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Renaissance, dans le système augmenté

— Georges, il me semble que nous avons gagné suffisamment de crédits pour rejoindre la cité futuriste assez aisément. Vous avez bon fond de vous être battu comme un beau petit Krishna pour ça d’ailleurs, et je vous en remercie, mon cher. Mais je pense que vous pouvez revenir à bord. Attention ! Je ne veux surtout pas vous obliger ! Vous m’entendez, Georges ? Je ne vous oblige en rien, mais je pense, comment dire, que vous accomplissez votre tâche avec bravoure. Tant et si bien, qu’à présent, hum, comment dire, nous pouvons repartir. Vous m’entendez, Georges ?

 Georges, au milieu de son bain de sang, resplendissait. Auréolé de gloire, fier et empli de puissance. Il regardait Jack l’inviter à le rejoindre. Il voulait quoi ? Que Jack se prosternât ? Peut-être. Mais ce regard, ce regard si profond, impénétrable, aurait fait se prosterner bien des bios. Georges, il profitait. D’autres avatars, curieux de cet énergumène, venaient dans la zone de combat pour l’affronter. Souffla sur eux une irrépressible force.

 Georges batailla plusieurs heures durant, sans que Jack ne puisse jamais calmer ses ardeurs. Il restait sur son estrade, incapable, angoissé, estomaqué.

 La nouvelle qu’un nouveau participant défiait les lois de la probabilité se répandit, un parangon de l’arène, intraitable et inexpugnable, que tous souhaitaient braver, qui jamais ne perdait.

 Les avatars se figeaient devant tel spectacle. Bien qu’ils aient tous connaissance de cette légende, celle annonçant la venue d’un combattant hors pair et fantastique prêt à triompher des hordes par milliers comme un immortel invincible, nul n’aurait pu imaginer qu’un tel être puisse détenir en définitive autant de pouvoir. Cela dépassait l’entendement. Surtout pour un avatar avec une allure de, une allure de, de… C’était difficile à décrire : sa vision vous emportait d’un souffle, vous deviniez tout de suite que vous n’aviez pas affaire à un rigolo, seulement, vous n’auriez pas parié sur telle dégaine.

 Las, à présent que les adversaires ne s’avançaient plus qu’au compte-goutte – seuls les plus téméraires, les chefs de guildes, les héros solitaires et les inconscients poussaient le vice à le confronter en face à face –, Georges fila d’un bond extraordinaire jusqu’à l’estrade.

 Il se planta devant Jack, qui se figea, bouche pincée sur un rictus de surprise.

 Sans un mot, ils quittèrent l’arène, traversèrent les plaines jusqu’à l’auberge de l’accueil, croisèrent la stupéfaction de centaines d’yeux qui reconnurent celui qu’on ne pouvait vaincre.

 Jack, à nouveau devant l’androïde de l’accueil, demanda à Georges de combien de fonds ils disposaient à présent.

— 10 puissance 29 fonds, Monsieur.

 Vraiment, c’était un bioméca au cœur extraordinaire.

 Jack regarda son acolyte, plissa les yeux, il dit, quelque peu étonné :

— Cela représente des milliards ! Ou, me trompé-je ? Soit.

 Las, Jack transmit la nouvelle au concierge d’androïde qui lui rétorqua qu’avec une telle somme, tout objet du SA était à portée de bourse.

— Messieurs, dit le méca stoïque de l’auberge, permettez-moi d’ajouter également que vous n’avez nul besoin, à présent, de revenir me voir pour toutes ces questions. En effet, vous disposez d’un module d’inventaire à la demande. Il vous suffit d’y penser. Vous pouvez fermer les yeux si ça vous aide à le faire apparaitre, c’est très efficace. Tout ça, c’est de la pensée bio, c’est bien conçu. L’apprentissage est aisé. Depuis cet inventaire, très intuitif, vous le découvrirez, vous pourrez connaître l’intégralité des objets que vous pouvez obtenir, le faire apparaitre à votre bon gré.

 L’androïde tourna la tête vers Georges. Ce dernier se tenait, tel un enfant qui passe l’âge de raison, qui comprend l’étendue de ses possibilités, fièrement, la tête haute. Il toisait les environs, il embrassait de son regard conquérant le ça. L’aubergiste lui dit :

— Georges, c’est bien cela ?

 Georges le dévisagea de sa superbe, tournant longuement le visage vers lui. Il respirait la fierté. Il opina du chef, comme s’il daignait vous écouter. Vraiment, Georges était métamorphosé.

— Alors, Monsieur Georges, poursuivit l’androïde numérique, mes félicitations : gagner autant de crédits en si peu de temps est une prouesse inégalée. Félicitations !

 Ce disant, il lui fit un clin d’œil.

 Jack coupa court aux congratulations. Il venait de repérer un signe de connivence et cela le faisait tiquer. Il n’en connaissait pas la signification, mais pour lui, c’était suspect. En dernier lieu, il désirait saborder la mission.

