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Que leur arrive-t-il ? Nouvelle-York



— Jaspert, ça va faire deux jours qu’on reste enfermés, j’en peux plus.

— Bah, qu’est-ce que ça change ? De toute façon, c’est comme ça tout le temps. On est soit dans le SA, soit dans notre appartement. Confinement ou pas. T’as qu’à venir me rejoindre dans le système.

 Jaspert, assis sur le canapé du salon, le corps penché en avant, portait ses lunettes sur le nez depuis plus de deux heures. Anouké devinait les yeux de son ami agités derrière son appareillage de réalité virtuelle. Il se mordillait la lèvre inférieure, faisait rouler des bouts de chairs entre ses dents. Son attitude commençait à l’agacer. Tout ce stress, alors qu’on disait s’y amuser, elle ne comprenait pas. Et elle, le stress de Jaspert, ça la contaminait, elle n’aimait pas. Autant qu’ils soient ensemble dans le vrai monde.

— Oh ! s’écria-t-elle, tu ne veux pas être un peu avec moi ?

 Elle le regarda, serra la bouche, fronça les sourcils. Elle reposa son livre, une vieillerie archéologique. Elle n’en pouvait plus de voir les mots danser devant ses yeux, elle désirait partager un peu d’intimité avec Jaspert. Ne serait-ce qu’être dans ses bras, à défaut de se parler, juste l’écouter, échanger des âneries ou mille autres choses dont devraient être capables les humains s’ils n’étaient pas si demeurés.

— Franchement, dit-elle, toute cette technologie, ça ruine les rapports sociaux. Je suis nostalgique des temps anciens… Au moins, au XXIe siècle, les bios savaient vivre ensemble… Ah ! Des fois, j’aimerais retourner dans ces années, ce devait être si beau.

 Jaspert se renversa en arrière dans le sofa, dit, essoufflé :

— Il y a un type, il nous a fait des trucs de fou ! Il nous a désintégrés ! Tous ! Toute la guilde t’imagine ? Je m’entraîne pour être plus fort que lui, mais il est parti depuis hier, déjà, et il…

 Il reposa le SA sur ses genoux, coupa court à son excitation grandissante. Elle le fixait. Il comprit ce regard, se fit petit, fit la moue. Il dit :

— Oui, on s’en fiche, oui, oui. Pardon, désolé…

— Ah ! Tu m’énerves ! Fais-moi un bisou !

— Oui ma Pupuce.

 Il embrassa la joue tendue, puis, après que Jaspert lui ait promis de se déconnecter, elle demanda à Shri alors plongé dans ses pensées :

— Tu as des nouvelles ?

 Shri tressauta, cligna des yeux, ses cheveux blonds comme électrisés. Au bout d’un moment, il tourna le visage vers le couple :

— Oui, les amis. Les terriens ont définitivement disjoncté et ils en sont conscients, qui plus est ! Ils sont à la fois victimes et acteurs de leurs agissements. Comme à l’accoutumée, me direz-vous, mais à un niveau de débilité tout à fait autre, il faut le reconnaitre. La communauté androïde se demande si l’arrivée de cette pyramide n’en est pas la cause. Peut-être est-il question ici d’une simple coïncidence. Toujours est-il que certaines personnes à travers le monde sont indemnes de toute cette folie. Vous n’êtes donc pas uniques. Des individus de tout genre. Mes pauvres enfants. Il y a certainement une explication. Enfin, il y a un scoop, je vous le dis, cela reste entre nous, promettez-le-moi.

— Bien qu’on ne sache pas ce que tu vas nous dire, oui, on te le promet, répondit Jaspert tandis qu’Anouké acquiesçait.

— Un androïde a pénétré le ça et…

— Oh ! s’étonnèrent-ils à l’unisson.

— Oui, n’est-ce pas ? Il s’appellerait Georges et, tenez-vous bien, il aurait encodé l’intégralité des expériences contenues dans le SA !

— C’est possible ? demanda Anouké.

 Shri hocha la tête en silence. Il poursuivit :

— Oui. Et il a utilisé ce savoir. À dire vrai, je ne sais pas ce qu’il ressent en ce moment… Toutes ces sensations… Pour un non initié, ça doit faire quelque chose.

 Shri se tut, la bouche entrouverte, laissant ses compagnons dubitatifs.

— Shri ? questionnèrent-ils d’une voie.

 Shri reprit connaissance, tourna le visage de gauche et de droite, continua :

— Pardon, les amis, j’essayai d’imaginer toutes ces sensations. C’est impossible.

— Shri, demanda Jaspert, tu disais qu’il avait utilisé ce savoir, qu’en a-t-il fait ?

— Eh bien, il a trucidé par centaine des avatars dans l’arène pour on ne sait quelle raison. Usuellement, les androïdes partagent leur accès quantique. Bref, on discute ensemble, on est jamais avare en histoires, mais lui, il a engagé ses protocoles de sécurité.

— Et à quoi il ressemble ?

