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Base lunaire, Lune



— Monsieur le Président, France Impériale One n’attend plus que vos ordres.

 Le Chef d’État salua le responsable de la sécurité. Vraiment, ce Mathias, il était fiable. Il était content de l’avoir dans son équipe, ça faisait sérieux, avec lui, on se sentait en sécurité, il ne rigolait jamais. Le président se retourna pour contempler une dernière fois sa ville. Depuis la tour Eiffel, il fut saisi par la splendeur de la vue. En cette fin de journée presque parfaite, comme toutes les autres jusqu’alors, une brise tiède caressait ses joues, effleurait son cou, lui procurant un chatouillement exquis. Sans cette fin du monde annoncée, la journée eût été parfaite. Surtout que tout rentrait dans l’ordre, les humains allaient mieux. Tant pis.

 Il contempla les artères blanches et immaculées, les gratte-ciels aux parois scintillantes, le coucher de soleil resplendissant. Et les sirènes hurlaient à ses oreilles. S’il n’y avait pas eu ce maudit tocson sonnant l’évacuation générale qui lui brisait les tympans, il aurait volontiers pris plus de temps devant ce spectacle grandiose. Puis il aperçut dans le lointain l’objet de la retraite, la cause de sa fuite. L’horizon laissait transparaitre le déclin de l’humanité. Foudres et lumières fantasmatiques dansaient dans l’air, le vent portait avec lui ces enivrantes et angoissantes odeurs mortuaires. Une odeur de barbecue.

 Il se tourna vers Mathias, lui demanda si l’Arche était prête. Celui-ci répondit par l’affirmative. Bien sûr qu’elle était prête, mais ce ne serait pas pour le président.

 Un dernier coup d’œil sur son empire, une moue désolée, la bouche pincée, l’œil amer, le président se décida pour monter à bord de France Impériale One, la navette interplanétaire présidentielle. C’est lui qui avait choisi le nom. Pour impressionner.

— Nous n’avons pas le choix, monsieur.

— Je sais, je sais Mathias. Seulement, je regrette de ne pas faire payer ces gus de mes propres mains ! Voilà où nous en sommes par leurs fautes ! Ah ! ce gringalet de Jack cachait bien son jeu ! Qu’il s’asphyxie dans les décombres de cette apocalypse ! Ah ! Si ma femme pouvait voir ça, elle et ses pinceaux seraient aux anges !

— Votre femme, monsieur le président ? Mais, où est votre femme d’ailleurs, monsieur ?

 Le Président partit d’un rire rauque et, alors qu’il montait les vingt-trois marches le menant à bord, il répondit, narquois :

— Avant qu’elle ne comprenne ce qu’il se passe, nous serons sur la lune, et elle, elle sera six pieds sous terre !

 Et il riait tandis qu’il s’avançait à bord du vaisseau. Mathias se retourna. Il contempla au loin le palais Présidentiel. Juste avant le décollage, alors qu’il regardait encore la résidence, il crut voir par l’une des fenêtres les appels d’une femme en détresse. La femme du président ne méritait pas ça. C’est vrai, elle avait eu tendance à draguer tout ce qui bougeait, mais ça ne faisait pas d’elle une mauvaise personne. Elle avait d’ailleurs tenté de l’amener dans sa couche. Mathias avait décliné, elle ne s’en était pas formalisée. Au palais, il y avait de quoi faire.

 En un instant, la navette s’éleva silencieusement dans les airs, et, en moins d’une minute, arrivée dans la stratosphère, elle mit en branle ses réacteurs.

 Mathias observa depuis un hublot la propagation de la tempête. Celle-ci ressemblait à un œil rageur empli de sang, à l’iris noir, tandis que sa périphérie n’arrêtait plus de grossir et d’engloutir la planète. Déjà, Paris était à ses portes, on aurait dit une gigantesque tornade infernale.

 Combien avaient déjà péri ? 10 millions ? 15 millions de personnes ? Ce qui était certain, c’était que cette tragédie toucherait tous les humains, par la faute d’un homme, un seul : le Président obnubilé par un être sans importance. Jack, le bougre, il n’en valait pas la peine. Mathias le savait bien pour avoir eu l’occasion de partager certaines réunions avec lui. Il ne savait que râler. C’était un ignare incapable méritant au pire l’indifférence.

