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Annihilation, Antarctique
— Je me présente, Bjorg Bonchamps, à votre service. Là, notre ami Jack, avec son ami Georges. C’est un androïde, mais pas n’importe lequel ! Attention ! Il a été choisi par la pyramide elle-même ! Il est le détenteur de toutes les connaissances et expériences humaines. Sa mission est d’en transmettre le contenu à la pyramide.
Georges opina du chef, il salua John.
— Et là, Anouké et Jaspert. Eux aussi ont été choisis par la pyramide. Mais dans leur cas, j’imagine que c’est un coup de chance, un billet gagnant pour la loterie. Ils sont accompagnés par Shri, leur compagnon bioméca. Il est ravissant, vous verrez.
John, cul contre terre, appuyé sur ses coudes, les salua d’une grimace. Il émergeait à peine, sans comprendre où il était, mais il souffrait, il vivait donc, c’en était la preuve. Ses avant-bras et son front présentaient des signes de brûlures au second degré. Shri se baissa vers lui, ouvrit son sac à dos pour en sortir une bouteille.
— Tenez, dit-il à John, ça soulagera vos douleurs.
John en regarda le contenu, fit une moue, dubitatif devant le liquide épais, vert, constellé de grumeaux. Il la prit à contrecœur, prêt à en boire une rasade. Il la déboucha. Un miasme ! Ça puait ! Haut-le-cœur, spasme de dégout, c’était peu ragoûtant. Mais quand on revient d’entre les morts, on ne fait pas le difficile., il allait boire.
— Non, non ! s’écria Bjorg. Ne buvez pas ça malheureux ! Appliquez-en sur vos blessures, c’est tout ! Vous verrez, c’est fabuleux !
Puis Bjorg se tourna vers Shri, lui dit tendrement :
— C’est très aimable de ta part de partager ton élixir. Je sais que cela te coûte beaucoup.
— C’est si bon que je me suis dit que cela ne pouvait que lui faire du bien. Mais, je suis désolé, je ne savais pas qu’il ne devait pas en boire.
Shri montra un visage triste, il baissa la tête vers le sol alors que Bjorg s’empressait de le rassurer :
— Tout va bien, ça part d’une très bonne intention, vraiment. Mais, c’est un humain, un pauvre humain. Les bios ne sont pas encore dans la capacité de digérer tous ces mets succulents. Je ne sais pas comment réagiraient tous ces micro-organismes nanotechnologiques dans leur corps. Laissons-les travailler en surface avant de les envoyer in vivo.
— Bon, dit Jack, ce n’est pas tout, mais si vous étiez attentif, comme moi, vous verriez que nous sommes dans le fumier jusqu’au cou, et que… oui, quoi Georges ?
Georges eut un presque sourire, entendant son maître parler. Il n’en finissait plus de s’étonner de l’entendre piétiner tant d’expressions humaines.
— Monsieur, il faut dire que nous sommes dans la…
— Georges ? coupa Jack. Je sais. Mais je sais aussi que vous avez tout à apprendre malgré ce que vous pensez. Ce que vous êtes grossier ! Vous, les robots. Bon Bouddha, ça me désole… Je disais, nous sommes pétris de problèmes. Là-bas, la tempête infernale approche, et ce n’est qu’une question de minutes avant que nous en ressentions les effets. Ici, bon ici, près de la pyramide, je vous le concède, la température est plus que clémente. Mais bon Bouddha, nous sommes plantés au milieu de l’antarctique en tee-shirt ! Ça ne vous fait rien, à vous ? Antarctique, tee-shirt ? Et sans vouloir être alarmiste, si vous leviez les yeux, vous verriez ce gros point rouge, qui grossit, grossit. Ça, mes amis, c’est le canon supraplasmique de l’empire. Je les connais, les gus, je ferais comme eux à leur place : perdu pour perdu, j’enverrai une bonne grosse salve de notre arme la plus puissante sur la pyramide ! Et ciao les problèmes !
Pour conclure, il blawrfa en toute décontraction.
Jack porta son regard vers les cieux, fixa ce point rouge qui prenait de l’ampleur, comme un soleil rouge. Jack tenait ses mains reposées sur ses hanches, son visage resplendissait d’être si clairvoyant, en toute décontraction.
On le dévisagea, à la fois estomaqués que Jack leur apprenne qu’une arme de destruction massive s’apprêtait à fondre sur eux, et surpris qu’il anticipe avec tant d’aisance la fatalité à venir. Et si calme.
