Chewing-gum (2/3)

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Au commissariat de Pavonis, Samia et LaClue participent à une longue conférence téléphonique avec Rémi - le collègue serinois que Samia a chargé de se renseigner sur les quatre clients du Logis du Clérain. Sur Pierre Royand : confirmation qu’il faisait bien partie des clients du gang des apothicaires. Les Stups serinois l’ont détronché plusieurs fois dans leurs investigations. Rien de décisif : le lien entre Mélanie Myrthon et lui est établi depuis longtemps, grâce à la photo. Sur Mélanie elle-même : rien de très neuf non plus. Demain, ils devraient recevoir les premiers listings la concernant : relevés téléphoniques et bancaires, à détailler en priorité.

Puis Rémi annonce qu’il a du lourd sur Joanna Ploignel. À cela, Samia lance :

— Justement, c’est celle qui nous préoccupe : elle a disparu.

— Encore ? s’étonne Rémi.

Regard perplexe de LaClue.

— Comment ça « encore » ? questionne-t-il.

— Figurez-vous que les collègues de la PJ du 94 ont enregistré un signalement de disparition inquiétante à son sujet il y a trois mois. C’est son compagnon, un certain Kyle Corvoud, qui est à l’origine du signalement.

— Pourquoi est-ce qu’on n’en a pas entendu parler plus tôt ? rebondit Samia.

— Parce que les collègues n’ont pas jugé utile de diffuser largement un avis de recherche. Ils commençaient à écumer le 9-4 quand ils ont conclu à la disparition volontaire. Il faut dire qu’ils ont beaucoup de dossiers du même genre à traiter, et que, pour celui-ci, ils ont reçu un témoignage, concordant avec d’autres éléments, qui plaidait pour un éloignement volontaire.

— Ah oui ? Quel genre d’éléments ?

— Un motif plausible à sa disparition : le fait qu’elle fuyait un compagnon violent.

Rémi détaille alors les faits compilés par l’antenne départementale de la PJ du Val-de-Marne. Joanna Ploignel a, il y a six mois de ça, été à deux doigts de déposer une plainte, en compagnie d’une de ses collègues de travail - elles sont toutes les deux salariées dans une grosse boîte de bureautique -, pour violence domestique. La trentenaire s’est présentée avec une pommette contusionnée. C’est sa collègue qui, constatant ses blessures, l’a convaincue de se rendre au commissariat. Là-bas, elle a catégoriquement refusé de porter plainte, mais consenti à répondre à quelques questions, qui n’ont guère réussi à la convaincre d’entrer en action. Elle a ainsi précisé que les violences duraient depuis un long moment : son compagnon et elle partageaient alors dix ans de vie commune. Depuis que leur fille était née, sept ans auparavant, les relations au sein du couple se sont dégradées. Une lente spirale de reproches, de disputes, d’exigences qui ont abouti à des violences devenues coutumières.

Trois mois plus tard, Kyle Corvoud s’est rendu dans son commissariat de quartier, très inquiet. Sa compagne n’était pas rentrée chez eux la veille, après être sortie faire une course. Les policiers ont trouvé l’homme excessivement nerveux. Lorsqu’ils lui ont demandé pourquoi il n’a pas fait appel à la police plus tôt - pas revenue d’une course en début de soirée, alors qu’elle était censée rentrer immédiatement, le compagnon n’a pas l’inquiétude facile - Corvoud s’est embrouillé dans sa réponse : il a essayé de l’appeler, de la chercher, il a fait le tour du quartier, a découvert qu’elle n’était jamais allée jusqu’à l’épicerie où elle lui avait dit qu’elle irait. Alors il a appelé leurs connaissances, a frappé à toutes les portes. Il l’a cherchée seul. Il ne pensait pas que la police pouvait faire quelque chose pour lui aussi tôt. Côté policier, on ne dit rien, car il n’a pas tout à fait tort.

Lorsque le nom de Joanna Ploignel est entré dans le système, la main courante apparaît. Coup de fil au siège de la PJ du 94. L’affaire est prise sous un autre angle, bien moins amusant pour Kyle Corvoud ; il ne s’amusait déjà pas tellement. On lui met la pression, on reprend ses actions, on refait les heures, une par une. On pense qu’il a peut-être tué sa compagne, qu’il n’a pas retenu ses coups. Mais Kyle Corvoud s’acharne sur sa version, et le domicile est clean. Pas de traces de sang - même nettoyées. Alors on cherche ailleurs, on cherche la disparue. Et puis, tandis qu’un collègue s’occupe de recueillir des témoignages dans la boîte où Joanna Ploignel travaille, il tombe sur la collègue qui l’avait convaincue de se rendre à la police. Elle prend le policier à part, et lui confie ce qui va mettre fin à une enquête éclair : Joanna l’a appelée, le soir de sa disparition, tard. Elle se trouvait sur une aire d’autoroute, direction inconnue. Elle lui a dit qu’elle était partie, qu’elle avait quitté Kyle, sans rien lui dire. Qu’elle avait fait ses bagages dans l’après-midi, sans prendre grand-chose, juste le minimum. Juste le nécessaire. Et encore, pas tout à fait, pour ne pas alerter Kyle. Qu’ensuite, elle avait fourré sa valise dans sa C4, et qu’elle avait attendu qu’il rentre pour sortir, prétextant une course.

