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Blarwf ! Religion d’État


— Et c’est ainsi que le premier natif de cette planète acquit le nom de Blawrf !

— Ouah !

 Les petits, ils n’en revenaient pas. Ils connaissaient l’histoire par cœur, mais chaque fois, ils la redemandaient, chaque fois ils s’émerveillaient.

 Leur personnage préféré, c’était Jack. Jack, il avait tout vu, tout connu, il voyageait dans l’univers entier, était à la tête de la pyramide mystique, le vaisseau spatial de la première colonie. Jack, c’était un héros.

 Les deux maîtresses, elles, étaient très contentes des petits. Vraiment, ils faisaient honneur au grand Jack.

— Bien les enfants, c’est l’heure !

 Les enfants, ils piaillèrent de joie, ils attendaient depuis longtemps son retour, au capitaine Jack. Les maîtresses, elles les laissèrent s’extasier, elles étaient ravies, puis elles reprirent :

— Nous allons à présent rejoindre Georges, le grand prêtre de notre colonie, pour la cérémonie de retour du capitaine Jack.

— Georges ! Georges ! Georges ! Georges !

 Georges, il tenait la dragée haute à Jack. On l’aimait autant. C’était lui le maître à penser de Jack. Tout le monde le savait, il était même le maître à penser de tout le monde ici, même de Bjorg, qui n’était pas un idiot. Il était presque aussi intelligent que la pyramide, et, surtout, c’était le meilleur ami de Jack. Georges le sage, qu’on le surnommait. On le respectait beaucoup. Il était sage, mais attention ! On disait que c’était le pourfendeur des âmes égarées ! Les âmes égarées, il les fauchait, Georges. Rien ne lui résistait dans le monde spirituel. Le monde spirituel, on appelait ça le monde du ça, justement. C’était quelque chose en nous, en nous tous, de très mystérieux. Les enfants, il le cherchait encore, mais chercher en soi, ce n’est pas évident. Et Georges, il y avait accès, lui, au ça des autres. Enfin, c’était la légende. Mais toujours est-il que quand Georges il vous regardait droit dans les yeux, qu’on le sentait fouiller votre ça, on ne faisait pas le mariole ; on espérait, c’est tout, que notre ça était sage. Oui. Seul Jack savait le mater, Georges. C’était son seul maître. Jack, c’était un meneur, un chef respecté.

— Bonjour les enfants.

 C’était Georges. C’était toujours Georges qui accueillait Jack, de retour sur la planète Blarwf ! Le nom de la planète, ça aussi c’était un hommage. Elle portait le même nom que le premier postméca hyperbio à y être naît.

 Blarwf ! C’était un mantra, un signe de reconnaissance.

— Bonjour Maître Georges !

Ah ! ce qu’ils étaient mignons tout plein ces petits garnements.

— Les enfants, continua Georges, ce jour est un grand jour.

 Georges, à la moindre parole, il captivait son auditoire. Les réincarnés, il avait aidé la pyramide à les mettre à bas, à les sortir du SA. Georges faisait partie des premiers visages qu’ils avaient vus. C’était un peu un Dieu.

 Les enfants, ils aimaient les retours d’expédition, ils s’imaginaient que la pyramide, son équipage et le capitaine Jack venaient de sauver des galaxies entières.

 Et justement, ils virent la pyramide qui pénétrait l’atmosphère. Ce fut un brouhaha, une effusion de joie. Les enfants mangeaient la pyramide des yeux.

 Ce qu’ils aimaient, c’était de voir Jack en sortir. C’était toujours lui le premier, il avait toujours la même expression, impénétrable, et il lâchait toujours un :

— Blarwf !

 C’était extra !

 Jack, il voyait les enfants, ça le faisait blawrfer.

 Les enfants adoraient. Les enfants, tout sourire, heureux, aux anges, ils rendirent la pareille.

 Une chorale de Blarwf !

 Jack, ça le crispait au possible, il n’en pouvait plus de ces sales mômes, à se moquer de lui comme ça. On lui avait bien dit que c’était une forme d’hommage, mais d’hommage, il n’en voulait pas. Il voulait qu’on le laisse en paix. Aux yeux de Jack, toute son équipe partait en veau, et même dans l’eau, par-dessus le marché. Ils prenaient leur nouvelle vie ici très au sérieux, et ici, c’était pire que dans le SA : on se serait cru en plein cœur d’un marché aux drogués de l’ancienne Terre. Iphis et Candice, elles se prenaient pour des maîtresses d’école, et elles en profitaient pour dénaturer ce pauvre Jack, qui n’avait rien demandé. Bjorg, il jouait même au documentaliste. Du tabou, cette planète Blarwf ! elle en regorgeait, à en dégueuler de tous ses pores. Ils se régalaient, modelaient un monde, tout était à faire, ils osaient tout. Même de le tourner en dérision. Jack n’aimait pas.

