DANS L’OMBRE DU REVEIL.

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À ce soir, ma Douch !

Avant de partir, je me place à sa hauteur et lui fais une caresse affectueuse. Elle lève ses yeux vers moi, son regard perçant chargé d’une sagesse silencieuse semble me parler. Un frisson d’air passe entre nous, suspendant le temps un instant.

— Peut-être me souhaite-t-elle une bonne journée, sinon s’imagine-t-elle déjà sa solitude à venir. Ou encore, tel un félin en cage, usera-t-elle ses délicats petits chaussons roses sur le parquet, tournant en rond jusqu’à nos retrouvailles ce soir. Oh, mon Dieu… Qu’est-ce que je suis en train de faire avec toi, ma pauvre Douch' ? Je te transpose mes angoisses, mes peurs... Alors que toi, tu ne demandes qu’à vivre ta vie de chatte.

— Ne t’en fais pas pour moi. Va, file ! J’ai tout ce qu’il faut pour m’occuper jusqu’à ton retour, un territoire à surveiller, des coins à explorer, des heures de repos bien méritées à récupérées. Et comme toujours, je veillerai sur notre petit chez-nous.

Arrivée à la porte du hall d'entrée de l’immeuble, je suis accueillie par une bruine serrée. Je remonte quatre à quatre les marches. "C'est moi ma Douch' ! Il pleut, je prends un parapluie. À ce soir !"

C’est un matin humide de novembre… De ceux où l’on préfère la douceur de sa couette plutôt que d’affronter le monde. Métro Trocadéro. Six heures trente du matin. La pluie résonne, lourde et incessante, remplie de bruits.

Les cafés ouvrent leurs portes aux employés du nettoyage. Tandis que le laveur de vitres aux mains agiles se bat contre des milliers de gouttes d'eau, les kiosques à journaux sont déjà bouches béantes, prêts à recevoir divers magazines dans leurs antres. Les camions de livraison sortent leurs palettes de marchandises et commencent à embouteiller les rues. Le camion benne, suivi de ses hommes de peine, continue sa lente progression à travers la ville. La gardienne d'immeuble peste seule contre des containers encombrés de déchets ménagers non triés. Seul reste silencieux, face à ce brouhaha matinal, le balayeur de l'avenue, le regard rivé au sol à la recherche d'un mégot de cigarette ou d'une feuille morte.

Accrochée à mon parapluie, je marche contre vents et marées, défiant les bourrasques avec légèreté. Le vent s’acharne, mais je tiens bon, le sourire aux lèvres, mon parapluie en main. Mary Poppins n’aurait pas fait mieux. Je suis heureuse ! Je suis heureuse ! La vie est belle ! Tellement belle ! Novembre se fait capricieux, mais qu’importe ! Mon cœur est léger. Je danse par-delà la pluie, par-delà la vie. Puis, sans crier gars la réalité me rattrape. Devant moi, l’entrée de service. Je me jette dans la gueule du loup…

Je suis comme le laveur de vitre, je me bats contre les quelques gouttes de pluie qui se sont écrasées sur les verres de mes lunettes et m’empêche de voir ma carte de pointage. Je fixe le rack, plisse les yeux comme si je jouais à un jeu de piste je l’appel.

— Où te caches-tu, petite carte de pointeuse ? Allez, montre-toi… Une voix derrière moi s’élève, malicieuse.

— Toi, tu me caches quelque chose !

Je sursaute légèrement, puis fronce les sourcils sans me retourner. Je connais trop bien Isabelle pour tomber dans son piège aussi facilement.

— Isabelle, tu m’as fait peur ! Tu ne vois pas ma fiche ? Avec cette pluie, j’ai les carreaux vaporeux.

Elle me contourne avec lenteur, comme si elle savourait sa réplique un sourire amusé au coin des lèvres. Puis, dans un geste d’actrice, dramatique, elle tend un doigt vers elle.

— Si, ici.

