Chapitre 3: Ryuto Kasai, reporter.

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Ainsi, je termine mon déjeuner sur fond d'appel téléphonique. Après avoir fini son coup de fil, Mitsuki me zieute et prend un air plutôt sérieux. Elle m’annonce finalement

- L’entretien est à 15 heures. Dis donc, futur reporter, tu ne vas pas y aller comme ça?”

Je hausse les sourcils, la bouche pleine. Un peu de sauce curry coulait sur mon menton. Je regarde les vêtements que je porte après sa question. J’ai gardé les mêmes vêtements depuis ma noyade, même s’ils étaient lavés au pressing de l’hôpital. Toutefois, l’eau salée ne leur avait pas fait le plus grand bien. Il semblait même rester des morceaux d'algues aux hanches. Mitsuki se rend donc dans l'arrière boutique pour y remédier, et me tends un costard sous film plastique :

- Tiens, prends ça! C’est du bas de gamme, mais ça fera l’affaire.”

Je la remercie en acquiesçant. Après avoir enfilé une nouvelle chemise blanche et un pantalon noir, j’avais en effet l’air d’un homme allant à un entretien d’embauche. Mitsuki m'aide à serrer ma cravate rouge, bien qu'elle en faisait un peu trop. D'une voix presque étouffée, je proteste

“Hé, arrête, ça suffit comme ça!”

Elle soupire :

-On voit bien que t'as jamais porté de cravate dans ta vie antérieure…”

On ricane bêtement. J’accepte finalement qu’elle me serre ma cravate “comme un gentleman”, pour au final ressembler à une oie qu’on à trop gavée. Malheureusement, Mitsuki devait tenir la supérette, alors je devais y aller seul. Elle me donne l’adresse des bureaux de son petit frère éditeur en chef, et je m’y dirige. Lorsqu’elle fut hors de vue, je desserre ma cravate, rouspétant.

- Comme un gentleman, mon oeil, ouais!”

J’arrive devant les bureaux de la “Gazette du Dragon”. Je sonne à l’interphone et annonce qu'il s'agit de Ryuto Kasai. Après une courte pause, on me laisse entrer, et je prends l’ascenseur jusqu’au 3ème étage. C’était des bureaux tout ce qu’il y’a de plus classique: des ordinateurs, des papiers éparpillés partout, une imprimante, et des plantes pour donner un peu de couleur. Un homme me hèle

-Ah! Vous devez être Ryuto Kasai! Asseyez-vous, je vous en prie!

Je hoche la tête et m'assois devant lui. Il continue :

"Donc vous êtes celui que ma soeur a recommandé? Enchanté! Je suis Haruo Hanayama, éditeur en chef! Je vous remercie d’être venu, les affaires vont mal en ce moment…”

Je répond poliment, tout en embellissant mon propos.

- Bien sûr. J’adorerais partir en quête d'informations dans cette ville!”

Ce n’était pas si éloigné de la vérité, après tout. Il soupire

- Merci. Je souhaite que vous puissiez dire ça à mes trouillards de collègues… On est à Osaka, cette ville ne manque pas de sujets pour plancher, mais ces poltrons préfèrent couvrir des affaires bateau plutôt que de se mêler à l’action!”

Je hausse un sourcil :

- De quelle action parlons-nous?"

Son visage s’illumina

“Oh, ça vous intéresse? Et bien, depuis décembre dernier, y’a ce nouveau syndicat qui est apparu en ville. Il s’appelle Justice For Japan. C’est une union de travailleurs et autres honnêtes citoyens qui protestent contre l’emprise des Yakuzas dans le Japon d’aujourd’hui. Voyez-vous, il y a déjà eu la loi antigang de 92 pour handicaper les activités criminelles, mais ils exigent plus, surtout avec la guerre de clans à Tokyo qui sévit en ce moment. Le mouvement est apparu à Tokyo il y’a un mois, mais depuis une semaine, il y’a des manifestations à Osaka. Il y’a une manifestation prévue à 16 heures. Voilà un deal pour vous: je vous engage si vous me faîtes un papier pertinent sur Justice For Japan.”

