40
Seul au monde, Espace
— Tu crois qu’il dort encore ?
— Je ne sais pas. Attends, regarde, il bouge les paupières.
— Ah…
— Chut, on va le réveiller !
— Hi hi !
— Ah… On est où ? Je suis mort, c’est ça ?
— Hi hi !
Mathias gémissait déjà depuis une dizaine de minutes, on ne l’avait pas attendu pour prendre la route, on était déjà loin. Les absents ont toujours tort, à ce qu’il paraît. Son œil gauche tressaillit, rougi, vitreux. Il referma ses paupières, sombra à nouveau, avant de se réveiller pour de bon cette fois. Qu’il était fragile !
Shri et Bjorg rigolèrent, lui touchèrent la joue, repartirent en courant :
— Jaspert, Anouké, il se réveille, il se réveille !
— Chut, la pyramide aussi. Regardez la flamme, elle grossit, elle se revigore. Elle danse de plus en plus.
Ils regardèrent ce feu doux et fragile, dansant et gitant doucement, luisant par moments d’une vive intensité, bleue, et rouge, orange, et parfois blanc. Et vice versa. Mais là n’était pas la chanson. Elle allait mieux.
La pyramide était nimbée d’une aura calme et apaisante. Silencieuse. Une odeur discrète, fruitée, caramélisée, de barbe à papa et de pomme, flottait dans l’air.
Georges était assis au poste de commandement principal. Il fixait Astraia, reposée sur le tableau de bord devant lui. Il se tenait immobile, sans avoir bougé d’un iota depuis la fin de l’explosion, il y avait de cela plusieurs heures.
John et Archibald se reposaient dans leur quartier. Ce vaisseau était rudement bien fait, il y avait autant d’espace que de besoin, et on s’y sentait bien.
Bjorg n’en finissait plus de découvrir la pyramide, son corps, son organisme comme il le disait.
— Je n’en reviens pas ! Regardez-la ! Regardez ça ! Elle s’est transformée. Elle a profité de ce que l’on soit à l’intérieur de l’Arche pour se métamorphoser. Incroyable ! Ça ressemble à un vaisseau tout ce qu’il y a de plus humain. Enfin, presque, formula-t-il en passant sa main sur une surface qui dégoulinait d’une matière organique verdâtre et gluante.
Jack était dans son trône. Il ne maugréait pas, pas tout à fait. Ses jambes battaient le rythme, il s’impatientait, espérait que la pyramide se réveille enfin et les renvoie à l’aventure. Il n’en disait rien, mais les péripéties lui manquaient déjà.
Candice se tenait à côté d’Iphis, lui tenait la main, la regardait souvent. L’androïde portait un cache noir sur l’œil. Elle ressemblait à un pirate. Shri lui avait dit que la pyramide la soignerait, quand elle se réveillerait. Elle voulait bien le croire : quelles avaient été les chances qu’elles puissent se revoir un jour ? Tout pouvait arriver. Maintenant, elles étaient ensemble. Et puis, le pire était derrière. Qu’est-ce qui peut être pire qu’une extinction ?
Enfin, Candice rencontrait les parents d’Iphis. Elle en était si heureuse. Ses jeunes parents. Elle les trouvait gentils, attentionnés. Anouké un peu râleuse, et Jaspert légèrement nonchalant sur les bords, mais vraiment sympathiques. Biens pour des bios. Heureusement, ils n’avaient pas le même caractère que ce Jack, parce que lui, vraiment, il ne faisait pas envie.
Shri avait rajeuni depuis le retour de sa sœur, il n’arrêtait pas de l’emmener découvrir la pyramide et ses mystères, lui racontant toutes ses aventures, la tirant par la main sous les regards attendris de Candice.
— Elle est bien Candice, avait affirmé Anouké. Tu ne trouves pas ?
— Si, si, avait répondu Jaspert. M’enfin, je ne pensais pas qu’elle soit si… bio. Mais, elle a l’air super, Iphis rayonne. C’est le principal. Notre petite fille.
Candice était plus âgée qu’eux, mais ça ne changeait rien, ils étaient bien les parents, après tout, et allaient devoir veiller sur eux à présent.
Ils observaient Iphis dans les bras de Candice.
Elles se regardaient, se souriaient, se chuchotaient de doux mots, et à leur tour, Jaspert et Anouké se serrèrent l’un contre l’autre.
— Blawrf !
Jaspert regarda Jack, lui dit, un sourire en coin, l’air espiègle :
— Ne vous inquiétez pas, vous ne finirez pas seul, j’en suis sûr.
Jaspert fit un clin d’œil en sa direction et esquissa une moue taquine. Il ajouta :
— Regardez Georges, je suis sûr qu’il n’attend que vous !
— Bon Bouddha ! rétorqua Jack, c’est affligeant !
Georges, resté en retrait, tourna la tête vers Jack pour lui dire :
— Dois-je vous rappeler que nos capteurs sont bien plus élaborés, et qui plus est biomimétiques, et…
— Ah ! que Krishna ! Cessez Georges, cessez…
Jaspert et Anouké laissèrent un rire en suspens, complices, ils patientèrent à nouveau jusqu’à ce que la pyramide s’éveille.
— Où sommes-nous ?
— Oh ! firent-ils à l’unisson en entendant sa voix.
Ensuqué, Mathias s’appuya sur un coude. Il se frotta un œil, regarda autour de lui.
Un vaisseau, se dit-il.
Dans quel rêve nageait-il ? Il venait de sauter dans le vide, c’était son dernier souvenir. Il vit la table au centre, cette étrange flamme dessus.
