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Trahison, Lune



 Le chef d’État en était sur le cul, il n’était plus que le président d’une poignée de Français.

— Détruite ? Anéantie ? Atomisée ? Vous vous foutez de moi, j’espère ? Et ma garde personnelle ? Et notre survie ? Et l’arche ?

— Pulvérisée, répondit Mathias.

— Quoi ? L’arche ?

— Votre armée, monsieur le Président. L’arche va bien sinon.

— Comment tout cela a-t-il bien pu commencer ? rumina le Président pour lui-même.

 Mathias resta silencieux. Il avait bien une idée sur les causes de ces catastrophes qui s’enchaînaient à vitesse grand V, mais il préférait la garder pour lui, sinon, ce serait faire trop d’honneur à cet imbécile. Il bouillonnait, n’en pouvait plus de voir ce chef d’État, ce minus, ce gringalet aveuglé par sa propre bêtise. Il fulminait.

 Tous les généraux à ses côtés restaient cois, tête baissée. Ils représentaient les vestiges d’une ère révolue, les dinosaures de l’anthropocène. Mathias n’avait qu’une hâte, prendre le contrôle de l’Arche, fuir ce lieu. Plus l’heure approchée, plus l’attente lui semblait insurmontable. Fuir les humains plus que tout autre chose.

 Le Président maugréait, ruminait des bribes incompréhensibles. Il releva la tête, arbora un visage quémandant une nouvelle réconfortante. Il s’adressa à l’assemblée :

— La lune, au moins, nous en avons le contrôle ? Rassurez-moi.

 Le général quatre étoiles à la tête de l’armée spatiale s’empressa de répondre, relevant subitement la tête. Lui, il était content de pouvoir annoncer une bonne nouvelle. Dans le Nouveau Monde qui se profilait, ça lui promettait une bonne place parmi les dirigeants.

— Oui monsieur, bien sûr !

— Monsieur avec une majuscule, le coupa le Président.

— Ah… Bien sûr, veuillez m’en excuser, Monsieur. Je disais, Monsieur, que la lune nous appartient depuis toujours. Nous continuons de refuser l’entrée à nos frontières. Seuls les vaisseaux désarmés peuvent alunir. Tous les autres restent à bonne distance du satellite, pas de parasites chez nous ! Certains se lancent dans le vide intersidéral pour éviter d’avoir à nous obéir. Pas de lâches chez nous ! Ils doivent rechercher une nouvelle planète habitable, certainement, dit-il en piaillant, l’air railleur. Ils n’en ont pas les moyens.

— Eh bien, qu’ils cherchent ! éructa le Président. Nous, nous avons l’Arche. Et nous n’avons plus aucune nouvelle de l’équipe au sol. J’en déduis la faillite de notre mission. Qu’en est-il de l’extinction ? Quelle progression ?

 Un nouveau général s’avança, il tenait une unité holographique dans la main. Il enfonça une touche sur son ordinateur quantique, puis lança l’objet en l’air, au centre de la pièce. La planète Terre apparut sous sa forme tri3d holographique, bleue, blanche et noire. Un gruyère noir, plus qu’autre chose d’ailleurs. Tous dans la salle soupirèrent devant l’évidence. Vue sous cet angle, la Terre semblait rongée par la maladie. Ce devait être la gangrène. La gangrène, on ampute, on sacrifie.

— La Terre, annonça-t-il avec gravité, est assaillie, agressée, meurtrie. Elle souffre. Son corps, un champ de bataille. Ainsi, humbles humains que nous sommes, nous assistons, impuissants, à l’éradication absolument pro…

 Le président toussa, se racla la gorge, ce gus lui rappelait Jack, il n’en voulait pas un nouveau dans son équipe. Le président coupa court, lui intima :

— Droit au panier, je vous prie, droit au panier…

— Hum hum, oui, veuillez m’excuser. Alors, hum, voilà, la terre est à présent ravagée sur plus de la moitié de sa surface. La gangrène gagne du terrain à une vitesse exponentielle, plus aucun perturbateur climatique ne peut freiner sa progression. Nous estimons les pertes humaines à plus de quinze milliards d’individus. Pour le moment, car à la fin, il ne restera plus rien. Les communications sont inexistantes pour ainsi dire. Il y a dans l’orage terrestre un électromagnétisme qui dépasse l’entendement. Bref, c’est la merde. Et permettez-moi de conclure, la tempête s’installe, ce n’est pas quelque chose de passager. Voyez-vous, les températures oscillent entre -95 °C et + 145 °C dans ces nuages dantesques que vous distinguez sur l’hologramme. Que Shiva vienne en aide aux réfugiés bunkérisés, car dans moins de trois heures, la planète sera stérilisée.

