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L’aride grande blanche, Antarctique



 À perte de vue, le désert. Un souffle glacial ininterrompu, morsures vives, chairs entamées.

 L’Antarctique.

 Des reflets sur les dunes de neige, le soleil règne, jaloux de son royaume de glace. Il veille, intraitable, sur son territoire, prêt à faire périr quiconque s’aventurerait en son sein. Il n’y a rien. Rien que l’écho sans fin d’une désolation pure et mortelle.

 Pauvre John, le feu jaillissait de la carcasse de son vaisseau écrasé – un du dernier cri, il venait d’en changer, pas de pot, le logo en jetait – le feu, donc, s’attaquait à son pantalon. Il n’était pas prêt. Pas à cela. D’ailleurs, il aurait même peut-être préféré mourir. Cet accident, ça ravivait d’anciennes blessures. Mais pour le moment, il pensait à Archibald, son compagnon, salement amoché. De plus, Jack avait perdu ses lunettes de soleil. Dommage, elles lui allaient bien. Elles le mettaient en valeur, même s’il n’avait pas besoin de ça. John, il était beau au naturel. Même blessé, surtout blessé, on ne voulait qu’une chose, le serrer dans ses bras. Mais là, il n’avait pas besoin de ça. De l’aide, oui, des bisous, non. C’eût été inopportun. Pas maintenant, plus tard, quand il irait mieux. Peut-être.

 Il vacilla, étourdi, il s’asphyxiait.

 Les flammes sur ses jambes, ses mains meurtries dans le sol gelé. Extrêmes insoutenables. Il hurla. De tels râles ne se produisent qu’une seule fois dans la vie. Il eût préféré à un autre moment, dans d’autres circonstances. Quand on l’eût assailli de bisous.

 Il gémit, gorge sèche, à vif, il se dégagea dans la force. Il menait bataille.

 Sur le dos, appuyé sur ses coudes, il se mit à ramper. Il s’éloigna de ce lieu apocalyptique. Il se traina quelques mètres. Une toux douloureuse le stoppa, une envie subite de vomir. Il n’y avait rien à vomir, que de la suie, de la chair calcinée. Des borborygmes, des haut-le-cœur.

 Il pense un instant s’évanouir. Il voit la mélasse noire qui coule de sa bouche, imbibe la neige d’un sang dénué de vie. Sa bouche analgésiée baigne dans le goût du charbon, ses mains sont lourdes, des enclumes brisées, ses pieds sont des flambeaux. Il les dégage du feu qui l’assaille.

 Il cherche son ami des yeux.

Archi !

 Il ne crie pas, sa voix n’est plus, ni même ses larmes, figées sur ses joues.

 Un nuage toxique s’élève et tourbillonne de la capsule naufragée.

 Archibald n’est plus à bord. Le parebrise de la capsule gît loin, il y a des traces, des signes de la souffrance d’Archi. Son sang, son liquide de vie, une traine couleur de lie. Archi a-t-il survécu ?

— Archibald !

 Il a crié, il souffre de ce cri de détresse. Il voudrait souffrir encore, souffrir, souffrir et qu’Archibald réponde enfin.

— Archi !

 Le sang gèle à peine sorti de sa bouche, de délicats flocons d’hémoglobine, des paillettes d’un grenat nitescent, doré.

 Il hurle, se vide d'une vie qui se répand en un brouillard rougi autour de lui.

 Une gifle en réponse. Une poudreuse fine le lacère. Le vent souffle, railleur, pour un homme qui vit encore de l’espoir. L’espoir de revoir Archibald.

— Archibald !

 Une voix, en retour, s’éleva à travers les bourrasques, un Au secours ! comme perdu, noyé dans le tumulte du blizzard et des crépitements de l’engin en flamme :

— John ! Ici, John !

 John voulut se remettre à quatre pattes, s’y prit à deux fois, retomba avant de se tenir debout. Archibald, sa voix, une complainte. Il la suivit.

— John, je ne sens plus mes jambes. Mes yeux sont hors service. Que se passe-t-il ? John, j’ai mal ! Où es-tu ?

— J’arrive, Archibald ! Ne bouge pas !

La tempête l’obligeait à marcher penché, un bras en visière devant son visage. Ses pieds douloureux s’enfonçaient dans la neige mouvante, chaque pas était un calvaire, il trainait des poids morts. Deux sillons derrière lui, aussitôt recouverts.

 Il vit bientôt des gerbes électriques, bleues, blanches, aveuglantes, qui sortaient des yeux de l’androïde. Un filet de fumée gris, l’odeur aigre, les polymères brûlés suintaient du méca. Il était moche à voir, s’il avait été humain, on aurait voulu l’achever. Pauvre bête.

— Archibald ! Te voilà dans de sales draps…

 L’humanoïde pouvait enfin sourire. Même ces paroles vrillées par le vent, cette voix couverte de tourments, étaient la renaissance de l’espoir. De revoir son bio. Il tourna son visage vers son ami, il le devinait, sentait sa présence.

— Que s’est-il passé ? demanda Archibald. Nous volions vers la pyramide. Puis un choc. Brutal. Comme d’être attrapé en plein vol. Une main invisible, pris dans son étau. Mes coupe-circuits ont disjoncté. John, c’est grave ? Comment suis-je ? Dis-le-moi.

 John passa en revue les blessures de son compagnon. Il opina devant chacune des plaies, souffla de lassitude, de peine :

— Archibald, c’est moche, mais rien n’est insurmontable. Avec de la mousse médicalisée, on pourra te réparer. Il y en avait dans la capsule. Bien que je ne sache pas dans quel état elle sera, je vais la chercher.

 Vraiment, de voir Archibald dans cet état, ça le peinait. Il était son seul ami, le seul qu’il n’ait jamais eu.

 John se redressa, se retourna vers le véhicule. Il aperçut la pyramide au loin, elle semblait vibrer, exhaler une indescriptible aura de magie. Une étrange sensation le parcourut, un frisson d’inconnu.

 Il revint à la capsule fumante, baignée d’une mousse ignifuge. Le système anti-incendie crachait ses dernières gerbes dans un sifflement de Cocotte-Minute sous pression. Il s’arrêta, vidé, dans une suite de longs petits pets gazeux.

 John trouva la bombe de secours sous le fauteuil du poste de pilotage. Il se dépêcha de la récupérer pour en appliquer tout de suite le contenu sur son ami. Il pulvérisa le fluide sur les yeux, les jambes, regarda le liquide biotechno s’écouler, puis s’échiner à réparer l’androïde. Les éléments microscopiques s’ordonnaient telle une colonie de fourmis. Ça courait partout, insufflait la vie à Archibald.

— Ne bouge pas, mon Archi, ne bouge pas. Les secours vont venir nous sauver.

 Enfin, il l’espérait. Il le sentait, cette pyramide, cette chose, cette singularité avait des pouvoirs. C’était elle, ce crash. D’une façon ou d’une autre, c’était elle. Laisserait-elle seulement quiconque s’approcher d’elle ?

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