35
Pyramide, pyramide
— Alors, qu’est-ce qu’elle dit ? crièrent-ils d’une seule voix.
— Bon Bouddha…
Bjorg restait collé à la pyramide, une main sur sa paroi, il bafouillait, n’en revenait pas, c’était d’une absurde évidence.
— Elle dit, elle dit… Eh bien, ce que ça dit n’a aucun sens, eh eh ! Elle nous souhaite la bienvenue à bord, et un bon voyage. Elle nous invite en son sein ! Et ce n’est pas moi qui le dis !
Anouké regarda Jaspert, médusée :
— Un robot maboul, voilà où on en est. La fin du monde qui vient de la Terre et du Ciel, entourés d’androïdes immatures et de bios qui le sont plus encore. C’est vraiment la fin cette fois, c’est certain, c’est la fin.
Anouké s’approcha de la pyramide d’un pas déterminé, poings fermés le long du corps, rageuse, et lança une main contre la paroi.
— Que du vent !
Bjorg se recula, revint vers le groupe, le visage marqué, déçu.
— C’est incompréhensible, je suis désolé. Je croyais pourtant, je croyais vraiment qu’elle venait nous sauver, qu’elle s’adresserait à nouveau à moi, à nous, mais non…
— Et pour rentrer ? Être à l’abri ? vociféra Jack qui n’en pouvait plus de voir le savant fou.
Il ne répondit rien, regarda encore les inscriptions. Dépité.
— Bon, dit Jack, on a compris, vous n’en savez pas plus.
John, il murmurait qu’il y avait forcément une solution, que ce serait trop absurde sans cela. Archiblad, l’absurde, il connaissait, il vivait entouré d’humains, mais il n’en dit rien. Son bio, il lui faisait de la peine.
— Ça va aller, lui susurra Archibald.
La Terre rugit, elle hurla, le sol se fissura, se déroba sous leurs pieds. Ses spasmes les firent vaciller.
Le dôme d’énergie craquelait, son énergie protectrice allait faiblissant. Soudain, une fraction du jet supraplasmique passa au travers. Un fin rayon siffla en filant sur le sol. Le plasma toucha la neige, vaporisa les roches, s’enfonça dans les entrailles de la planète. Puis, un nouveau jet, et un autre, et une pluie de rayons s’abattirent autour d’eux.
Ils crièrent, se plaquèrent à la pyramide, virent les roches en fusion, la lave remonter des entrailles de la Terre. Enfin, il y eut un tonnerre assourdissant. Le dôme lâchait.
Le déluge de tirs s’intensifia, le grondement céda la place à un hurlement. Le dôme anéanti, le jet principal fila sur eux.
La Terre s’ouvrit, la pyramide chavira, s’effondra dans un gouffre sans fond.
Ils sentaient le sol se dérober sous leurs pieds, la chaleur les envahir. Ils fermèrent les yeux, se crispèrent, tétanisés, hurlèrent. Et Shri, pauvre petit, il pleurait. Bjorg, ça lui serra le cœur. Si jeune… Anouké pensait à Jaspert, Jaspert à Anouké, ils s’enlaçaient. Jack ruminait, il lâcha un Blawrf ! de bravoure, rien ne l’apeurait. John et Archibald s’avouèrent leur amour. Seul Georges regardait droit dans les yeux la mort en face.
La Terre fracturée les emporta tous en son sein alors que le jet de plasma touchait la pyramide.
Pour eux, l’aventure touchait à son terme, dommage, si près du but.
Ils sentirent la chaleur, ils étouffèrent, leurs poumons asphyxiés.
Ils chutèrent.
L’obscurité s’abattit sur eux.
Puis, la chaleur s’estompa. L’impression de tomber se mua en une sensation de légèreté, de paix.
Le vacarme se tut.
Ce n’était pas le silence, mais une mélodie muette, un chant intime, profond et apaisant. Le goût de charbon s’effaça à la faveur de délicates saveurs.
— Nous sommes arrivés, dit Georges. Vous pouvez ouvrir vos yeux.
— Où sommes-nous ?
— Peut-être mort ?
— Ou dans un niveau caché.
— Blawrf !
— Rester sur vos gardes !
— Ça va aller, je crois.
Bonjour. Je suis ravie que vous m’ayez trouvée. Je crois que votre périple a été riche en émotions. Mais quand on pense à tous ces malheureux, toutes ces souffrances depuis des siècles et des siècles – et les siècles à venir ! – l’on peut dire que vous êtes chanceux !
— C’est quoi cette voix ?
— On ne voit rien ici.
— Qui a parlé ?
— Montrez-vous !
— Je n’aime pas ça.
— Je ne crois pas qu’elle nous veuille du mal.
