AUTOUR D'UN CHOCOLAT.

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La forêt chante. Elle baille tout en s'étirant, les yeux fermés comme pour refuser ce nouveau jour. C'est avec indolence qu'elle consent à détendre ses pattes, pour ensuite se replier sur elle-même.

Encore cinq petites minutes… La forêt hurle à présent. Non, décidément, je ne veux pas.

— "Dans dix minutes, je bouge…" Me promets-je. "Mon oreiller est d'une douceur ce matin ! Il me chatouille le nez, étrange !"

J'ouvre les yeux. Ma Douch' ! Elle dort dans mes bras.

Il est déjà tard ! Je suis à la bourre, je saute dans un jean. Mon café sera froid, je n'ai pas le temps de le placer au micro-onde. Sa saveur est amère, il est infect.

À bout de souffle, j'arrive dans le métro, rentre dans la voiture et m'assois sur un strapontin, côté vitre. Personne aux alentours, une chance ! Je sors un miroir de poche, ce ne sont plus des cernes mais des valises qui se dessinent sous mes yeux, je dois camoufler le désastre. Je fouille dans ma trousse à maquillage. Ouf, sauvée ! J'applique un peu d'anticernes et du fond de teint pour cacher la misère, mon rouge à lèvre servira de fard à joues.

Après cette agitation matinale et après avoir terminé mon "ravalement", je ferme les yeux. Étonnamment, je suis calme, bien. Le métro se remplit, je suis dans cette rame mais, enfermée dans ma bulle, je me trouve ailleurs, hermétique au brouhaha environnant. J'aspire à la tranquillité, personne ne viendra troubler ma quiétude aujourd'hui.

Mon esprit reste empreint de ma discussion avec François. J'ÉTAIS dans ses pensées ! Il a voulu commencer sa journée avec MOI ! Tu te rends compte ? Avec MOI ! Un homme debout, le regard éteint, m'observe "Oui monsieur, je souris ! Oui monsieur, l'UNIVERS entier me sourit !".

J’arrive à ma station, sors du métro. Une rafale glaciale me saisit, je remonte le col de mon manteau. Celui-ci peut se changer en capuche comme les capes du moyen âge. Je baisse la tête pour me protéger du vent. Je n'aperçois que difficilement la Tour Eiffel dans ce matin triste de décembre, je la devine grâce au scintillement de ses milliers d'étoiles dorées et de ses deux rayons bleus qui semblent fendre ce ciel noir.

Je remonte l'avenue George V. Les feuilles vertes des platanes ont fait place aux guirlandes rouges des fins d'années, elles dansent lorsque le vent souffle, seule la bouche du Crasy Horse reste figée.

Les rares piétons que je croise sur mon chemin sont, pour la plupart, des personnes qui, comme moi, se rendent à leur travail, tête baissée, le pas rapide, elles avancent à l'aveugle.

Le froid mord ma peau, s’infiltre jusque sous mes vêtements, mais je continue d’avancer. Une pensée me traverse j’ai un besoin de chaleur, de réconfort. L’idée d’un chocolat chaud s’impose, presque comme une nécessité.

J’arrive à l’hôtel, franchis l’entrée de service, le pas encore vif malgré le froid. Sans hésiter, je me dirige vers la cafétéria. Tiens donc. Je ne suis pas la seule à avoir eu cette idée. Plusieurs employés de l'hôtel se sont regroupés autour de la machine à café. De loin, Isabelle me fait de grands gestes, je me dirige vers elle et m'installe à sa table.

Elle me regarde, sa tasse de café à la main, qu’elle agite énergétiquement, comme si elle détenait un secret brûlant.

Elle ne perd pas de temps.

— Alors, ma chérie, comment vas-tu aujourd’hui ? demande-t-elle, les yeux pétillants d’un amusement feint.

Je souffle doucement sur mon chocolat chaud, mes mains enserrant la tasse pour capter un peu de sa chaleur.

— Ça va, merci… Et toi ?

Elle prend une gorgée, puis repose sa tasse brusquement.

— Attends, je dois te raconter…

Elle jette des regards furtifs à droite et à gauche, comme une conspiratrice sur le point de livrer un secret d’État.

Je fronce les sourcils.

— Quoi… ?

Elle inspire profondément, croise les bras, puis se penche légèrement vers moi.

— Je me suis engueulée avec mon homme hier soir !

Mon chocolat est encore trop chaud, mais je le porte tout de même à mes lèvres, par réflexe tout en essayant de ne pas sourire.

