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Le dôme, Antarctique



 John sortit de son abri : les secours arrivaient.

Pas trop tôt, pensa-t-il en regardant Archibald.

 Au moins, son ami méca avait-il meilleure allure. Il avait eu vraiment peur pour lui. Tout ça ne serait bientôt qu’un mauvais souvenir, il pourrait reprendre son numéro de décérébré de Média Un. Ça ne lui plaisait pas vraiment, mais au moins, ils étaient vivants.

 Au loin perçaient les silhouettes des navettes transcontinentales de secours, des points noirs, quelques taches floues dans la pureté du ciel bleu et profond.

 Emmitouflé dans sa couverture de survie, John souffla dans ses mains. Un brouillard sortit de sa bouche, qui enveloppa ses doigts bleuis. Il avait mal. Il grelota, se rapprocha d’Archibald qui se reposait, adossé contre les restes de la capsule encore fumante. Le méca mit ses transistors en surtension pour réchauffer son ami.

— Mon bon Archibald, c’est gentil. Quelques secondes alors, pas plus. Bientôt, tu n’auras plus de jus. Que ferais-je de toi alors ? Une vieille carcasse comme tu l’es deviendrait plus inutile qu’elle ne l’est déjà. Ah ! Ah !

 Ce n’était pas drôle, seulement, il voulait dédramatiser. John devait tout à son ami androïde, il le savait, mais il ne voulait rien laisser transparaitre de sa lassitude. Cette vie ne lui suffisait plus. Heureusement, il restait Archibald.

 Blotti dans les bras de son bioméca, John laissa la chaleur infuser dans son être transi. Il fixa les points noirs dans le ciel au nord-ouest. Son corps revenait d’entre les morts, il se réchauffait, son esprit s’apaisait.

 Les navettes se firent plus nettes. Appuyés contre la carlingue, ils distinguèrent bientôt des vaisseaux noirs flanqués d’une croix blanche : les secours. Avec leurs ailes courtes et leur cockpit en forme de bec, ils donnaient l’image d’une meute de rapaces. Trois véhicules supplémentaires, volant en formation triangulaire, les accompagnaient. John reconnut les appareils du gouvernement.

— Ah ! Mon Archi ! Nous voilà sauvés ! Et quel scoop ! Encore une fois, nous voilà pionniers de l’information !

 John, il voulait de mettre de l’entrain dans ses propos, même s’il n’y croyait pas lui-même. Archibald devait le sentir. Il sentait tout, tout avant lui.

 John sourit, bouche close. C’était timide, faussement volontaire, forcé. Archibald tourna la tête vers lui pour dire :

— Tu sais, tu parles comme si tu croyais à tout cela. Bientôt, tu deviendras l’être que tu donnes en pâture aux millions de Français. Prends garde.

 John le regarda à son tour, plongea ses yeux dans les siens :

— N’aie crainte, mon ami. Je veux dire, cela est réellement incroyable ! Vraiment. Certes, si nous avions pu éviter l’accident, cela en aurait été que plus parfait. Mais cet étrange objet au loin, ça me galvanise, vraiment ! C’est la première preuve tangible de l’existence d’une intelligence extraterrestre. Mais je te l’accorde, jouer ce rôle de demeuré de l’information me corrompt. Je t’en fais la promesse : dès cette aventure arrivée à son terme, je rends l’antenne. Définitivement. Pour la cause.

— Pour la cause, répondit Archi dans un murmure.

 Archibald lui sourit. John reconnut un rictus désenchanté sur son visage cramoisi.

— Tu ne me crois pas ? C’est ça ?

— Ce ne serait pas ta première promesse en l’air. Je crains que ce ne soit pas la dernière.

 John souffla :

— Mon ami, sincèrement, du plus profond de mon cœur : je t’en fais le serment.