— Et sinon, vous comptiez nous le dire quand ? demanda Anouké. Parce que oui, nous sommes dans la merde. Et on fait quoi maintenant ? Parce que moi, je ne vois pas de porte sur cette chose. Jaspert, fais quelque chose, je t’en supplie, je savais qu’on n’aurait pas dû les suivre…
— Ma Pupuce, ça va aller, tu vas voir. Dans le ça, il y avait toujours une solution. Je me souviens quand je partais en exploration dans le monde fantaisiste avec ma guilde, on tombait toujours sur des énigmes avec un temps limité pour en trouver la solution. Bon, c’est vrai, il fallait s’y reprendre à plusieurs fois pour les résoudre, dit-il en partant d’un rire jaune, mais on finissait toujours par y arriver !
— Hum, toussota Bjorg, et vous y arriviez au bout de combien d’essais ?
— Ça dépendait. Mais les plus difficiles, je me souviens, on râlait parce qu’on n’arrêtait pas de mourir et de recommencer. Mon record, ce doit-être mille deux cent vingt-trois mort avant d’y parvenir.
— Blawrf !
Jack, ce qu’il disait, c’était l’évidence même. Bjorg, il acquiesça, ajoutant même :
— Et vous comptez mourir combien de fois avant de réussir à tous nous sauver ?
Jaspert se caressa l’arrière du crâne, gêné, il n’en savait rien, il préféra sourire. Personne n’avait rien à ajouter.
Le déluge s’approchait. Avec lui, des vents froids mélangés à des masses d’air chaudes, des zébrures de courants électriques, partout, de quoi les terrasser. Il fallait trouver une solution, sans quoi, toutes leurs péripéties n’eurent été que vaines déambulations. Toutes les aurores australes étaient happées, asphyxiées, éteintes. Les nuages noirs, opaques et denses, s’étiraient haut dans le ciel, traversés par des éclairs étincelants propulsés en tous sens.
Leurs cheveux s’électrisèrent, se dressèrent sur leur tête. Leur corps se chargeait d’énergie. Ils ressentaient la puissance de la tempête. Elle infusait jusque dans leurs cellules, imprimait les chairs, leurs atomes vibraient avec une intensité allant crescendo.
Les androïdes s’en délectèrent. Rechargés à bloc. Archibald retrouva sa pleine puissance, Georges se sentit invincible, prêt à faire face à la fin du monde, Shri fut motivé pour aider son ami bio à trouver une issue, quitte à mourir deux fois s’il le fallait.
Anouké et Jaspert approchèrent leur main. Ils souhaitaient s’étreindre avant la fin, mais leurs doigts échangèrent un arc électrique qui les surprit.
Le courant passait entre eux.
Ils s’embrassèrent, se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, échangèrent un baiser plus intense, plus foudroyant que jamais, puis ils se regardèrent, la foudre dans les yeux, brûlants d’amour.
— On va y arriver, Pupuce !
— Oui, je sais, je te fais confiance, je t’aime.
Ils acquiescèrent, émus. John et Archibald se prirent la main, les yeux larmoyants, tout ça, ça les émouvait.
Jack se retourna vers la pyramide, l’air déterminé, il alpagua son majordome :
— Bon, l’asticot, on a une mission à finir. Viens avec le savant fou. Oui, Bjorg, c’est de vous qu’il est question. On va faire ce pour quoi on a été choisis : conclure cette mission. Nous allons traduire ces symboles. Vous autres, cherchez une entrée dans la pyramide. Dispersez-vous en plusieurs groupes afin de couvrir le plus de terrain possible. Allez, c’est parti, et au pas de course !
Jack trottina vers la façade de la pyramide. Les autres le suivirent du regard. C’est tout. À chacune de ses foulées, il relâchait un Hop hop ! Il se planta devant la paroi de l’étrange inconnue venue de l’espace, souffla sur le gaz qui la recouvrait, éloigna la nappe scintillante en battant des mains, puis dit :
— Bon…
Il fixa quelques instants la surface, se gratta la tête, il resta bloqué ainsi.
Rien.
Rien ne se produisait.
Comme d’habitude. Ce n’était pas le moment, il devait se montrer à la hauteur. Allez ! faites bon Bouddha qu’il y est une entrée quelque part !
Il devint fébrile.
— Rha ! Je n’y comprends rien, c’est usant !
Les autres, ils soufflèrent, tout était normal.
On pouvait penser ce qu’on voulait de lui, il avait en tous cas gagné en clairvoyance. C’était un début.
Puis il remarqua être seul, regarda en direction du groupe resté à l’écart, il fulmina :
— Mais c’est pas vrai ! Qu’est-ce que vous attendez ? Le déluge ? Bah, il est à nos portes, alors pressez-vous, que Krishna ! Chacun à son poste !
— Vous êtes étonnant, dit Bjorg. Il est vrai que nos marges de manœuvre sont limitées, pour ne pas dire inexistantes, mais vous prenez les choses en main ! Sans vouloir vous vexer, Jack, de prime abord, on n’aurait pas forcément envie de vous confier des responsabilités, et pourtant, en ce moment, on aurait presque envie de vous suivre.
