CHAPITRE 1 : UN BATTEMENT DANS LA FOULE.
Ta vie est comme un roman, une succession de chapitres tantôt joyeux, tantôt sombres, parfois mystérieux. Mais si tu ne tournes pas la page, tu ne découvriras jamais la suite de l’histoire.
Quatre heures trente du matin. Je quitte à regret la douceur de ma couette, abandonnant la chaleur réconfortante de la nuit. Le silence est profond, presque palpable, pas même troublé par les pas habituels de mon voisin du dessus. Tout repose encore, y compris mon modeste HLM, dans cette paix précaire qui précède le réveil de la ville.
Je me dirige lentement vers la cuisine, encore alourdie par les brumes du sommeil, mes pieds nus effleurant le parquet flottant comme des ombres furtives. Une fraîcheur matinale s’infiltre sous mes pas. Brrr… L’hiver semble déjà frapper à la porte.
La pièce est baignée d’une lumière douce, à cette heure indécise où la nuit lutte encore contre le jour. Mes doigts frôlent distraitement la table, puis je m'assoie anfin sur la chaise. Devant moi, ma tasse de café semble se fondre dans la pénombre, s’effacer peu à peu, comme si elle appartenait à un autre monde, à un autre temps.
Et c’est là, dans ce creux entre deux souffles, que l’absence revient me frapper de plein fouet. Je pleure ce vide qui pèse comme un lourd fardeau sur mes épaules, ce silence qui n’apaise plus mais écrase, plus dense que les ténèbres derrière la fenêtre. Tout ce qui donnait un sens à mon existence s’est évanoui avec son départ, me laissant seule face à mes fantômes, face à ce reflet tremblant dans le liquide noir de la tasse.
Un poids me serre la poitrine. J’inspire profondément, tentant de chasser cette angoisse, mais l’air se bloque dans ma gorge comme un sanglot refusé.
Soudain, un fracas assourdissant explose dans la cour, déchirant la quiétude du petit matin. Je sursaute, le cœur battant la chamade. Une voix stridente chargée d’une colère brute qui glace mon sang.
Je me précipite au balcon, attirée par ce drame familier. Sous la lumière blafarde des lampadaires, deux ombres s’agitent dans une danse macabre.
Un couple.
L’homme gesticule, sa voix montant en un crescendo menaçant. La femme recule, à pas mesurés, juste assez pour esquiver, mais pas assez pour fuir. Je connais cette chorégraphie pour l’avoir déjà dansée.
Son dos heurte un arbre ; un hoquet rauque lui échappe, ses épaules se contractent. Elle voudrait se dissoudre dans la nuit, mais il est là, imposant, masse sombre aux poings serrés, torse bombé comme un défi.
Un frisson me parcourt la colonne vertébrale. Je reconnais chaque mouvement, chaque tension. Cet instant précis où l’équilibre bascule.
Il tourne soudain son regard vers moi. L’air se charge d’une tension palpable, comme si le monde entier retenait son souffle.
Sa respiration est courte, saccadée ; son corps, corde tendue à craquer. Je voudrais crier, l’arrêter, mais les mots se nouent en un nœud silencieux dans ma gorge.
Je cherche une échappatoire du regard, une faille dans ce destin qui se referme, mais il est déjà trop tard. Son bras se lève, se tend, et je sais, viscéralement, ce qui va suivre. Une certitude ancienne, amère.
Un cri déchire la nuit, glaçant, un appel à l’aide qui se perd dans le béton. L’homme hurle, son bras levé dans un geste de possesseur, de juge. La femme recule encore, dos au mur. Plus d’issue. Plus d’échappatoire.
La scène qui se joue dans la cour glacée se superpose à mes propres souvenirs, Je revois le premier coup s’abattre sur ma joue. Brutal. Sourd. Puis un autre. Ma tête avait basculé alors, plongeant dans un tourbillon d’étoiles douloureuses.
La colère de l’homme semble soudain s’émousser, ses mots résonnent creux, affaiblis, perdus dans l’air froid qui mord la peau. La femme reste immobile, statue de résignation. Une défaite acceptée.
