CHAPITRE 18 : LA GUERRE DES STROUMFPS

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Je n’arrive plus à reprendre mon souffle. Au secours ! J’étouffe, je suis effrayée, je me débats. Au loin, la sonnerie d’un carillon tinte dans mon demi-sommeil et me fait sortir de la torpeur. Cinq-heures-trente du matin, je prends conscience. Un troisième oreiller est venu encombrer le sommet de ma tête.

« Douch’ tu m’empêches de respirer ! Non, mais tu as parfois de drôles d'installations... » Je la bouscule. Elle n’est pas décidée à bouger.

Je me lève. Comme un automate, j’avance et appuie sur le bouton marche / arrêt du percolateur. Les pieds traînant, je me dirige vers la salle de bains.

« Un peu d’eau fraîche sur le visage me fera le plus grand bien ! « Le regard fixe dans mon miroir, je suis arrêtée par une image apocalyptique, Qu’ai-je fait ? Je serre la mâchoire, ma gorge est nouée. « NON…. Ce n’est pas possible ce n’est pas moi ce reflet dans le miroir !!! Mes cheveux… Mes cheveux… «

Ce que j’aperçois me pétrifie. Mon sang se glace, mon souffle se coupe.

Sur mon crâne il ne subsiste plus que des mèches désordonnées, irrégulières, certaines coupées trop court, d’autres laissées disgracieusement longues. Une coupe ratée, anarchique, sans logique ni harmonie. Comme une sculpture déformée par une main trop fébrile.

« Mais comment vais-je procéder pour rattraper ce massacre ? » Ne prenant pas le temps de la réflexion, je passe la tête sous l’eau froide et la frictionne dans tous les sens.

En vain ! Décontenancée, désemparée, je prends rapidement la mesure du degré de gravité de mon acte. Je m’affole.

Sans délai, je décide d’appliquer plusieurs couches de baume démêlant dans le but de discipliner mes cheveux et me permettre un coiffage le plus correct possible.

Tasse de café en main, assise sur le sol de mon balcon, un vent glacial d’hiver me rend vertigineuse. Il s’infiltre sous mes vêtements, mord ma peau nue, puis s’attarde sur ma nuque, là où la faille existe désormais.

Ce froid piquant trouve un passage là où, autrefois, mes cheveux formaient une barrière. Celle dont je me suis amputée.

Celle qui me protégeait du vent et me rassurait sans que je m’en rende compte. Maintenant, il passe sans obstacle, s’accroche à moi comme pour me rappeler ce que j’ai perdu.

Je serre ma tasse entre mes mains, cherchant un peu de chaleur. Mais elle ne suffit pas. Rien ne me suffit plus.

De retour dans la salle de bains, je rince mes cheveux et jette une serviette sur ma boite crânienne. Fébrilement je saisis le pot de gel et en tartine généreusement ce qui me reste de chevelure.

« Avec ce produit miracle, ma Douch’, je vais réussir à ressembler à peu près à quelque chose ! Tu ne réponds pas ma fille... Putain, Douchka ! Ce n’est pas le moment de t'enduire les coussinets. Sors ta patte de ce pot ! «

J’essaie de me dessiner une frange que je place sur le côté, plaque mes cheveux derrière les oreilles et essaie d’aplatir les épis qui se profilent.

« Ce produit est vraiment agréable au toucher ? C'est bizarre, il n'est pas comme ça d'habitude ! D’habitude, il est plus épais, plus collant. Mais là, il glisse entre mes doigts, il est presque soyeux. »

Je chausse mes lunettes.

« Mon Dieu ! Mais, qu’ai-je fait ? «

Une fois encore, je m'aperçois de mon erreur. Je viens d’utiliser un soin pour définir les boucles. N’ayant plus le temps d'envisager une autre alternative, les larmes aux yeux, je fouille dans la trousse à accessoires et me retrouve transformée en boule à facette argentée.

***

Comme pour apaiser mon état d’irritabilité, le temps semble s’être suspendu.

Tandis que le silence accompagne mes pas, des millions de flocons pareils à de petits fragments de mousseline viennent finir leur course folle sur ma tête, telle une caresse réconfortante, cicatrisante.

Tout en avançant sur le chemin du travail, un souvenir me revient en mémoire, celui des périodes de Noël. Ce temps perdu ou, enfant, je m'activais avec un immense plaisir à la décoration de la maison.

Un flocon se pose sur ma joue, froid, léger. L’instant me rappelle une autre neige, celle que je fabriquais enfant avec ma mère. Elle m’avait appris à suspendre au plafond des boules immaculées, formées de coton hydrophile que je modelais patiemment entre mes doigts avant de les fixer délicatement avec un fil blanc.