 La Pyramide avait mis à bas quelques dizaines de bios, que des enfants dépourvus de parents, ces derniers étant morts dans le réel. C’était plus simple comme ça, on ne pouvait pas s’occuper de milliards d’êtres d’un coup d’un seul. Et s’occuper d’enfants, c’était plus simple. Question de tempérament, de plasticité. Surtout qu’ici, malgré l’hospitalité de la nature, on manquait d’infrastructures. C’était couru, si on réincarnait trop de monde d’un coup, ça deviendrait vite invivable. Et c’était sans compter sur cette équipe de bras cassés. Ça aussi, en les sauvegardant dans le SA, c’était une problématique qui était passée à l’as. Avait donc été décidé de ne réincarner que des enfants, des biens verts, qu’on pouvait manipuler. Des orphelins.

 En attendant, le reste de l’humanité vivait dans les chimères du SA. Georges et la pyramide avaient trouvé une astuce : les mettre sur pause, pour un moment, le temps de trouver une solution, une vraie, une solide. Il avait été dit qu’on prendrait le temps qu’il faut, c’était plus sage. Plus réaliste.

 Et Georges, alors Georges, lui, il se prenait pour un guide spirituel. C’était le pompon. On le vénérait, il passait pour un sage avec ses longs cheveux blancs et bouclés, sa barbe et sa toge. Heureusement, il y avait John et Archibald. Eux deux accompagnaient Jack dans ses périples. Lui, Jack, ce qu’il voulait, c’était décamper d’ici, trouver une planète Mars, un ailleurs, au calme, rouge ou jaune, qu’importait, pourvu qu’on l’y laissât en paix. Shri, bah ! il faisait école avec les autres, comme tout enfant qui se respecte, tandis que ses parents voyageaient avec les autres. Ces deux-là, Jaspert et Anouké, ils représentaient à peu près les derniers représentants de l’espèce bio, des gens si ordinaires que Jack en oubliait presque la présence. Il se demandait encore pourquoi la pyramide les avait choisis. Ce devait être à cause d’Iphis et de Candice, ce devait être ça, c’était fortuit, ils avaient eu de la chance, Jaspert et Anouké. C’est tout. Lui, non. Chance : zéro. Ça semblait cohérent, c’était l’équilibre en toute chose, le yin et le yang.

 Jack, il passa auprès des enfants sans daigner leur offrir un regard, ni même un sourire. Ça ne faisait qu’accroitre son aura de puissance. Les mômes, ils étaient impressionnés.

 Jaspert et Anouké, puis John et Archibald descendirent à la suite de Jack. Eux, c’étaient les gardiens, l’équipage de Jack, les vaillants explorateurs. Les enfants les adoraient, surtout qu’ils ne lésinaient jamais sur les sourires, à vous ébouriffer les cheveux, à vous faire virevolter dans les airs. Ils faisaient rêver.

 Tous se retrouvèrent dans une maison feuille. Jack, cet endroit farfelu, ça le déprimait. Vivre avec les arbres, dans leurs feuilles, c’était au-delà de ses limites, c’était trop chou, ça ne collait pas. C’est pourquoi tous étaient tombés d’accord pour lui trouver une nouvelle maison, mais ailleurs, ailleurs dans la galaxie. Ici, il dépérirait.

 Il déprimait.

 Tout le monde s’installa, c’était bien moelleux, c’était extraterrestre. Georges, il voulait savoir ce qu’avait donné cette entrevue avec les parents de la pyramide.

 La pyramide, tout de même, c’était une cachotière. Elle leur avait caché cette information tout ce temps. Mais ses parents, ils n’avaient pas été contents d’elle. Ils lui avaient ordonné de venir s’expliquer, et au pas de course ! C’était quoi cette histoire de planète Terre volatilisée, grillée, caramélisée ? Ils avaient retrouvé pyramide même aux confins de l’univers pour que leur petiote elle s’explique. Georges, il demanda :

— Qu’ont-ils dit ?

— Blawrf !

 Ah… C’était une mauvaise nouvelle. Georges, il se tourna vers les autres pour avoir davantage de précisions. Si Jack était synthétique, précis, concis, Georges voulait tout de même plus de détails.

 Ce fut John qui prit la parole, et les nouvelles n’étaient pas des plus optimistes. En effets, les parents de la pyramide, qu’ils venaient de rencontrer, ne cautionnaient pas les agissements de leur enfant. Toutes ces décisions prises sans leur consentement, c’était insolent. Elle n’en avait fait qu’à sa tête, à vouloir interférer sur Terre, avec la destinée qui n’appartenait qu’aux terriens. À cause d’elle, le cours naturel des choses avait été dévié. Pour eux, ce n’était pas acceptable. John annonça finalement que les parents pyramides avaient décidé de les mettre aux débets, tous autant qu’ils étaient.

— Ils demandent réparation, conclut-il.

— Blarwf !

 Ce Blawrf ! là, il se passait de commentaire.

— Et donc ? voulut savoir Georges.

 Jack, cette fois, il articula :

— Eh bien, bougre d’asticot, étant convenu que la Terre n’est plus, que les humains ne sont plus, qu’on ne peut défaire ce qui a été fait, ils ont conclu que nous devions reconstruire ce monde, repartir de zéro.

 Là, Jack, il se tut. Tant de mots d’un élan d’un seul, ça ne lui était plus habituel. Il devait reprendre son souffle, ses esprits.

 Ça laissait Georges songeur. Repartir de zéro ? Mais c’était quoi, le point zéro ? Ça durerait combien de temps ?

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