 Quel gâchis !

 Installé à l’écart, loin du personnel et de la garde rapprochée du Président, Mathias sortit de sa poche intérieure son IA. Il regarda son hologramme portatif, y lut le pourcentage de 30,08 %, expira. Que c’était long ! La tête repoussée en arrière, il fixa le plafonnier. Yeux clos, il fit un décompte rapide, approximatif, quant à la quantité d’être sauvés. Ses conclusions lui donnèrent un coup d’adrénaline bienvenu. Quatre ou cinq milliards, estima-t-il, c’était au prorata du nombre d’humains habituellement connectés au SA, dans des conditions normales. Là, les alertes de tous les pays devaient sonner. Beaucoup devaient être déconnectés, mais c’était déjà ça. Il rangea son IA, s’adossa confortablement à son fauteuil. Il n’y avait plus qu’à patienter jusqu’à l’arrivée sur le satellite terrien.

 Juste avant l’alunissage, un doute l’envahit. Qu’allait-il faire de toutes ces âmes ? N’était-il pas en train de les emprisonner dans une cage sans limites ? Ce ça dont les infinies possibilités artificielles n’auraient que pour conséquence de tous les aliéner, définitivement. On trouvera une solution, avait-il dit à Candice à ce sujet. Une remarque typiquement humaine de fuite en avant : on verra plus tard. Les humains seraient-ils capables de rester sains d’esprit en apprenant la nouvelle ? Il en douta. Il se rappelait toute la folie humaine ayant jalonné l’histoire. Las, il sombra dans les méandres de ses élucubrations. On ne pouvait pas penser à tout, surtout quand on n’est qu’homme.

 Le Chef d’État lui posa une main sur l’épaule. Qu’est-ce que c’est ? Il émergea dans un sursaut, toujours englué dans ses pensées, bouche pâteuse, yeux secs. Il entendit :

— Réveillez-vous, mon vieux, sortez de votre rêverie.

 Mathias comprit que la navette venait d’alunir.

 Il oublia ses doutes, regarda le cortège présidentiel, ces hommes et femmes en costumes blanc et noir biomimétiques qui sortaient tous de la navette. Il se leva à son tour. Il trouverait une solution, avec l’aide de Candice, pour redonner à tous les terriens une enveloppe matérielle, à défaut d’une enveloppe bio humaine. Cette question, maintenant que le reste était accompli, le turlupinait.

 Il suivit la garde rapprochée du Chef d’État se pressant vers la cellule de crise. Il parcourut de froids corridors étroits, aseptisés, à l’odeur de désinfectant. Il tombait souvent nez à nez avec des scientifiques, blouses blanches et blocs-notes holographiques dans les mains, qui arpentaient la base. On était sur le pied de guerre, on ne faisait que parler de la situation désespérée de la Terre. On saluait le Président avec déférence, il ne daignait répondre, tête droite, dos raide. Malgré sa connerie, c’était le chef d’État, on respecterait ses ordres jusqu’aux confins de la bêtise s’il le fallait, on ne voulait pas le décevoir. Surtout pas, il était capable de tout, surtout du pire. Quelque part, ça faisait frémir.

 Mathias s’enfonça dans la base, emprunta d’interminables couloirs, passa maints check-points, pour enfin arriver au centre névralgique de la base lunaire. Il pénétra dans la grande salle de contrôle sous les regards accusateurs d’hommes armés et vêtus de la combinaison de combat noire. Lui, ce n’était qu’un politique, eux, c’était l’armée. Et on était en temps de guerre, donc, lui, il était inutile.

 Le Président remercia Mathias – ce qui ressemblait davantage au fait qu’il le congédiait – et partit en direction d’une salle sécurisée en balcon. Mathias, trouvez-vous une place, mais à partir de maintenant, je gère. C’était ce que semblait dire le président de son regard suffisant, dédaigneux. Il se transformait en chef de guerre, il aimait ça, le Président. Pas de place pour les civils. Mathias avait compris le message.

 Le Président salua ses chefs d’état-major, des généraux qui se tenaient au garde-à-vous, on le salua en retour, en s’inclinant, puis ils se calfeutrèrent dans la salle sécurisée. L’ordre du jour : l’extinction terrestre, le nouveau statut de la France exilée qui n’avait plus comme représentant que son chef d’État. Ça commençait mal.