Ces robots, on ne sait pas de quoi ils sont capables, si ça se trouve, la vraie identité de Georges a été découverte !

 Il tira Georges à lui :

— Allez, allez, on va choisir de quoi voyager à présent. N’est-ce pas ? Enfin, si vous voulez, hein !

 Direction : la cité futuriste, là où ce Bjorg, leur seul indice, avait été repéré la dernière fois.

 Son majordome divin invoqua deux licornes.

 Il était visiblement d’humeur champêtre. Ou alors, c’était pour se moquer de Jack. Après tout, Georges avait d’activé le module cynisme et, vu l’état dans lequel il était, il ne se priverait de rien pour faire râler Jack.

 Deux belles bêtes apparurent.

 Ailées, magiques, aux longues queues argentées et brillantes, elles surgirent dans les hauteurs azuréennes, de nulle part. Elles piquèrent vers eux, plongèrent au sol, puis s’immobilisèrent à leur côté. Des auras arc-en-ciel dansaient le long de leurs pointes torsadées qui s’élevaient depuis leur crâne. Quelques oiseaux rares et colorés tournoyaient autour d’elles, ils diffusaient d’indescriptibles et suaves senteurs de paradis, battaient des ailes si rapidement qu’on ne les distinguait qu’à peine.

 Jack crut halluciner. C’était la moindre des choses que pouvait offrir le ça, avec ce pognon de dingue que ça avait coûté au Président, comme il le disait. Tout ce système, ça canalisait bien comme il faut tous ces Français. En attendant, on lui fichait la paix au Président.

 Jack resta coi, planta ses mains sur ses hanches, s’indigna devant Georges :

— Et la téléportation ?

 Georges lui rendit un regard de glace. Jack ressentit une angoisse qui le transperça de part en part. Il ne reconnaissait plus son Georges. Ça l’inquiétait.

— Les licornes, parfait ! s’écria-t-il sur ses gardes. Vous connaissez mes goûts mieux que quiconque ! dit-il avec hâte, levant les mains en signe de reddition. Et puis, cela nous sied à merveille ! Nous nous fondrons dans le décor. Incognitos !

 Pour sûr, avec un Jésus volant et un bodybuildé comme lui, ici, ce serait parfait. Ce que les gens avaient comme imagination ! Ici, pour se faire voir, il fallait y aller.

 Georges acquiesça, un fin sourire sur la bouche. Il s’installa avec facilité sur le dos de sa monture, sans qu’elle bronchât. Elle accueillait son nouveau maître en prince, en toute majesté. Sitôt, l’animal féérique se mit en lévitation, l’allure noble, la tête haute. Le seigneur du domaine arrivait.

 Jack le regarda faire. C’était quoi ce cirque ? Voulait-on qu’on se moquât de lui ? C’en avait tout l’air.

— Blawrf !

 Que son majordome s’empare ainsi de son nouveau moyen de locomotion, ça le rassura. C’est que ce devait être facile, et Jack allait lui montrer à quel point ça l’était. Non, mais !

 Sans la moindre hésitation, il empoigna la crinière de son animal. Ce dernier releva les babines. Il mordrait, le canasson ! Jack le tira de ses mains, accroché à sa crinière princière, il sautilla d’un pied sur l’autre pour rejoindre la sellerie. La licorne montrait les crocs. Énervée.

 Jack était ferme, gauche.

 La licorne, d’un coup d’aile, qu’elle portait longue, soyeuse et lumineuse, l’envoya valser dans les airs. Un peu de douceur, que Krishna ! Jack retomba mollement sur le flanc.

— Blawrf !

 Oh ! Doucement, Jack ! On se calme avec ce langage fleuri !

 Il se remit sur ses deux jambes, harponna la bête de plus belle, plus déterminé encore. Il rouspéta.

 Qu’il vienne, la licorne l’attendait !

 Sous le regard accusateur de Georges, il baissa d’un ton, lâcha un nouveau Blawrf ! On lui demandait plus de douceur, la bête en méritait-elle ?

 Il n’en fit qu’à sa manière… Une main tira le crin, un pied le propulsa sur le dos de la licorne, l’anima rua. Pour l’animal, il fallait se défaire de cet inopportun. Georges rassura cette beauté sauvage de licorne d’un coup de pensée bien placée. Après tout, c’était lui qui décidait.

 Jack atterrit bon an mal an sur la croupe de la licorne, se cramponna à sa tignasse, se félicita d’avoir effectué cette cabriole avec tant d’aisance. La licorne dévisagea Georges, Georges lui rendit la pareille, d’une moue qui signifiait :

Ne t’en fais pas, tu n’auras pas à le supporter bien longtemps. Et tu y survivras, cela fait des décennies que je l’ai sur le dos…

 La licorne en était désolée. Elle ahana.