— Ah ! Bon, et pourquoi… ?

Isabelle relève le menton, une moue outrée sur le visage.

— Figure-toi que, sans me prévenir, il avait invité sa fille à dîner.

Je hoche la tête lentement. Me dit « comme d’habitude, de toute façon, il n’a jamais attendu ton approbation »

— Eh ! Ben…

Son regard s’enflamme, ses doigts tapotent nerveusement contre sa tasse.

— Tu me connais, je me suis mise en quatre pour faire plaisir à sa rejetonne !

Je retiens d’un rictus. Comme d'abitude tu as le coeur sur la main !!

— Je n’en doute pas.

Elle lève les bras au ciel, puis les laisse retomber lourdement sur la table.

— Eh bien, tu sais quoi ? Elle n’a pas arrêté de me lorgner de travers durant toute la soirée.

Elle joint ses deux index, les pointe devant ses yeux en formant une croix dramatique.

— Tiens… Elle avait exactement le même regard que toi en ce moment !

Je manque de m’étouffer avec mon chocolat.

— Hein quoi… ? Tu n’exagères pas un peu ?

Isabelle lève les yeux au ciel, fait tournoyer sa cuillère dans son café avec agacement.

— Oh ! Toi et ta commisération… cela te perdra un jour. Je te dis qu’elle m’en veut parce que j’ai pris la place de sa mère !

Elle s’incline légèrement vers moi, ses mains s’agitant comme pour donner plus de poids à ses mots.

— Elle n’a pas cessé de la soirée… Avec ses petites piques du genre :

Elle change de ton, prend une voix faussement douce, imitant sa belle-fille avec une précision presque comique.

— "Papa, tu aimes ce plat ? N’est-il pas un peu trop calorique pour toi ? Tu te souviens quand maman te faisait des petits repas légers ? Tu les appréciais tant ! Elle prenait soin de toi, elle !"

Elle pose violemment sa cuillère sur la table.

— Et le pire dans tout ça…

Je soulève ma tasse, attendant la suite.

— Ce fut quoi ?

Elle se penche, me fixe intensément, ses doigts serrés sur le rebord de sa tasse.

— Il n’a pas été capable une seule fois, je te dis bien, une seule fois, de me défendre durant la soirée !

Je secoue légèrement la tête, incrédule.

— Non !

Isabelle recule brusquement sur sa chaise, croise les bras avec une indignation manifeste.

— Un vrai goujat ! Tous les mêmes… À fuir pour éviter les problèmes !

Je lève légèrement les sourcils, reprenant une gorgée de mon chocolat.

— Encore une fois, je pense que tu exagères.

Elle lève les mains, comme si elle renonçait à toute tentative de me faire comprendre son drame.

— Pff… Tu es trop ignorante, réveille-toi ! L’homme idéal n’existe pas, ils sont comme la lune, à deux faces ! Un sourire imperceptible frôle mes lèvres. Si, moi je l’ai rencontré l’homme idéal…

Elle avale une dernière gorgée de son café, lâche un soupir dramatique, puis se redresse avec un faux air résigné.

Je jette un regard vers l’horloge.

— Bon, il faut que j’aille me changer. À plus.

Elle me fixe un instant, puis secoue la tête avec un sourire mi-désabusé, mi-amusé.

— File, va… Mais souviens-toi de mes paroles !

C'est à cette folle que tu voulais te confier ?

Tu es là, toi ?

Oui, et depuis un petit moment, je me suis délectée de ces absurdités et ce n'est qu'un doux euphémisme.

Tiens, je ne suis plus la toquée de servive ?

Si mais, vous êtes deux timbrées à présent.

Tu l'as entendu ? "Il n'était pas capable de me soutenir… je me suis mise en quatre…" Pour qui se prend-elle ? Eh ben, le pauvre garçon, il doit en baver… il ne lui manquerait plus qu'une auréole sur la tête à celle-là. Mais dans un certain un sens elle n'a pas tout à fait tort !

Ah oui ? Et à propos

Quoi ?

Tu ne connais pas grand-chose.

Et si elle avait raison ? Si je me trompais. Moi et mes valeurs indéfectibles envers l'espèce humaine. Sont-ils tous identiques ? Un homme tel que lui ne peut être attiré par une femme comme moi. Je si suis banale, si fade et si moche. Tous ces mots doux, ces attentions ne sont-ils que mensonges ? Moi et mon indécrottable espoir de l'amour. Je me perds...

