indiqué qu’il dînait tôt, aux alentours de dix-neuf heures trente, et pas plus tard que vingt heures. Donc, s’il s’en tient à sa routine, il devrait se dépêcher de retourner à l’hôtel.

L’inspecteur consulte son téléphone : réseau mobile et 4G corrects, il marque sa position sur son GPS, et envoie les coordonnées à Samia.

Il espère que la balade forestière ne va pas s’éterniser : il crève de chaud et il n’a pas d’eau.

Vraiment mal équipé.


*


Berroui et LaClue fouillent la chambre de Joanna Ploignel - la numéro 25. La chaleur y est écrasante ; le soleil irradie la pièce par la fenêtre exposée plein sud. Aucun signe de la cliente, nulle part. Son téléphone et ses papiers sont dans sa chambre, sa C4 dans le parking.

Disparition inquiétante, donc.

L’inspection ne dévoile rien de suspect. L’intérieur est relativement bien rangé, les vêtements sont sagement empilés dans l’armoire en bois brun, quelques livres traînent sur la table de chevet. Une enceinte bluetooth et son chargeur dorment dans un tiroir, avec le chargeur du téléphone, ce dernier étant manquant. Pas d’ordinateur portable, pas d’autres effets personnels.

Joanna Ploignel semble avoir emporté avec elle le strict minimum.

Samia trouve les clefs de la C4 dans un sac à main, gentiment posé sur une chaise, et propose à LaClue d’inspecter le véhicule. Rien d’intéressant, mais ils peuvent en tirer quelque chose : il n’y a pas d’autres bagages. Pour quelqu’un qui cherche à s’installer dans la région, Joanna Ploignel voyage très léger.

Ils retrouvent son téléphone portable dans la boîte à gants, aussi.

Pas de géolocalisation possible.

Et ça commence à sérieusement puer pour la dame.

Les deux policiers font le tour des présents à l’hôtel : soit le gérant, trois employés préposés à l’accueil et à l’entretien, et Clélia, qui s’occupe de la mini cafétéria. Comme déjà signalé, personne n’a revu Joanna Ploignel depuis la veille au soir. Samia demande : et Anton ? Le petit groupe réfléchit. Anton, ils ne le voient presque plus, depuis le jour où Catherine Gautrois et Pierre Royand ont été découverts. Le gus s’enferme souvent dans sa chambre en journée, et ne prend jamais son déjeuner au restaurant. Le personnel dédié au ménage pense à ce propos qu’il dort le jour : il s’absente néanmoins un temps suffisant, le matin ou en fin d’après-midi, afin que sa chambre puisse être faite. Un gars discret, arrangeant, maniaque, aussi, vu l’état impeccable de sa chambre, mais peu sociable, en somme. D’ailleurs, personne ne l’a jamais vu parler à quelqu’un d’autre que Pierre Royand.

Samia et LaClue remercient puis, forts de soupçons accrus, décident de repartir pour le commissariat. Dorian piste Arkitt, et il a du renfort à l’hôtel, si besoin. Le réseau passe étonnamment bien, donc dès qu’il a du nouveau, il les prévient. Samia a déjà reçu les coordonnées de différentes positions.

Lorsqu’ils quittent le parking, l’inspectrice et le commissaire partagent la sale impression que Joanna Ploignel est déjà morte.


*


Dorian avale deux paquets de gâteaux aux céréales complètes, graines de chia et citron — des trucs qu’il garde habituellement pour son fils, l’été, pour éviter le chocolat fondu, et qu’il a racheté en prévision des planques, quelques jours plus tôt —, la moitié de sa bouteille d’un litre d’eau tiède, et termine son repas par un chewing-gum à la menthe.

Anton est rentré à l’hôtel à huit heures trente passées, et s’est directement rendu au petit restaurant. Sa randonnée s’est achevée dans une clairière, à quasiment trois quarts d’heure de marche du Logis du Clérain. Dorian n’a pas osé s’approcher de trop près ; la couverture des arbres se faisait trop faible, autour de la clairière, et il ne pouvait risquer que le chasseur présumé ne le repère. Aussi, l’inspecteur s’est contenté d’une surveillance distante. Il a pu voir une sorte de grande cabane, dans laquelle sa cible est entrée. Malheureusement pour lui, la 4G avait alors laissé place à la 3G, et son appli GPS n’avait plus voulu coopérer. Et, alors qu’il cherchait du réseau, il avait dû renoncer lorsqu’Anton était ressorti de la cabane pour rebrousser chemin.

Dans le confort tout relatif de la 207, moteur éteint, Dorian évalue la situation, et fait le point sur son travail. Anton est longuement resté dans sa chambre en fin d’après-midi, volets fermés — d’après les textos de Samia, et le personnel de l’hôtel, c’est parce que le client de la chambre 21 pionce en journée. Puis, il a entrepris une randonnée dans le but de rejoindre une cabane, à quarante-cinq minutes de marche du Logis du Clérain, plantée dans une clairière. Dorian examine ses points GPS, et râle : il n’en a pas d’assez près de la cabane, les trois points qu’il a recueillis sont tous à proximité de l’hôtel, quand il pensait que la balade ne serait pas trop longue et que marquer sa position à intervalle régulier valait pour le mieux.

L’inspecteur réfléchit. Avec Joanna Ploignel dans la nature, et les investigations peu optimistes de LaClue et Samia à son sujet, il apparaît nécessaire de jeter un œil à cette fameuse cabane. Et si la femme de la chambre 25 s’y trouvait ? Et si elle s’y trouvait encore en vie ?

La décision est prise : dès qu’Anton remonte dans sa chambre - ce qui ne devrait pas tarder -, Dorian repart illico dans les bois, pour retourner dans cette foutue cabane. La nuit commence à s’étaler dans le ciel, mais il ne fait pas trop sombre, et le trajet est encore frais dans sa tête. Autant y aller : même si Ploignel n’y est pas, Dorian pourra tenter de relever un point GPS, s’il trouve du réseau. Satisfait de son plan, il sort discrètement de la 207 pour avertir la patrouille laissée sur place par LaClue. Une fois qu’il sera parti, il charge l’équipage de trois flics - une brigadière et deux gardiens de la paix - de surveiller le suspect.

Un texto à Samia, et il repart s’enfermer dans la 207.

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