Elle s’était enfuie. Elle se sentait mieux, déjà. Mais elle se sentait lâche, aussi.

Elle avait laissé sa fille. Elle était persuadée qu’il ne lui ferait jamais de mal. Et qu’elle vivrait mieux sans elle.

Ensuite, Joanna avait raccroché, et n’avait plus rappelé. Ni répondu aux appels acharnés de sa collègue. La police avait alors lâché Kyle Corvoud, et n’avait pas poussé plus loin les investigations. Ils avaient déjà perdu assez de temps et de ressources sur ce dossier. Un éloignement volontaire, une femme déjà hors d’Île-de-France, ils devaient traiter d’affaires plus urgentes.

— Et donc, quoi : ce fameux Kyle Corvoud l’aurait retrouvée ici, au fin fond des Saints-Lacs ? enchaîne Samia une fois le compte rendu de Rémi terminé.

— Possible, affirme celui-ci. Après tout, la Bourgogne n’est pas très loin en train, et une succursale de l’entreprise qui employait Ploignel est à Serins-sur-Lacs. Apparemment, elle a participé à son implantation il y a quelques années. Donc si son mec voulait la retrouver, il a pu se dire qu’elle se réfugierait là où elle connaîtrait des endroits discrets.

— C’est vrai que c’est pas malin de fuir là où il pourrait la chercher, souligne LaClue. Mais la coïncidence paraît trop grosse. Je veux dire : on a un tueur en série actif dans la région, qui a déjà fait une victime là où se trouve Ploignel. Alors, pourquoi parier sur l’ex-compagnon dans le Val-de-Marne, alors qu’on a un maniaque de la chasse à l’humain dans les Saints-Lacs ?

— Moi, je transmets juste les infos, balaie Rémi.

— Et on apprécie, comme toujours, le rassure Samia. Tu as autre chose ?

— Non, c’est tout. Je vous tiens au courant pour les fadettes de Myrthon. Si ça vous avance à quelque chose…

— Tout est bon à prendre, Rémi. Merci pour cette tournée de renseignements.

Après avoir raccroché, l’inspectrice enchaîne :

— Retrouvée par son Jules et ses poings ou chassée par notre tueur en série et son arc, pour l’instant la dame est introuvable. Dorian m’a envoyé un message à l’instant : il retourne inspecter la cabane d’Anton, histoire de s’assurer que Ploignel n’y est pas. Ce dont je doute : le chasseur tue ses victimes, il ne les séquestre pas. Mais, après tout, il a pu tomber sur un os, ou vouloir changer ses habitudes. S’il prend confiance en lui, ou qu’au contraire il devient nerveux, il peut se montrer imprudent. Bref, Dorian va voir ça, et laisse à vos subordonnés le soin de surveiller le fils Arkitt.

— Bien. De mon côté, je m’en vais prendre des nouvelles des recherches. Mes équipes sont à bout, mais la première battue est presque terminée.

— Je croyais que la gendarmerie devait s’en occuper ?

— Ils ont bien rigolé quand je leur ai dit depuis combien de temps Ploignel avait disparu, et que, de toute façon, on était sûrement à la recherche d’un cadavre. Ils ont dit de rappeler demain, et que d’ici là, quelqu’un l’aurait peut-être trouvée, notre présumée morte. Étant donné que les autres victimes ont été retrouvées très rapidement…

Samia se fend d’un sourire sardonique, et imite le commissaire LaClue quand celui-ci se lève.

— Vous savez, pour le coup, je crois qu’ils n’ont pas tort, appuie-t-elle en louchant sur sa montre. Dites, dix-neuf heures trente, ça passe pour une visite de courtoisie ?

LaClue lui lance un regard en coin, mi-intrigué, mi-amusé.

— Pas vraiment, non.

— Je me disais aussi… mais bon, j’ai des chances de trouver Alice Blein à son domicile, non ? Je ne supporte pas qu’on me pose un lapin. Et puis, avec Ploignel évaporée, cette Alice Blein qui ne se présente pas à son audition, c’est peut-être mauvais signe…

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