Chapitre 12

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Torse nu malgré la fraicheur de la journée, Kaufman suait à grosse gouttes. Il avait beau avoir été prévenu, jamais il n’aurait imaginé que cet entrainement puisse être si difficile. La moindre parcelle de son corps criait grâce comme si il avait couru plusieurs jours d’affilé sans s’arrêter alors qu’il était complètement immobile depuis le début de la séance.

Il y a une heure de cela, Gale expliquait :

— On peut généralement exprimer les caractéristiques d’un Pouvoir en trois aspects principaux, avait-il commencé. Ces aspects sont : la Manipulation, la Création et enfin la Densité. Rendre un Pouvoir puissant nécessite parfois l’équilibre des trois aspects ou au contraire le renforcement d’un aspect particulier. Notez messieurs que j’utilise des mots tels que « généralement » ou « parfois » car, avec le Pouvoir, rien n’est jamais figé. Retenez bien ça : tout est possible avec le Pouvoir. Il existe une infinité d’exceptions à mes enseignements et c’est à vous de faire preuve de perspicacité et de bon sens afin de reconnaître ces exceptions et de vous y ajuster.

Marquant une pause afin que ses élèves digèrent l’information, le professeur improvisé repris :

— Afin que vous compreniez bien, prenons un exemple : une personne dont le Pouvoir lui permet de matérialiser et contrôler de l’acier, face à un simple Monstre humanoïde : deux bras, deux jambes.
La Manipulation de son pouvoir peut se mesurer si le combattant tente d’écraser le Monstre en créant deux plaques d’acier de part et d’autre de la créature. Il va manipuler les plaques à l’aide de son Pouvoir afin de coincer le monstre : si le Pouvoir de l’homme manque de Manipulation, le Monstre pourra facilement s’extirper de la presse improvisée en écartant les deux plaques avec ses bras. Si, au contraire, l’intensité de Manipulation est suffisante, le Monstre finira écrabouillé entre les deux blocs.
La Création, quant à elle, exprime dans notre exemple le temps que mettent les plaques à se matérialiser. Un Pouvoir avec une bonne capacité de Création matérialiserait les plaques en moins d’une demi-seconde tandis qu’un Pouvoir avec une mauvaise Création mettrait plusieurs dizaines de secondes, voir minutes.
Ici, la Création décrit donc la vitesse à laquelle l’homme peut matérialiser ses plaques d’acier.

Enfin, la Densité. Elle est souvent un peu plus difficile à comprendre, mais dans notre exemple cela reste trivial : plus la Densité du Pouvoir de notre combattant est grande, plus l’acier qu’il matérialisera sera compact et solide. Assez de Densité et les plaques qu’il génère seront quasiment indestructibles, pas assez de Densité et le monstre pourra les briser comme si elles étaient en verre.

Marquant une nouvelle pause, Gale laissa le temps au duo d’appréhender tout ceci.

— J’ai une question, déclara Kaufman qui paraissait assimiler ces informations avec plus de facilité que son compère. Je pense comprendre comment exprimer mon Pouvoir selon sa Création ou sa Densité : d’une part en mesurant le temps que je mets à matérialiser la lumière dans ma paume et d’autre part l’intensité de cette lumière. Mais la Manipulation ? Comment manipuler quelque chose d’immatériel comme la lumière ?

— Tu as saisis l’essentiel ! le félicita son instructeur avant de répondre. Ce n’est ni complet ni parfaitement exact, mais tu as compris le principe pour la Création et la Densité. Ta question est légitime, mais je ne peux pas y répondre avec exactitude.
Voyez-vous mes garçons, le Pouvoir est comme un corps, comme un individu à part entière. Entraîné, il devient plus fort, délaissé, il s’atrophie. Si il est bien entretenu, au fur et à mesure de la vie de son possesseur, un Pouvoir est susceptible d’évoluer, et ce d’une infinité de manières différentes.
Tout comme personne n’est en mesure de connaître à l’avance la hauteur qu’aura un nouveau-né ou bien les centres d’intérêts qu’il développera, personne n’est en mesure de connaître avec exactitude l’évolution d’un Pouvoir. Kaufman, le tiens ne fait malheureusement pas exception et c’est à toi de comprendre si tu dois utiliser la Manipulation avec ton Pouvoir et si oui, comment le faire.

— Ça ne m’aide pas beaucoup, se plaignit l’épéiste.

— Il va falloir te creuser les méninges mon cher, réaliser des tests et des expérimentations. Mais laisse la Manipulation de côté pour l’instant, c’est beaucoup trop tôt pour toi. Sais-tu pourquoi ?

— Je pense, fit Kaufman avec une mine sombre. Mon Pouvoir est atrophié, comme tu l’as dit, n’est-ce pas ?

— Oui, confirma Gale avec un hochement de tête empathique.

Mais je t’assure que rien n’est perdu. La première étape pour toi est très simple : si tes jambes n’avaient pas servi depuis plusieurs années, il faudrait que tu les remettes en mouvement très simplement pour qu’elles retrouvent tonus et énergie avant de songer à développer une technique de combat basée sur les coups de pieds. C’est pareil pour ton Pouvoir : tu vas passer les prochains jours à l’utiliser de façon simple et intuitive.

— C’est-à-dire ?

— Créer de la lumière et la faire disparaître, encore et encore, le plus intensément et rapidement que possible. Pas question de lésiner, le temps est compté avant que les Défenseurs ne nous retrouvent et j’ai bien l’intention d’avoir fait de vous des combattants capables d’ici là. Je te préviens cependant, ça sera difficile Kaufman. Plus difficile que tout ce que tu n’as jamais fait jusqu’ici.