— Suivez-moi Jack, nous partons. Guidez votre compagnon par la pensée, cela est tout à fait intuitif… du moins, pour qui pense…

 Il y avait du cynisme dans l’air. Jack le sentait, sans trop savoir dire où, mais il y en avait. De plus, Georges prenait la direction de cette inénarrable épopée. Tout partait à vau-l’eau.

 Était-ce là les valeurs qu’il lui avait inculquées ? Il était en colère, mais avait aussi peur de l’être, des fois que son majordome maître s’en rendît compte. Qu’était-il devenu ? Georges, depuis son arrivée dans le ça, semblait basculer dans une folie incontrôlée.

 Enfin, c’était ce que se disait Jack.

Si cela continue de la sorte, il deviendra ingérable… Je crains le pire. Se prendrait-il sérieusement pour un surhomme ? Pour un mieux qu’humain ? Rhaa ! Bon Bouddha ! Il faut que je le ramène à la raison, il n’a qu’un maître après tout ! Il doit continuer à me servir selon mes principes et mes ordres. Je le ramènerai à la raison sitôt la mission accomplie. Qu’il fasse preuve de tant de bravoure et d’initiative est louche.

— Georges, nous devons parler, nous…

 Georges, il était loin déjà, il s’éloignait à tire d’ailes. Jack s’interrompit pour blawrfer, avant de taper les flancs de sa monture et de se lancer à ses trousses. Il décolla sous les ruades de son animal. Il râla, il rebondissait sur le dos de l’animal, corps balloté de gauche et de droite. Ça ne lui allait pas, il perdait le contrôle. De tout.

 Georges entendit son maître maugréer, il se retourna :

— La pensée, maître, par la pensée. C’est facile.

 Jack grogna de plus belle.

Il se moque de moi en plus ! Le bougre !

 Ils s’aventurèrent par-delà les plaines, voguèrent de vallons fleuris aux steppes enneigées. Toujours la cité futuriste en ligne de mire. Georges filait fièrement, sans ciller, imprégné de l’air doux qui glissait sur son visage. Jack bourlinguait, tant bien que mal, rouspétant en écho des ruades de sa licorne agacée.

 Ils s’approchaient. Encore une chaîne montagneuse, une mer, un océan, les dinosaures, une autre arène, là. Georges lorgna dessus, Jack l’en dissuada d’y penser plus avant. Ils poursuivirent, il s’en était fallu de peu.

 La cité futuriste aux pointes élancées renvoyait ses raies lumineuses jusque dans leurs rétines ébahies à présent. Ses immeubles créaient des ponts entre les planètes. Oh ! C’était haut !

 Enfin, ils virent les premiers signes de vie. Des vaisseaux, des ronds, des carrés, ovales, aplatis ou hérissés de pics, mats ou translucides, invisibles, ils en croisèrent de toutes sortes.

 Le cœur calmé, l’esprit apaisé, alors qu’il appréciait de plus en plus ce voyage fantastique, une question tarauda Jack. Un doute qui n’aurait pas eu lieu d’être s’il s’en était préoccupé en amont. Il regarda son acolyte. George filait avec sérénité et grâce sur son animal bigarré. Jack l’alpagua :

— Georges, au fait, où devons-nous nous rendre, exactement ? Je vous suis, je vous suis, mais mis à part que je sais devoir rejoindre cette cité, je n’ai aucune idée de l’endroit où se cache l’indice pour retrouver ce Bjorg Bonchamps.

— Monsieur, l’indice se trouve à la Grande Bibliothèque.

 Georges commença à croire qu’il aurait pu lui raconter n’importe quelle sornette tant Jack ne s’intéressait que peu à la quête. Seule la réussite de la mission comptait, qu’importait le chemin pour y arriver. Georges regretta de ne pas avoir profité plus longuement de l’arène. Il aurait aimé voir son maître au cœur de la bataille. Ça aurait eu de l’allure. Georges fut coupé dans ses pensées par l’interrogation de Jack :

— Ah ? Pourquoi Grande ? Les seules bibliothèques que je connaisse ne sont pas plus grosses que mon petit doigt et ne contiennent que des données informatisées. Certes, mise à part la Bibliothèque Interdite qui, elle, abrite le savoir primitif encore et toujours imprimé. Ce poison spirituel. Blawrf !

— Car, monsieur, la bibliothèque en question comporte uniquement des concepts édités sur papier. Du papier numérique, soit, et alors. Laissez-moi ajouter également que cette dernière est une réplique de la Bibliothèque Interdite.

— Une bibliothèque physique dans le SA ? Mais où va l’univers ? Je vous le demande… Quelle est la logique ? Je ne comprends pas… C’est une réalité virtuelle futuriste, bon Bouddha, ou non ?

— La logique, monsieur, effectivement, tout est question de logique. Et, on ne dit pas où va l’univers, mais où va le monde…

— Le monde, le monde, railla Jack. Peu importe où il court le monde, tant que nous l’y menons.

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