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Le tabou SA, Paris, palais présidentiel & lieu tenu secret



 Les capsules tentaient de forcer les postes de garde. On klaxonnait, et c’était déjà beaucoup. Nous étions à Paris, des manifestations spontanées naissaient partout dans la capitale. La venue de cet OVNI brisait le calme, rompait l’harmonie. La foule s’amassait autour du château du Président, les véhicules bourdonnaient, allaient et venaient en des trajets anarchiques, encerclant le bastion présidentiel. Elles glissaient à la verticale le long des parois magnétiques des immeubles, disparaissaient sous terre dans le réseau souterrain et rejaillissaient de-ci de-là, en jet. À leur bord, des humains avides d’apercevoir l’intérieur de la cour du palais.

 Des chants se mélangeaient, se confondaient, s’annulaient, fusionnaient :

Un être ! Une voix ! Un vote !

Liberté d’informations !

Ils sont là ! Ils arrivent !

Les êtres sont là ! Un vote de liberté ! Les informations arrivent en voix !


Ils sont des milliers, des centaines de milliers amassés autour de la résidence présidentielle. La scène est splendide. Peut-être assisterons-nous à une bataille rangée entre forces de l’ordre biomécaniques et humaines ? Une bombe explosera-t-elle ? Le mariage mixte sera-t-il finalement autorisé ? Et le vote blanc, au bout du compte, accordé aux androïdes ? Tout cela est palpitant, nous espérons tous que les esprits s’échaufferont plus encore, que le spectacle commence, enfin ! Restez avec nous, vous êtes sur Média Un ! C’était John et Archibald, vos médiateurs au service de l’avenir !


 Du sommet de l’Élysée, une capsule officielle émergea pour fuser dans les airs. C’était Jack. Il sortait de son entrevue avec le Président, il en était ravi. Lui et Georges partiraient en mission, le Président avait autorisé l’opération. Ça ne mangeait pas de pain, toute cette mascarade, si ça pouvait occuper Jack, tant mieux. Personne ne doutait de sa capacité à échouer. Le Président n’était pas dupe, il possédait d’autres équipes. Eux, pas des guignols. Jack dans le SA, au moins, ne ferait-il aucun tort dans le réel. Jack, il fallait bien le caser quelque part pendant la mission qu’avait élaborée le Président.

 Jack regarda ces geysers tenter de l’approcher. Il sourit, narquois, lâcha un Blawrf ! de satisfaction, avant d’ajouter :

— Alors, que vous disais-je ? N’êtes-vous pas mieux là, avec moi, plutôt qu’en bas à réclamer des inepties ? Ah ! Ah !

— Monsieur, le droit de vote pour androïde me semble être une cause juste. Je ne m’opposerai pas non plus au mariage mixte, quand bien même je n’ai pas d’avis tranché sur le sujet. Je ne sais s’il est bien ou mal, moral ou non, mais ce droit ne ferait de tort à personne.

 Jack le regarda, fronça les sourcils, et dit d’un ton qu’il voulut grave :

— Vous êtes des robots ! Nom de Bouddha ! Des robots. On ne va pas caser des androïdes avec des humains ! Ce serait, ce serait… contre nature !

— Monsieur, nous sommes le fruit de vos recherches biotechnos en ingénieries. Et vous avez semblé fort bien avisé de nous pourvoir d’organes mimétiques, transgenres, qui plus est.

— Nous sommes naturels ! s’écria-t-il. Pas vous ! Nous avons été créés par la nature. C’est tout !

— Nous sommes issus, nous androïdes, d’êtres bios. Nous sommes tout aussi naturels que vous. Et même, nous sommes, et c’est ainsi. Il se trouve que vos confrères les représentants démocratiques de l’Assemblée ne s’encombrent pas d’autant de culpabilité quand ils s’insèrent dans leurs compagnons biomécaniques. Et j’en passe.

 Jack grimaça, tourna et retourna sa tête en tous sens. Il répondit, épuisé par tant d’opiniâtreté désolante de la part de son majordome :

— Il s’agit d’assouvir des besoins tout à fait naturels, et sains ! Quelque peu déroutant, peut-être peu ragoûtant, je vous le concède, certes. Mais authentiques, nécessaires, humains, quoi !

— Il n’y a rien de mal, effectivement, et apprenez pour votre gouverne que l’androïde homologue de la représentante à la Culture prend beaucoup de plaisir lorsque… la chose arrive, comme bien d’autres, soit dit en passant. Saviez-vous que nos capteurs sensitifs sont plus élaborés que les vôtres ? Saviez-vous que nous pourrions, vous et moi…

— Georges ?

— Oui ?

— Vous me dégoutez… Voyez comme je goutte…

 La capsule parvint aux abords de la propriété de Jack en vingt et une minutes. Mach 1, c’était pas mal. Elle pouvait aller à Mach 2, mais Jack s’évanouissait. Alors, Mach 1, c’était pas mal.

 Ils survolèrent la demeure isolée, ancrée au sein de l’une des nombreuses réserves vouées à la sauvegarde de la faune et de la flore sauvages. Pour Gorges, ces espaces protégés représentaient ce que les bios avaient accompli de plus beau. Sa seule réussite, pensait-il parfois. Les toits d’ardoises anthracite aux reflets argentés apparaissaient au travers des feuilles d’arbres resserrées. Derrière la bâtisse, un gazon court et vert, identique à l’herbe anglaise du vingt et unième siècle, abondement arrosé, grassement riche en humus, formait la piste d’atterrissage. La capsule se positionna à sa verticale. Au loin, Jack aperçut impalas, jabirus et phacochères lapant dans un étang, avant de relever la tête vers eux.

