Prologue
L'air était froid. Le vent fouettait la plaine morte. Sec, tranchant, chargé de poussière et de cendres.
Aeryn marchait. Un pas, puis un autre. Lentement, assurément. Sous ses pieds, la terre craquait comme du verre brûlé. Chaque pas levait une traînée de cendre grise qui s’accrochait à ses chevilles, comme les restes d’un monde trop ancien pour encore respirer.
Autour d’elle, les ruines déchiquetées d’un temple oublié fendaient l’horizon. Des pierres noircies, fendues par le feu et le temps, vestiges d’un silence qu’on n’avait jamais vraiment su être enterrer.
Rien ne poussait ici. Du plus loin qu'elle s'en souvenait, rien n'avait jamais poussé. Rien ne vivait, sauf ceux qui avaient oublié comment mourir.
L’air sentait la pierre calcinée et le métal rouillé. Pas une plante, pas une fleur, seulement des restes d’anciennes structures, déchiquetées, témoins d’un passé violent.
Son ventre se tordait de douleur, de faim, de froid, d’épuisement. Elle n'avait rien avalé depuis trois jours. Ou peut-être quatre. Le temps n'était plus une préoccupation dans la Terre Oubliée. Il n'y avait que le vent, ce foutu vent. Et les souvenirs.
Un râle explosa quelque part derrière elle. Aeryn ne broncha pas, ne se retourna pas. Elle ne ralentit pas, elle connaissait ces ruines. Elle savait où ne pas poser les pieds, où ne pas poser les yeux.
Monstre ou homme. Quelle importance ? Quelle différence ? Les deux tuaient pour respirer une heure de plus. Elle avait appris à survivre dans l’ombre des bêtes et des hommes.
Son poing se referma discrètement sur le manche d'un vieux couteau rouillé qu'elle gardait toujours avec elle. Pas pour se défendre ni pour se battre. Juste par habitude, pour ne pas tomber sans bruit.
Une silhouette bougea dans les débris, des yeux brillèrent. Maigres, usés, décharnés. Des hommes aux gestes de bêtes, ou l'inverse.
Elle ne les regarda même pas, elle n’avait plus peur depuis longtemps.
Le monde l'avait jetée là, petite, sans armes, sans nom, sans défense. Sa mère, non, la Reine, sa Majesté, avait détourné les yeux quand on l'avait arrachée de ses bras. Sans un regard, sans un cri. Sans remords.
“Tu ne m'as pas regardée”
La vieille prière résonnait encore dans son crâne, amère et cruelle.
Elle s’était demandé, des centaines de fois, pourquoi. Pourquoi elle ? Pourquoi ce geste froid, ce silence coupant, cette absence d’explication. Elle aurait tout compris, même la condamnation. Mais pas l'indifférence.
Son cœur n’était plus qu’un organe battant par habitude. Et pourtant, il battait encore. Pour ça, pour comprendre.
Une douleur lui traversa la poitrine. Elle s’arrêta et redressa lentement la tête.
Quelque chose grondait sous sa peau, une brûlure sourde, acide. Une fracture, un écho, un appel.
Elle n'était plus enfant. Elle n'était plus rien.
Et pourtant, elle brûlait.
Dans ses veines, quelque chose de plus ancien que les royaumes. Quelque chose que les mots n’avaient jamais pu nommer. Une faille, une déchirure, un passage entre ce monde et un autre.
Elle ne savait pas encore qui elle était, mais, elle savait qui elle n’était plus. Elle ne serait pas un silence de plus dans l’histoire de Lysareth.
Et bientôt, ils le comprendraient. La Reine, le Royaume, les ombres qui croient avoir gagné.
Même ici, dans la poussière, la vérité attend. Même ici, quelque chose peut renaître.
Quelque chose de pire que la faim. Quelque chose de plus cruel que la haine.
La mémoire.
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