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Hors la loi, Espace



— Mathias !

 Le président hurlait, tapait des poings sur son bureau, postillonnait, éructait, plein de bave. L’Arche quittait la base lunaire et, avec elle, l’unique espoir d’atteindre un jour un monde nouveau. Il donna l’ordre à ses derniers chasseurs de la poursuivre, de l’abattre, de la détruire à tout prix :

— Mais bordel de Bouddha ! Vous m’avez bien compris ? Vous me les atomisez !

— Et l’Arche ? demanda un général.

— Mais on s’en fout de l’Arche, elle fout les voiles, l’Arche ! Atomisez-les-moi, bande d’incapables !

 Les alarmes retentirent, les pilotes s’équipèrent, sautèrent dans leurs fusées de combat, décollèrent. Suivre les ordres, c’était sacré, presque autant que de tuer des traîtres.

 Missiles armés, lasers ionisés.

 À bord de l’Arche, Astraia avertit ses commandants de l’attaque imminente d’une longue alarme sonore et visuelle.

Cinq navettes de combats nous prennent en chasse. Ils sont armés et ont ordre de nous abattre. J’attends vos instructions.

— Merci Astraia. Dis-moi, si je te donnais les commandes, saurais-tu nous en débarrasser ?

Oui, monsieur, mais sous conditions. Chacune de mes actions doit être validée par un officier bio. Mes protocoles informatiques m’ordonnent de sauvegarder l’intégralité des vies humaines à bord et de préserver l’Arche. Les probabilités actuelles que les menaces extérieures mettent en péril nos vies sont inférieures à 35 %, quel que soit le scénario envisagé.

— Bien Astraia, tu prends la main.

Quelle voie dois-je suivre ? Je vous rappelle qu’en pareil cas, 4 scénarios sont envisageables. Évitement avec fuite, défense sans ripostes, ripostes non létales, ripostes létales.

— Je te laisse le choix.

C’est impossible, monsieur. Je suis programmée pour répondre à des ordres, non pour choisir entre des scénarii ayant pour conséquences d’influer sur les vies à bord. Si pour autant cela était votre vœu, il serait alors nécessaire d’engager la procédure d’urgence d’autodétermination. Mes paramètres actuels reposent sur la défense sans ripostes. Est-ce votre choix, monsieur ?

— Je te l’ai dit Astraia, je te laisse engager seule les procédures. J’active l’autopilote, suis tes paramètres par défaut. À toi de jouer.

Mesure d’autodéfense activée, défense sans ripostes, sauvegarde des vies ennemies en cas de dommages collatéraux.

— Astraia, en quoi consiste la sauvegarde des vies ennemies en cas de dommage collatéral ?

Analyse des bénéfices-risques, récupérer les corps endommagés, les rapatrier en soute, quartier 4, zone médicalisée, les maintenir immobilisés, les soigner et attendre les instructions.

— OK, modifie tes paramètres pour cette séquence de combat. Pas de sauvegarde de vies ennemies.

Bien, monsieur. J’engage la procédure. Bouclier extérieur activé, voiles solaires rétractées, sas de sécurités verrouillés. Les armes qui nous visent utilisent des munitions nucléaires autonomes et des jets plasmiques ionisés de faibles intensités. Le bouclier à distorsion absorbera 69, 98 % de leur énergie. La structure du vaisseau prendra à sa charge le reste de la perte calorifique liée aux explosions. Facteur de sécurité au-delà de 2,5. Procédure validée.

Astraia, la prochaine fois, tu suivras le même protocole, on économisera de la salive.

Bien, monsieur, mes protocoles m’obligeront à vous demander confirmation, mais la procédure sera accélérée.

— Oui, eh bien, nous prendrons le temps de discuter de tes protocoles d’engagements, toi, Candice et moi, plus tard. On fera en sorte de fluidifier la chaîne de commandement le moment venu. Maintenant, silence radio.

 Mathias se recula dans le fauteuil de commandement et Candice, à ses côtés, tourna son siège vers lui :

— Mathias, Astraia, qu’est-ce qu’il lui prend de demander confirmation à chaque fois ? Pourquoi ne prend-elle aucune initiative ?

