Le Spationef Coincé (30)

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De plus en plus de personnes se dirigent vers les hommes d’équipage du Millénium. Presque plus de la moitié des hommes les plus importants du monde se pressent bientôt en rangs serrés pour ce qui mériterait bien la photo du siècle.

Je prends enfin la vraie mesure de la menace qui pèse sur nous, les humains. Ainsi, Agent disait vrai ; Kenobi et son armée de dégénérés sont véritablement en train de prendre le contrôle de la Terre, pour le plus funeste des destins.

Fasciné et éperdu, je compte sans les compter toutes les têtes qui se sont liguées contre leur propre espèce, au point de risquer sa destruction. Je reconnais la chancelière allemande, les principaux élus de la Pologne, les têtes blondes des pays nordiques, quelques célébrités africaines, et tant d’autres ! Tous les despotes, tous les tyrans, tous les assassins institutionnels sont de la partie, bien sûr. Encore un peu et je m’attendrais presque à voir ressurgir Franco, Pinochet et toute la clique !

J’ai le sentiment d’avoir reçu un piano sur les épaules. Et pas un petit piano… Obi Wan, qui doit sonder mon esprit sans vergogne, me regarde d’un air goguenard et me sourit. Face à moi, les mains dans le dos, il n’a plus rien d’un gentil vieillard. Je vois maintenant le côté obscur de la Force, me semble-t-il, et ça me fait frissonner d’effroi. Quels sont ses plans, à ce vieux forban ?

-    Tu ne vas pas tarder à le savoir, mon ami…me chuchote une voix intérieure.

En effet, joignant la parole télépathique au geste, Kenobi se concentre soudain, la tête entre les mains, yeux clos. Je distingue les veines à ses tempes enfler sous l’effort intense qu’il s’impose. L’air semble se figer pendant que tout le monde garde les yeux rivés sur lui. Le nuage de brume se rassemble lentement autour de lui, s’enroule petit à petit autour de sa silhouette de joggeur de canapé, puis une colonne d’air, une spirale plutôt, se développe rapidement. L’air siffle bientôt, discrètement pour commencer mais cela ne dure pas. Très vite, on a tous l’impression que l’atmosphère s’épaissit, devient de plus en plus compact. On a droit à une tornade en plein conseil de l’ONU !

Pressentant du vilain à venir rapidement, je me dis soudain qu’il est grand temps de délaisser mon promontoire pour aller me cacher quelque part.  Mais où se cacher dans un amphithéâtre, même celui des Nations Unies ? Un peu éperdu, je regarde partout mais les complices du Jedi sont partout, l’air mauvais. Misère de mes os…je crois que ce qui va arriver risque de me coûter la vie. Voire pire encore !

C’est à ce moment là que je croise enfin le regard d’Agent. Surgi de je ne sais où, il n’attendait que ma décision de quitter la tribune pour s’approcher de moi. Sans rien dire, il me glisse deux petites billes au creux de la main puis s’éloigne de quelques pas. Pour ne pas se faire remarquer, j’imagine.

Je fais rouler une bille entre mes doigts sans savoir qu’en faire, pendant que je range distraitement l'autre dans ma poche. Une capsule de cyanure, comme aux temps de l’immédiat après deuxième guerre mondiale ? La tension est presque à son comble, les complices de Kenobi nous défient du regard. A vrai dire, ils semblent choisir une proie parmi les autres personnes politiques pas encore corrompues. Si, si…ça existe (peut-être) encore, des « politiciens non corrompus »… Enfin, ça m’arrange d’y croire pour le moment. Comme ça, je me sens moins seul. Et puis, j’avoue que s’ils choisissent effectivement une proie, ça en fera autant de moins accrochés à mes baskets ! Je sais ; pas très charitable mais peu importe ! En plus, certains ont vraiment l’air pas honnête du tout. Chacun pour soi.

Mais plus le temps de me poser de questions : sans prévenir, voilà que les complices du Jedi se dirigent presque en courant vers nous, l’air complètement possédé et plein de mauvaises intentions à notre égard, nous, les « pas encore possédés ».

Ça vire rapidement au burlesque. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, voilà que la moitié des hommes politiques complices se rue sur l’autre moitié dont je fais partie ! J’aperçois, incrédule, la grosse teutonne blonde, première femme politique de son pays, relever ses jupes boudinées pour pouvoir courir plus vite et rattraper le pauvre Secrétaire de l’ONU qui tente de se soustraire à ses envies concupiscentes. Je l’aperçois, tout sourire et regard plein de promesses salaces, qui tente de prendre quelques raccourcis dans les rangs de sièges, appelant le mâle pour une improbable orgie !

-    Arch…mein pititeu bridé aux zieux d’amourrre…si cheu fous attrapeu…fous allez dékouvrir les trèzors d’un corps prûlant qui fous emmèneurra verrs le Nirrrvana… glousse-t-elle de sa grosse voix de pitbull en chaleur.

-    Il ne peut être question de nous livrer à ce genre d’exercice ici, ma chère amie…chevrote l’intéressé malgré lui. Je vous prie de bien vouloir raison garder ! N’oubliez pas que le monde entier nous regarde !