— Blawrf !
Oui, c’est vrai Jack, et je ne vous veux aucun mal. Enfin, je crois. Je suis votre nouvelle hôtesse, pour répondre à votre première question. Votre nouvel habitat. Pour être plus exacte et utiliser un concept qui vous est familier. Je suis votre nouveau moyen de transport. Votre vaisseau.
Ils faisaient cercle. Leur corps émettait une lumière diffuse, les lieux voilaient d’ombres mouvantes. Ils se déplacèrent, regardèrent leurs pieds, eurent l’impression de se tenir sur du vide.
Jaspert voulut poser sa main au sol, ses doigts ne rencontrèrent aucune surface, aucune résistance. Il plongea son avant-bras. Il s’enfonça jusqu’aux épaules, passa son corps entier, finit par se retrouver la tête en bas, retourné. Il paniqua, battit des bras, plana, en apesanteur.
Tous voltigeaient, légers. La lumière s’intensifia. Un endroit aux parois noires comme l’onyx. Des marques gravées dans le sol, circulaires.
Il y avait des sièges, tels des trônes, aux accoudoirs taillés dans la masse, d’aspects granitiques, surdimensionnés.
Voilà, vous me voyez à présent.
— D’où vient la lumière ?
De moi. De vous.
— Et où êtes-vous ?
Ici, tout autour de vous.
— Mais qui êtes-vous pour l’amour de Bouddha ?
Pour Bouddha, pour vous, ou n’importe qui d’autre, je suis désormais sous vos ordres, et je ne vous veux aucun mal.
— Mais, qu’est-ce que vous voulez de nous, que Krishna ?
Et vous ? Que voulez-vous de moi ? Un refuge peut-être ? Je crois que la planète Terre est en bien piètre état. Je me suis hâtée pourtant, mais il faut avouer que les humains sont d’incorrigibles fouteurs de merde, passez-moi l’expression, il faut savoir dire les choses.
— Notre hôtesse ? Un vaisseau ? Un refuge ? s’interloqua Anouké. Mais on parle de quoi, exactement ?
D’une planète. Une planète vierge que vous pourrez habiter, comme la Terre autrefois. Un endroit où vous pourrez faire prospérer la vie. Enfin, rien ne vous y oblige. Une planète que vous m’aiderez à trouver et à dompter, grâce à vos connaissances, à vos histoires.
Jack maugréa :
— La bonne idée, comme ça on pourra recommencer à tout détruire !
Jack, il s’agit de ne pas répéter vos erreurs passées, c’est pour cette raison que j’ai besoin de Georges. Qu’il soit la mémoire humaine, qu’ensemble nous ne fassions rien de ce qui a été réalisé par le passé. Je suis sûre qu’il prodiguera de merveilleux conseils. Au pire, ne faites rien si vous avez peur de vous tromper. Je vous comprendrai.
— Madame, demanda Shri, c’est quoi ce vaisseau ? On est où ?
Un magma rougeoyant apparut soudainement tout autour d’eux. Ils portèrent une main devant leur visage, s’attendirent à brûler sur place, imaginèrent le feu consumant leurs chairs.
Le sol venait de disparaitre.
Jack relâcha un cri, un long sifflement. Anouké plaça une main sur le torse de son ami, se plaça devant lui, cherchant à le protéger.
Ils étaient entourés de lave.
Vous êtes ici, au centre de la Terre. J’aime ce lieu, je le trouve calme et apaisant. N’est-ce pas ? Regardez ces ondulations, ces implosions, ces vagues douces et puissantes, ces contrastes d’enfer. Merveilleux !
— C’est de la folie… Et maintenant, on entend des voix. Une voix qui nous dit être un vaisseau et qui nous montre le centre de la Terre… Jaspert, nous sommes morts, ne cherche pas plus loin. Si ça se trouve, on est dans le SA.
— Ça va aller ma Pupuce, ça va aller.
La pyramide rigola, elle la réconforta, lui assura qu’elle était encore en vie. John et Archibald essayaient de toucher, de ressentir le chaud, de palper le magma. En vain.
— Il n’y a rien, dit John. Rien du tout. Ce n’est qu’une image vide, une illusion.
Je n’allais tout de même pas vous brûler ! Bien sûr, c’est une illusion, mais vous savez ce que c’est, le Système Augmenté, les unités quantiques holographiques. Tout cela vous est bien familier. Bien, je vais vous expliquer, ensuite vous serez libres de m’accompagner, ou non.
Soudain, le noir. Puis, à nouveau, une douce clarté. Ils se retrouvèrent assis dans les fauteuils, la pyramide reprit sa consistance. Une table apparut. En son centre, flottant au-dessus d’un plateau à l’apparence du marbre, une flamme bleutée, laquelle dégageait d’apaisantes émotions, ondulant comme le feu d’une bougie.