La vision de la pyramide, de son âme, le réconforta, sans qu’il puisse se l’expliquer.
— Coucou !
Il sursauta. Il se releva un peu plus, tourna la tête sur sa droite. Il les découvrit, tous debout à ses côtés. Visiblement, il était une attraction, son réveil était attendu. Mais au fait c’était qui, tous ces gens ?
— Vous voilà réveillés, dit Jaspert. Comment allez-vous ?
Il bafouilla, cligna des yeux, essayant de comprendre ce qu’il s’était passé, où il était, et, surtout, avec qui.
— Ah ! le voilà !
Mathias tourna la tête sur sa gauche. John et Archibald semblèrent surgir de nulle part, du corps même du vaisseau. Ils lui souriaient déjà.
— Que s’est-il passé ? Où sommes-nous ? Qui êtes-vous ?
— Dans la pyramide, dit Jack. On a sauvé vos peaux, à vous, à Candice, et à Iphis. Oui. Et je suis Jack, mais on se connaît, je crois vous avoir croisé dans certains conseils. Là, c’est John avec son acolyte. Eux aussi sont très connus. Là, vous avez Bjorg, le savant bio devenu bioméca. Ici, Anouké et Jaspert qui sont les parents bios des androïdes Iphis et Shri, que vous voyez au fond à gauche. Et au poste de pilotage, qui ne daigne se lever, Georges, mon, mon, enfin Georges. On se connaît bien lui et moi. Aussi…
— Ah, me voilà revenue. Bonjour à vous ! J’ai beaucoup dormi ? J’espère que vous n’avez pas trop souffert…
Ils regardèrent devant eux, les yeux ronds d’excitation. Enfin, elle se réveillait. La flamme luisait vigoureusement, elle ondulait comme prise dans le vent. Ils s’approchèrent d’elle, il leur semblait que leur sort à tous était entre ses mains. Enfin, si l’on pouvait dire ça vis-à-vis d’une pyramide.
— Bonjour, répondirent-ils à l’unisson.
— Enfin réveillée ! râla Jack. Ce n’est pas trop tôt !
— Combien de temps ai-je dormi ?
Mathias regarda son écran incrusté sous la peau de son poignet. Il n’indiquait rien, semblait éteint, avec toutes ces IEM, il avait dû rendre l’âme. Il se rallongea, reposa la tête contre l’oreiller sous lui.
— Fatigué, dit Mathias alors pris d’un vertige.
Georges qui ne quittait pas Astraia des yeux dit :
— Six heures, quarante-huit minutes, et je vous passe les secondes.
La flamme se raidit, elle resta figée quelques instants, avant de s’écrier :
— Tout ça ! Cela ne m’était pas arrivé de dormir autant depuis, depuis… Je crois bien que c’est la première fois en réalité !
Et elle rigola doucement, à croire que ce fut la plus drôle des choses dites jusque-là. La pyramide était si discrète, joyeuse, enfantine, qu’on en oubliait presque être à son bord, à l’intérieur de sa mystérieuse entité.
— Bien, voyons voir où nous nous trouvons.
La flamme se concentra, intensifia sa luminescence, blanchit. Jack dit :
— Dans l’espace, pardi.
La pyramide ne répondit rien. Au cynisme de Jack, il n’y avait rien à opposer. Elle annonça bientôt :
— Oulala ! On dévie rapidement, dites donc ! 171 000 kilomètres à la seconde ! Pas mal, hein ? Regardez.
La face avant du vaisseau se mua en une vitre transparente, jouant de sa structure moléculaire, c’était très impressionnant, on aurait dit qu’il n’y avait plus rien pour les séparer de l’espace.
Dehors, des raies lumineuses passaient et disparaissaient. Parfois, un astre plus gros, plus brillant, apparaissait, dessinait des traits striés de jaune, de rouge, et d’orange. Chaque soleil laissait un trait. Rien ne semblait pouvoir se fixer tant ils allaient vite. Ça en donnait le tournis.
— J’ai la tête qui vacille, dit Mathias avant de s’enfoncer le visage sous les draps.
La pyramide pivotait sur elle-même, anarchiquement, à un nombre de tours par seconde désespérant, rien ne pouvait contenir sa dérive.
— Bien, réglons ça.
Les traines lumineuses disparurent soudain, seul un espace étoilé resta bientôt visible au travers du cockpit. Elle était stabilisée, en un claquement de doigts.
— Voilà qui est mieux.
Anouké et Jaspert ne quittaient plus la flamme des yeux. Shri, puis Bjorg, et enfin Iphis qui tenait la main de Candice les rejoignirent. Ils fixaient ce feu, cette vie sans nom, ils se demandaient ce qu’était le plan à présent, ce que la pyramide préparait. Enfin quoi ? Il devait bien y avoir quelque chose à présent ? Ce ne pouvait pas être la fin ? Pas comme ça.
Elle les délivra, dit enfin :
— Bien, la lune est habitée par quelques terriens ronchons, Mars ne dispose que d’habitations dédiées à la recherche et quelques troupes militaires isolées. Et la Terre ne sera habitable que dans approximativement 883 années. Ça vous dirait que je vous présente à d’autres formes de vie ? Je n’en connais pas beaucoup, mais celles auxquelles je pense pourraient vous plaire. Alors ?
Ça, ça leur en bouchait un coin. Ils avaient bien entendu ? On parlait bien d’une nouvelle forme de vie, un ailleurs ?
— Blawrf !
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