— Dans la vraie vie, on ne sait pas, mais dans le ça il porte barbe longue, moustache fine et élancée, poils châtains foncés aux éclats de miel et haillons en guenilles. Il ne ressemble pas à grand-chose en vérité, mais…

Le visage de Jaspert s’illumina.

— Oui, oui ! Je l’ai vu ! Il m’a bien tué, le bougre, d’ailleurs ! Dans l’arène. Il n’en finissait plus de nous liquider. Il semblait, il semblait… habité. Oui, possédé même. Ah… C’est donc ça… Eh ! Mais c’est de la triche ! Je comprends maintenant, il…

Anouké tapota trois coups sur l’avant-bras de son ami, plongea son regard dans le sien. Elle connaissait Jaspert. Lui, de perdre, ça le rendait ronchon, il était un peu mauvais joueur, alors un androïde, ça devait l’énerver plus encore. Elle lui susurra :

— Là, ça va aller, ça va aller maintenant, c’est fini, hein ? Il a triché le robot, mais il va s’en remettre mon loulou, hein ? Il s’est fait trucider, mais ce n’est pas grave, hein ? Il est quand même le plus fort, mon loulou !

Anouké tourna la tête vers Shri, lui demanda :

— A-t-on des nouvelles de John, le médiateur de l’information ?

— Ah ! Quelle aventure ! Son collègue Archibald était en piteux état des suites de l’accident, mais John a trouvé le moyen de le rabibocher. Des secours sont partis à leur rencontre il y a peu, ils n’ont pas été plus rapides par la faute des récents événements d’hystérie collective. Tout le monde a la tête ailleurs. Ils ont dû survivre seuls au milieu de ces éléments hostiles plus de 24 heures. Malheureusement, je n’ai pas plus d’informations à vous transmettre, le système de communication d’Archibald ne répond plus. Certainement l’accident en a-t-il eu raison ?

Shri se figea à nouveau. C’était dans ses habitudes depuis l’arrivée de cette pyramide, il recherchait le pourquoi et les conséquences de cette venue. Le couple patienta qu’il revienne à lui.

Soudain, des tics nerveux et des tremblements envahirent le bioméca, un gargouillis rauque monta de son œsophage. Le couple grimaça, le pauvre petit se faisait du mal. Shri tenta de parler, il toussota, se racla la gorge. Quand les premiers sons sortirent de sa bouche, ce n’était plus Shri qu’on entendit, ce n’était plus son timbre de voix. On venait de prendre possession du bioméca, on reconnaissait quand ça arrivait.

— Hum, hum… toussa l’androïde. Bonjour ! Veuillez m’excuser d’interférer au travers de votre ami, mais je devais absolument vous parler.

Une voix éraillée, usée, un vieil homme peut-être, sortait par la bouche de Shri.

— Voilà, continua la voix, je me présente : Bjorg Bonchamps. Enchanté.

— Enchantés, répondit le couple d’une voix.

— Voilà, voilà. Hum, bien. Bien. Par où commencer ?

— C’est… c’est à quel sujet ? osa Anouké.

— Il se trouve que je suis technohistorien, et, même si cela n’a aucun rapport avec ce que je vais vous dire, c’est toujours ça de pris. N’est-ce pas ?

Jaspert alpagua la voix :

— Bon Bouddha ! Et Shri, il va bien ? Et vous, qui êtes-vous exactement ? Enfin, qu’est-ce que vous voulez ?

— Non, non, non, ne vous inquiétez surtout pas, Shri va bien. Ça va, Shri ?

— Je me sens comme pénétré, c’est étrange, mais ça va.

Bien, leur petit était toujours là, ça les rassura. Dans la voix de Shri diffusée au travers des drones domotiques de l’appartement, ils ne perçurent aucune crainte, rien qu’une surprise stoïque.

— Bien, pardonnez-moi, continua la voix de Bjorg, mais le temps presse. Je vous le promets, hum, du moins, un peu, vous aurez des explications très bientôt, mais il falloir me faire confiance. Je le sais, tout ça est bien mystérieux, même moi j’ai hâte de comprendre, mais croyez-moi. Deux individus vont arriver d’une seconde à l’autre. Surtout, ne paniquez pas ! Ne vous arrêtez pas à leur apparence, ce sont des amis ! Enfin, d’amis, nous partageons une expérience commune. Oui, oui, je sais, encore des mystères, mais n’est-ce pas ce qui fait le sel de la vie ? Quand ils vont arriver, suivez-les, ils vous emmèneront jusqu’à moi. Nous avons des choses à clarifier ensemble, de la plus extrême des urgences.

— Oh ! Mais ça ne va pas ! Mais puis quoi encore ? On ne sait même…

Un coup sourd s’abattit sur la vitre holographique. Anouké s’interrompit et, dans un mouvement synchrone, ils tournèrent la tête vers la fenêtre. Shri s’ébroua, téta le filet rougeoyant sur sa lèvre, s’essuya le menton avant de s’exclamer :

— Allez, les amis ! Ce sont eux, ce sont nos invités. On doit partir !

Le couple fixa l’androïde, le timbre de voix à nouveau normal, ils s’écrièrent :

— Mais il se passe quoi, là ?

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