Merde ! Déjà sept heures vingt ! À écouter tout le monde, je vais vraiment finir par être en retard. Il ne manquerait plus que j'ai des problèmes au travail.

Est-ce dû à mon réveil tardif ? Mais cette journée m'a semblé se précipiter, je n'ai pas vu passer les heures. Les chambres ont bien été libérées, point de visites intempestives et pas trop de gouvernantes dans les couloirs.

Fin de journée, mon bip sonne.

— Tu fais quoi ? Isabelle me téléphone, son ton légèrement pressant.

Je soupire avant de répondre.

— À ton avis, du tricot !

— Tu descends ? Je suis bloquée, à cause d’une chambre qui ne se libère pas.

Je fronce les sourcils. Qu’elle ne pense pas que je vais l’aider dans son travail.

— Je descends où ?

— À la cafétéria. Bon, tu viens ? Je t’attends. Tu veux un expresso ou un café long ?

Un sourire imperceptible se dessine sur mon visage.

— Un expresso.

Quelques instants plus tard, je pousse la porte de la cafétéria. Isabelle m’attend, bras croisés, son café déjà en main.

Elle m’accueille d’un geste vif.

— Ah ! Te voilà ! Qu’as-tu fait tout ce temps ?

Je prends place en face d’elle, attrape ma tasse encore fumante.

— À ton avis ?

Elle roule des yeux, puis agite la main, comme pour balayer mon manque de réponse.

— Bon, bref… Ce n’est pas grave. Il y a environ quinze minutes, mon chéri m’a téléphoné pour me prévenir qu’il venait me chercher.

Je relève la tête, intriguée.

— Attends, mais ce matin tu…

Elle lève son index, prête à clore la discussion avant même qu’elle ne commence.

— Ce matin, c’était ce matin. C’est ainsi les couples, il y aura toujours des hauts et des bas.

Je fronce légèrement les sourcils. Je ne la comprends plus ! Cette fille m’échappe complétement.

— Oui, mais tout à l’heure, tu…

Elle lève les yeux au ciel, exaspérée par mon insistance.

— Tout à l’heure, j’étais en colère.

Elle avale une gorgée de café, pose brusquement sa tasse sur la table.

— Tu sais très bien que les hommes sont plus faibles que nous lorsqu’il est question d’amour.

Elle secoue la tête, comme si elle détenait une vérité absolue.

— Ainsi, quand un homme aime, il revient fatalement vers sa moitié.

Je hausse un sourcil. Depuis quand ? Depuis toi ?

— Donc, tu veux dire que, malgré tout, l’amour existe ?

Isabelle éclate d’un rire léger, puis me fixe avec intensité.

— Mais bien sûr, ma chérie, il faut juste trouver l’homme qui t’est destiné. Tout le monde a droit au bonheur.

Elle prend une pause dramatique, tapote distraitement sa cuillère contre sa tasse.

— L’amour peut frapper à tout moment à ta porte. Il suffit juste de le saisir au moment opportun.

Elle me détaille un instant, plisse les yeux.

Son regard devient plus perçant, comme si elle tentait de lire à travers moi.

— Tu es un peu bizarre aujourd’hui… Et zut comment fait-elle ? Elle m’énerve !

Je reste silencieuse une seconde, prends une gorgée de mon expresso, profitant de cette pause pour rassembler mes pensées.

Mais Isabelle ne lâche pas prise.

Elle se penche légèrement, un sourire amusé effleurant ses lèvres.

— Il y a un homme là-dessous, pas vrai ?

Je roule des yeux, feignant l’indifférence. Ah ! Si tu savais…

— Isabelle, tu es pire qu’un roman à suspense…

Elle éclate de rire, puis, d’un mouvement théâtral, elle lève les bras comme une tragédienne.

— Ma chérie, je suis bien plus qu’un roman… JE SUIS UNE ŒUVRE DRAMATIQUE EN TROIS ACTES !!

Son accent bulgare s’intensifie dans sa déclaration, roulant ntensément isur les R, comme si elle incarnait soudain une diva de théâtre.

Je secoue la tête, amusée malgré moi.

Elle se redresse, attrape son sac.

— Bon, je file terminer ma chambre.

Je l’observe se lever, toujours étonnée par ses revirements spectaculaires. Une vraie comédienne cette fille.

- Et attend !!! COMMENT….

Comment… se retrouver seule sans savoir comment ? Bon, je finis mon café et file chercher les enfants à l’école.

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