Chapitre 1

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 Mon doigt remonte le long du verre. Pour être exacte, il suit les bulles de champagne qui se faufilent jusqu’à la surface. Elles s’échappent du liquide doré pour se dématérialiser. Elles touchent l’air et disparaissent.

 Assise, la tête reposant sur ma main gauche, je fixe ma coupe inlassablement. C’est un spectacle fascinant, surtout quand on en a déjà bu cinq. J’aime bien le bruit de mon ongle paré de son vernis de Nouvel An à paillettes qui résonne contre la paroi de mon verre. Du vrai cristal d’Ikea. J’en suis tellement captivée que je n’entends plus la fête autour de moi, ni la musique, ni les invités. D’ici une heure on va fêter la nouvelle année. On va devoir se prendre dans les bras et se souhaiter le meilleur.

 J’ai fait des efforts pour cette soirée. Je me suis épilée, maquillée, manucurée, coiffée. J’ai dû m’y prendre à plusieurs reprises pour approcher de l’effet smocky eyes brun doré que je souhaitais. J’ai bouclé mes cheveux et me suis brûlé le doigt avec mon lisseur. Et comble de l’ironie j’avais à peine franchi le pas de la porte que Cathy m’avait affublée d’un chapeau ridicule. Un cône en carton brillant. Il me manque juste le mirliton qui se déroule et j’aurais tout l’attirail pour passer minuit dignement. Pour le côté glamour on repassera.

 Une nouvelle bulle qui éclate, et mon cœur chavire. L’heure du bilan annuel s’impose. Une grande respiration et je me lance.

- Niveau vie sociale et amicale : je me défends, j’ai des potes avec qui sortir, j’ai des amies avec qui partager les bons comme les mauvais moments. Je vis en colocation avec une folle furieuse que j’adore.

- Niveau travail : pas captivant, des dossiers à traiter et ce sont les autres qui en tirent les avantages. La paie ne vaut pas l’investissement et je travaille sous les ordres d’un directeur d’agence énervant au possible.

- Niveau sexuel : J’ai récemment fait une grosse erreur. Une très grosse erreur qui influe sur mon travail. Je vous ai parlé de mon directeur d’agence ? Raphaël … J’avais un petit faible pour lui ou un gros faible. Mais j’ai bien compris que cette nuit partagée n’était qu’un plan cul et certainement pas le meilleur vu que depuis lors il fait comme si de rien n’était. Une fois la chose faite, il a ramassé ses vêtements, m’a tapoté l’épaule et me disant «ça n’a jamais eu lieu», il a quitté la pièce comme un prince. Pas comme un prince Disney, élégant, prévenant et amoureux sur son beau destrier. Non ! Comme un prince digne de Machiavel, fier et droit nous laissant mon égo et moi dans la fosse à purin. Et tout à son machiavélisme, l’observant au quotidien, l’on dirait effectivement que ça n’a jamais eu lieu. Alors que moi, stupide péronnelle, je rougis à chaque fois que je le vois.

- Niveau amour : Ce qui résumerait au mieux ma vie serait une scène de western. Vous savez celle où le virevoltant traverse la scène, il passe devant les portes du saloon qui claquent, et rien ne se passe. Voilà c’est ça, rien, le désert et la désolation mais sans l’air d’harmonica.

 Peut-être que je devrais boire cette coupe et arrêter de penser. Comment faire pour arrêter ?

 Je ne cesse de repasser en boucle le film, ou plus exactement, le court métrage de ma nuit avec Raphaël. J’avais trouvé ça plutôt bien jusqu’au tapotage d’épaule.

 Raphaël, 35 ans et des yeux bleus renversant. Quand j’y pense, je m’imagine ses pupilles comme deux îlots flottant dans les eaux turquoise et chaudes de Polynésie. Je dois être vraiment saoule parce que pour voir de la chaleur dans ses iris bleu glacial, il faut le vouloir. D’un regard, il peut s’il le veut vous clouer sur place. Une vraie tête à claques, arrogant, sévère et moqueur. Je vous ai parlé de ses abdos ? Je les ai comptés un par un. Aussi captivant que les bulles de champagne, la même ivresse à la contemplation et probablement la même gueule de bois et le même désenchantement au réveil.

 Et si je me redressais un petit peu pour me saisir d’une de ces jolies verrines qui trônent sur ce socle doré en forme de sapin de Noël ? J’ai encore un soupçon de lucidité, je sais qu’une verrine n’épongera pas l’alcool bu et que les dommages sont déjà irréparables. J’ai déjà passé le stade pompette où la vie est belle, j’en suis au stade « douloureuse remise en question », et bientôt je vais franchir le stade suivant, celui de l’incohérence et du ridicule qui va avec, et je finirai probablement par le fameux rendu de diner. Ça donne quoi un rendu de verrine d’avocat au saumon ?

 Pour l’incohérence et le ridicule, pas de crainte, je suis en territoire connu et sûr. Entourée d’amis, je peux trébucher, pleurer, divaguer, danser sur la table, pas de jugement et ça reste entre nous. « Nous » se compose de Cathy l’organisatrice et l’hôtesse de cette fête, Paul son mec, Roger le black de la soirée (il faut respecter les quotas), Émilie l’intello, Jade la classieuse et distinguée, Terrence son mec tout aussi classe et distingué, Bruno le frère de Cathy, Benoît et sa chérie Denise enceinte jusqu’aux yeux. On lui dit que la grossesse lui va bien mais c’est un mensonge salutaire. Elle a pris 30 kilos elle est bouffie même du nez. Julie ma coloc Et bien sûr il y a moi.

 Ava, aussi plate qu’était plantureuse Ava Gardner, 1m70, mince, des yeux verts et des cheveux châtains. Ni moche ni jolie. Un peu quelconque, perdue dans la masse derrière les bombasses, les salopes et les grandes gueules.

 C’est ça, j’ai trouvé pour la nouvelle année je veux sortir de la masse, je veux être vue je veux faire quelque chose qui compte. Je veux briller quelque part. Mais où ? Et comment ? Pas si vite ma grande, une prise de conscience par cuite ça suffit. Et puis ça serait une bonne chose de sociabiliser avec ces gens que j’aime.

— Allez Ava bouge. Lève-toi et viens danser. Emmène ton verre sur la piste si tu veux mais souris. Regarde les beaux célibataires prêts à nous faire danser, dit-elle en désignant Roger et Bruno. De belles choses nous attendent coloc de mon cœur ! Amour gloire et beauté et bonne année !

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