 Mathias les regarda faire. Vraiment, ne restaient pas que les meilleurs, il aimait mieux encore son sort, seul dans l’espace, que de vivre ici, avec ces survivants.

Qu’ils causent toujours.

 Il détourna les yeux, entreprit de la trouver. Candice. Il la chercha du regard dans cette grande pièce circulaire, amphithéâtrale, emplie d’unités quantiques holographiques. Une centaine de personnes pouvaient travailler simultanément en ces lieux, mais en ce jour, c’était plus du triple d’individus qu’elle recevait. Tous s’affairaient, à accueillir les réfugiés, leur dire où aller, d’autres surveillaient les mouvements des autres nations, préparaient les défenses. Sur la lune aussi, on voulait garder sa suprématie.

 Plus bas, Mathias repéra une table de commandement. On y projetait en 3 dimensions les images du système solaire. Mathias eut un temps d’arrêt.

 Il reconnaissait la terre, le soleil, et toutes les planètes qu’il avait devant lui. Pourtant, il voyait partir depuis la lune un plan de vol qui allait bien au-delà de l’espace connu. L’hologramme dessinait un tunnel à voyage supraluminique partant du satellite terrestre, traversant des trous de ver, s’éloignant de tout. Un plan de vol. Il parcourut des yeux le trajet dessiné. Celui-ci quittait le système solaire, il aboutissait non loin de l’exoplanète Gliese 581c.

Putain, ce n’est pas vrai, maugréa-t-il.

 Il détourna les yeux, rechercha Candice.

 Il la trouva assise non loin, devant une unité quantique. Il s’approcha d’elle, murmura son nom en même temps qu’il lui posait une main sur l’épaule. Elle sursauta, bouche entrouverte, sans un mot, juste le regard glacé, les yeux écarquillés. Elle était sur le qui-vive.

— Ce n’est que moi, annonça Mathias.

— Vous m’avez fait peur !

— Tout est prêt ?

— Oui, répondit-elle. Je viens à peine d’en revenir. Les soldats chargent les soutes.

 Mathias entendit l’anxiété dans la voix de la jeune femme. Il demanda :

— Elle est donc prête ?

— Oui, mais l’Arche est surveillée. Je n’y ai plus accès, jusqu’à nouvel ordre. Il a été décidé de revoir les accréditations. Vous pensez qu’ils se doutent de quelque chose ?

 Mathias regarda en direction de la salle sécurisée. Il vit le Président, derrière les vitres, discutant avec vigueur, réalisant de grands gestes pour accompagner ses propos. Il la regarda à nouveau, il répondit :

— Non, je ne pense pas. Dites-moi, que se passe-t-il ? Pourquoi tous les généraux sont là ?

 Candice soupira. Elle leva les yeux vers la salle où se tenait le Président. Elle dit dépitée :

— J’ai entendu dire que toute l’armée française se tenait en Antarctique, pour protéger l’équipe en recherche et destruction. En fait, elle sert surtout de force de dissuasion. Mais j’ai aussi entendu dire que tous les pays du monde se sont ligués contre nous, et qu’ils nous ont déclaré la guerre.

 Mathias tourna la tête de gauche à droite, les yeux clos.

— Force de dissuasion… Tu parles, personne ne peut plus nous blairer. Et comme si ça ne suffisait pas, ils veulent la détruire, elle. Ils ont cru qu’elle détruirait la Terre. Ils ne se rendent toujours pas compte que la plus grande des menaces, c’est eux… Vous dites la guerre, elle a commencé ?

 Candice le regarda droit dans les yeux, prit le temps de choisir ses mots, annonça enfin :

— Si le Président, dit-elle montrant le Chef d’État du menton, est dans tous ses états, c’est que nous subissons les feux de tous les Dieux tabous en bas, et que ce sera bientôt le cas ici aussi…

— Candice, que se passe-t-il ici ? Et sur Terre ? Je dois vous avouer que je suis un peu dépassé par les événements. Je nage en plein cauchemar.

— La folie, monsieur, la folie totale. Tout sera détruit, ici, en bas, partout.

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