Le silence retombe, lourd, épais comme du goudron. Une fin sans victoire, sans conclusion, laissant derrière elle un frisson d’inachèvement.
Je recule du balcon, mes doigts engourdis glissant sur la rambarde métallique, glacée comme l’intérieur de mes veines. Mon souffle est court, haché, mon corps encore prisonnier de cette oppression qui colle, tenace, refusant de se dissiper avec les derniers échos du drame.
Mon regard, errant, se pose à nouveau sur la tasse oubliée, îlot solitaire au milieu de la table. Mon café est là, témoin silencieux et impuissant de ce matin fracturer.
Machinalement, je la saisis, le porte à mes lèvres. Une gorgée. L’amertume racle ma gorge, le froid s’infiltre jusqu’aux os, mais je bois. Un acte banal, dérisoire, qui m’ancre pourtant à cette réalité délavée. Preuve que je respire encore. Que je suis là.
Le temps, fuyard, a coulé entre mes doigts sans que je le saisisse. Dehors, la ville semble retenir son souffle, plongée dans un sommeil profond et mystérieux. Un silence inhabituel, presque sacré, règne, à peine troublé par le vrombissement lointain, fantomatique, d’une voiture, un oiseau, solitaire de l’aube, frôle la rambarde du balcon et disparaît dans les dernières brumes de la nuit.
Je lève les yeux vers le ciel qui pâlit imperceptiblement, avalant une goulée d’air froid qui brûle mes poumons. Un rappel.
Lorsque je franchis enfin le seuil de l’immeuble, une heure plus tard, l’air du matin, désormais chargé d’humidité et du frémissement naissant de la ville, mord ma peau nue avec une vigueur renouvelée. Cinglant. Réveillant. Un rappel brutal de la réalité qui m’attend, implacable.
À présent, dans les entrailles du métro, les premiers flots humains s’engouffrent. Les pas pressés claquent sur le carrelage, s’entrelacent, se bousculent dans un ballet désordonné. Les silhouettes se frôlent, anonymes, sans un regard, sans un mot, échangeant seulement l’électricité statique de la fatigue et de l’urgence.
Le bruit sourd et répétitif des semelles résonne comme un écho amplifié à ma propre solitude, un métronome réglé sur le tempo de la survie.
Je me laisse porter par ce courant, ce fleuve humain sans source ni fin, plongée dans le vertige familier de la routine. Elle m’engloutit autant qu’elle me rassure, ce cocon étouffant du connu.
L’odeur âcre du métal chauffé par les freins, mêlée à celle, douceâtre, du cuir usé des sacs et au relent chimique du désinfectant, imprègne l’air épais. Un parfum de ville vivante, fonctionnelle, infatigable.
Autour de moi, les corps s’agitent, happés par le rituel implacable de l’engrenage. Chaque jour est un calque du précédent, chaque geste une reproduction fidèle d’un schéma tracé d’avance. Un univers verrouillé, sans brèche pour les rêveurs, pour les égarés comme moi.
Pourtant, soudain, une bulle de lumière perce la grisaille. Une voix s’élève, claire, suivie d’un rire franc, cristallin. Une conversation animée fuse quelque part près de moi. Malgré moi, je lève les yeux.
Deux inconnus, un homme et une femme, échangent un regard complice, un sourire qui plisse leurs yeux fatigués. Ils vivent. Ils avancent. Ils semblent choisir. Et moi ?
Je serre mon manteau un peu plus fort contre moi, comme pour contenir quelque chose qui menace de s’échapper, un souffle, un espoir. Je suis là, parfaitement ajustée à la mécanique, un rouage silencieux et interchangeable, une silhouette parmi la myriade, où la sortie est invisible et le répit, une douce illusion.
Mais derrière cette régularité trompeuse, une vérité s’impose, crue : l’égalité promise n’est qu’un mirage. Nous ne naissons pas sur la même ligne de départ. Le métro ralentit dans un grincement, une annonce robotique résonne dans les haut-parleurs.