 Le président laissa planer quelques secondes de stupéfaction, scruta chacun des visages, puis, au bout d’un moment, reprit la parole.

— Pas de sentimentalisme, ce n’est qu’une planète isolée parmi une infinité d’autres. Disons-lui adieu une bonne fois pour toutes, passons à autre chose. Lancez-moi un missile supraplasmique sur cette garce de pyramide, ce sera toujours ça de fait. On ne sait jamais, des fois qu’elle survive au cataclysme. Bien, nous avons à faire. Cette vieille planète mourante n’était pas la seule dans son genre. Et l’Arche est le vaisseau qui nous mènera vers notre nouvelle terre promise. Je décrète le début de l’opération Nirvana. Mathias, à vous de jouer. Tenez, prenez les codes d’activation, vous avez quarante-huit heures pour finaliser le lancement.

 Mathias maintint le regard du président, il accepta la carte quantique qu’on lui tendait. On y était, il avait en main ce qui lui manquait. Il le remercia. Tous les généraux portaient sur lui un œil grave, chargé d’une mise en garde sans équivoque :

Toi, le sans grade, le politicard, au moindre faux pas, tu dégages, c’est clair ?

 Oui, cela l’était, et décamper était tout ce qu’il préparait depuis plus d’un an.

 Il salua l’assemblée, quitta le nid d’aigle pour rejoindre Candice dans l’amphithéâtre.

— C’est bon, lui dit-il, j’ai les codes de lancement. Tenez, voici un laissez-passer. On a à peine trois heures devant nous. Elle est prête ?

 Candice lui sourit, radieuse, elle répondit d’une voix emplie d’espoir :

— Oui, elle est en orbite autour de la lune avec son équipage. Dès que nous nous échapperons, ils sauront quoi faire. Monsieur, autre chose. L’équipe de recherche et destruction n’a pas réussi à déclencher ses bombes. C’est une bonne nouvelle. Les dernières images montrent l’officier Lou se faisant assassiner par la taupe.

— Comment va-t-il ? Comment va notre taupe ?

— Elle est morte, elle s’est fait exploser. Je suis désolée.

— Elle connaissait les risques. Sauver ou périr.

Candice sembla émue, elle serrait ses lèvres, acquiesça.

— Une dernière chose, ajouta-t-elle, juste avant qu’elle ne parte en fumée, j’ai vu un groupe d’inconnus arriver sur zone.

— Qui était-ce ?

— Je ne suis pas sûre, mais je crois qu’il s’agissait de Jack et de son majordome Georges, avec les fugitifs, Jaspert et Anouké. Je n’ai pas plus d’informations, toutes les images satellites sont brouillées par la tempête.

— Ce n’est pas la tempête. Pas qu’elle, en tous cas. La pyramide doit interférer avec la communication. Et c’est quoi cette histoire de Jack ? Qu’est-ce qu’il foutait en Antarctique ? Je n’ai jamais rencontré quiconque de plus lèche-cul et d’idiot que lui. Je n’aime pas ça. Surveille les signaux. Où en est le téléchargement ?

 Elle sourit, répondit :

— 100 %. On a réussi !

— Oui, mais ne crions pas victoire trop vite. On doit encore filer d’ici sains et saufs. Quelle quantité ?

— Quatorze milliards huit cent cinquante-sept millions. Et tout ça, sur l’IA centrale de l’Arche.

— Bon Bouddha… combien de survivants jusque-là ? Je veux dire, combien de survivants physiques ?

— Seuls les nantis, ceux qui possèdent des navettes interplanétaires, se sauvent. Quelques dizaines de millions de personnes. Plusieurs centaines de milliers de terriens se calfeutrent dans les abris souterrains. Compte tenu de la puissance en bas, je prie Bouddha qu’ils meurent sans souffrir.

— C’est une hécatombe…

 Ils méditèrent sur les conséquences de cette extinction planétaire. Mathias brisa le silence :

— Le moment est venu, vous m’accompagnez sur l’Arche, discrètement, attendez quelques minutes à ma suite. Il est temps de trouver un nouveau refuge en dehors de ce système solaire. Laissons les déshumanisés s’annihiler.

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