 Archibald détourna le regard, scruta les stigmates de ses blessures sur son thorax, passa un revers de main sur les marques avant de rétorquer :

— Les promesses n’engagent que ceux qui les entendent…

 C’est John qui lui avait un jour dit ça. C’était une phrase de son grand-père, qui avait connu le temps prémoderne. Ce devait être plein de bon sens, certainement, enfin, c’est ce qu’il se disait. John, ça le touchait, il se sentait redevable, dans l’obligation de tenir sa promesse. Pour Archibald, pour son grand-père.

 Peiné et sans un mot, John hocha la tête. Au loin, il devinait dans le brouhaha du blizzard l’écho des navettes. Le vent apportait le son des propulseurs, un grondement grandissait. Il fixa les secours, fut soulagé, navré aussi, pour son ami.

 Puis une navette explosa dans le ciel qui avait à peine eu le temps de retrouver son éclat. John se figea.

 Il ouvrit la bouche sur une stupéfaction muette, Archibald se redressa d’un geste brusque.

 Une pluie de débris plongea du ciel dans une épaisse fumée noire. Ce fut au tour d’un deuxième vaisseau de se désintégrer en plein vol, comme s’il venait de heurter un mur invisible. Bientôt, ce furent quatre capsules en feu. John et Archibald ressentir les déflagrations. Leur chance d’être secourus se réduisait à peau de chagrin.

— Bon Bouddha ! se médusèrent-ils d’une voix.

 Trois vaisseaux entamèrent un demi-tour. La manœuvre effectuée, ils se stabilisèrent en vol stationnaire. On voyait bien que ceux-là se demandaient ce qui était arrivé, on les sentait hésitants. Pouvaient-ils seulement encore continuer ? Ce devait être la question qu’ils se posaient, parce que plus personne ne bougea.

 Comme happés par un songe qui virait de nouveau au cauchemar, les deux médiateurs virent des cordages jetés depuis les vaisseaux survivants. Des personnes s’y accrochèrent pour descendre. Les unes après les autres, elles posèrent un pied au sol, revêtues d’une armure de survie. Il y avait là sept individus, dont certains endossaient la tenue blanche typique des secours, les autres portaient des armures aux motifs les rendant invisibles dans la neige.

 À terre, quelqu’un fit signe aux pilotes. Les trois véhicules du gouvernement manœuvrèrent, s’éloignèrent du site de largage, puis éjectèrent deux ballots rectangulaires depuis leurs soutes. Ils tombèrent, s’écrasèrent dans la poudreuse. Un homme au sol réalisa de nouveaux gestes avant que les vaisseaux ne s’élèvent et prennent pour direction l’horizon. Ils s’en retournaient.

 Debout, John et Archibald retenaient leur souffle. Sans deviner quelle tragédie se jouait devant eux, ils restaient prostrés, bras ballants. Qu’est-ce que c’était ce bordel ? D’autant que de voir des gus en armure de guerre, camouflés de la tête aux pieds, John, ça ne le rassurait pas. Ce genre de bios, il les connaissait, il n’en gardait pas que de bons souvenirs. C’était des durs et ils n’avaient rien à faire ici. Enfin, comme sauveurs, ce n’était pas ce que John et Archibald attendaient. Eux, c’étaient des forces spéciales. Des démolisseurs, pas du genre à vous chanter des berceuses à votre chevet. Ils n’avaient rien à faire ici. Sauf à vouloir détruire quelque chose.

 John se retourna vers la pyramide. Au loin, elle semblait flotter au-dessus d’une montagne de neige. Oui, elle, elle était là. On venait pour elle, pas pour eux. John frissonna. Viendrait-on seulement les sauver ? Il n’y croyait plus vraiment à présent.

 Ils observèrent ce cortège. Ils les virent aller à la rencontre des débris fumants, chercher des miraculés de ce naufrage, relever des corps traumatisés. Cela prit une éternité.

 L’équipe de secours s’attarda quelque temps sur les lieux des crashs, peut-être à la recherche d’indice pour comprendre la cause de ces accidents. On retrouva deux rescapés. Ils les remirent sur pieds, deux rescapés, d’autres regardaient encore les débris carbonisés. Enfin, ils se positionnèrent en file indienne. Ils récupérèrent leur bardage, aidèrent les survivants, puis tentèrent de se frayer un chemin dans ce marécage de neige.