La prochaine station approche. Je suis ici parce que j’ai choisi ma voie, ou du moins, j’ai choisi de la suivre, convaincue, malgré tout, que chaque route peut bifurquer, peut évoluer.
Élever mon fils seule fut un choix. Un choix lourd, exigeant, porté par cette foi têtue que tout peut se reconstruire, que rien n’est jamais figé. Une décision assumée dans le ventre de ma liberté. Mais ce choix, comme tant d’autres, a exigé une force surhumaine, un combat quotidien pour prouver ma valeur là où d’autres n’avaient qu’à exister, simplement.
Combien de nuits suis-je restée éveillée, les yeux grands ouverts dans le noir, à douter, à me demander si j’en étais capable, tandis que le grondement souterrain du métro vibrait sous mes pieds nus, remontant le long de mes jambes comme une onde de terreur avant que la rame n’apparaisse, phare aveuglant dans le tunnel ?
Combien de larmes ai-je versées en silence, aussi soudaines et violentes que cette bourrasque matinale qui s’engouffre dans ce couloir, et qui fait danser mon écharpe comme un drapeau en détresse.
Mais je n’ai pas fui. Je suis restée. Plantée là, comme un arbre dans la tempête.
L’égalité des sexes ? Une chimère séduisante. Depuis la nuit des temps, les femmes se battent, encore et encore, pour arracher la reconnaissance qui leur est due, pour sortir de l’ombre. Camille Claudel, génie sculpteur, reléguée à l’oubli et à l’injustice, effacée par l’ombre immense de Rodin, comme ce souffle métallique du métro qui me frôle, brutal, tranchant, indifférent.
Alors, où en sommes-nous aujourd’hui ? Avons-nous vraiment le choix de forger notre existence, ou sommes-nous condamnées à nous plier, à nous adapter aux limites imposées par d’autres ? Peut-être avons-nous ce choix, oui. Mais il ne se présente jamais sans son cortège de sacrifices, sans exiger une volonté d’acier, inébranlable.
Je recule instinctivement d’un pas, cherchant la stabilité du sol ferme sous mes semelles usées.
Ai-je été vraiment libre, dans ce rôle de mère célibataire ? Ou ai-je simplement suivi un chemin tracé par d’autres, par les attentes silencieuses de la société, par le fantôme de ma propre mère ? Ai-je été manipulée, dirigée à mon insu, enfermée dans une vision du monde qui n’était pas la mienne ? Ma mère aurait dû être un phare. Elle ne fut qu’une ombre, une présence pesante, étouffante, comme ce métro qui crisse sur les rails, son cri strident s’ajoutant au tumulte assourdissant du matin.
Ai-je été aveuglée par l’amour, ou ai-je simplement refusé de voir les fissures, ce qui me rongeait de l’intérieur ? La porte du métro s’ouvre dans un soupir pneumatique ; je monte, mon souffle suspendu un instant de plus, mes doigts serrés sur la laine rêche de mon écharpe.
Ai-je été faible, oui ? Faible d’avoir cru qu’elle était plus forte que moi. Faible d’avoir pensé qu’elle détenait toujours la vérité. Faible d’avoir supposé que je lui dusse mon existence même. Mais était-ce seulement de la faiblesse ? N’était-ce pas plutôt de la loyauté mal placée ? De l’espoir enfantin ?
Avais-je eu tort, surtout, d’aimer le père de mon fils ? De croire en nous, en cet avenir radieux qui me semblait si évident, aussi inéluctable que ce train qui fonce dans le tunnel, silencieux et irrésistible ? Oui, je l’ai aimé. J’ai porté cet amour haut et fort, avec une sincérité désarmante, avec la conviction profonde qu’il pouvait bâtir un édifice solide, à l’épreuve des vents. Mais parfois, la vie vous rappelle cruellement que croire ne suffit pas. Qu’aimer, aussi fort soit-on, ne suffit pas à conjurer les démons, à combler les gouffres.