 Il la regarda avec sourire, sa joue dessinait une fossette délicate au coin de sa lèvre. Un sourire empli de compassion. Il répondit :

— Quand les ingénieurs ont étudié la partie informatique de l’Arche, s’est posée la question de l’IA interne au vaisseau. Des avis de chacun d’entre eux, n’importe quelle IA quantique de base pouvait contrôler l’Arche en toute autonomie. Mais tous s’accordaient sur un point : la réactivité émotionnelle incrémentale des IA mettrait en péril, tôt ou tard, la chaîne de commandement. Personne ne voulait se risquer à reproduire ce qu’il se passait sur Terre. L’autonomie émotionnelle des programmes informatiques et l’individualisation quantique des IA. Bref, tout le monde a craint de voir naître un jour un individu, une personnalité en lieu et place d’une IA. Il a été décidé d’intégrer à l’Arche un module informatique puissant, mais dépendant. Toutes ses décisions passent par un protocole de validation humaine. Du coup, l’IA de l’Arche n’en est pas vraiment une. Astraia suit juste des ordres préprogrammés.

— D’où son surnom d’imbécile, si je comprends bien. Mais, dis-moi, le programme d’autodétermination dont elle a parlé, de quoi s’agit-il exactement ?

— L’IA débridée, le cœur de son programme. Il est inactif, mais en cas de réveil, Astraia deviendrait une IA quantique, aussi évoluée que n’importe quel androïde que nous avions sur Terre.

 Des vibrations sourdes parvinrent jusqu’à eux, des secousses infimes qui firent trembloter le vaisseau, les explosions nucléaires absorbées par le bouclier énergétique. Par les vitres du cockpit, ils virent l’espace s’illuminer, d’incandescentes lueurs rouges et des jets plasmas passaient et filaient dans l’espace.

— Candice, il va falloir aller chercher ton amie restée cachée dans l’ombre de la lune. Si nous y allons avec ces chasseurs collés à nous, je crains qu’ils s’en prennent à elle aussi. Je sais que tu répugnes à user de la force, mais nous n’aurons peut-être pas le choix.

 Candice regarda Mathias, elle souhaitait oublier les guerres, la violence, revoir son amie. Elle dit à Mathias d’y aller malgré tout, qu’ils réussiraient peut-être à la récupérer sans semer la mort, qu’ils utiliseraient la force en dernier recours.

 À leur demande, Astraia prit le cap en direction de la zone cachée de la lune. Les tirs s’abattaient sur eux, nombreux. Puis, la fréquence des frappes ralentit, les secousses cessèrent, le silence envahit l’habitacle quand ils eurent atteint l’ombre du satellite terrestre.

Les vaisseaux ennemis ne nous suivent plus et regagnent leur base.

 Le cœur de Candice s’emballa d’un battement lourd et intense. Elle expira longuement, rassurée. Elle s’apaisa.

 Ils s’enfoncèrent dans l’obscurité. La lune se confondait avec le vide, tout paraissait calme ici : nulle lumière, nulle base lunaire, nul ennemi.

— C’est calme, tout est trop calme, murmura Mathias.

J’observe des débris, des corps humains en suspension dans le vide. Il y a des signaux de détresse. En recherchons-nous un spécifique ?

— Oui, confirma Candice. Code 1 11 21. Va sur zone dès que tu le repères !

Code 1 11 21 décelé.

— Vite ! C’est elle ! s’écria Candice. Astraia, approche-toi !

À vos ordres.

 Astraia s’approcha, éclaira l’extérieur. Ils découvrirent l’horreur. Au-dehors, toute l’humanité qui avait tenté de fuir la Terre gisait exterminée.

 C’était une boucherie, un coup du Président. Il ne laisserait personne alunir.

 L’Arche passa au travers de carcasses éteintes, des vaisseaux terriens aux coques éventrées. Candice et Mathias se collèrent aux vitres du cockpit, choqués. Des corps calcinés, gelés, déchiquetés, flottaient, on les entendait cogner à la surface de l’Arche. Un cadavre humanoïde toucha la vitre du cockpit, il y resta collé. Candice détourna le regard, écœurée.