 L’horloge tournait. Des aurores boréales dansaient au rythme d’une mélodie sans notes quand John et Archibald les accueillirent.

 Le premier homme de la procession arrivait. Il portait la combinaison du gouvernement : blanche, mate, impressionnante avec ses nanoparticules qui ne cessaient de scintiller à la surface de leur vêtement. Il s’arrêta devant eux, sans un mot, sembla figé, avant de lever une main pour appuyer de deux doigts sur sa tempe. La visière de son casque se releva pour révéler un visage fin aux longs cheveux de jais.

— Bonjour, dit la femme. Officier Lou, nous sommes l’équipe de secours.

 Des secours ? John en doutait, vu l’arme qu’elle avait pris le soin d’apporter.

 Les hommes derrière elle saluèrent. Lou se tourna vers un homme :

— Toi, la brebis galeuse, que Krishna ! Salue donc ! Ou je te fais manger de la neige, tout ce qu’il y a ! D’ailleurs, c’est un ordre, nettoie-moi tout ça !

 Le soldat du gouvernement baissa sa visière, se mit à quatre pattes et commença à lécher le sol. La glace était grosse, il en aurait pour un moment.

— Dis bonjour ! lança l’officier Lou.

 Ce que l’homme fit, la bouche emplie de flocons givrés.

 Les journalistes restèrent bouche bée. Ils dévisageaient cet homme a priori fou qui, comme cette femme, semblait s’accommoder de cet ordre pour le moins saugrenu. La femme devina leur désappointement, rit à gorge déployée, puis annonça :

— Ne vous inquiétez pas, tout ça, c’est on ne peut plus normal. Peut-être que vous n’êtes pas au courant, mais depuis l’arrivée de cette chose, l’humain n’est plus humain. Comme vous le voyez, on à des instincts, des instincts primaires, bah on les suit. C’est idiot, mais c’est comme ça. Eh ! cria-t-elle à l’encontre du soldat frigorifié, cesse donc ! Tu terrorises nos accidentés ! Rhaa ! c’est si bon ! Résister à l’envie de le martyriser est une épreuve.

— Oh oui ! Madame l’officière, c’est si délicieusement traumatique.

 La femme s’ébroua, l’homme s’essuya le menton, il grelotait, les lèvres bleues.

 L’officier Lou, elle tremblotait devant eux, elle semblait se battre contre une force intérieure. Elle fermait les yeux, serrait les mâchoires, ça faisait peur à voir. Son visage empourpré, au point de rupture, et ses veines prêtes à imploser, elle hurla :

— Ah ! Non ! Plus d’ordres idiots ! Laisse-moi, sale garce de moi-même !

 Elle se plia en deux, prit appui sur ses cuisses, elle haleta.

Le binôme de l’information se dévisagea, l’officier Lou crut bon de devoir ajouter :

— Ne vous en faites pas, je ne fais que me parler à moi-même. Le Président, enfin la femme du Président, estime que cette pyramide est la cause de tous ces bouleversements psychiques. Et je ne vais pas lui donner tort ! Je ressens sa présence dans ma boite crânienne. Mais ne vous en faites pas, je suis rodée à la manipulation mentale. Cette sorcière ne m’amadouera pas comme ça !

 Elle semblait épuisée.

 La femme contempla les deux ballots blancs tirés jusqu’ici, elle hocha la tête, un rictus au coin de la bouche, et elle murmura, mauvaise :

— Ah ça ! Non, elle ne nous aura pas comme ça…

— Qu’est-ce ? demandèrent John et Archibald en montrant les deux sacs.

— Ça, voyez-vous, ce sont les secours.

 Elle les regarda, une flamme prête à jaillir de ses prunelles noires. On allait tout faire péter, c’était tout vu.

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