Chapitre 7 : escapade aux Tuileries

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Ils revinrent vers les Halles. Pollard marchait à pas lents, perdu dans ses pensées.

— Ce Professeur m’intrigue, il apparait toujours dans les témoignages. Que savez-vous de lui ?

— Pas grand-chose. Il ne se fait jamais arrêter et ne cause aucun scandale. C’est un bohême de fantaisie qui sait à merveille jouer de son personnage. Il a vraiment enseigné les Lettres Classiques à la Sorbonne et beaucoup de rumeurs courent à son sujet. Il aurait un bel appartement dans un quartier chic, collectionnerait les maitresses dans le grand monde, qui l’inviteraient dans leurs châteaux, et j’en passe.

Le vent aigre balayait les rues et les pavillons désertés, faisant voler les papiers gras et les fanes de légume qui avaient échappé aux miséreux. Les deux policiers revinrent au poste de police où Trampas signa les procès-verbaux du matin. Ils allèrent ensuite déguster un bœuf miroton dans un petit restaurant caché sous les arcades de la rue de Rivoli. Trampas insista pour payer.

— Je vous ai tout de même dérangé un dimanche pour une affaire somme toute mineure.

Pollard, le regard malicieux, leva son verre empli d’un excellent bourgogne.

— Je devais déjeuner chez mon collègue Chassepot, un vieil ami. Il comprendra.

— Urbain Chassepot, le commissaire du quinzième ? Un sacré pistolet, si je peux me permettre. L’an dernier, j’ai participé à une de ses enquêtes, lorsqu’il a arrêté la bande qui avait pillé l’hôtel du duc de Marmont.

— Êtes-vous marié ?

Trampas haussa ses larges épaules. Son visage anguleux barré d’une fine moustache noire s’assombrit.

— Pas vraiment et pour tout dire, je n’en ai guère envie. Il y a cinq ans, j’étais fiancé. Stagiaire impécunieux, je finissais mes études d’avocat. Elle m’a préféré le fils d’un bâtonnier. J’ai décidé de traquer les crimilels au lieu de les défendre.

Pollard se racla la gorge et changea de conversation.

— Cette affaire m’intéresse, justement à cause de sa banalité. Je pourrai toujours expliquer qu’elle me permet d’évaluer l’efficacité des services. Quelle est votre impression ?

Trampas mastiquait avec application, le regard dans le vague.

— Tout cloche dans cette histoire à commencer par les motivations de l'agresseur.

Il ouvrit sa large main et commença a compter sur ses doigts.

— Si cette pauvre femme avait des galants, toutes les Halles le sauraient ! On ne lui connait que des amis. L’argent ? Nous vérifierons, mais je ne crois guère à une histoire de magot caché ... Pourtant tout montre que l’affaire a été soigneusement réfléchie. L’enjeu en valait donc la peine.

Pollars essuya sa moustache.

— Il y a peut-être un secret dans son passé, même si elle menait apparemment une vie sans histoires.

Trampas prit le temps de réfléchir, tout en dégustant un cognac aux reflets ambrés.

— Je vais chercher de ce côté-là mais sans beaucoup d'illusions.

Les policiers traversèrent la rue et franchirent les grilles des Tuileries. Pollard alluma une cigarette. Ils suivirent des yeux un groupe de petits macs accompagnés de dames aux rires aigus et aux chapeaux provocants.

— La vie est parfois bien étrange. Moi qui ai foulé le sol d’Afrique et visité plusieurs villes du Nouveau Monde, je connais à peine ce jardin. Je suis de votre avis, il ne faut rien négliger. Une discussion avec le Professeur s’impose. Je suis curieux de rencontrer un clochard qui cite Horace et Virgile.

— Ce n’est pas très difficile. Il passe ses après-midi dans les bistrots où il n’est jamais en peine pour trouver un public prêt à lui payer la chopine. Parler donne soif…

Une foule joyeuse envahissait les allées. Malgré les nuages et un petit vent frais, des familles babillardes se pressaient entre les massifs de fleurs. Trampas ralentit son pas de grenadier, sensible à l’insouciance et à la gaieté ambiante.

— Si nous étions en semaine, nous aurions pu rencontrer les petites mains des ateliers de couture qui viennent s’asseoir ici pour leur collation de midi.

Pollard lissa sa moustache.

— Ce sera pour une autre fois.

Sur le ciel pommelé, les branches en fleurs des vieux marronniers dessinaient une symphonie en vert et blanc. Autour des plans d’eau, les enfants en costume marin manœuvraient avec de longs bâtons des bateaux aux voiles immaculées. Sous un kiosque orné de drapeaux tricolores, un orchestre aux brandebourgs chamarrés déchaînait ses cuivres au milieu d’un cercle de patriotes enthousiastes. Ils s’arrêtèrent un instant pour écouter les derniers accords du quadrille des lanciers. Louvoyant entre les robes multicolores, les canotiers et les cerceaux à la course imprévisible, ils remontèrent vers le Louvre. Pollard, mains dans le dos, observait la foule.

— Nous ne sommes guère éloignés des Halles et pourtant, je doute que Marie la Soupe vienne souvent se promener ici.

Ils s’arrêtèrent quelques instants au coin d’un parquet (1). Derrière la muraille de feuilles retentissait la voix nasillarde de Guignol rossant le gendarme au milieu des rires et des cris d'enfants.

(1) Espace fleuri délimité par le croisement des principales allées.

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