— Bonjour, dit une voix. Ravie de vous rencontrer en chair et en os. Je suis ce que vous appelez la pyramide. Je connais les questions qui taraudent vos esprits, je vais essayer d’être aussi exhaustive que possible, de répondre à vos interrogations. Pour commencer, je ne sais pas vraiment ce que je suis, ne connais pas tout à fait mon âge, ne sais pas d’où je viens et pourquoi je suis constituée de la sorte. Ce que je sais maintenant. Je suis bien plus âgée que vous, plus évoluée en quelque sorte, bien que cette assertion soit erronée. Je suis à la fois minérale, organique, artificielle, biologique, informatique.
— Vous êtes un beau bordel.
— Ah ! ah ! Oui. Mais je m’ennuie. Je m’ennuie à mourir… Je m’ennuie, alors j’ai décidé de sauver les habitants de la planète Terre. Je n’ai pas un emploi du temps contraignant, j’ai cherché quelque chose à sauver, je suis tombée sur vous. Je ne suis pas difficile. Bon, j’arrive un peu tard, rigola-t-elle, mais mieux vaut tard que jamais, à ce qu’il paraît. Je ne sais pas pourquoi, mais vous, je vous aime bien, alors je vous ai invité ici. C’est bien, n’est-ce pas ? Et maintenant, je suis à vos ordres.
— Nous sommes morts. Ou fous. Ou les deux.
Le vaisseau s’illumina. Devant chacun d’entre eux, des tablettes surgirent du sol, surmontées d’écrans holographiques. Une soufflerie se mit en branle, l’atmosphère se purifia, les parois vibrèrent, le métal de la carlingue crissa.
— Je prends un aspect qui vous est familier, cela permettra de vous familiariser avec mon existence.
Le sol fut remplacé par une vitre. Sous leurs pieds coulait un torrent de feu. Ils se fixèrent, éberlués, sentirent une force les plaquer dans leur siège. Ils s’élevèrent.
La pyramide quittait le centre de la Terre, déchirait ses entrailles dans un tintamarre de tous les diables. Soudain, la progression sembla plus aisée. La pyramide les avertit :
— Nous sortons de la croûte terrestre. Nous sommes à présent dans l’atmosphère de la planète, du moins, ce qu’il en reste.
Ils baissèrent la tête, observèrent à l’extérieur, dehors, la planète. Ils voyaient désormais la tempête et ses nuages destructeurs. Ils montaient toujours plus. Bientôt, ils devinèrent la courbure de la Terre, virent la planète entièrement recouverte de tempêtes apocalyptiques, foudroyée de toute part, submergée par les ténèbres.
Puis la Terre emplit leur champ de vision. Une boule noire parcourue de zébrures, d’éclairs, dont les contours disparaissaient dans le vide intersidéral. Leur corps se décolla, en apesanteur, la pyramide les intima de se tenir bien assis. Des sangles surgirent pour les maintenir contre leur fauteuil.
— Gravité artificielle dans trois, deux, un.
Ils se tassèrent contre leur assise, ressentir une force les attirant vers le bas, mais moindre que celle qu’ils éprouvaient sur Terre. C’était bien pratique, on se sentait à son aise. Une alarme retentit. Aussitôt, ils furent détachés. La pyramide les invita à se lever, à visiter les lieux, à les apprivoiser, et ils commencèrent à déambuler. Ils levaient la tête, regardaient à gauche, à droite, le sol, dans les coins, sans un mot. C’était irréel, mais ils se sentaient bien.
L’un d’entre eux demanda :
— Et maintenant ?
— Maintenant ? répéta la pyramide. Que diriez-vous d’aller visiter une nouvelle planète ?
— Mais, et les terriens ? demanda Shri.
— Exterminés.
— Tutut, fit Jack en deux bruits de succion réprobateurs, il reste la base lunaire, et Mars.
— Vous comptez vraiment rendre visite aux derniers terriens exilés ? Ceux-là mêmes qui ont envoyé une arme de destruction massive sur votre tête ?
— Et mon androïde ? Mon amie ? demanda Anouké. Elle travaillait sur la lune. Hors de question de m’en séparer !
— Ne vous en faites pas Anouké, répondit la pyramide. Votre amie sera bientôt en sécurité. Je suis sûre que sa conjointe viendra la sortir du pétrin dans lequel elle est.
— Sa conjointe ? Dans le pétrin ? Oh, la chipie ! Elle aurait pu me dire au moins qu’elle avait une petite copine ! Mais comment vont-elles ?
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