Est-ce une bonne décision, alors, de m’inscrire sur ce site de rencontre ? L’inconnu m’effraie autant qu’il m’attire. Je ne sais pas. Mais une phrase me revient, lancinante, comme un leitmotiv : "Nous sommes notre propre bonheur." Alors, que faire ? Attendre que ce bonheur hypothétique vienne frapper à ma porte, passif et résigné ? Non. Il faut avancer. Même dans le brouillard. Même à tâtons.
Je monte dans la rame, un mouvement fluide dans le flot. Ma respiration se suspend une fraction de seconde, le temps que les portes se referment dans mon dos comme une parenthèse qui se clôt. Et c’est alors que cela se produit. Pas un coup de tonnerre. Non. Plutôt un décalage infime, un cliquetis silencieux dans l’engrenage de mon être. Cette fois, quelque chose a changé. Un déclic. Une certitude minérale qui s’installe au creux de mon ventre.
Je ne peux plus rester enfermée dans cette boucle infinie d’attente et de regret. Il faut agir. Il faut avancer, mais autrement. Trouver une autre voie. Pas demain. Pas plus tard. Un premier pas. Maintenant.
Le métro démarre dans un grondement sourd, me projetant légèrement vers l’avant. Mes doigts se referment instinctivement sur la barre froide et lisse, mon seul ancrage dans ce mouvement perpétuel. Autour de moi, l’espace est rempli de visages absents, d’ombres fatiguées sculptées par la routine. Je fais partie de ces silhouettes grises, silencieuses, flottant dans la pénombre. Mais aujourd’hui, une brèche minuscule s’ouvre dans le mur de ma résignation. Une fissure de lumière.
Comme pour sceller cette fragile résolution, mon téléphone vibre dans mon sac, contre ma hanche. Une pulsation familière. Une notification. Un message. Peut-être un ami perdu de vue, peut-être un membre de la famille. Je l’extirpe, le déverrouille d’un geste machinal. La lumière de l’écran me frappe les yeux.
Je regarde les mots sans vraiment les voir, flous. Cette fois, sans hésitation, sans peur, mes doigts pianotent une réponse. Un seul mot, simple. « Salut, frérot. » Un pont tendu, fragile, tremblant, vers l’extérieur. Vers un possible.
Le wagon tangue au rythme saccadé de la rame, la cadence mécanique reprend son implacable rituel. Mais cette fois, je ne me laisse pas emporter par le courant. Je résiste. Je choisis de tendre la main. Je choisis l’ouverture.
Une annonce métallique résonne, coupant l’air. La prochaine station. La mienne. Je me prépare, sangles mon sac, affermis ma posture.
Lorsque je pose le pied sur le quai, la transition est presque imperceptible physiquement. Un pas de plus. Mais en moi, c’est un saut. Subtile, mais réelle. J’avance, quittant un monde pour pénétrer dans un autre. Je pénètre dans la deuxième voie : le royaume des invisibles. Là où la routine reprend son cours, immuable et silencieux.
Ici, pas de discussions animées sur des dossiers urgents, pas de costumes élégants frôlant les fauteuils en cuir des sièges directoriaux. Ici, nous sommes les mains anonymes qui maintiennent l’édifice debout, ceux qui travaillent quand la ville dort ou festoie.
Femmes de ménage aux épaules solides, employés d’hôtels aux sourires chaleureux, agents d’entretien aux mains agiles, livreurs aux pas pressés mais assurés. Nous avançons en file indienne, chacun avec notre propre allure, notre propre style.
Nos vêtements sont variés, reflétant nos personnalités et nos origines. À côté de moi, une femme africaine porte un pagne coloré, ses motifs vibrants racontant des histoires de son pays lointain. Elle discute avec une collègue pakistanaise, vêtue d'un pantalon large et d'une longue tunique en coton, les détails délicats de sa tenue scintillant sous la lumière du métro.
Assise à ma gauche, une femme indienne en sari de coton, aux couleurs éclatantes, rit avec une Européenne en tenue décontractée mais soignée, leurs voix se mêlant dans une cacophonie de langues chantantes et d'accents.
"Tu as vu la nouvelle exposition de street art dans le quartier ?" demande l'Européenne à son amie indienne. "J'aimerais bien y aller, mais avec les horaires de nuit cette semaine, c'est compliqué."