Elle croise les bras, penche la tête comme une vedette de cinéma qui prépare sa répartie, et relance.

— Bon alors, tu craches le morceau ?

Je fais mine de m’intéresser à mon relevé, comme si elle seule comptait, mais Isabelle ne lâche jamais prise aussi facilement.

— Hein ? … De quoi parles-tu ?

— Arrête, je te connais, comme si je t’avais faite… Ma chérie.

Son ton est doux, mais je sens le piège se refermer.

— Je ne peux pas… C’est un secret !

Elle cligne des yeux, faussement outrée, pose ses mains sur sa taille, adopte la posture d’une diva d’opérette blessée.

— Ah oui ! Et tu penses que je suis incapable de garder un secret ?

Je secoue la tête, exagérant mon sérieux.

— Sais-tu ce que signifie le mot secret ?

Elle hausse les épaules.

— Ben oui…

— Donc, je ne peux pas t’en parler.

Elle roule des yeux, jouant la tragédienne à la perfection.

— Bon d’accord, je n’insiste pas. Viens, je t’offre un café !

Je hausse un sourcil.

— Toi… offrir !

Elle éclate de rire, place ses mains sur mes épaules et me pousse gentiment vers la cafétéria.

— Un expresso, un long, avec ou sans sucre ?

Les deux cafés à la main, Isabelle revient à la charge, un éclat malicieux au fond des yeux

— Laisse-moi deviner… Tu t’es réconciliée avec ta mère ?

Je lève les yeux au ciel, souffle légèrement.

— Non.

Elle sirote son café, l’air faussement détaché.

— Tu as trouvé un autre boulot ?

Je secoue la tête, un sourire en coin

— Non ! Mais cesse ce jeu de devinette, je ne te dirai rien.

Elle fronce légèrement les sourcils, fait mine de réfléchir.

— Ton fils va venir te voir ?

Je soupire, croise les bras.

— Non ! Tu m’embêtes !

Elle éclate de rire, tapote ma main comme une conspiratrice.

— Tu as rencontré l’homme de ta vie ?

Je souris doucement.

— Presque...

Elle se penche légèrement, yeux pétillants de malice.

— Tu t’es inscrite sur un site de rencontre ?

Je hausse les épaules, lasse.

— Non ! N’insiste pas…

Elle me scrute avec cette curiosité insistante qui frôle l’impertinence.

— Tu sais… Je suis large d’esprit. Une nana ?

Je fais un mouvement de recul, un léger rire m’échappe.

— Ça ne va pas, non… J’ai tout simplement passé la nuit dans les bras d’un homme, rien de plus normal et banal !

— Pardon… Toi, coucher avec un homme ! Laisse-moi rire !

Elle sursaute violemment, porte les deux mains à son cœur comme si elle venait de recevoir une décharge électrique, bascule en arrière, porte une main à son front, et laisse échapper un rire moqueur, en secouant la tête d’un air accablé.

— Non… Non ! Ce n’est pas possible ! Kalia… Toi ?!

— Eh bien si, figure-toi et j’ai même revisité le Kamasoutra ! Veux-tu que je t’apprenne différentes positions ?

— Non merci… Je ne tiens pas à avoir de détails sur tes exploits sexuels ! Et si ébats il y a eu… De toute façon, tu ne me feras jamais croire ça !

— Comme tu voudras… Mais attention, n’oublie pas… C’est un SECRET !

Je secoue la tête, amusée.

— Oui, oui.

Elle reprend une gorgée de café, puis change de ton, plus pragmatique.

— Tu travailles au petit déjeuner aujourd’hui ?

J’acquiesce, ajustant mon sac sur mon épaule.

— Ben oui…

Elle me lance un regard entendu.

— Tu passeras me voir dans la journée ?

Le travail m’a complètement accaparée. Je n’ai pas vu défiler le temps.

Enfin, la journée touche à sa fin, c’est dans un soupir de soulagement que je me dirige vers la sortie.

