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Le vote final, nouvelle Terre

 Plusieurs semaines s’étaient écoulées depuis le cataclysme terrien, bien des siècles pour Georges. D’ailleurs, tout ça n’était plus à présent qu’une infime partie de son existence. Dans la pyramide, on l’assaillait de questions. Ce qu’il avait vécu dans la SA, on voulait tout en savoir.

 Et la pyramide continuait son périple.

 À son bord, les 11 membres d’équipage se tenaient face à la paroi translucide du vaisseau, scrutant en un silence de cathédrale le paysage qui se dévoilait à eux.

 Ils arrivaient enfin à destination, sur cette planète habitable dont la pyramide avait tant vanté les qualités.

 La pyramide, à son retour, elle avait désiré qu’on l’appelle mère. Parce que, tout de même, elle allait donner vie à des milliards d’êtres humains. Tous accédèrent à la requête, il n’y avait pas à tortiller. Des milliards de naissances, c’était même la mère des mères, la pyramide.

 Les parois du vaisseau devinrent transparentes. La pyramide ralentit sa course, tous voulaient profiter de ce moment. Ce n’était pas tous les jours qu’on posait les pieds sur une nouvelle planète.

 Ils découvriraient sous peu un Nouveau Monde.

 L’horizon se chargeait d’espoir et, bizarrement, tout ce qu’ils avaient vécu pour en arriver là n’arborait plus que les contours d’une chimère. L’inconnu s’offrait à eux, qui effaçait tout le reste.

 Ils observaient une sphère. Cette planète ressemblait étonnamment à la Terre : recouverte d’eau, parsemée de continents. Des zones arides, désertiques, qui faisaient penser à Mars, des montagnes, des lacs, des marécages, des forêts, de tout, elle était riche d’environnements variés. Un aspect général qui leur était familier. Il y en avait pour tous les goûts, et Jack blawrfa.

 Comme lui, ils étaient rassurés, quoique déçus, quelque part, que ce ne fût pas si grandiosement différent qu’ils en tombent sur le cul.

— Ne vous fiez pas aux apparences, attendez d’en voir le détail.

 Dans la voix de la pyramide, il y avait de l’espièglerie.

 La pyramide s’approcha d’une clairière, des oiseaux s’échappèrent à tire d’ailes de la canopée.

 Elle atterrit.

 Autour d’eux, des forêts d’arbres flamboyants. Ils auraient pu être le fruit d’hybrides décomplexés du SA : c’était coloré, vif, joyeux, un peu bordélique. Ces arbres comme des bonbons, ça donnait envie de se lover dans leurs feuilles bien grosses, qui auraient pu accueillir tout l’équipage. Les feuilles firent d’ailleurs une chorégraphie de bienvenue, ça en avait tout l’air, tout été bien coordonné. Du moins, c’est ce que ressentit l’équipage. Il y avait même une belle musique auréolant le tableau.

 De près, effectivement, ce n’était pas la Terre. Le seul point commun, c’était la loufoquerie qu’il régnait ici.

 Le vent sifflait, les herbes folles des prairies émettaient une musique d’un genre nouveau, bien agréable à l’oreille, surtout à celles de Jack, pour qui le souvenir du club de jazz du SA ressurgissait. C’était néanmoins d’un genre nouveau, et ça collait plutôt bien à l’atmosphère globale qui se dégageait d’ici. C’était enjoué, gentil. C’eût été parfait pour ambiancer les marchés aux drogues de l’ancienne Terre. Anouké, c’était ce qu’elle en pensa. En y songeant, elle eut un pincement au cœur, repensant à ses créations artistiques dans le SA. Mais dans un lieu comme celui-ci, ça finirait par passer. Jaspert en était certain. Il décrocherait du ça, lui. Alors elle… Ici, ce serait facile.

 Un ruisseau courrait dans une clairière. Quelques poissons voletaient de l’eau au ciel, laissant derrière eux des traines multicolores. D’autres sautaient dans les airs pour s’envoler en compagnie de chevaux ailés. Ceux-là, c’étaient de drôles de bêtes tout de même. Jack, ça lui rappela le ça. Il grimaça. Des mammifères, cervidés au corps de félin, courraient vers la forêt, en se tenant la main, car ils en avaient. Quoi de plus normal de se tenir par la main, quand on en a ? Et ils chantaient, tous en chœur, en regardant le vaisseau atterrir. Il était difficile de croire que l’arrivée du vaisseau les intimidât. Au contraire, on venait de toute part en leur direction, c’était le comité de bienvenue, des plus joyeux. On savait recevoir.

 La brise soufflait de fraîches caresses, des effluves inconnus rappelaient l’orge et l’anis, une odeur mystérieuse et envoutante, douce et généreuse, que les papilles mêmes pouvaient goûter. Sucrée, peut-être, longue en bouche, avec une note de rose.

 La pyramide les laissa sortir, évaporant l’une de ses faces.

 Vraiment, l’accueil était chaleureux, il n’y avait rien à redire. Tout l’équipage salivait d’envie, entouré de sensations paradisiaques. Ils s’avancèrent, tous ensemble, unis par l’émerveillement, fébriles, intrigués, hésitants, quoique motivés à découvrir ce monde. Ils posèrent enfin un pied au sol. Vivre ici, selon toute vraisemblance, serait agréable. Ce fut une révélation.