Arrivée à l’hôtel, je pointe en vitesse et à pas feutrés, je me dirige vers les vestiaires.

Dans le couloir de la cafétéria, mon regard capte brièvement Isabelle.

Je tente aussitôt une esquive, filer sans qu’elle me voie…

— Kalia !

Zut… Trop tard...

— Quoi ?

— Viens par ici !

— Non, je n’ai pas le temps.

— Je t’ai vu. Alors...

J’hume l’essence de la médisance… Allez sois forte ma fille ! De toute façon, tu te doutais bien des répercussions…

En prenant l’escalier qui mène aux vestiaires, je croise deux femmes de chambre, accrochées à la rampe, qui échangent un regard complice avant que l’une d’elles ne lâche, amusée

— Eh Isongo ! Tu chavais que chétais la mode de la coupe à la garçonne en che m’oment ?

— Non ! Mais... Faudrait avoir la tête qui va avec !

Rires...

— Non, mais tu m’expliques... Me demande Isabelle.

— Que je t’explique quoi ?

— Viens par ici.

Elle me tire par la manche et m’entraîne devant un miroir.

— Tu as vu ? Derrière moi, Isabelle se tient droite, son regard fixe, un brin inquiet. Ses sourcils sont légèrement froncés, avec un air grave… Elle ne plaisante pas. Que t’arrives-t-il en ce moment ? Tu as un besoin de reconnaissance ? Sa voix est calme, mais chargée d’une gravité qui me transperce. Que veux-tu te prouver ?

— Rien, c’est le ciseau qui a rippé.

— Arrête ! Ce n’est pas en t’infligeant ce genre d’épreuves que tu atteindras le palier de l’estime de toi.

— Laisse-moi, tranquille !

— Et puis... Enlève-moi toutes ces barrettes, les années soixante-dix, c’est terminé. Has been ! Puis, d’un geste ferme, elle se met à enlever toutes mes barrettes. Une à une, elles tombent dans sa main, glissant le long de mes mèches encore trop courtes

— C’est bon là... Je peux aller travailler tu as terminé ? Madame la psy.

— Oui, vas... Mais, il va vraiment falloir que je fasse plus attention à toi !

— Oui, maman.

Je suis tranquillement dans mes chambres, profitant de quelques instants de solitude.

Quand l’heure de la livraison du linge propre arrive. Mon bip sonne.

— Le linge ! me prévient l’équipier chargé de cette tâche.

— J’arrive.

Il s’avance vers moi… Son regard se pose d’abord sur ma tête, puis dérive vers mes bras.

Je vois son expression changer, ses pupilles s’élargir, et soudain il fait un pas en arrière, visiblement horrifié.

— C’est quoi ces marques ?

Son index tremble légèrement en désignant mes avant-bras et mes mains griffées.

Je baisse les yeux. Les fines traces rouges parcourent ma peau, vestiges d’un jeu mal dosé.

— Ces égratignures ?

— Oui.

— Ce n’est rien, c’est ma chatte, elle m’a griffée en jouant.

Un silence s’installe. Son souffle s’accélère.

— Quoi ? Ton chat t’écorche ! Et tu te laisses faire !

D’un geste nerveux, il agrippe son crâne dégarni à deux mains et le secoue.

— C’est juste un jeu.

Mais il secoue la tête, ses yeux toujours rivés à mes bras, comme si l’idée du simple jeu était absurde.

— Tu es marquée des mains jusqu’aux avant-bras et tu laisses ton chat t’estropier ?

D’un geste brusque, il balaie l’air devant lui, comme s’il voulait repousser l’inexplicable.

Puis, presque en chuchotant, il lâche, voix étouffée :

— Sorcellerie !

Le mot résonne, lourd, glissant dans l’espace comme une malédiction.

Je me redresse, une tension me traverse.

— ELLE NE M’A PAS ESTROPIÉE ! ON JOUAIT !

Un frisson me traverse. Une bouffée d’agacement, de colère.

— Et pour ton info, sache que dans l’Antiquité grecque, les chats étaient vénérés et considérés comme les gardiens des âmes !

Mais il ne répond pas.

Il tourne les talons, empoigne son chariot vide et s’éloigne sans un regard.

Je l’entends encore marmonner son dernier mot, comme s’il refusait d’y croire totalement.

— Sorcellerie…

Et puis… plus rien. Mon bip sonne.

— Kalia ! C'est Fatima. Aurais-tu un drap housse à me passer ?

— Oui, viens.

— Bonjour, Kalia ! Oh ! Mais pourquoi as-tu retiré tes pinces tu étais si jolie avec ! Et en plus, de loin, on pouvait te reconnaître facilement.

— Tiens, prends ta housse...