À peine ai-je franchi quelques pas qu’une silhouette familière se détache devant moi : Isabelle, adossée nonchalamment au mur, les bras croisés, le sourire prêt à dégêner.

Elle m’interpelle sans détour, son ton faussement détaché.

— Tu n’es pas venue me voir ?

Je ralentis. Quelque chose dans l’attitude d’Isabelle m’intrigue.

— Pour quoi faire ?

Elle lève légèrement le menton, joue de son mystère, mais ses yeux brillent d’amusement.

— Mais… Je voulais te raconter…

Je fronce les sourcils. Il y a quelque chose derrière cette insistance.

— Isabelle… Qu’est-ce que tu essaies de me dire ?

Elle s’approche légèrement, sa voix devient plus douce, presque caressante.

— Kalia, tu n’es pas capable d’une telle chose, tu n’es pas ce genre de personne.

Je sens une esquisse de défi dans son regard.

— Mais, c’est vrai que…

Je recule imperceptiblement. Son silence est calculé.

— C’est vrai que quoi ?

Elle me scrute une seconde de trop. Puis, elle éclate de rire, brisant la tension.

— Tu avais une petite mine aujourd’hui… C’est certainement dû à ta nuit de folie !

Je lève les yeux au ciel, agacée mais amusée malgré moi.

Elle bat légèrement des paupières, faussement innocente.

— Ah ah ! Je plaisante... Allez, à demain, et dors bien cette fois !

Elle me fait un signe de la main avant de disparaître dans le couloir, me laissant avec un sourire en coin et un soupçon de doute.

La pluie n’a pas cessé, je m’engouffre dans le métro et ferme les yeux. Trop de choses à gérer, trop d’interrogations, trop peu de repos. Je traîne les pieds. Ces journées sont de plus en plus éprouvantes—pas seulement à cause du travail, mais parce qu’elles me laissent peu d’espace pour respirer, pour penser autrement.

J’arrive à la maison, trempée, un frisson me traverse.

C’est moi ! Salut ma Douch’ ! Cédric est parti ?

Cédric ? Qui c'est ça ?

Quelque chose cloche. Je fixe mon lit, les draps sont froissés.

Oui… Cédric était là, n’est-ce pas ? Il était là.

Mon cœur bat plus fort, une étrange sensation d’irréel m’envahit.

Cédric ?

La chatte me fixe, ses yeux trop perçants, presque accusateurs.

Cédric est parti ?

Une absence. Un vide. Tout se brouille, comme si ma mémoire refusait de me donner une réponse claire.

La chatte me regarde me d'un air triste, son regard est insistant, presque perçant.

Si tu pouvais m’entendre, me regarder… Je pourrais t'aider à comprendre ! Tant de gens sont comme toi. Sourds. Aveugles aux signes de la vie.

Ma pauvre maîtresse… Je sais ce que tu subis. Les médecins appelleraient ça de la dépression. Mais moi, je sais.

Elles t’ont jeté un sort.

Je t’ai vue tourner sur toi-même. T’enfermer. T’éteindre.

Et pourtant… Il y a encore tant de belles choses à découvrir.

Réveille-toi. Fais renaître l’être qui dort en toi. Il est comme un enfant apeuré. Il est tapi. Il a peur.

J’étais comme toi… Il y a bien longtemps.

Son regard brille d’une certitude étrange.

Mais au-delà de nous… Existe un autre univers.

Elle avance doucement, glisse contre ma jambe, comme pour sceller ces mots dans ma peau.

Rends-toi à l’évidence… Je suis la seule à partager ton lit.

Il y a bien longtemps qu’un homme ne s’est pas approché de toi.

Une dernière parole. Un dernier regard.

Oh non ! Le revoilà, celui-là…

Je te laisse devant ton écran d’ordinateur.

Et moi, demi-chatte d’appartement… Je sors me balader.

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