Je lui serre la main :

- Avec joie!”

- Parfait! Je vais vous écrire l’adresse de la manif sur un papier, bonne chance!!”

Voici mon premier cas en tant que reporter: Enquêter sur le mouvement syndical populaire Justice For Japan. Pour l’instant, je ne vois pas de connection possible à mon passé. Mais qu’importe, si je veux continuer de rechercher mon passé, il faut que j’ai un salaire pour subsister. Il est 16h10. La manifestation à déjà commencé le temps que je me rende sur les lieux. C’était déjà un véritable chaos. La police encercle la manifestation, armés de boucliers anti-émeutes. Les manifestants se collaient à eux, mais faisant gaffe à ne pas les provoquer. En réalité, j’aurais sûrement trouvé la manif tout seul avec le bruit qu’ils faisaient. Les partisans de Justice For Japan, dans des t-shirts de baseball signés “JFJ” scandait leur slogan, qui vous rentre dans la tête avec la subtilité d’un marteau piqueur

“YAKUZAS, HORS DE LA! RAS LES BASKETS, DU RACKET!”

Ils agitaient diverses pancartes, reflétant leur aversion des Yakuzas, ainsi que le souhait de les voir partir. Je pouvais lire d'autres slogans sur les affiches, comme "Les Yakuzas tuent le travail honnête". J’essaie de me frayer un chemin dans la manifestation, mais un officier de police m’arrête :

- STOP! Vous, là! Q-Qui êtes vous?”

Il était relativement jeune, et radiait d’une énergie me faisant signifier qu’il ne voulait vraiment pas être là. Je décline mon identité :

- Ryuto Kasai, de la gazette du dragon. Mon éditeur m’envoie faire un papier sur Justice For Japan.”

Le policier respire profondément, et déclare :

- Très bien! N-Ne bougez plus, il faut que je procède à une fouille. C-C’est le protocole, pardon!!”

Sans surprise, je n’ai rien de dangereux sur moi, mais avant d’entrer dans cette manifestation chaotique, j’ajoute d’un air amical, ayant de la sympathie pour le jeune homme :

- Vous avez l’air plutôt stressé, vous allez tenir le coup?”

Il acquiesce, souriant, mais toujours un peu nerveux :

- Oui! Normalement, rien de grave ne devrait se passer. Justice For Japan, malgré les apparences, est plutôt… Pacifique. Ouais. C’est le mot. Dans le pire des cas, vraiment, si ça se détériore, j’ai des collègues à l’arrière. Euh. Bon reportage, je suppose!”

Ainsi,dès mon entrée à l’intérieur de la manif, je suis bousculé dans tout les sens par les manifestants enthousiastes. La poussière qu’ils soulevaient en piétinant comme un seul homme me piquait le nez… Mais ce qui doit souffrir le plus en moi, ce sont mes oreilles, après avoir entendu “Ras les baskets du racket” pour la cinquantième fois d’affilée. Je me fraie, tant bien que mal, un chemin dans la file pour trouver le chef de celle-ci. Après m’être cogné la tête six fois contre des pancartes trop basses, je trouve le dirigeant de cette ligne de manifestants. C’était un jeune homme aux cheveux courts et bruns. Il était plutôt petit, mais avait de grands yeux et . Je lui pose la main sur l’épaule, épuisé et haletant

- M-Monsieur, auriez vous une minute? Je suis Ryuto Kasai, de la gazette du dragon. On m’envoie faire un article sur votre mouvement. Auriez vous quelques minutes à m’accorder?”

Il rit, d’un air excité :

- Tout le monde! Venez voir! On a enfin l’attention des médias! C’est un grand jour pour Justice For Japan, pour notre cause!!”

