Le Spationef Coincé (36)

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Miss Alien continue de réfléchir. Je sens bien qu’elle cherche à savoir où se trouve l’entourloupe, toujours possible quand on n’est pas vraiment en position de force. Elle scrute le visage de son opposant et, à l’évidence, la télépathie fonctionne à plein régime. Je ne sais pas ce que ces deux-là se racontent mais, sans aucun doute possible, les négociations ne sont pas encore terminées. Loin de l’être, peut-être. Elle est hyper-concentrée et ne bouge quasiment plus pendant qu’Agent, yeux clos, trahit ses pensées par de petites mimiques qui apparaissent brièvement sur son visage.

Acide-Woman fait tout pour masquer ses sentiments pourtant, sans que je puisse me l’expliquer, je sais qu’elle prépare quelque mauvais coup. Impossible d’expliquer pourquoi mais j’ai de plus en plus l’impression qu'Agent va se faire rouler dans la farine.

Les autres, tous les autres attendent sans broncher. Pensez quand même que tout ce petit monde s’entretuait il y a quelques minutes encore ! Il est étrange, rassurant et terrifiant, tout en même temps, de se dire que les espèces vivantes, toutes planètes confondues, sont définitivement débiles au point d’être naturellement disposées à tuer par vengeance, par colère, par envie, voire tout simplement par plaisir et puis, sur un ordre tout simple, sont capables de sourire aux inconnus...
A l’heure actuelle, tous ces zozos-là sont au repos, en attente de consignes assassines ou, au contraire, d’une invitation à la paix générale. Les deux camps ne font plus qu’un, le premier  vite rejoint par le second, et personne ne semble plus voir personne. Quand je vous dis que quelque chose ne tourne pas rond chez ces mecs-là…

Chez les Agents, par exemple, c’est le moment parfait pour se refaire une beauté et la plupart ont sorti leur petit matériel. Ainsi l’AgentTimentEfféminé qui vient de se défaire de son pantalon froissé, demeurant les poils des jambes à l’air, tout  croquignolet avec ses porte-chaussettes qui lui remontent à mi-mollet. Armé, non plus de son désintégrateur portable mais d’un mignon fer à repasser, il s’applique à faire la chasse aux faux plis… Je préfère regarder ailleurs quand je constate qu’après son froc, le type enlève sa chemise. Allez savoir où il s’arrêtera !

Du coup, je me penche sur le cas de ce cher Commandant Koenig qui, comme les autres, est de la partie. Celui-ci renifle l’atmosphère en fronçant ses gros sourcils toutes les trois minutes, environ. Comme un vieux chien de chasse à l’affût, il hume l’air avec brusquerie, par saccades. Il sautille pour mieux se diriger dans les courants d’air qu’il poursuit sur quelques mètres avant de revenir sur ses pas, l’air renfrogné et déçu.

Il me faut un peu de temps pour comprendre ou, plutôt, pour imaginer une raison valable à tout ça. Oui, c’est vraiment à force d’efforts et par totale analogie avec le comportement d’un chien que je pense enfin découvrir le pourquoi du comment. Koenig n’agit pas autrement qu’un canidé lancé sur la piste d’un gibier de choix. Tout indique chez lui qu’il recherche activement quelque chose. Je me mets à espérer qu'à l’instant où il aura trouvé ce qu’il cherche, il ne se mettra pas à remuer de la queue… ! Mais Koenig n’est pas un chien. Alors, que cherche-t-il ? Le malheureux est seul dans sa quête, même ceux qu’il bouscule restent indifférents.
Pauvre vieux. Si je n’étais pas coincé dans mon petit coin, pas très loin d’eux finalement, je lui filerais bien un petit coup de main !
Pourquoi ? Mais parce que moi aussi, je meurs de soif !!
Eh bien, oui, je pense que ce vieux machin crève d’envie de vider une petite canette pour se rafraichir le gosier. Après tous ces efforts violents, quoi de plus normal, quoi de plus logique, non ?
Koenig, selon moi, cherche seulement à noyer sa cirrhose.
Fameuse trouvaille de ma part, non ? Comment en suis-je arrivé à une aussi juste conclusion ? Franchement ?
Je ne sais pas.

Et C'est absolument normal puisque, tout de suite, il m’est donné de voir que je me suis encore fichu le doigt dans l’œil ! Et vous allez voir pourquoi :

Pendant que l’ex-dirlo de la base Alpha gesticule à s’en démettre les vertèbres, mon attention est soudain attirée par Agent qui vient de virer au vert. Au vert de colère, bien sûr.

-    Ah, la bourrique ! L’infâme perfide ! Cette grosse vache s’est foutue de moi ! hurle-t-il, rouge de colère (en plus du vert…il devrait faire attention, risque de se péter quelque chose d’important dans la tête, s’il n’y prend garde…)

Il trépigne de rage et s’en prend à ses sbires :

-    Messieurs, transformez-moi ça en hamburger. Tout de suite !

Il n’est pas bon quand il fulmine, l’Agent. Il rouspète dans ses moustaches (pourtant pas encore poussées), s’auto-flagelle de n’avoir pas prévu le coup puis, la seconde d’après, hurle en postillonnant comme un ventilateur sous la pluie sur ses camarades. Bref, une teigne en rage !

-    Alors, toi…toi…tôâââ ! râle-il à l'attention d'Alien.

-    Mon toit, mon tout, mon roi… entonnent illico les autres Agents, tout contents d’une récréation chantée.

-    Mais non, bande d’ânes ! Silence, quand le chef s’exprime ! 

Les autres se taisent, sans comprendre leur bévue. L’autre reprend de plus belle :

-    Alors, toi… en menaçant l’Alien d’un index qui tremble de fureur. Tôâââ…

Et là, c’est magique : Alien s’adresse mentalement à tout le monde : partisans, ennemis, humains dans les parages immédiats, moi y compris !

-    Ben ouais, mon gars. Tu l’as dans l’os…

La phrase résonne clairement en chacun de nous. C’est la première fois qu’un humain entend la voix de cette bestiole infecte. Elle parle ! Et pour se moquer ouvertement d’Agent qui n’en peut plus de colère.

-    Tu noteras, cependant, que j’ai respecté le deal… reprend la voix intérieure. Tu devras donc respecter les termes de notre accord, vu ? Parce que celui que tu cherches…il est là !

A peine sa phrase ponctuée d’un joli point d’exclamation, elle fléchit gracieusement les genoux et s’élance d’un coup dans l’escalade du mur derrière elle. Elle est souple, la mémère en carapace, je vous le dis ! La voilà qui attaque les premiers étages à la vitesse d’une blatte surprise par la lumière du jour. Elle grimpe à toute allure pendant que les Agents, médusés, regardent sans comprendre et, surtout, sans réagir ! Puis, s’estimant assez loin pour se permettre une petite halte, elle se retourne puis s’adresse encore à tout le monde, pour un message pourtant destiné au seul Agent :

-    J’attends ma navette, mon petit couillon de la lune, et la suite aussi. N’espère pas te jouer de moi, sinon je te retrouverai et tu pourras goûter aux délices d’une soupe acide… Avec toi comme ingrédient principal. 

-    Et tu as tout intérêt à ne pas négliger cet avertissement, mon ami… fait une autre voix, masculine celle-ci, dans  nos pauvres têtes dépassées par les évènements.

Obi Wan Kenobi, le Jedi fêlé est là, bien visible sur un balcon pas très loin des Agents.
Et c'est bien ce qui agitait Koenig qui recherchait ardemment... son maî-mâitre.
Remarquez, peut-être qu'Obi a des canettes planquées dans ses poches.



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