"Moi aussi, je dois faire des heures de nuit pour dépanner une collègue souffrante," répond l'Indienne en ajustant son sari. "Mais bon, on fera ça dès que nos horaires seront plus cléments. Tu sais, la nouvelle réceptionniste a dit qu'il y avait une réduction pour les employés du quartier."
Nos baskets, bien que usées, racontent nos kilomètres parcourus avec fierté. Nous avons des accessoires, des coiffures soignées et des sourires éclatants. Une femme porte des créoles héritage de sa grand-mère, tandis qu'une autre arbore des bracelets en perles colorées, chacun représentant un moment important de sa vie.
Nous sommes coquets, fiers, et nous marchons la tête haute.
L’air est le même, chargé des mêmes odeurs de ville, mais aujourd’hui, nous nous remarquons. Nous faisons ce qui doit être fait, mais nous le faisons avec dignité et fierté. Aujourd’hui, en traversant ce seuil, je ressens une différence. Comme une vibration nouvelle sous mes pas.
Les conversations autour de moi sont une cacophonie de langues chantantes et de dialectes, une symphonie de cultures et de traditions. Une femme parle en wolof avec une amie, leurs rires résonnant comme une mélodie joyeuse.
Plus loin, un groupe discute en ourdou, leurs mains s'animent pour ponctuer leurs histoires. Une autre conversation en hindi se mêle à des éclats de voix en espagnol et en français, créant une tapisserie sonore riche et variée.
"Tu as goûté le nouveau restaurant sénégalais ?" demande une femme à une autre.ie "Leur poulet yassa est à tomber par terre."
"Je préfère encore les tacos de la petite échoppe près de la gare," répond son amie en riant. "Mais bon, je suis une inconditionnelle de la cuisine mexicaine."
Je me sens portée par cette énergie, cette diversité, cette joie de vivre qui émane de chaque personne dans ce wagon.
Elles sont belles, leurs visages reflétant la force et la résilience. Leurs yeux brillent de détermination et d'espoir, leurs sourires sont contagieux.
Elles portent en elles la joie de vivre, une flamme qui ne s'éteint jamais, même dans les moments les plus sombres.
Je me sens inspirée, motivée à avancer, à me battre pour mes rêves. Elles me donnent envie d'avancer, de me dépasser, de briller à mon tour. Dans ce wagon, nous sommes toutes différentes, mais nous sommes unies par une même force, une même détermination, une même joie de vivre.
Et demain, je brillerai.
Je serre un peu plus fort la barre froide du métro avant de la quitter, mon ancre temporaire, mon témoin muet. Aujourd’hui, je suis une invisible peureuse, peu sûr d'elle. Mais demain… L’idée germe, minuscule pousse verte dans un sol aride. Demain, je le serai plus.
Mais, pour aujourd'hui encore, je m’engouffre encore dans une entrée discrète, cachée dans l’angle mort de l’imposant bâtiment. Pas d’enseigne lumineuse, pas de marque de prestige. Juste une porte métallique banale, grise, que seuls ceux qui travaillent dans l’ombre connaissent et empruntent.
Pas celle, majestueuse et vitrée, qui donne sur le hall brillant, sur les fauteuils profonds et les sourires policés des réceptionnistes. Non. Celle-ci est la porte de service. Celle de l’envers du décor. Celle qui mène aux coulisses, là où la magie apparente se prépare dans la sueur et l’effacement, où tout s’active sans jamais se montrer au grand jour.
Mais demain… La pensée prend racine, plus forte. Demain, Kalia tu franchiras la grande porte.
Un couloir étroit s’ouvre devant moi, baigné d’une lumière blafarde et crue qui jette des ombres dures sur les murs nus. Des chariots de linges, déjà alignés comme des soldats au repos, attendent contre les murs, prêts pour leur mission. L’odeur de l’eau de Javel et du savon industriel pique mes narines.
Un soupir m’échappe, lourd de la journée qui commence. Mon regard accroche la pendule murale ronde, son cadran émaillé blanc.
Aiguilles figées un instant sur 7h00.
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