Il avait l’air si enthousiaste, je ne lui ai pas dit que notre gazette n’a qu’un poids local. Après avoir scandé leur slogan, ils se turent pour laisser le chef de file procéder à mon interview :

- Allez-y, Kasai-san! On se fera une joie de répondre à vos questions!!”

Je souris, content que la manifestation se taise. Je demande alors

- Très bien, alors… En premier lieu, il me faut votre nom et une présentation générale pour que je puisse introduire cette interview..”

Le manifestant répond

- Je m’appelle Masayoshi Kimura, porte parole du mouvement Justice For Japan à Osaka! J’ai 21 ans. Je suis né le 26 octobre 1998 ici dans cette même ville. En parallèle avec Justice for Japan, je suis étudiant, et travaille même comme agent d’entretien pour arrondir mes fins de mois.”

Une présentation plutôt concise. L’interview peut commencer. Mieux vaut poser des questions dont Haruo ne connaît pas les réponses. Évitons donc les interrogations bénignes comme les revendications du mouvement. Je vais plutôt essayer de me souvenir de ce que mon éditeur en chef m’a dit sur Justice For Japan pour avoir plus de renseignements :

- Selon mes sources, votre but final serait une législation plus ferme sur les activités criminelles Yakuza. Qui, pensez vous, pourra faire en sorte que votre souhait soit exaucé? Un politicien quelconque?”

Kimura répond sans hésiter :

- Le nouveau candidat de droite pour les élections de 2020, Satoru Machida. Il est très conservateur, et veut continuer ce que son prédécesseur de 92 a fait: Une loi plus ferme sur les activités criminelles au Japon!”

Un manifestant prend la parole :

- Exactement! Je tiens un restaurant à Dotonbori, et chaque jour, j’ai des canailles de Yakuzas qui viennent prendre une part de mon chiffre d'affaires! Ma fille va bientôt entrer à l' université! Comment vais-je pouvoir lui payer des études si ces racailles me prennent ce que je gagne à la sueur de mon front!”

Kimura acquiesce

- Vous l’avez entendu, Kasai-san? Si nous sommes tous réunis ici, c’est car les Yakuzas nous pourrissent notre vie! Nous en avons assez de leur mainmise sur tout ce que nous réalisons! Nous plaçons nos espoirs en Machida, pour que le JAPON ait sa JUSTICE!!”

La foule acclame Kimura et hurle son slogan une énième fois. Je prends tout de même des notes. En soi, leurs motivations sont nobles, je ne devrais pas les juger aussi durement pour être agités. Je décide d’émettre une pique à Kimura :

-Les Yakuzas ont toujours été présents depuis des décennies, malgré la loi antigang. Pourquoi se dresser contre ce que vous décrivez comme une corruption seulement maintenant?”

Il hoche la tête, et n’est pas troublé par mon interrogation. Il me fait même un compliment

-Bien, ça! Un regard critique… Et bien, Il y a deux raisons à cela. En premier lieu, avec l’avènement des réseaux sociaux, notre mouvement peut s’organiser, communiquer, planifier et débattre, ce qui rend nos actions bien plus faciles à exécuter. En plus, cela nous permet d’être en contact avec les Justiciers Japonais d’autres villes, comme Tokyo. Et en parlant de Tokyo… C’est la guerre de clan entre les triades chinoises et le clan Tokuda qui nous a fait dire, à nous, simples citoyens, que la coupe est pleine, et qu’il est hors de question que l’on se fasse marcher sur les pieds plus longtemps!”

Je hoche la tête et prends des notes. Je décide d’approfondir la question :

-En sauriez vous plus sur les raisons de cette guerre de clans?”

Kimura fronce les sourcils :

-Oui, malheureusement. On a fait des recherches sur les raisons futiles qui les poussent à s’entretuer comme des gamins. Apparemment, dans la nuit du 4 au 5 décembre 2019, les lieutenants, et autres exécutifs du Clan Tokuda se seraient fait assassinés par les triades, ce qui a poussé le Clan Tokuda a exiger vengeance. D’où la guerre de clans...”