 Leurs premiers pas firent résonner de doux chants. Ils marchaient sur de la musique, si l’on peut dire. On devait louer leur venue, ils n’en revenaient pas, ce devait être ça. Dans chacune de leurs traces, des fleurs poussaient aussi sec, elles se muaient en papillon, coccinelles, belles abeilles. Du miel, même, remontait parfois à la surface. C’était onirique. La pyramide leur avait promis des vies extraterrestres, et, en effet, la planète en fourmillait. Mais alors, de la comme ça… De vie, c’en était de la bonne.

 Ils humèrent cette atmosphère aux odeurs changeantes. Jack eut le privilège d’être le premier humain à se faire entendre en ce lieu :

— Blawrf !

 Sur ce, tout le monde approuva. Difficile de dire le contraire

 Ils déambulèrent, firent frémir la terre, goûtèrent avec gourmandise ce nouvel air, frissonnèrent de joie en lapant cette eau pure aux mille et une saveurs délicates.

 Quand vint le moment de décider de la suite, de laisser pour un instant l’extase consécutive à cette extraordinaire découverte, ils se réunirent à l’entrée du vaisseau. Ils se regardèrent, hochèrent la tête sans un mot, puis ils retournèrent à bord. Ils étaient prêts. Ce qu’ils dirent à la pyramide. Le contraire eût été étonnant.

 L’heure était à la transfiguration, ou quelque chose s’approchant.

 Georges avait décelé des âmes prêtes à la réintégration corporelle. L’équipe était d’avis de les accueillir, les unes après les autres, chacune à leur tour pour les accompagner avec bienveillance dans ce Nouveau Monde.

 Ils prirent place dans leurs fauteuils. Au centre reposait une table sur laquelle flottait la flamme. Elle se trémoussait d’excitation, de gauche à droite, c’était chaloupé, univoque.

C’est une terre féconde en vie, et je suis prête à l’engendrer à mon tour. Êtes-vous parés ?

 Ils acquiescèrent. La pyramide demanda à Georges de sélectionner le premier humain qu’elle mettrait au monde.

 Georges cligna des yeux. Il vérifia le câble qui le maintenait relié à la sauvegarde du ça, se concentra. On patienta, jusqu’à ce qu’il dise :

— Le voilà.

 Et ainsi, l’heureux élu était désigné, pour le pire et le meilleur. Le vaisseau le félicita pour la justesse de son choix, puis annonça procéder à la gestation.

 Soudain, la flamme se figea. Ils la fixèrent sans ne plus oser cligner des yeux, sans un souffle.

 L’âme dansante de la pyramide se métamorphosa. Sous sa clarté, une protubérance naquit sur la table, sortie de nulle part. Elle grossit, forme mouvante emmitouflée dans un cocon translucide, nervuré, parsemé de vaisseaux sanguins, matière minérale, végétale, mécatronique.

 Des contours humanoïdes se dessinèrent. La flamme infusait la vie, se muait pour la première fois en une fontaine multicolore, arc-en-ciel, d’émerveillement.

 Le tissu qui enveloppait l’être se craquela bientôt. Quelle gestation ! Quelle rapidité ! La pyramide ne se faisait pas prier, on eût cru qu’elle n’en était pas à son coup d’essai. Ça dépotait ! L’enveloppe se déchira.

 Tous retinrent leur souffle. C’était une première, une fécondation ex-numerico, du jamais vu.

 L’humanoïde reposait à présent sur le dos, droit, nu. Tout nu, tout beau, beau comme un sou neuf. C’est ce qu’on aurait pu dire, mais personne ne connaissait l’expression. Comment leur en vouloir ? La flamme blanchit, transmit de sa chaleur. Le corps s’activa.

— Oh ! firent-ils à l’unisson.

 Ça respirait, la cage thoracique s’élevait, redescendait, calmement, surement. Cette chose vivait. Anouké se tourna vers les autres membres d’équipage, les observa tour à tour, demanda :

— Comment allons-nous l’appeler ?

 C’était bizarre comme question, mais assez juste. Personne n’y avait songé.

 Ils haussèrent les sourcils, babillèrent, sans ne savoir quoi répondre. C’est Jaspert qui reprit la parole :

— On ne sait même pas si c’est un homme ou une femme. Regardez son sexe.

 Ils fixèrent l’appendice, se tordirent le cou, se penchèrent en avant. C’était quoi, ça ? Bjorg dit quelque chose qui venait valider l’impression de Shri :

— C’est un être doté d’hermaphrodisme. Comme les androïdes.

 Shri, il ajouta que c’était l’évolution, le cours normal des choses. Enfin, on atteignait l’âge d’or de la vie, le summum.

 Ils se turent, regardèrent cette créature qui dormait, et, finalement, la pyramide les fit sursauter, brisant le silence :

Et vous, Jack, qu’en pensez-vous ?

 Jack se pencha en avant, appuya ses coudes contre ses cuisses, reposa sa tête dans ses mains, mais se retint d’onomatoper. Onomatoper, c’était pourtant typique de Jack.

 Ils le félicitèrent, trouvèrent ses non-paroles sages, et, alors qu’ils restaient tous contemplatifs face à cette créature, Anouké suggéra :

— Et si nous votions ? Proposons tous des noms, puis votons.

Jack se redressa, écarquilla les yeux, se figea sans plus respirer, il ne pouvait se retenir davantage, il relâcha un profond :

— Blawrf !

 Il est vrai que la question de savoir si les androïdes pouvaient obtenir le droit de vote n’avait pas encore été tranchée.

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