L’heure de la fin du travail est proche, je me prépare à rendre les clefs et mon rapport, quand soudainement une discussion m’interpelle que je peux difficilement ne pas écouter.

Dans le local à office des femmes de chambres, j’entends :

— Tu as vu cha tête ?

— Oh que oui, j’n’ai vu qu’ça !

— Et en plus, il paraît qu’elle s'est scarifiée.

— Mais non, on dit "scarifiée".

— Moais... Ben chais pas moai ! En tout cas, on dit que chais bras sont couverts de coupures !!!!

— Hein...

— Et elle a plus un poil sur l’cailloux.

— Elle est chauve ?

— Oui, oui...

Je reconnais la voix de Fatima qui enchaine :

— Oui, oui les filles, comme je vous vois, je vous le dis. Cette fille a été maraboutée !!!

— OOOHHHHH !!!!

Je n’ai plus de force pour aller de l’avant.

Tête baissée, frôlant les murs de la vie, je marche en direction du métro... Pourtant... Noël est proche, et tous les cœurs devraient être en joie.

Arrivée devant l’école, je remarque les décorations. Des guirlandes aux teintes jaunes et rouges habillent la porte, apportant une touche chaleureuse à l’entrée.

La cloche retentit, annonçant la fin des cours. Un flot d’élèves se précipite hors du bâtiment. Comme toujours, Pierre est le premier à sortir.

Je me baisse, entoure son petit corps de mes bras et l’embrasse sur le front.

— Bonjour Kalia ! me dit-il, tout en m’enlaçant la taille.

— Tu as passé une bonne journée ?

Je me baisse à nouveau et lui embrasse le front une seconde fois, comme un geste rassurant.

Pierre me fixe intensément, droit dans les yeux.

— Ne pleure pas Kalia... Ne pleure pas...

Une bouffée d’émotion me traverse, mais je garde le sourire.

— Bonjour Kalia !

Éric apparaît, m’embrasse sur la joue.

— Bonjour Pierre !

Je lui fais un bisou.

— Salut Kalia !

Eleona surgit, ma princesse ! Elle me serre tout contre elle.

Salut, ma grande !

Un câlin s’impose.

— J’adore tes chaussures, elles sont trop stylées ! Ton week-end s’est bien passé ? Tu as mal aux yeux ?

— Oui, ce doit être dû à un début de conjonctivite.

Pierre fronce les sourcils, visiblement préoccupé.

— Ça fait mal, la conjonctivite ? Tu sais, quand tu pleures, ça fait mal aussi ! Ils t’ont fait mal au travail ?

Eleona attrape son frère par la manche, le tire légèrement en arrière et chuchote à voix basse :

— On ne doit pas dire ça !

Pierre la regarde, perplexe.

— Pourquoi ? Si elle a pleuré…

Puis il revient vers moi, me prend la main et dit, avec une certitude candide :

— Tu sais, si c’est à cause de tes cheveux, ce n’est pas grave, ils poussent d’un à deux centimètres par mois, alors ne t’inquiète pas !

Eleona lève les yeux au ciel :

— Tu as fini, petit génie ?

Pierre hausse les épaules, fier de lui.

— Bah quoi ! C’est la vérité ! Hein, Kalia, que c’est vrai ? Et puis de toute façon, moi je t’aime aussi les cheveux courts !

Mes loulous ralentissent la cadence tandis que je continue la mienne.

Je reçois un premier avertissement. Je ne réponds pas. Un deuxième. Je reste de glace et ne rétorque pas à l’attaque.

Un troisième plus violent au niveau de la nuque ; vu son impact, je présume qu’ils s’y ont mis à trois.

À ce moment-là, je ne peux que réagir. Je fais volte-face. J’engage les hostilités. J’attaque.

Mon petit Pierre succombe sous le poids de son sac d’école. Il tombe et dévale sur ses fesses ou plutôt, sur son cartable, la pente qui mène à la grille la résidence.

La bataille a commencé, une course infernale s’est engagée : les boules de neige fusent, les chutes sont nombreuses et des éclats de rires retentissent.

J’ai l’avantage de la guerre.

Mais, à mon tour, je glisse et tombe.

Allongée dans la neige, pour une fraction de seconde je m’abandonne à cet instant bonheur.

J’ouvre les yeux.

Six mirettes me fixent. Puis, comme toute liberté est bonne à prendre, mes trois stroumphs se couchent près de moi.

Mon petit Pierre roule vers moi, me caresse la joue et me dit :

— On a bien joué ! Tu es contente ?

— Oui, mon petit prince...

— On recommencera ? Me demande Eleona.

— Oui, ma princesse.... Mais nous devons rentrer maintenant.

Arrivés à la porte d’entrée, Eleona, les yeux brillants, me serre dans ses bras

“Je t’aime”.

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