Il avait tort, pensa l’épéiste une heure plus tard.

C’était encore bien plus ardu que cela.

Pendant que Kaufman était au bord de l’évanouissement à force de faire apparaître et disparaître de la lumière de sa main, Jake était en pleine réflexion. Adossé au rocher au centre de la clairière, il transformait un à un les doigts de son unique main en sable gris et tentait d’interpréter les paroles de Gale. Ce dernier avait refusé de l’aiguiller quant à la forme que devait prendre son entraînement.

— Il faut que tu aies cette réflexion toi-même, lui avait dit l’homme balafré. Je t’aiderais quand tu auras trouvé une piste.

Une piste… Jake n’en avait pas une seule.
Il réfléchit à l’utilisation qu’il avait eu jusqu’ici de sa capacité. Dès l’enfance il avait su se transformer en sable et manipuler ce dernier avec précision. Cela lui permettait de jouir d’une relative invulnérabilité tant qu’il n’était pas pris par surprise : il devait voir venir les coups pour les anticiper et se transformer avant de les encaisser.

Il savait déjà que le Pouvoir était comme un muscle qu’il était possible d’entraîner : à ses débuts, il ne pouvait rester sous sa forme de sable qu’une petite minute maximum tandis qu’à présent sa transformation pouvait durer plus de dix minutes. Il essaya de suggérer à Gale d’augmenter encore cette durée mais il le déconseilla, affirmant que dix minutes était amplement suffisantes et qu’il y avait des choses bien plus importantes à améliorer que cette durée.

Manipulation, Création et Densité. Jake visualisait bien son Pouvoir avec les 2 premiers concepts : il Créait du sable, puis le Manipulait pour esquiver et se déplacer.

Restait le 3ème, la Densité. Rendre son sable plus dense, pourquoi pas, mais quel intérêt ? Il ne pouvait pas écrabouiller sa cible entre deux plaques de sable comme si elles étaient en acier : une matière comme le sable n’était pas assez solide.

Seulement… Son mentor avait d’une certaine manière souligné un fait intriguant : si le Pouvoir possède une infinité d’exceptions et de cas particuliers, pourquoi ne pourrait-il pas créer du sable aussi dur que de l’acier ? Le Pouvoir était-il lié aux mêmes contraintes physiques que la matière « classique » ?

Ma foi, ça peut marcher, pensa le chasseur de prime. Il se leva, fit face au gros rocher au milieu de la clairière et transforma son bras droit en sable.

Il pensa au concept de Densité et tenta d’agglutiner le sable gris en un cône aussi compact que possible. Puis il fit léviter la lance improvisée à sa hauteur et l’envoya grâce à la Manipulation vers le rocher aussi fort que possible.

Le cône éclata en un millier de minuscules grains de sable sans laisser une seule petite marque sur la roche.

Il réitéra l’expérience en se concentrant cette fois sur la Densité pour garder le projectile intact. Cette fois ci la lance resta intacte mais rebondit mollement sur le rocher, toujours sans lui laisser la moindre égratignure.

Il était incapable de Manipuler avec assez de force son sable si il se concentrait sur la Densité. Si il tentait à l’inverse de se focaliser sur la Manipulation, la création de sable explosait faute d’assez de Densité.

L’impasse était frustrante.

— C’était pas mal ! fit Gale face à un Jake découragé. Mais c’est dix ans trop tôt pour que tu t’essayes à de pareilles prouesses, mon garçon.

— Comment ça ? répliqua Jake, perplexe.

— Penses-tu vraiment pouvoir te concentrer en même temps sur 2 aspects de ton pouvoir, alors que tu viens seulement de prendre conscience de ces aspects ? Je sais que tu te considères doué mais n’abuses pas : simplifie, Jake.

Simplifier… Cela tombait bien, c’était l’un des points forts de l’homme barbu.

Le chasseur de primes changea donc d’approche. Il transforma son bras gauche à partir du coude en un même cône de sable très pointu. Il s’approcha du rocher et, sans tenter de faire léviter le cône qu’il laissa accroché à son bras, se focalisa exclusivement sur la Densité de sa création en la projetant avec violence sur la roche.

En un son à mi-chemin entre choc brutal et frottement de sable, la lance implosa en une myriade de grains qui se dispersèrent sous l’impact.

Un sourire naquit toutefois sur les lèvres de Jake lorsqu’il constata le petit trou laissé dans la roche par son attaque.

Ce n’était pas grand-chose, mais il savait qu’avec de l’entraînement, il pourrait faire beaucoup mieux. Il allait pouvoir utiliser son Pouvoir pour autre chose que l’esquive et il se prit à regretter d’avoir autant compté sur son Artefact pour assurer ses capacités offensives par le passé. L’arme lui manquait, mais il était désormais rassuré de savoir qu’il pouvait s’en sortir sans elle.

Gale approuva silencieusement et laissa alors les deux compères avec leurs efforts : chacun à leur manière avaient trouvé un chemin qu’il considérait plus que satisfaisant.

Au crépuscule, il éclata de rire en voyant le duo apparaître aux abords de la cabane. Jake épaulait avec grande difficulté un Kaufman quasi inconscient. Tous deux avaient puisés autant que possible dans leurs réserves d’énergie et ils s’effondrèrent devant le feu de camp entretenu par Mandra.

— Manger…

C’est tout ce qu’ils parvinrent à prononcer.

Les quatre fugitifs partagèrent alors un repas plein d’espoir. Le premier depuis longtemps.

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