— Blawrf !
Jack, il savait rester fier, et c’était le commandant de l’unité en prospection spatiale. Tout de même. Il n’y avait pas trente-six mille solutions, il fallait agir, on opta pour suivre les conseils de Jack.
Bjorg et Georges le rejoignirent, Anouké et Jaspert contournèrent la pyramide par l’Est tandis que John et Archibald partirent vers l’Ouest. Une pluie chaude de cendres tomba du ciel. L’obscurité les nimba. Au pied de la pyramide, le sol commença à se craqueler, ça se fissurait de partout. La Terre s’ouvrait. Les secousses sismiques s’intensifièrent, à un point tel que tous partageaient l’impression d’être secoués dans les bras d’une géante.
Jack déploya son unité portable holographique. L’image d’une pyramide numérique tridimensionnelle flotta près du groupe. Il montra à Bjorg l’écriture à transcrire, puis pointa du doigt la paroi de la pyramide.
— Nous avions ordre de vous trouver, avant que mon majordome ne perde l’esprit et sombre dans la…
Il croisa le regard de Georges, il se tut, avant de reprendre :
— Avant de se métamorphoser, voulais-je dire. Voilà. Peut-être que la clé pour entrer en contact avec la pyramide se trouve cachée dans ces écrits. Pouvez-vous les traduire ?
— Oui, avec l’aide de Georges, bien sûr. En espérant que les humains prémodernes aient développé une connaissance fine de ce système d’écriture.
— Et bien, vous extrapolerez si ce n’était pas le cas, hein. Pas de chichi, allons…
Une lueur rouge se répandit, illuminant le ciel.
— Le laser supraplasmique va être lancé ! Plus que quelques minutes avant impact ! Bon Bouddha, faites ce que vous avez à faire !
— Il n’y a rien ! s’époumona Anouké pour couvrir le vacarme ravageur de la tempête. Rien, hormis toutes ces gravures, ces écritures ! Aucune porte, aucune commande !
Une aurore rouge, là-haut, qui approche, incandescente. Une main en visière pour se protéger les yeux. C’était éblouissant. Les androïdes, eux, ils n’en perdaient pas une miette, ils fixaient le laser au travers de leurs filtres rétiniens.
Tout fut nimbé de l’éclat de la fin du monde, le jet supraplasmique touchait terre. Vaporisé, tout brûlait à des centaines de kilomètres à la ronde. Tout n’était qu’ignescence. L’Antarctique, un innommable brasier. La Terre gronda, ondula sous leurs pieds, gémissements infernaux surgissant de ses entrailles.
— Le dôme ne va pas nous protéger éternellement ! cria Jack. Regardez !
Ils se reculèrent, tête en l’air, s’éloignèrent de la pyramide. Le dôme, en son extrémité, menait bataille contre ce déchaînement tout-puissant. Il était parcouru de convulsion, ça sifflait, il perdait en intensité, il faiblissait. Puis il redevenait subitement lumineux, repoussait le jet, avant, à nouveau, de faiblir. L’affrontement final débutait. La pyramide puisait dans ses ressources, pleine puissance, tout pour se protéger. Les protéger. Pour le moment, elle tenait bon.
— Georges, dit Bjorg, connectez-vous à moi, branchez-vous ici.
Il montra une prise derrière son oreille, Georges s’y inséra, d’un doigt.
— Je vais utiliser vos connaissances pour compléter mon savoir, ajouta Bjorg. Contrairement à ce que vous pensez, tout ce savoir ne signifie rien. Rien du tout, Georges. Encore faut-il savoir l’utiliser, l’exploiter. L’expérimenter. Mes connaissances des textes tabous devraient me permettre de percer à jour ce système d’écriture. Nous n’avons plus d’autre choix que d’espérer, et de croire Jack quand il dit que la solution se trouve cachée dans ces écrits. Bien, allez-y, donnez-moi l’accès.
Bjorg fit les yeux ronds, reçut le savoir, rechercha ce dont il avait besoin.
— Voilà, j’ai accès à toutes les études sur ces écritures. Je tranche et retranche, j’élimine, induis et déduis, étudie, essaie des combinaisons. Attendez, oui, ça y est, je crois que je tiens une piste. Oui ! Ça y est ! Ça dit ! Ça dit ! Oh, Bouddha, ce que ça dit ! Oh ! Bon Bouddha ! Ça dit non d’un Bouddha !
— Mais qu’est-ce que ça dit ? crièrent-ils à l’unisson.
— Blawrf !
Oui, on était bien d’accord avec Jack : mais bon Bouddha ! ça disait quoi ?
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