Le Spationef Coincé (29)

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Je reconnais la plupart des loustics que j’ai croisés dans le ventre du Faucon Millénium. Ils sont tous là, en fait. Et comme toujours, dans le plus parfait désordre. Pendant qu’Obi Wan se perd en insultes sous les sandales de ses complices, je regarde avec curiosité. Curieusement, je ne crains rien, à l’inverse de mes semblables qui, eux, se répandent en cris et lamentations stupides. Le président français, encore lui, reconnaissable entre tous par cette étonnante incapacité à dire plus de deux mots à la suite, tente de sauver sa vie, dernière chose à sauver, trop conscient que sa carrière est moribonde depuis son accession au pouvoir suprême. Il en est de même pour la quasi-totalité des monarques républicains en place, c’est vrai, mais celui-ci sort du lot par la stupidité de ses propos :

-    Ecoutez…je ne…sais pas…euh…ce que…vous voulez… mais…

-    Ah, te voilà, toi ! fait le Commandant Koenig, ivre comme à son habitude.

Et il lui balance une bonne gifle qui envoie rouler le malheureux petit président dans les fauteuils, tête par-dessus cul. Je ne connais pas le bonhomme, pourtant je me sens l’âme un peu touchée par ce geste qui n’a rien d’honorable. Même si, quelque part au fond de moi, je ne suis pas mécontent de voir un de ceux qui ne reçoivent habituellement que des honneurs, se prendre une petite mandale salvatrice. Voilà que les mercenaires débiles montrent enfin de quoi ils sont capables. En effet, et en quelques secondes à peine, ils cernent les convives, neutralisent toutes les issues de secours, confinent les agents de sécurité dans une petite pièce voisine après les avoir soulagés de leurs armes. Du travail de pro, c’est clair. Nous sommes devenus otages, en quelques secondes à peine.

Obi Wan, toujours en haut de l’amphithéâtre, se masse les reins en marmonnant des trucs pas sympas. J’entends encore quelques bruits étranges en haut, du côté des salles des traducteurs. Est-ce qu’Agent a eu le temps de se sauver ou prépare-t-il la riposte, caché quelque part en attendant des renforts ?

Pour le moment, nous ne pouvons rien faire que subir les évènements, alors petit à petit le calme revient dans les rangs des hommes politiques. Si quelqu’un avait eu l’intention de les tuer, ce serait fait depuis longtemps, ce qui n’est à première vue pas le cas, ce qu’ils ont fini par comprendre. Eh oui…même les hommes politiques arrivent parfois à comprendre les choses, même si c’est seulement quand cela concerne leur peau. Ils reprennent donc place, le plus dignement qu’ils peuvent, rajustent leur cravate, leur veston, se rendent aux toilettes pour les plus émus. Bientôt, on entendrait voler les mouches. Sauf quand Miss Alien, tout en armure visqueuse, décide de changer de patte pour dormir, comme un flamand rose.

Alors, Obi Wan Kenobi, le redoutable jet d’ail, pardon, le redouté Jedi, nous adresse enfin la parole. Ce qui oblige les notables à se retourner sur leur siège puisqu’il est toujours en haut des marches, derrière eux. Pour ma part, toujours à mon pupitre, je suis aux premières loges.

-    Hum…merci pour ce chaleureux accueil, commence Kenobi. C’est toujours aussi sympa chez vous, presque autant que chez nous, d’ailleurs.

Il entreprend, théâtral, la descente des marches. Conscient de l'importance du moment, il voudrait imprimer l'instant de son aura, laisser sa trace dans les livres d’Histoire, graver dans la mémoire des Hommes le souvenir d’un Surhomme, d’une Divinité enfin descendue sur Terre. Alors, comme certaines de ces stars du Show-Business, il s'applique, roule des hanches, ondule des bras, cou tendu vers le ciel et sourire en porcelaine aux lèvres. Il ne manque que quelques flashs et un air de Music-hall.

Mais bon…pour le moment, la seule trace qu’il laissera sera celle de sa chute dans les marches de l’ONU ! Voilà en effet qu’il se prend les pieds dans sa toge de déménageur et roule comme un buisson maudit poussé par les vents du désert jusqu’au bas des marches, poursuivant sa course folle jusqu’à s’assommer à moitié au bas de la tribune.

Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire, ce qui ne manque pas de déplaire à quelques membres de son équipe qui s’empressent de se ruer sur moi d’un air menaçant. Heureusement, l’autre se relève, recoiffe sa calvitie et les dissuade d’un geste plein de mansuétude, m’accordant au passage un sourire miséricordieux.

-    Bon, je reprends… fait-il, l’air de rien. Je suis heureux de pouvoir vous rencontrer tous en même temps, ce qui nous fera gagner pas mal de temps à tous, croyez-moi.

Personne ne dit rien, mais je suis persuadé que tout le monde attend la suite avec impatience, sinon avec inquiétude. Mes éclats de rire ont un peu détendu l’atmosphère et j’aperçois, ça et là, quelques lueurs d’espoir dans les regards des décideurs du monde.

-    Pour commencer, je vais demander à nos amis de bien vouloir rejoindre nos rangs. Allez, on y va tranquillement. Ne vous inquiétez pas, les autres, nous ne sommes pas animés de mauvaises intentions. Simplement, je dois faire le tri parce que j’ai un peu oublié vos noms, à tous, et puis il y a longtemps que je ne suis plus venu ici. Ce qui explique, d’ailleurs, que nous ayons un peu de retard, ce que vous nous pardonnerez, n’est-ce pas ?

Alors là, ce que je vois est tout simplement stupéfiant. Je distingue plusieurs dizaines de personnes se lever et se diriger vers les hommes en arme d’Obi Wan. Parce que j’ai les projecteurs dans les yeux, ceux qui éclairent la tribune, je ne vois pas encore très précisément qui s’est levé, même s’il me semble reconnaître quelques silhouettes mondialement connues. Mais, quand elles passent sous le feu des sun-lights… c’est une belle surprise.

En effet, et comme en respectant encore les impératifs du protocole de la diplomatie mondiale, voici dans l’ordre quelques personnages de premier plan qui s’avèrent complices de la machination des hommes de l’espace ! Et je cite en tout premier lieu le Président des États-Unis, suivi de près par le Premier Secrétaire de la République Populaire de Chine, accompagné du Tsar Patine lui-même ! Bien entendu, dans leur sillage se trouvent aussi leurs équipes rapprochées, leurs gardes prétoriens ! Et puis il y a aussi plein de types venus de je ne sais quelles nations, qui s’avancent d’un pas arrogant, comme assurés par avance du succès de leur complot ! J’avoue que j’en suis baba. Mais quand j’aperçois le président français, celui qui s’est ramassé une beigne de cow-boy quelques minutes plus tôt, j’ai encore un peu plus de mal à en croire mes yeux. Celui-ci croise mon regard au moment où il me passe sous le nez et, un mauvais sourire aux coins des lèvres, comme s’il avait lu dans mes pensées, me dit d’un ton grognon :

-    Rien à voir. Un petit différent entre Koenig et moi. Une vieille histoire de scooter…

Surpris et ne sachant rien de ce qu’il évoque, je le regarde passer en me disant que le noyautage dont parlait Agent est réel.




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