Le Spationef Coincé (35)

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A présent, c’est à Adolphe de jouer son rôle. Selon mes  prévisions, il devrait arriver sous peu, avec une bande de lascars qu’il a lui-même choisis. Et armés jusqu’aux dents, si possible ! Je me prends à penser à ce qui pourrait se passer s’ils arrivaient les mains vides. Au train où vont les choses, les Jedi’s men seront décimés jusqu’au dernier et les Agents remporteront une éclatante victoire. Ce qui ne m’intéresse pas trop…

Non pas que je veuille m’attribuer tous les lauriers mais si les Agents devaient rester seuls maîtres du terrain, je me dis qu’ils n’hésiteraient probablement pas plus d’une seconde avant de se retourner contre nous, les humains, pour nous asservir une bonne fois. Ce serait l’occasion rêvée pour eux, équipés d’armes inconnues et encore salies du sang de leurs victimes intersidérales… Imaginez l’impact auprès des populations, et même de ces abrutis de politiciens, s’ils se servaient du sang de leurs ennemis pour nous menacer à notre tour du même sort.

Heureusement que j’ai pensé à ça aussi. Mais si Adolphe s’est planté, alors les carottes seront bien cuites pour nous. Pour l’instant, je regarde Miss Alien se débattre comme une diablesse. Cernée de toutes parts, elle se défend avec une vigueur qui force l’admiration. Voilà qu’elle attrape un ennemi par l’élastique de son string et l’envoie balader dans les eaux froides de l’Hudson, pourtant à plusieurs dizaines de mètres de là. Et puis, elle en mord un autre, entre le nombril et les genoux, ruinant à jamais les espoirs de paternité d’AgentPerdsMesRollmops qui s’enfuit en couinant comme une cantatrice en plein contre-ut. La silhouette noire et luisante de l’alien virevolte dans la mêlée, insensible aux coups portés par ses assaillants. Au contraire, plus elle en reçoit et plus elle se déchaîne, vomissant des flots d’acide qui réduisent ces ennemis à rien, arrachant même quelques têtes trop bien coiffées à son goût.

Mais les Agents, indifférents aux pertes, acculent bientôt le monstre et s’apprêtent à l’immoler sur l’autel de la première guerre de mondes. Elle résiste encore quelques instants puis, comprenant que tout est perdu, elle semble se résigner. Comme Vercingétorix en son temps, au pays des mangeurs de camemberts moisis, elle se redresse fièrement et, quoique privée de son cheval blanc, elle jette aux pieds des vainqueurs quelques armes, on dirait des couteaux effilés, puis, à défaut de savoir parler comme vous et moi, elle siffle, zozotte ou quelque chose dans le genre. En signe de reddition, j’imagine. Peut-être siffle-t-elle pour négocier quelque arrangement honorable pour ses compagnons ? Ou alors s’est-elle lancée dans une longue narration de ses dernières emplettes au magasin du coin ? Allez savoir ; avec les gonzesses, on ne sait jamais ! Mais Agent, qui se faufile enfin jusqu’à elle paraît s’en moquer. Couvert de sueur, le visage zébré de quelques estafilades sanglantes, l’œil mauvais et le sourire narquois, il arrive, martial et conquérant auprès de Miss Alien.

-    Alors, ma cocotte, tu jettes l’éponge ?

-    Shhhh… serpente l’intéressée.

-    Tu as raison. Ainsi, tu viens d’épargner ta propre vie. Je sais que ce n’est pas grand-chose, mais c’est quand même ça de gagné, n’est-ce pas ?

-    Shhh…

-    Maintenant, tu vas me dire où est passé Kenobi ! lui intime-t-il brusquement.

C’est vrai qu’il a mis le ton nécessaire pour impressionner un mec comme moi, par exemple, mais pour ce qui est de la bébête en carapace de soirée, il peut aller se rhabiller. En effet, Miss secoue la tête pour lui dire qu’il peut aller voir sur les côtes inuites si le soleil brille en mars. Vite mécontent, Agent lève la main et, aussitôt, ses compagnons la mettent en joue, prêts à la transformer en purée.
Pas plus impressionnée pour ça, elle continue son petit manège, allant même jusqu’à tirer la petite tête qui lui sert de langue, en guise de défi.

-    Ah, soupire-t-il d’un air faussement amusé, tu sais que je vais devoir te faire passer à la moulinette à neutrons, tu sais ça ? Si tu refuses de m’aider, alors je vais devoir demander à mes petits copains de te transformer en salade épicée ou un plat de ce genre, forcément piquant à cause des acides que tu laisses couler dans tes veines…

Toujours indifférente, au moins en apparence, l’alien ne faiblit pas. Alors Agent change immédiatement de registre.

-    Si tu me donnes Kenobi… commence-t-il, disons que je pourrais intercéder en haut lieu pour toi et faire en sorte que tu retournes sur ta planète. Libre, bien entendu…

L’argument semble près de faire effet et Miss machin ne siffle plus. Elle fixe Agent avec attention, presque à l’hypnotiser. Elle pèse le pour et le contre mais rien n’est simple dans ce genre de négociations et elle sait bien que les accords passés ne sont valides qu’avec certaines garanties. Alors, elle préfère attendre la suite de la proposition. Agent, qui connaît la musique, comprend qu’il vient de marquer des points et pèse chacune des paroles qu’il prononce alors.

-    Voilà, ma belle ; je te propose… de te faire ramener en navette express sur ta planète, pour commencer.

Il attend un peu pour voir la réaction de sa prisonnière. Face à son mutisme, il continue :

-    Ensuite, et juste parce que tu as de beaux yeux, je te garantis que tu pourras vivre en toute liberté, sans aucune contrepartie. Je te ferai même construire une maison, rien que pour toi…

Toujours rien en face…

-    Et pour tes enfants... ajoute-t-il. Ça te va ? Et je te donnerai un passeport intersidéral VIP permanent…

Bingo ! Miss Alien, mère avant tout, accuse le coup et se met à trembler d’émotion. Alors, chez les Aliens, trembler d’émotion se traduit par d’étranges bruits de gamelles qu’on frapperait les unes contre les autres dans le plus grand désordre. Certainement à cause des parties naturellement blindées de son enveloppe corporelle. Elle suinte un peu de bonheur aussi, ce qui se manifeste par des coulées acides et fumantes. L’air deviendrait vite irrespirable si, par bonheur, un petit coup de vent ne soufflait au loin les miasmes de la dadame.

Agent, fort de son argument en bronze massif, écarte les pans de sa veste et, les mains posées sur les hanches, se comporte bientôt comme un vendeur de voiture qui viendrait de tomber sur un pigeon de première classe.

-    Tu vois bien que tu as tout à y gagner, ma colombe, fait-il, tout sourire. Allez… maintenant, communiquons ensemble par la pensée et dis-moi enfin où se trouve notre ami commun, tu veux bien ?

J’en suis baba… Miss Alien ne sait pas parler comme vous et moi mais elle aussi est télépathe ! Comment n’y ai-je pas songé plus tôt ? Quel dommage que je ne puisse profiter de telles capacités ! Je pourrais féliciter Jojo, par exemple ! Par contre, je pourrais engueuler Adolphe qui se fait toujours prier.
Mais qu’est-ce qu’il fait, celui-là ?



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