-    Chusteument non, mein liebe ! réplique-t-elle d’un large sourire. Fous safez bien que les chournalistes sont verboten aujourd’hui !

Le secrétaire se prend ça dans les gencives et redouble d’ardeur pour s’enfuir. C’est vrai que les journalistes auraient été une sacrée aubaine aujourd’hui ! Il prend la mesure de la machination, le pauvre. Pour un peu, j’en serais presque à prendre les paris quant à savoir qui de la grosse teutonne ou du svelte asiatique gagnera la course. Sourire aux lèvres, je ne peux m’empêcher de trouver la situation très cocasse. Cocasse, jusqu’au moment où je croise un regard de braise qui s’appesantit lourdement sur moi…
En effet, deux yeux rouges de désir intense se sont posés sur mes épaules chenues. Est-ce seulement parce que je serais une victime facile ou que mon sex-appeal de vieux machin des îles opère encore ?

Je ne me pose pas la question; il est des circonstances où cogitations inutiles riment avec un truc qui finit en « iles » mais que je ne trouve pas à l’instant…

Et quand j’identifie la personne propriétaire des yeux rouges, j’en tremble d’effroi. Il ne s’agit pas moins de Christine Lagourde, la présidente du DMI, le Désastre Monétaire International ! Celle-ci, juchée sur le dossier d’un fauteuil comme un vieux corbeau sur sa branche, sourit à pleines dents. Et quand on connaît la voracité de ce genre de vampire de la finance, on ne peut que redouter le pire !

Alors, ni une ni deux, je fonce droit devant moi, bousculant au passage quiconque croise ma route. C’est ainsi que j’envoie au tapis quelques augustes représentants européens, notamment le premier ministre anglais qui se perd en insultes à mon égard. Mais je n’en ai cure ; j’entends déjà le bruit des vieilles plumes du corbeau de la finance. Cette vieille chouette se rapproche à tire d’aile et je l’entends même grincer du bec à l’idée de se repaître de ma carcasse !

Las ! Je trébuche sur un corps inconnu et je me vautre lamentablement sur les tapis encombrés ! Dans la seconde qui suit, je sens l’haleine fétide de la banquière du monde. Elle se pourlèche à l’avance des sévices qu’elle va m’imposer sans perdre de temps, s’imaginant sans doute que je suis grec, espagnol ou encore portugais, allez savoir !

Dans un sursaut désespéré, je me retourne sur le dos pour affronter le volatile maudit mais c’est presque trop tard pour moi ; un dernier pas pour elle et la voilà qui me domine de toute sa maigre silhouette d’anorexique des plans sociaux du monde ! D’un geste brusque, elle se jette sur moi. Moi, éperdu, je tente de la repousser de mes bras de vieil amiral à la retraite mais l’assaut est trop violent. Comment un vieil oiseau des îles pourrait-il résister à la puissance d’un charognard habitué à dépouiller plus faible que lui ?

Pourtant, alors que je me crois perdu, maudissant le plan minable des hommes en noir et Agent en particulier, il se produit une chose incroyable.

En lançant mes mains devant moi pour me défendre, Christine Lagourde me frappe avec violence dans la paume des mains, faisant éclater sans le vouloir la bille mystérieuse qu’Agent m’a confiée tout à l’heure. Celle-ci éclate dans un bruit de pétard de fête foraine puis dégage immédiatement une fumée mauve, épaisse et nauséabonde. En un éclair, je comprends ce qui vient de se passer. L’Agent Dormant vient de se réveiller ! Mister La Fumée prend son envol en un clin d’œil, modifiant l’atmosphère en moins de temps qu’il n’en faut à un Président français pour proférer dix mensonges en une seule phrase !

Et le miracle se produit !

Tous les complices de Kenobi sont instantanément figés, presque de marbre ! D’ailleurs, ils sont visiblement aussi lourds que du marbre. J’en veux pour preuve cette fichue Lagourde qui gît sur moi, bêtement solidifiée dans une posture et sur une certaine partie de ma constitution qui prêterait largement à confusion si les journalistes qui firent en leur temps sa fête à DSK étaient présents !

Agent, qui semble décidé à n'apparaître qu'aux instants les plus critiques, se jette sur la statue monétaire en plein dépôt de bilan et me dégage rapidement.

-    Bon, maintenant, vous sortez de là immédiatement. Nous, on va s’occuper de la suite !

Et il me pousse vers la sortie sans ménagement. La Fumée distille encore quelques effluves figeant puis se concentre en un petit halo de fumée mauve. Il me précède de quelques mètres. En fait, il m’ouvre la voie vers la liberté. De mon côté, j’en profite pour tenter de faire sortir quelques personnes avec moi mais Agent m’en dissuade d’un mauvais regard…

Je n’insiste pas et je fonce vers les sous-sols, là où est supposé m’attendre un « véhicule discret », comme Agent me l’avait assuré peu avant le déclenchement de cette opération incroyable.

Je fonce…et je ne me pose plus de question. A chaque jour sa peine. Et, pour le moment, j’estime que j’ai pris pas mal de jours d’avance !

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