31
Le sauveur, Antarctique
— Lâchez vos armes ! Lâchez-les !
L’inconnu ne bougeait pas, John et Archibald s’attendaient au pire. Il maintenait fermement dans son poing un actionneur relié à des bombes. Ils les avaient prévenus, si quiconque bougeait, il faisait tout péter. Il tapait de sa crosse de pistolet à la ceinture autour de ses hanches :
— Si vous tentez quoi que ce soit, vous mourrez tous avec moi. Si je relâche la pression, nous y passons tous. Vous, vous reculez ! ordonna-t-il aux soldats.
À l’écart, John et Archibald savaient qu’un faux mouvement précipiterait ce quatuor vers une mort certaine. Tous tremblaient, surtout eux, qui avaient en tête une autre idée que de mourir ici.
Les deux soldats reculèrent d’un pas, arqués sur leurs jambes flasques, vacillant sous le poids de la terreur.
Au loin, de lourds grondements de tonnerre, les flashs ininterrompus des éclairs et les aurores australes qui ondulaient dans cette atmosphère de tourment. La guerre totale. On ne savait pas exactement ce qu’il se passait là-bas, mais, visiblement, on avait sorti le grand jeu, c’était cataclysmique.
Soudain, la pyramide souffla. Elle dégaza. Ne manquait plus qu’elle, qu’est-ce qu’elle allait faire ? Ce n’était pas le moment, on avait d’autres problèmes à régler. Ses pores déversèrent un torrent vaporeux entremêlé de senteurs douces et sucrées, d’exhalaisons sorties tout droit d’une boutique à bonbon. Ça déraillait totalement.
L’un des soldats paniqua, sursauta, fit feu. Le projectile toucha l’inconnu au visage, qui resta pétrifié. Un sillon naquit sur sa joue droite, puis du rouge apparut, et un filet de sang ruissela.
À son tour, l’inconnu tira, déversa toute sa rage.
Le soldat qui l’avait blessé prit un jet plasma dans l’épaule. Il se crispa, son visage défiguré par un rictus de douleur, les paupières closes sur une face contractée. Il leva son arme, tira en rafale. Les balles fusèrent en tous sens, elles sifflèrent aux oreilles d’Archi et de John, qui sautèrent au sol. Le second soldat, yeux ronds et perclus de peur, sortit de sa stupeur. Il fit feu à son tour.
L’inconnu sauta à terre, se réfugia derrière un rocher, les éclats de pierre en fusion voltigeaient et atterrissaient en pluie un peu partout. Le soldat tirait, encore, il se vidait de sa haine autant par ses balles que par le cri de rage qui l’habitait. Il vociférait encore lorsque son arme fut à court de munitions. Il fut pris de court, se dit merde, mais bon, il était foutu et le savait. Il se tut, appuya sur la gâchette à plusieurs reprises, plus rien, on voyait sur son visage qu’il n’en menait pas large. Le malheureux, il avait dit à sa femme ce matin en partant que ce n’était qu’une mission de routine. Il blêmissait, tentait de recharger, lançait des regards perdus.
L’inconnu se releva, sourire de satisfaction. Il pointa son canon vers le soldat, le grilla sur place, sans crier gare.
Le dernier combattant en vie, apercevant son ami fauché, hurla de plus belle. Il se rua sur l’inconnu, l’empoigna, le fit tomber au sol. Au corps à corps, on allait voir ce qu’on allait voir, lui c’était un dur, il s’entraînait en salle de musculation virtuelle, dans le SA. Un costaud.
Ils roulèrent à terre, sur les rocailles, s’échangèrent des coups en mugissant, de douleur, de haine, de bêtise, il n’y avait plus que ça à faire.
John et Archibald observaient, impuissants, cette lutte à mort, priant que l’inconnu ne lâche pas son détonateur, ils pouvaient bien s’entretuer, mais ça, non.
Soudain, le soldat prit le dessus. Il se tenait à califourchon sur l’homme et lui envoyait des coups au visage. Il pointa son arme sur son front, lui cria à la face, lui dit toute la haine qu’il avait à son égard, ce qui se résumait en Ah ! C’était facile à comprendre.
Puis il se tut, interdit, les yeux ronds devant l’attitude de l’inconnu. Merde, ça ne tournait pas comme il l’avait cru.
L’autre, visage en sang, tenait à bout de bras le détonateur. Il souriait au soldat, montrait des dents recouvertes de sang, un regard qui demandait tiens t’as vu ? Et il relâcha le détonateur.
Un signal sonore débuta.
D’abord, des bips longs, qui en l’espace d’un instant s’intensifièrent, se rapprochèrent. Le soldat se releva, souhaita s’échapper. Mourir, oui, si ce n’était pas lui qui était concerné. Là, il voyait bien que c’était mal engagé. Et à ce qui paraissait, contrairement au SA, dans le monde réel, on n’avait qu’une seule vie. Merde alors ! John qui retenait son souffle pour deux se serra contre Archi. En vain, car, subitement, une effusion de lumière, une détonation dantesque, un souffle d’enfer.
Point final.
Ils sentirent un souffle chaud et intense, une fraction de seconde pendant laquelle ils virent le feu s’enrouler autour d’eux. Un instant où tous deux se virent happés par les flammes à combustion nucléaire, consumés, l’odeur des poils grillés, diodes calcinées en toile de fond. C’était moche à voir, à sentir. Ils pensèrent l’un à l’autre, se dirent adieu en pensées, auraient souhaité se serrer dans les bras, mais non, pas le temps. Décidément, tout s’accélérait, et pas comme ils le souhaitaient.
Déjà, il mourrait.
Son corps s’allégeait, se sublimait, vaporisé par cette explosion. Il se sentait aller, partir, flotter dans les airs. Avait-il les yeux fermés ? Il ne sut le dire. Il savait que la mort succédait souvent à un long tunnel lumineux, étincelant, il en était là, pensait-il.
Il eut froid, grelota, sentit la fièvre. Pourquoi était-ce si long ? Il se sentait lourd, agonisant, comme trainé par la faucheuse.
Il eut mal, sentit une gifle, grimaça, maugréa, ne voyait rien malgré ses paupières grandes ouvertes. Ouvertes ? Non, pas possible. Je dois délirer, qu’il pensa. Il entendait toujours la détonation, des acouphènes qui hurlaient sans fin dans sa tête, et ces cris stridents se muèrent en une mélodie, en mots, puis en phrases :
— Oh ? Eh oh ! Ça va ? Ouvrez les yeux. John ?
— Il est mort ?
— Non, il bouge.
— Oh, oui, il bouge. Regardez cette grimace comme c’est laid. Et cette odeur !
— Il vivra.
— Donnez-lui à boire.
— Oui, il doit boire, et se réchauffer.
— Blawrf !
John ouvrit les yeux. Il devinait des visages, mais ce n’était pas bien clair. Ça dansait devant lui, flouté, ça ondulait. Et puis, tout était cotonneux. Ce devait être le paradis, enfin, tout doux, des nuages. Lui, bordé dedans, dans les vapes. Ça aurait pu être agréable, cette drôle de sensation, s’il ne souffrait pas. La souffrance, c’est la marque du réel. Des brûlures sur ses bras, son front, sur tout son corps. Il gémit, grimaça. On lui parla, ça blawrfa. Ses lèvres, elles se collaient l’une à l’autre. Les ouvrir, ce n’était pas facile, surtout dans ces petits nuages qui l’invitaient au repos. Il articula tout de même, la bouche pâteuse :
— Qui vous êtes ?
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