— Regardez, Georges, comme ils sont beaux ! Je ne sais pourquoi, je suis fier que l’humanité française ait créé toutes ces enclaves et que ces animaux puissent y vivre en paix.

 Georges contempla son maître. Celui-ci paraissait ébahi et fantastiquement subjugué. Il ne l’avait pas vu ainsi depuis le jour de ses 46 ans, lorsque Georges lui avait été adjoint en tant que compagnon biomécanique. Il souhaitait connaître à nouveau cette félicité à être considéré telle une beauté, être observé comme un être magnifique et fabuleux. Pareil à ces animaux. Lui aussi les trouvait jolis, gracieux, touchants, ces quadrupèdes sauvages. Il aurait aimé être à la place de l’une de ces antilopes, ressentir le regard attendri de Jack posé sur lui. Il en avait des fourmis dans les doigts rien que d’y penser. D’ailleurs, il fut parcouru d’un frisson électrique,

 Georges l’affectionnait bien, son humain, après tout. Il ne s’attachait pas qu’à ses défauts. Jack avait un cœur, certes pas autant élaboré que le sien, mais somme toute fonctionnel. Il rendait le service minimum, et alors ?

Tout n’est pas perdu pour lui, pensa-t-il.

— Bon, sortez de votre rêverie, Georges.

 Georges quitta des yeux l’hologramme de la planète rouge diffusée au travers de la vitre, quelque peu abasourdi. Il se trouvait dans le salon du manoir. Parfois, Georges se laissait aller à la rêverie. Il faisait comme les humains, en mode automatique, sans réfléchir. Il fallait se ressaisir.

— Il est temps d’y aller. Allez ! Allez ! Allez !

 Ce qu’il était nerveux, Jack ! À peine de retour à la maison qu’il voulait déjà repartir. Ne voulait-il point contempler ces bêtes, là dehors ? Se reposer quelque peu ? Non ? Parce que Georges, lui, avait besoin d’un peu de temps. Le ça, ce n’était pas une sinécure.

 Jack lui tendit un câble.

— Pourquoi ne pas me donner la paire de SA, directement, comme tout le monde ? interrogea-t-il.

— Parce que vous êtes un androïde, que vous n’êtes pas comme tout le monde, et que les choses comme vous n’ont pas besoin de lunettes sur le nez. Branchez ça.

 Georges attrapa le câble, le scruta, roula des yeux de gauche et de droite, interdit :

— Brancher ? Où ça ?

— Où bon vous semble ! Dans l’oreille, dans la bouche ou dans n’importe quel autre orifice qui vous siéra.

 Georges voyait de quel orifice parlait Jack, mais ça ne le tentait pas.

 Georges connaissait peu cette sensation de non-savoir, il découvrait le fonctionnement du Système Augmenté, l’un des tabous pour androïdes. D’instinct, il souleva sa chemise beige et planta l’aiguille au creux de son nombril pâle et rebondi. Comme si ç’avait été fait pour. Peut-être après tout. Ces humains, ils avaient des idées derrière la tête que même un méca ne pouvait deviner.

 La connexion fut instantanée. Ses yeux s’emplirent d’un blanc froid comme la banquise, puis virèrent au violet avant de faire défiler en pluie une série de chiffres. Enfin, il se heurta à une barrière informatique.

— Monsieur, dit-il, je ne puis pénétrer le ça, l’accès m’y est refusé.

— Normal, l’asticot, je dois te donner mon accord.

 Jack s’allongea sur le sofa, régla le diffuseur sur l’odeur de l’herbe coupée, celle du désespoir végétal, et actionna le SA. Georges le vit se rétracter, les traits de son visage se tirer puis, subitement, il parut calme, apaisé. Il arborait un sourire énigmatique, l’un de ceux qui ne lui donnaient pas un air idiot. Georges espérait tout de même qu’il n’aurait pas la même allure là où il allait.

Et moi, qu’est-ce que je fais encore planté ici ? se demanda Georges. Et le SA, il est où ?

 Sans crier gare, ses circuits disjonctèrent. Il récita Carmen de Bizet, fit des intégrales quintuples, ressentit le néant.

 Le rien, le tout, le vide, le partout.

 Dans le gaz, il ouvrit les yeux. La brume se dissipa. Il reconnut les formes floutées d’une silhouette. Georges discerna une bouche, un rictus, s’interloqua, hurla de panique :

— Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que c’est ? Mais que se passe-t-il ?

— Georges, ce n’est que moi ! Jack ! Allons bon, ne me feriez-vous pas une crise d’hystérie pour votre dépucelage ? Ressaisissez-vous, bon Bouddha !

 Georges ne l’identifia pas. Pas encore, malgré un air dans la diction, une intonation invective, presque inquisitrice, un phrasé lui étant familier :

— Monsieur, est-ce vous ?

— Qui d’autre ? Mon pauvre Georges, reprenez vos esprits !

— Monsieur, et votre visage, où est-il ?

— Ceci est une mission incognito, à l’image de ce visage. Bien, imprimez-le. Dans le ça, ce sera celui de Jack. Est-ce clair ?

 Il regarda ce grand gaillard, bien mieux pourvu que l’original, une coupe franchement droite, les cheveux roidement courts. Il revêtait un short révélant des jambes démesurément musclées. Il portait des lunettes de soleil aussi.

— Oui, monsieur. Cette physionomie vous sied… Je l’encode. Monsieur ?

— Oui, Georges ?

— Monsieur, et moi, à quoi ressemblé-je ?

— À lui, Georges. À lui. Il n’y a aucun doute.

— Je ressemble à Jésus alors ?

— Ni plus ni moins.

— Monsieur, et à quoi ressemble-t-il ?

— À vous, Georges. À vous.

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