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Dieu, Terre & Base lunaire
Candice s’approchait de l’Arche, amarrée sur le plus grand dock de la base lunaire. Elle arriva au dernier check-point, deux gardes en protégeaient l’accès, habillés d’une combinaison noire intégrale, visière opaque à IA vissée sur la tête. Il s’agissait de la garde d’élite. Les seuls à détenir une IA reliée en permanence à leur cerveau, une IA capable de prendre le contrôle de leur corps en cas de nécessité.
Les gardes prirent puis vérifièrent le laissez-passer tendu par Candice. Ils analysèrent ses constantes vitales, relevèrent une tension élevée chez elle, lui demandèrent :
— Que se passe-t-il ?
— Je dois préparer l’Arche, mission de la plus haute importance, je suis un peu stressée. Ça vous étonne ?
Ils ne répondirent rien. On ne répondait pas à l’impudence. Candice savait les IA en train de vérifier la conformité du laissez-passer, ses états de services, ils analysaient ses antécédents médicaux, contrôlaient la nature de ses relations, mesuraient quel danger elle pouvait représenter pour la sécurité de la base. Candice se sentit déshabillée. Les gardes balayaient toutes les données sur elle, sur ses amis. L’IA en connaissait plus sur elle qu’elle-même, c’était flippant.
— Papiers en règle. Nous faisons un rapport au commandement compte tenu de votre anxiété. Vous serez très prochainement convoquée pour un examen médical approfondi.
Elle les remercia, passa le portique quand les barrières plasma de protection s’éteignirent. C’en était fini. Il s’agissait là de son dernier contrôle de routine, la fin de la peur. Elle ne ferait plus demi-tour, c’en était un soulagement.
Elle arriva enfin au portail.
Derrière lui, les docks. Enfin, l’Arche. Sur sa droite, un panneau de contrôle. Elle plaça son index sur un écran, appuya son crâne sur un support. Une aiguille perça la peau de son doigt pour emporter un échantillon sanguin, une IA scannait ses rétines. Une diode au-dessus du panneau de contrôle passa du rouge au vert. Une sirène retentit quand les doubles portes coulissèrent. Elle patienta quelques instants, puis traversa.
Gigantesque.
Chacune de ses venues ici la laissait telle qu’au premier jour, étourdie.
L’Arche flottait dans les airs, une caravelle des temps modernes. Le vaisseau disposait des toutes dernières technologies. Voiles solaires de secours qui scintillaient dans le clair-obscur du hangar, propulseurs nucléaires, ioniques, et plasmiques, dégageant une perpétuelle vapeur depuis leurs réacteurs. Et la technologie pour le voyage supraluminique, enfin, cette technologie qui devait permettre au Président d’aller coloniser une nouvelle planète. Le seul de la flotte impériale française, le seul du système solaire.
Elle prit le temps, encore, de détailler les formes de l’Arche.
Mate, allongée, légèrement courbée, aérodynamique, elle disposait d’ailerons sous sa coque, d’une excroissance sur le dessus. Tout cela donnait l’impression d’avoir affaire à un voilier spatial, d’un poisson ailé. Seule une partie de ses capteurs solaires était déployée. Le hangar, bien que monumental, ne possédait pas l’espace suffisant pour accueillir les cinq mille mètres carrés de voilures.
Elle s’avança sur les quais, rejoignit une nacelle à sustentation magnétique. L’engin franchit les cent cinquante mètres la séparant de l’Arche.
L’une des soutes du vaisseau était ouverte, celle par où on était venu ravitailler le vaisseau pour le grand voyage. Ce qui était sûr, c’est que Candice et Mathias ne manqueraient de rien, comme tous ceux qu’ils pourraient sauver en route. Elle s’arrima au quai de chargement du navire, pénétra à son bord. Dedans, quelques individus portaient du paquetage, ils sanglaient des caisses métalliques contre les parois du vaisseau. On la salua. Elle rendit la pareille, les laissa finir. Mission de routine, leur dit-elle.
Elle marcha longuement sur une passerelle, ses pas résonnaient. Au bout, elle ouvrit une porte surmontée de l’inscription Équipage.
Elle se trouvait à présent dans la partie habitable. L’intérieur était spartiate. Construite en un an seulement, l’Arche disposait du confort minimal. Elle emprunta la coursive. De part et d’autre du couloir, des dizaines de portes alignées s’ouvraient sur autant de cabines. Lit simple, double ou superposé, une toilette, une douche sans parois, un casier métallique, un petit bureau aux bords à angle droit. Par-ci par-là une maigre pièce commune pour se détendre. Les matelots mèneraient la vie dure.