Je prends une pause. La nuit du 4 au 5 décembre? On a repêché mon corps de l’océan dans la journée du 5, avec des impacts de balles. De faibles bruits commencent à me revenir. La promesse que j’avais faite à cette personne que je devais sauver. Puis, deux coups de feu. La lumière des coups de feu éblouissent ma mémoire... Et cette pétarade… Je gémit et me tiens la tête. J’ai reconstitué un souvenir, et il ne peut s’arrêter de tourner en boucle dans ma tête. Un coup de feu, deux coups de feu, sonnant tel un clocher. En arrière fond, les paroles de mon prétendu assassin. Serait-ce les triades chinoises, les responsables? Cela ne me dit rien. Alors que je m'habituais à la vie de reporter, que j’y prenais goût, même, la réalité sinistre me rattrape. Je suis amnésique. Et mon passé est encore plus sinistre. Aurais-je été mêlé à des intrigues criminelles? Kimura me fait sortir de cette tourmente, me secouant l’épaule, et me rappelant à ma seconde vie :

- Kasai-san? Vous allez bien?”

Je note avec attention ce qu’il a révélé, et hoche la tête nerveusement. Il ne fallait pas que je laisse cette piste m’échapper. Les triades chinoises ne me disent rien? Demandons des renseignements à Kimura :

- Oui! Excusez moi, j’avais un léger mal de tête. Et les triades chinoises? Est-ce que vous les incluez dans votre mouvement Justice For Japan?”

Il répondit fermement

- Bien sûr! On ne veut pas seulement l’extinction des Yakuzas, mais l’extinction du crime organisé au Japon! Du crime tout court, même! Pendant trop longtemps, notre pays a été laxiste à ce sujet. C’est ce pourquoi nous faisons entendre notre voix!”

J’acquiesce, mais dès lors, les aspirations de Kimura m'importaient peu… Une nouvelle piste s’était révélée à moi, et je devais à tout prix la suivre. J’écris mes notes de manière bien plus machinale. Je ne peux pas me permettre de laisser partir Kimura tant que je ne sais absolument rien des triades chinoises. Je demande alors

- Et quel est l’état des triades chinoises à Osaka?”

Il explique :

- Selon la police, les triades chinoises sont blotties à l’extérieur d’Osaka, à Kobe. Il y’a en effet un chinatown, Nankinmachi, qui leur permet de rester en contact avec les natifs chinois, mais aussi d’une base d'opérations pour leur activités criminelles. Ils camouflent tout ça en un lieu touristique, et paf! Ils ont des capitaux pour prospérer. On estime que 1 enseigne sur 5 à Nankinmachi appartient aux triades. La position de Kobe est aussi stratégique pour eux. Cela leur permet de faire un triangle Osaka-Kobe-Tokyo, où ils s’exportent librement. On estime le nombre de membres des triades à 15000-20000 dans tout le Japon.”

Je fronce les sourcils, notant mot pour mot le récit de Kimura. Je lui offre ensuite un sourire dissimulant ma détresse :

-Merci infiniment! Vous avez potassé votre sujet, cela m’aidera beaucoup.”

Kimura répond humblement

-Il y a pas de quoi! C’est vous que je dois remercier pour donner à Justice For Japan une importance médiatique.”

Toujours en dissimulant mes émotions, j’ajoute avec courtoisie :

-Je vais partir de ce pas apporter mon récit à mon éditeur en chef. Guettez le prochain numéro de la Gazette du dragon dans les kiosques!”

Ainsi, je me retire de la manifestation de Justice for Japan. La découverte de mon passé n’attendra pas une nuit. Je vais déposer mon article à Haruo, et je prendrai la première navette pour Kobe la nuit même. Je ne le fais pas seulement pour moi, mais pour cette personne mystère en détresse. Où qu’elle soit, j’espère que cette personne est vivante, et je la supplie de tenir bon…

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