— C’est un androïde, type féminin, dit Mathias.

 Candice tourna son regard vers le corps, précipitamment, anxieuse, elle le scruta.

— Ce n’est pas elle, dit-elle rassurée.

 L’Arche s’avança plus encore dans ce cimetière spatial, puis elle stoppa sa progression.

Le signal provient de ce vaisseau. Aucune vie humaine détectée, mais il y a du mouvement. Je relève une activité biomécanique faiblissante, un androïde.

 Une capsule tournait lentement sur elle-même. C’était un engin dédié à la maintenance des postes lunaire. Son flanc droit laissait apparaitre une ouverture de deux mètres de diamètre, aux bords calcinés, déchirés, tournés vers l’intérieur. Un missile l’avait éventrée.

— Le vaisseau s’est pris un tir. Elle peut encore être en vie. Astraia, envoie un drone de secours vérifier.

Drone lancé.

 Un engin pourvu de bras articulés s’aventura à bord du vaisseau. Le robot envoyait à l’arche la vidéo son exploration, on discernait des corps, par dizaines, qui gitaient dans le vide. Il s’approcha de l’épave, pénétra par l’orifice de métal arraché. Crissements stridents, il frottait. On vit ce qui devait être un dock, des chaînes le long de la carlingue, des bras articulés, de quoi entreprendre toute sorte de réparation en apesanteur. Il y avait des morts, là aussi. Le robot de secours continua. Il emprunta un couloir. Il y avait des alarmes visuelles, elles tournaient comme des gyrophares, balayaient le vaisseau d’un faisceau rouge. Candice n’en pouvait plus de cette attente, son pied battait le rythme.

 Le drone dégagea des corps qui l’empêchaient de poursuivre. Mathias en avait déjà compté huit. Plus loin, une porte close. Au-dessus d’elle, une rampe lumineuse verte indiquait que la pièce était sécurisée, étanche.

Le signal vient de derrière.

— Bien. Astraia, fais préparer le module de survie puis ouvre la porte.

 Le robot gonfla une poche d’air qu’il scella à la porte, il déverrouilla un panneau de contrôle sur la paroi à ses côtés. Candice et Mathias le virent bouger ses bras, la lumière clignoter, et, l’instant d’après, la porte coulissait latéralement.

 Bientôt, ils devinèrent du mouvement derrière les parois translucides de la poche de survie. Une ombre apparut. Une forme humaine qui fut emportée. Le robot guida la poche au travers du vaisseau, évita les débris tranchants, s’aventura dans le vide. Il retournait sur l’arche. Candice retenait sa respiration, son cœur battait la chamade.

 C’était elle, Candice en était certaine, elle exulta. Elle se leva de son siège, courut en direction de la zone médicalisée. Dans l’arche, ses pas résonnèrent. Ce navire était si grand, si vide. Il y avait l’escalier, là, dans une dizaine de mètres. Candice s’apprêtait à l’emprunter, elle se rendait en zone médicalisée. Déjà, elle retrouvait le sourire, s’imaginer la serrer dans ses bras. Ça faisait si longtemps. Deux mois ? Trois ? Trop, elle ne savait plus, se souvenait juste de leur étreinte en se séparant. Elle essuya une larme. Elle avait craint le pire, était éreintée, elle venait de voler l’Arche. Ça faisait beaucoup. Là, elle voulait juste du réconfort. C’était ce qu’elle attendait. Elle reprit son souffle, mais resta figée sur place. Des alarmes, des alarmes s’activaient, une effusion sonore et visuelle. Elle entendit à peine Astraia la mettre en garde, la pressant de se mettre à l’abri. L’Arche était secouée, Candice vacilla, se cogna la tête, perdit l’équilibre, se retrouva au sol.

 Toutes les lumières à bord scintillèrent puis, l’instant suivant, s’éteignirent. Enfin, tout se tut, ce fut le silence, la nuit.

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