Une mythologie locale

3 minutes de lecture

Le baron avait laissé son fils et sa sœur en prétextant un travail urgent à terminer. Hortense appela Véronique pour qu'elle leur serve des tasses de chocolat chaud, comme lorsqu’elle racontait des histoires le soir à ses neveu et nièce quand leurs parents étaient absents. La cuisinière y avait jouté un bâton de cannelle et des petits sablés. Hortense lui demanda d’allumer un feu dans la cheminée. Ce n’était pas vraiment nécessaire en cette saison, hormis pour chasser les quelques notes de fraicheurs apportées par la nuit, mais cela créait une ambiance propice aux récits mythologiques. Cette opération prit un temps interminable aux yeux de Cédric, impatient de découvrir les secrets entourant leur île. Quand l’ancienne nourrice de sa sœur sortit enfin, il s’installa confortablement. Connaissant les talents de conteuse de sa tante, il s’attendait à une histoire exaltante.

— Les légendes sont souvent inspirées de faits réels, commença-t-elle, mais leurs multiples écritures les transforment de génération en génération. On peut même y trouver parfois quelques spécificités locales. Maintenant que tu as rencontré Triton, il est temps pour toi de découvrir la véritable histoire.

« Au dix-neuvième siècle, un prince fut sauvé de la noyade par une sirène. Sous le charme du jeune homme, elle veilla sur lui jusqu’à son réveil, mais n’osa pas se montrer avec sa queue de poisson… »

— Tous les enfants connaissent "La petite sirène", ma tante.

— On prétend qu'un flux magique inspire certains auteurs et ancre les contes de fées dans la réalité. Certaines erreurs peuvent néanmoins s'y glisser. La première différence est qu'il ne s'agissait pas d'un prince, mais d'un baron. Écoute la suite.

« Cette sirène était la fille bien-aimée du roi des mers. Elle avait reçu la permission de s’approcher de la surface à l’occasion de son seizième anniversaire, mais avait pour consigne de ne pas interagir avec les humains. Les mythes racontant les naufrages provoqués par certaines d’entre elles rendaient la rencontre avec eux dangereuse. Mais elle croyait en des valeurs telles que l’accueil et le respect des autres peuples alors, au moment où le bateau du fils du baron chavira, elle n’écouta que son cœur et se porta à son secours, le sauvant d'une mort certaine.

Ayant bravé l’interdiction de Triton, elle essaya de garder cette rencontre secrète, mais le souvenir du jeune noble rejaillissait chaque nuit dans ses rêves. Elle savait que son père pouvait modifier l’apparence de ses sujets, tantôt sentinelles protégeant leur territoire, tantôt sirène explorant les mers. Face à son désespoir et des excuses plus feintes que réelles, Triton accepterait peut-être de lui donner forme humaine. La cadette était aussi la préférée du roi et il finit par lui accorder un de ses charmes.

— Si c’est ton choix de cadeau pour ton entrée dans l’âge adulte, qu’il en soit ainsi. Cependant, la durée de cette transformation est limitée. S’il ne tombe amoureux en un cycle lunaire, tu redeviendras sirène à jamais.

— Je ne doute pas qu’il m’aimera comme je l’aime… Merci, père

— Mais tu ne pourras pas lui raconter votre première rencontre. Nous ne parlons pas la même langue qu’eux.

— Cela ne me fait pas peur. Je suis prête. Tout de suite.

— Cette transformation a un coût important, ma fille. Toute magie est associée à une contrainte. Ton espérance de vie sera diminuée de moitié, mais elle restera supérieure à celle des terriens. Du moins si tu reviens un jour dans notre royaume sous-marin. Es-tu prête à perdre cent cinquante ans d’existence au profit d’un homme qui pourrait ne jamais s'intéresser à toi ? »

Pas de sorcière dans notre histoire, mais un père prêt à laisser sa fille choisir son destin et en assumer les conséquences. Ton grand-père reconnut Éléonore à son chant et son amour rendit le sort permanent. Triton installa son peuple à proximité du rivage où vivait son enfant, mais leurs rares rencontres devaient rester secrètes.

— Tu veux dire qu’Éléonore, ma grand-mère, est la petite sirène du conte ?

— Bien sûr puisque ton arrière-grand-père est Triton. L’autochtone que ton grand-père a épousé était une sirène. C’était un explorateur à la recherche de nouvelle terre lors du naufrage et il a été soigné sur l’île par les indigènes. Lorsqu’elle a pris forme humaine, le charme de ta grand-mère à immédiatement opéré sur lui. Elle a appris facilement notre langue et ton grand-père n’a plus voulu repartir. À la mort de son père, il a vendu le domaine familial pour racheter l’île.

— Incroyable ! Mammy Éléonore, une sirène… dommage qu’elle ait disparu peu de temps après le décès de papy.

— Le chagrin, peut-être. Certaines âmes sont tellement liées qu’elles ne peuvent survivre l’une sans l’autre.

Pendant que Cédric encaissait la nouvelle pourtant prévisible depuis la rencontre avec Triton, Hortense profita des quelques minutes de silence pour adresser une prière secrète à ses défunts parents.

— Et pour le dôme ? Tu n’as pas donné d’explication…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Chris Vlam ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0