Nouvelle porte. Réfectoire. Elle entra. L’intérieur n’était qu’une succession de tables et de bancs. Austère. Froid. Métallique. Une porte à l’écart menait aux salles à manger privées des officiers. Pour avoir déjà visité ces quartiers, elle trouvait le contraste inadmissible. Cette zone luxueuse et chaleureuse était richement décorée de tapis orientaux, des antiquités sans prix, de tables rondes recouvertes de dentelles, d’une cuisine privée aussi grande que celle réservée aux matelots. Depuis ce salon, les gradés avaient également accès à leurs appartements personnels. Des chambres douillettes préparées afin de recevoir des familles entières. Quant aux familles des matelots, on avait prévu de les cryogéniser. Deux membres, pas un de plus, par soldat. Enfants ou parents, il fallait choisir. Des caissons, il y en avait des milliers dans une autre soute.
Les officiers, de leur logement, ils pouvaient rejoindre le centre de commandement. Tout était fait pour qu’ils n’aient pas à croiser les matelots de bas étage.
Candice parcourut le réfectoire. Elle pressa le pas, dépassa les salles de repos, d’entraînement, de culture, de loisirs. Elle arriva à une nouvelle porte à doubles battants. Elle l’ouvrit puis continua. À gauche, un escalier menait aux salles des machines au sous-sol, à droite, un autre descendait dans les entrailles du navire, vers la soute principale. Cette dernière se faisait appeler Le ventre et se composait de quatre espaces distincts.
Elle avança. De part et d’autre du couloir, des allées transverses menaient aux postes de combat. L’Arche n’était pas qu’un salut, mais une terrible machine de guerre.
Elle arriva au bout du couloir. Nouvelle porte, triple blindage, accès sécurisé. Elle fut scannée, analysée, puis elle tapa le code d’entrée. La porte s’ouvrit.
Elle vit d’abord la table principale de commandement, une unité holographique permettant de visualiser les trajectoires à emprunter pour les voyages, à monter des hypothèses, à calculer des probabilités, à recueillir les signes vitaux du vaisseau.
Des postes, des fauteuils vides, pour le moment, des places réservées à des données bien précises. Stabilité énergétique, fiabilité de trajectoire, analyse de l’intégrité de la structure et du propulseur supraluminique.
Elle contourna la table de commandement, retrouva Mathias au poste de pilotage.
— Coucou.
Il se retourna, bouche entrouverte, tendu, surpris.
— Candice ! Bien… J’ai fini de vérifier les voiles solaires. Les derniers vivres sont embarqués. Tu as dû croiser les hommes dans la petite soute. Je pense que tout est prêt. Bon, vérifie les écrans de contrôle, dis-moi s’il y a encore du monde dans l’arche.
Elle s’installa à ses côtés, fit défiler les images des caméras.
— Je ne vois plus personne. Tu veux que je lance les drones pour vérifier ?
— Lance un scan-écho, ce sera suffisant.
Elle appuya sur son écran, fit défiler une fenêtre, puis une autre, un signal sonore retentit, elle attendit quelques secondes, annonça finalement :
— C’est bon, RAS.
Mathias se recula à fond dans son siège, il ferma les yeux, garda la bouche ouverte, une pointe d’anxiété, de délivrance. Il expira, longuement, expurgeant ses années de stress, de ras-le-bol, de lassitude, de désespoir.
Candice le regarda faire. Elle sentait son cœur battre la chamade, mais pour la première fois depuis longtemps, c’était d’excitation.
— Bien, finit-il par dire. On réveille l’imbécile.
— Je n’ai jamais aimé cette façon de la nommer. Mathias, on ne pourrait pas lui donner un autre nom ?
— Pardon, c’est comme ça qu’on me l’a présentée, et c’est resté. Choisis.
Candice sourit, à nouveau, et dit, joyeuse :
— Astraia !
— Astraia ? Bien, alors renommons-le. L’imbécile, prépare-toi.
Une voix surgit dans la salle, une voix féminine, limpide, claire :
À vos ordres, monsieur.
— Bonjour, pour commencer, nous te renommons Astraia, tu répondras sous cette appellation.
Bien, monsieur.
— Astraia, lance la séquence de démarrage, verrouille le vaisseau.
L’arche ronronna, tous les postes de contrôle s’illuminèrent, la salle s’éclaira comme en plein jour. Une belle journée de printemps. L’air s’emplit d’effluves apaisants préprogrammés. Ils furent chahutés quand le vaisseau désengagea ses ancres. Ils perçurent le crissement des chaînes frottant la carlingue. La soufflerie se mit en marche et la salle, en un instant, se réchauffa, jusqu’à atteindre une température douce, parfaite.
Séquence de démarrage achevée. À votre écoute.
— Bien, alors suis la procédure, allons chercher de la vie, ailleurs, loin d’ici.
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